Par Moon of Alabama – Le 16 octobre 2020
Aujourd’hui, le Premier ministre britannique Boris Johnson a annoncé que la Grande-Bretagne se préparait à un divorce sans accord avec l’Union européenne :
Le Royaume-Uni doit "se préparer" à ne pas conclure d'accord commercial avec l'UE, a déclaré le Premier ministre Boris Johnson. A moins d'un changement de direction "fondamental" de la part de l'UE, il a déclaré que les deux parties ne seraient pas en mesure de s'entendre sur un partenariat économique post-Brexit. A cause de désaccords persistants, le Royaume-Uni a fixé à jeudi la date limite pour décider si cela valait la peine de poursuivre les discussions. Les deux parties ont annoncé leur intention de continuer, mais l'UE a déclaré que c'est au Royaume-Uni de faire le prochain pas. La rédactrice politique de la BBC, Laura Kuenssberg, a déclaré qu'une sortie sans accord semblait se rapprocher après que la réunion des dirigeants européens de jeudi - à laquelle le Royaume-Uni n'était pas présent - n'a pas réussi à "faire bouger le cadran".
Il n’y aura pas de changement « fondamental » dans la position de l’UE. La réunion des dirigeants européens d’hier a lancé la balle dans le camp britannique :
Lors d'un sommet à Bruxelles, l'UE a proposé une nouvelle période de "deux à trois semaines" de négociations, mais les chefs d'État et de gouvernement européens n'ont pas offert beaucoup de soutien à M. Johnson, lui demandant d'être le seul à "faire les démarches nécessaires pour rendre un accord possible". L'intervention a évidemment été considérée comme incendiaire par Johnson qui venait de déclarer qu'il prendrait une décision vendredi sur la question de savoir s'il y a des raisons de poursuivre les négociations. En septembre, il avait déclaré que si un accord n'était pas trouvé d'ici le sommet, le gouvernement "passerait à autre chose" pour se concentrer sur les préparatifs d’une sortie sans accord. Le communiqué du sommet publié jeudi après-midi constate l'absence de progrès mais demande au négociateur en chef de l'UE, Michel Barnier, de "poursuivre les négociations dans les prochaines semaines". À la frustration de Downing Street, un appel à une "intensification" des négociations, inclus dans une version antérieure de la déclaration, a été supprimé au moment où les dirigeants l'ont signé.
L’UE dit que que la Grande-Bretagne doit encore avancer sur plusieurs points :
S'exprimant après le briefing de M. Barnier, [Taoiseach Micheál] Martin a déclaré que des difficultés et des défis subsistent pour parvenir à un accord global et qu'il n'y a pas eu suffisamment de concessions de la part du Royaume-Uni sur les trois questions en suspens - l'égalité des conditions de concurrence, la gouvernance et la pêche - pour suggérer qu'un accord pourrait être conclu. L'égalité des conditions de concurrence fait référence à l'aspiration des deux parties à adhérer à des normes similaires afin de ne pas se faire concurrence dans le domaine du commerce et de l'investissement. La gouvernance fait référence à un futur système de résolution des différends entre les deux parties.
Le rejet par Johnson de la position de l’UE rend probable la fin des négociations. L’UE en a assez de lui. Il va maintenant y avoir un Brexit dur, et quand je dis dur, je veux dire très douloureux. Comme l’a écrit Yves Smith en début de journée :
En attendant, il y a de plus en plus de rappels de ce que le 1er janvier pourrait apporter. L'un des plus bizarres arrive via CityAM, qui rapporte les résultats d'une étude de la Chambre des Lords sur les conséquences du fait que le gouvernement ait ignoré le secteur des services dans ses discussions. Nous avons souligné dès les premiers jours du Brexit que les accords sur le secteur des services sont bien plus difficiles à négocier que les accords commerciaux, et qu'ils prennent donc généralement plus de temps à conclure. Nous étions sceptiques quant à la possibilité de conclure un accord commercial en 24 mois et, plus encore, un accord sur les services. Néanmoins, c'est une preuve de plus de la façon dont les personnes nominalement responsables au Royaume-Uni sont déconnectées que de voir un rapport comme celui-ci sortir deux mois et demi seulement avant la date butoir. Selon CityAM : "Le secteur britannique des services professionnels, qui représente un marché de 225 milliards de livres sterling, a été ignoré par le gouvernement et est sous la menace catastrophique de perdre des contrats et des emplois au profit de l'UE après le Brexit, a averti une commission parlementaire. Un rapport de la sous-commission des services à l'UE à la Chambre des Lords, publié hier, déclarait que les comptables, avocats, recruteurs, architectes et annonceurs britanniques risquent de perdre des contrats et des emplois lorsque la Grande-Bretagne quittera officiellement l'Union en janvier. Le rapport accuse le gouvernement d'ignorer ce "secteur extrêmement important" - qui représente environ 13 % de la main-d'œuvre britannique - dans les négociations commerciales avec l'UE....."
Il existe également d’énormes problèmes non résolus concernant le paiement de la TVA, les droits de douane et les réglementations en matière d’importation et d’exportation de produits manufacturés et de produits agricoles. Il y a le problème frontalier non résolu entre l’Irlande du Nord et l’Irlande et une myriade d’autres difficultés. Ce Brexit dur sera coûteux pour les consommateurs et les entreprises britanniques :
Un Brexit sans accord se traduirait par des droits de douane sur les marchandises échangées entre la Grande-Bretagne et l'UE. Ces coûts supplémentaires pourraient rendre certaines industries non viables sous leur forme actuelle. De nombreux éleveurs de moutons britanniques ont des marges bénéficiaires étroites et vendent un pourcentage élevé de leurs exportations à l'UE, qui est la destination de sept des dix premiers exportateurs britanniques d'agneaux. En l'absence d'accord, des droits de douane équivalant à environ 76 % seraient imposés sur certains morceaux d'agneau. ... Les constructeurs automobiles seraient confrontés à des droits de douane allant jusqu'à 10 % lorsqu'ils vendent des voitures à l'UE, Nissan ayant averti en juin que son usine de Sunderland pourrait devenir non viable en l'absence d'accord. D'autres constructeurs pourraient être dans le même cas. Les hypothèses de planification les plus pessimistes du gouvernement lui-même suggèrent qu'en l'absence d'accord, 30 à 50 % des camions dans les principaux ports de la Manche pourraient ne pas être préparés à de nouveaux contrôles douaniers et que le flux de trafic dans les détroits de la Manche pourrait être réduit de 60 à 80 %. La Road Haulage Association a estimé à 80 % les risques de "chaos dans le Kent". ... Même si les commerçants et les systèmes frontaliers sont généralement prêts et que la perturbation de l'approvisionnement est limitée, les consommateurs pourraient encore être confrontés à des prix plus élevés. La Banque d'Angleterre a prédit en 2018 qu'un Brexit avec un mauvais accord pourrait faire chuter la livre sterling d'environ 15 % par rapport à l'euro, ce qui rendrait les importations plus chères. Si l'on ajoute à cela un tarif moyen de 5,7 % sur les importations britanniques et le coût des nouvelles barrières non tarifaires (comme les contrôles douaniers), de nombreuses entreprises n'auront d'autre choix que de relever leurs prix, à un moment où beaucoup seront aux prises avec l'impact financier de la crise du coronavirus. En vertu du protocole d'Irlande du Nord (IN), la frontière pour les marchandises en provenance de GB vers IN sera très similaire à celle des marchandises circulant entre GB et EU ; avec une sortie sans accord causant les contrôles les plus intensifs. Si le Royaume-Uni et l'UE ne parviennent pas à un accord de libre-échange à tarif zéro, le protocole prévoit que les marchandises "risquant" d'entrer dans l'UE depuis la Grande-Bretagne en passant par l'Irlande du Nord devront payer des droits de douane.
Il est désormais probable que le 1er janvier, tous les échanges commerciaux entre la Grande-Bretagne et l’UE seront pratiquement paralysés.
La plupart des problèmes susmentionnés étaient prévisibles et beaucoup auraient pu être évités. Mais le gouvernement britannique actuel n’a pas fait grand-chose pour y remédier.
Le niveau d’incompétence dont le gouvernement Johnson a fait preuve lors de la pandémie de la Covid-19 est à la hauteur de sa volonté d’octroyer des contrats lucratifs à ses amis pour des services que le Service national de santé aurait été bien mieux placé pour fournir. La pandémie de la Covid-19 ne sera pas terminée au 1er janvier. Elle continuera d’entraver l’économie et la vie quotidienne. Ajoutez à cela un Brexit mal préparé avec toutes ses conséquences. Comment peut-on s’attendre à ce que Johnson soit capable de gérer ce chaos ?
Avec le Brexit et la Covid-19 combinés, la Grande-Bretagne sera confrontée à une dépression, due à la pandémie, bien plus importante que la plupart des autres pays. Jusqu’à présent, elle n’a conclu que quelques accords commerciaux susceptibles d’amortir le marasme à venir. Les États-Unis sont bien sûr prêts à faire pression sur les Britanniques pour qu’ils concluent un accord commercial qui mettra ces derniers à nu.
Si l’économie britannique revient à son niveau d’avant la crise d’ici la fin de la prochaine décennie, le pays devra s’estimer heureux.
Lorsque j’ai entendu parler de la déclaration de Johnson aujourd’hui, cette chanson de Bob Dylan m’est venue à l’esprit :
And what’ll you do now, my blue-eyed son?
And what’ll you do now, my darling young one?
I’m a-goin’ back out ‘fore the rain starts a-fallin’
I’ll walk to the depths of the deepest black forest
Where the people are many and their hands are all empty
Where the pellets of poison are flooding their waters
Where the home in the valley meets the damp dirty prison
And the executioner’s face is always well hidden
Where hunger is ugly, where souls are forgotten
Where black is the color, where none is the number
And I’ll tell it and think it and speak it and breathe it
And reflect it from the mountain so all souls can see it
Then I’ll stand on the ocean until I start sinkin’
But I’ll know my song well before I start singin’
And it’s a hard, it’s a hard, it’s a hard, it’s a hard
It’s a hard rain’s a-gonna fall
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone
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