Les sanctions contre l’Iran creusent un peu plus la tombe des forces étasuniennes en Afghanistan
Par Finian Cunningham – Le 16 août 2018 – Source ICH
L’accroissement spectaculaire, apparemment imparable des offensives talibanes en Afghanistan prouve que les États-Unis sont en train de devenir la dernière puissance étrangère à succomber dans un pays réputé pour avoir été, au cours de l’Histoire, le « cimetière des empires ».
Contrairement aux empires anciens qui ont été vaincus en Afghanistan, les États-Unis se caractérisent par leur contribution singulière à leur propre mauvais sort en raison de leurs gaffes excessives et d’un héritage de duplicité criminelle.
En particulier, l’obsession de Washington à vouloir agresser l’Iran voisin pour lui imposer un changement de régime pourrait bien avoir pour conséquence un basculement en Afghanistan, c’est-à-dire voir arriver le moment où les États-Unis s’enfonceront dans une fosse stratégique militaire qu’ils ont eux-mêmes creusée en Afghanistan ces deux dernières décennies.
Après dix-sept ans d’occupation militaire étasunienne qui ont coûté des milliers de milliards de dollars aux contribuables étasuniens, les insurgés talibans semblent être toujours en mesure de lancer des attaques spectaculaires contre le gouvernement soutenu par Washington à Kaboul. Cela laisse présager une défaite historique pour les ambitions impériales de Washington. Et pas seulement en Afghanistan.
Au cours de la semaine écoulée, une ville stratégique, Ghazni, à seulement 150 km au sud de la capitale, a été occupée par les talibans pendant plusieurs jours avant qu’ils ne se retirent apparemment tactiquement dans les zones environnantes.
Puis dans la capitale, Kaboul, jeudi, les talibans ont organisé une fusillade contre une base de formation du renseignement militaire, comme pour souligner l’inefficacité des forces de sécurité soutenues par les États-Unis. Une base du renseignement militaire objet d’une attaque surprise ?!
Plus au nord, dans la province de Faryab, sur une base de l’Armée nationale afghane, il a été rapporté, qu’elle aurait été submergée par des militants, subissant la perte de trente soldats et la capture de soixante-dix autres. Les anciens de la province ont déclaré que la base avait été facilement capturée par les talibans car elle manquait de renforts, de munitions et de nourriture. Ce qui en dit long sur le soutien étasunien.
Rappelons que l’Afghanistan était censé être le « Vietnam de l’Union soviétique ». C’est en ces termes que les planificateurs étasuniens comme Zbigniew Brzezinski faisaient joyeusement référence à l’Afghanistan et à leur projet infâme d’infliger aux Soviétiques ce que les États-Unis avaient ignominieusement souffert au Vietnam quelques années plus tôt. En 1979, les troupes soviétiques ont été attirées dans ce pays d’Asie centrale pour soutenir un gouvernement allié, attaqué par des combattants tribaux soutenus par les États-Unis, les moudjahidines.
Comme les troupes impériales britanniques un siècle auparavant, dans les montagnes escarpées d’Afghanistan, les Soviétiques ont subi une défaite des mains de combattants intrépides.
Bien sûr, les Soviétiques ne se sont pas battus uniquement contre les Afghans. La CIA avait armé les moudjahidines avec des missiles antiaériens Stinger et d’autres munitions sophistiquées. Avec les services de renseignements militaires britanniques du MI6, des Saoudiens et des Pakistanais, les insurgés afghans ont été transformés en une armée djihadiste qui a ensuite évolué pour devenir le réseau terroriste d’al-Qaïda.
L’ironie est que le Vietnam soviétique s’est transformé en un autre bourbier étasunien – une manière de répéter le Vietnam étasunien.
Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York et à Washington DC, l’administration de George W. Bush s’est précipitée en Afghanistan dans un acte de vengeance contre al-Qaïda – l’organisation que les Étasuniens avaient eux-mêmes précédemment aidé à créer.
Près de dix-sept ans plus tard, l’armée étasunienne est toujours enlisée en Afghanistan sans plan de sortie viable. Cette guerre est officiellement la plus longue des États-Unis, dépassant en durée la guerre du Vietnam (1964-1975).
Bien que les pertes humaines étasuniennes en Afghanistan aient été beaucoup moins importantes qu’en Asie du Sud-Est, le coût de l’Afghanistan pour l’économie étasunienne est dévastateur. Ce dernier ajouté à celui de la guerre d’Irak est estimé à $5 000 milliards. Cela représente un quart de la dette publique des États-Unis qui est de $21 000 milliards.
Les opérations militaires étasuniennes auraient officiellement dû prendre fin en 2014 pendant l’administration Obama. Lorsque Donald Trump s’est présenté à la présidence en 2016, une de ses promesses majeures, appréciée par les électeurs, était de réduire les guerres dans lesquelles les États-Unis étaient engagés. L’année dernière, cependant, Trump a accédé aux demandes du Pentagone pour réorganiser la participation militaire en Afghanistan, sous couvert toutefois « de formation et de soutien » pour les forces locales.
Comme le montrent les attaques audacieuses des talibans de la semaine dernière, les forces gouvernementales soutenues par les États-Unis mènent une guerre perdue. De vastes territoires du pays sont hors de leur contrôle. Même la capitale parait vulnérable aux raids bien préparés.
De plus, la situation ne peut que s’aggraver pour les États-Unis et leurs marionnettes afghanes.
Ce qui pourrait être un facteur décisif est la politique d’agression criminelle de l’administration Trump contre l’Iran voisin. La désir de Washington de faire suffoquer l’Iran sous des sanction économiques « écrasantes » est de courte vue et fait courir le risque d’un retour de bâton aggravant de manière significative les conditions de sécurité en Afghanistan des forces soutenues par les États-Unis.
En effet, suite à la dénonciation en mai dernier par Trump du traité nucléaire international (JCPOA), et aux sanctions de plus en plus sévères que les États-Unis imposent à l’Iran, la détérioration de l’économie iranienne provoque un effet délétère direct sur l’Afghanistan. L’emploi de milliers de travailleurs migrants afghans dépend de l’Iran. Leurs transferts de fonds sont une ligne de vie majeure pour leurs familles au pays.
Avec l’économie iranienne chancelante sous le coup des sanctions étasuniennes, on peut s’attendre à ce qu’un grand nombre de travailleurs afghans n’ayant plus d’emploi s’en retournent en Afghanistan, cessant ainsi les envois de fonds qui soutiennent une grande partie de l’économie afghane.
Un autre impact des sanctions de Washington sur l’Iran est que l’Afghanistan, pays enclavé, ne pourra plus utiliser les ports iraniens pour ses importations et ses exportations. Trump menace de sanctions secondaires tout pays qui continue à commercer avec l’Iran. À moins que les États-Unis ne dérogent à leurs sanctions pour l’Afghanistan, celui-ci sera privé de ses liens commerciaux avec l’Iran, ainsi que des routes commerciales vers l’océan Indien.
Alors que la pression économique imposée par les États-Unis sur l’Iran s’intensifie par l’augmentation des sanctions – Washington veut un embargo total sur le pétrole d’ici novembre – le résultat inévitable pour l’Afghanistan sera la dégradation des conditions sociales pour la population en général. Il est raisonnable de penser que ce résultat déplorable ne fera que renforcer le soutien populaire aux talibans, rendant la situation des forces afghanes soutenues par les États-Unis encore plus précaires et inefficaces dans leurs opérations.
Un troisième facteur est que l’Iran pourrait exercer une option plus malicieuse en augmentant secrètement son soutien militaire aux talibans. L’Iran est censé avoir mis au point un formidable arsenal de technologies avancées de missiles. Cette semaine, par exemple, Téhéran a présenté un nouveau missile balistique échappant aux radars.
Étant donné que les Étasuniens tentent de détruire le gouvernement iranien par le biais de mesures économiques vicieuses, il ne serait pas du tout étonnant que Téhéran ait riposté en fournissant aux combattants talibans une puissance de feu dévastatrice contre les forces soutenues par les Étasuniens.
Ainsi, en organisant des sanctions vendetta contre l’Iran et en calculant que l’impact économique négatif pourrait provoquer des troubles sociaux et un changement de régime, Washington finira probablement par s’infliger un sérieux retour de bâton dans sa campagne militaire en Afghanistan.
La plus longue guerre des États-Unis à l’étranger pourrait s’avérer être aussi la plus ignominieuse et la plus coûteuse. Et ça en dit beaucoup, surtout compte tenu des dizaines de guerres sales que les États-Unis ont engagées au cours du siècle dernier. Les répercussions sur la réputation mondiale des États-Unis ne peuvent être sous-estimées.
En Afghanistan, les États-Unis ont poursuivi, durant presque deux décennies, une guerre financièrement désastreuse pour leur économie, sans doute illégale dès le début, faisant non seulement des dizaines de milliers de victimes, mais aboutissant au constat que leur soi-disant toute-puissance est vaincue dans le cimetière des empires – et ce en grande partie à cause de leur propre criminalité, stupidité et arrogance.
Finian Cunningham a beaucoup écrit sur les affaires internationales, avec des articles publiés dans plusieurs langues. Il est diplômé en chimie agricole et a travaillé comme éditeur scientifique pour la Royal Society of Chemistry, à Cambridge, en Angleterre, avant de poursuivre une carrière dans le journalisme de presse. Il est également musicien et compositeur. Pendant près de 20 ans, il a travaillé en tant que rédacteur et écrivain dans de grandes organisations de médias, notamment The Mirror, Irish Times et Independent.
Traduction Alexandre Moumbaris, relu par Marie-José Mombaris
Note du Saker Francophone Comme toujours, la géopolitique, angélique ou non a bon dos. Question simple : Cui bono ? À qui ça profite ? Il ne faut jamais oublier que l'Afghanistan - post talibans - fournit 80% à 85% de l'héroïne consommée mondialement. La CIA est à la manœuvre, voir ici et ici. CQFD