Alerte hypocrisie : un dirigeant qatari apporte de l’eau au moulin du pluralisme et de l’intégration

Elias Groll

Elias Groll

Par Elias Groll – Le 24 février 2015 – Source foreignpolicy

 

Réunion entre Obama et Sheikh al-Thani dans le bureau ovale

Lorsque le dirigeant qatari Sheikh Tamim bin Hamad al-Thani a défendu dans le New York Times de mardi (24 février 2015) la nécessité de demander des comptes aux dirigeants autoritaires, il ne parlait probablement pas de lui.
Venu à Washington pour une rencontre mardi avec Barack Obama dans le Bureau ovale, Thani a préparé le message qu’il délivrerait à son partenaire américain avec ce mensonge:

S’attaquer aux racines du terrorisme exigera une approche du problème plus profonde, à plus long terme et plus stratégique. Cela requiert des dirigeants politiques qu'ils aient le courage de négocier des solutions pluralistes, intégratrices et pratiquant un certain partage du pouvoir pour résoudre les conflits régionaux. Et cela exigera que les tyrans rendent des comptes.

Cela vient d’un homme qui a été placé sur le trône de son pays par son père. Monarchie héréditaire, le Qatar a réussi à éviter la tempête du Printemps arabe en respectant la règle de base de la famille Thani: acceptation de son pouvoir autoritaire en échange d’immenses richesses.

Donc quand Thani écrit qu’il faut demander des comptes aux tyrans, c’est avec beaucoup d’ironie involontaire, si l’on pense aux violations des droits humains commis par son gouvernement pendant la préparation de la Coupe du monde de football de 2022, une manifestation sportive qui lui a valu d’être poursuivi pour des allégations de corruption.

Le pays s’est fortement appuyé sur le travail des immigrés pour construire les stades et les autres infrastructures. Des avocats des droits humains ont décrit leurs conditions de travail comme une forme moderne d’esclavage. En outre, il a été rapporté que des migrants népalais auraient trouvé la mort en travaillant sur ces projets, un tous les deux jours en moyenne. Bien qu’il soit difficile d’avoir des chiffres précis à ce propos, il est probable que des centaines de travailleurs immigrés ont ainsi perdu la vie sur les chantiers du Qatar.

Mais cela, bien sûr, ce sont des peccadilles vu que le Qatar et les Etats-Unis travaillent main dans la main pour «négocier des solutions pluralistes, intégratrices, et pratiquant le partage du pouvoir, pour résoudre les conflits régionaux», comme Thani l’a expliqué dans le Times. Après leur rencontre dans le Bureau ovale, Obama et Thani se sont déclarés solidaires dans la lutte contre les groupes militants de l’État islamique. «Nous nous sommes tous deux engagés à infliger une défaite à l’ISIS», a déclaré Obama, qui a utilisé à cette occasion un autre nom pour l’État islamique.

Ces dernières années, le Qatar s’est attribué un rôle important comme courtier entre les Etats-Unis et de nombreux mouvements islamistes au Moyen-Orient.

C’est le Qatar qui a négocié la libération de l’écrivain américain Peter Theo Curtis et a négocié l’échange du prisonnier avec les talibans qui ont assuré, en échange, la liberté du sergent Bowe Bergdahl. En outre, le Qatar a joué un rôle clé comme intermédiaire pour mettre fin aux combats dans la bande de Gaza l’été dernier.
Le pays héberge également une importante base aérienne américaine.

En même temps, le Qatar a utilisé sa richesse pétrolière pour financer les activités des groupes islamistes dans la région. Quelques responsables des services secrets américains croient que les libéralités du Qatar ont aussi inclus le financement de groupes terroristes – ou tout au moins qu’il a fermé les yeux sur l’assistance de financiers qataris qui soutiennent des organisations comme Jabhat al-Nusra, une succursale d’al-Qaida en Syrie.

Le Qatar nie avec véhémence ces accusations et prétend qu’il joue un rôle nécessaire pour aider à la libération des otages occidentaux et pour créer ce que son ministre des Affaires étrangères a décrit comme des plateformes de dialogue.

Cette position d’intermédiaire a aidé le Qatar à se protéger des critiques sur ses exploits en matière de droits humains. En effet, à la lecture de la tribune de Thani dans le Times, on pourrait se pardonner d’avoir l’impression qu’il arrive à Washington comme un démocrate réformiste et pas comme un acteur majeur de la politique autocratique au Moyen-Orient.

Elias Groll 

Elias Groll est éditeur assistant à Foreign Policy. Il est né à Stockholm en Suède, il est diplômé de l’université de Harvard, où il était directeur de l’édition de The Harvard Crimson.

 

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone
Images de Mark Wilson/Getty Images

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