Par Andrew Korybko – Le 13 mars 2019 – Source orientalreview.org
L’Algérie connaît une période d’instabilité politique importante, le président malade Bouteflika ayant décidé de se représenter aux élections du mois d’avril pour un cinquième mandat.
L’État d’Afrique du Nord se voit secoué des manifestations les plus importantes depuis le « Printemps Arabe » de 2011, après l’annonce que le président Bouteflika – dont nombreux estiment qu’il est physiquement, voire mentalement inapte depuis son AVC de 2013 – serait cette fois encore le candidat du parti au pouvoir aux élections qui s’approchent.
Note du Saker Francophone Depuis cette date, la situation a beaucoup évoluée avec le report des élection et une constituante.
Le dirigeant âgé avait contribué à pacifier son pays après la guerre civile meurtrière des années 90 – souvent considérée, avec le recul, comme une « proto-Syrie », cette guerre civile ayant opposé un gouvernement laïc à des insurgés islamistes – ce qui explique que Bouteflika est encore très respecté dans la société. Mais malgré cela, la dégradation des conditions de vie que connaissent de nombreux algériens provoque chez certains d’entre eux le refus d’accepter la poursuite du statu quo.
Bouteflika représente non seulement un retour à la stabilité à l’issue d’une décennie de chaos, mais également aujourd’hui la faction de l’« État Profond » des services de renseignement et de l’armée, qui a maintenu le pays en sécurité depuis ; cette nouvelle facette de son image s’est accentuée depuis son AVC, qui pour certains l’ont rendu inapte à exercer le pouvoir par lui-même [Son frère Sa¨d serait à la manœuvre, NdSF]. Dans le principe, voir des membres responsables des administrations permanentes d’un pays piloter les affaires en sous-main pour éviter les eaux troubles dans une région propice au conflit n’est pas vraiment un problème – surtout dans un pays ayant connu une guerre civile meurtrière. Mais le problème soulevé par certains réside dans la stagnation qui en a résulté, et ce année après année. Et les rumeurs voulant que Bouteflika ne dirigerait pas vraiment le pays empirent encore la situation, et l’annonce de sa candidature a réellement outré certaines personnes.
Chose intéressante, l’un des porte-paroles du président a lu en début de semaine une déclaration par laquelle Bouteflika s’engage à quitter le pouvoir après un an d’exercice s’il est ré-élu, et à ne plus se présenter aux élections qui suivront. Cette déclaration est très étrange, car elle soulève immédiatement la question de savoir pour quelles raisons il se présente à cette élection. Peut-être cette déclaration suggère-t-elle que la situation en Algérie présenterait des similitudes avec celle du Soudan : le dirigeant de longue date de ce pays, Omar al-Bashir, semble se retirer graduellement du pouvoir en offrant des marges d’action croissantes à son « État profond », afin de contrôler la transition inévitable qui devra bien avoir lieu, en évitant de nouvelles déstabilisations qui mettraient à mal un pays fragile.
D’un coté, on peut comprendre les raisons amenant Bouteflika – ou les membres de l’appareil militaro-renseignements de l’« État Profond » qui pourraient constituer les vrais dirigeants – à prendre cette approche : il craint réellement un retour des fantômes islamistes de la guerre civile si l’Algérie connaît un changement de régime soudain, pour légitime et démocratique que soit le pouvoir qui s’établira. De l’autre coté, on peut également comprendre pourquoi les manifestants, en désir d’un vrai changement de l’intérieur, n’aient pas confiance en la promesse d’élections anticipées l’an prochain, et ne voient là derrière qu’une manœuvre de l’« État profond » pour désigner un remplaçant à Bouteflika. Il reviendra en fin de compte aux algériens de décider quelle est la meilleure voie pour leur pays, mais à n’en pas douter, l’Algérie est sur le point de vivre un changement qui sera soit cosmétique, soit profond.
Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Sputnik News le vendredi 8 mars 2019.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone