L’Empire n’a qu’un seul truc – diviser pour mieux régner. Lorsqu’il manque de territoire, de nations et de personnes à consommer à l’étranger, il se retourne contre lui-même.
Par Tony Cartalucci − Le 17 juin 2020 − Source Global Research via Land Destroyer Report
Les États-Unis se trouvent
dans une position rien de moins singulière qu’un empire en phase terminale de déclin. Alors que les nations du monde entier s’affirment économiquement, militairement et politiquement – fermant des boulevards d’exploitation autrefois lucratifs – les États-Unis se tournent de plus en plus contre leurs alliés et même contre leur propre population – soit pour leur soutirer toutes les richesses qu’ils peuvent, soit, à tout le moins, pour empêcher le remplacement des intérêts particuliers de l’Amérique actuellement au pouvoir par toute autre solution.
L’expert et analyste géopolitique F. William Engdahl a fait un travail impressionnant en soulignant que les troubles actuels aux États-Unis ne sont pas dus aux efforts de la base pour faire face à ces intérêts particuliers, mais à ces intérêts particuliers eux-mêmes.
Peu importe la raison pour laquelle les gens pensaient descendre dans la rue – rappelons que notre pays est expert dans l’organisation de révolutions à l’étranger – aucun doute que ces mêmes outils et techniques seront utilisés pour fomenter des troubles internes à domicile – en s’assurant qu’ils sont canalisés de la manière la plus sûre et la plus rentable possible.
Annuler la futilité délibérée de la culture : L’histoire de deux chaînes de restaurants
Pour souligner l’absurdité de la « révolution éveillée » [woke revolution est un terme argotique afro-américain, qui signifie aussi rester mobilisé pour la suite, NdT] américaine et de ses opposants, il suffit de penser à Domino’s Pizza et Shake Shack. Tous deux sont les cibles des deux côtés de la tourmente actuelle de l’Amérique. Domino’s pour avoir, à un moment donné, soutenu dans un passé lointain des personnes qui se trouvent maintenant dans l’Administration du Président américain Donald Trump, et Shake Shack pour sa réponse anémique aux allégations selon lesquelles ses employés auraient empoisonné des policiers de New York.
Ceux qui ont promis de boycotter l’un et de prendre parti pour l’autre en dépit de leurs adversaires politiques n’ont jamais pris la peine de vérifier qui est réellement le propriétaire de ces deux grandes entreprises de restauration. S’ils le faisaient, ils verraient que la même poignée de fonds d’investissement possède les deux entreprises.
Les investisseurs de Blackrock, Vanguard ou State Street Global Advisors – qui détiennent des parts importantes dans Shake Shack et de Domino’s – ne se soucient pas de savoir quel restaurant vous boycottez tant que vous fréquentez un autre de leur portefeuille d’actions pour combattre superficiellement vos adversaires politiques. Ils financent délibérément les deux côtés de la tourmente pour s’assurer que c’est précisément ainsi que se déroulera la « révolution éveillée » de l’Amérique.
Remarquez que personne sous le feu des projecteurs ne dit « Wall Street ». Ou ne dit « boycottez-les tous ». Ou bien fait remarquer que si empoisonner les flics ou soutenir le président Trump semble « mauvais », cela fait pâle figure face à l’injustice dont beaucoup de ces entreprises sont coupables.
Il s’agit de la méthode classique du « diviser pour mieux régner », où les Américains se font la guerre, sans tenir compte de la menace commune qui pèse sur leur quiétude et leur prospérité, là devant eux, et où ils consomment leur salaire chaque mois, le drainant depuis le centre ville vers des concentrations gargantuesques de richesse et de pouvoir à Wall Street.
Lorsque la reconstruction commencera après la tempête – si elle commence – ce seront les Américains qui paieront la facture avec leurs impôts, et non Blackrock et les autres de Wall Street.
Malgré le chaos apparent dans les rues américaines, ces sociétés continueront à faire des bénéfices et leurs investisseurs continueront à accumuler richesse et pouvoir. Le paysage politique américain continuera à brûler, garantissant que rien de significatif ne pourra jamais être construit pour changer ce fait fondamental.
Comment le reste du monde a échappé à l’hégémonie américaine
Si vous regardez des films ou écoutez des militants qui se déchaînent dans les rues d’Amérique, vous serez probablement enclin à croire que brûler votre propre communauté et se plaindre sans cesse est la façon de se débarrasser de l’oppression – réelle ou imaginaire.
En réalité, le reste du monde a commencé à sortir de l’ombre de l’hégémonie américaine. Ils ne l’ont pas fait en brûlant leurs propres nations ou en se plaignant sans fin aux Nations unies – ils l’ont fait en construisant des alternatives bien supérieures à ce que les États-Unis offraient au monde.
La Chine est un exemple parfait de pays qui offre une industrie et des infrastructures comme alternative aux « investissements » américains, aux armes surfacturées et à l’ingérence politique. La Chine construit des barrages, des chemins de fer, des usines et des armes à des prix abordables, sans aucune condition politique.
La Russie a fourni aux nations du monde entier des alternatives pour tout, des armes et de l’énergie, aux alliances politiques et économiques.
Individuellement, les nations ont commencé à créer des alternatives aux monopoles américains autrefois inégalés. L’ascension de Huawei – d’abord dans l’ombre d’Apple, puis maintenant bien devant la firme à la pomme – en est un parfait exemple. Le positionnement de la Russie en tant que partenaire clé des nations du Moyen-Orient rompues par la « gestion » de la région par l’Amérique en est une autre.
Même dans les petits pays, l’idée de créer des alternatives aux plateformes de médias sociaux monopolisées par les États-Unis s’impose – en donnant du pouvoir à ces pays, en maintenant les revenus au niveau local et en remplaçant l’influence injustifiée de l’Amérique à l’intérieur de leurs frontières.
Le problème de l’Amérique est qu’elle a depuis longtemps abandonné la construction et la fabrication de choses concrètes et s’est plutôt concentrée sur la coercition, l’exploitation, le vol, les combines et la valse des chiffres sur les registres de compte. Cela ne fonctionne que si personne d’autre ne commence à construire et à fabriquer des choses et si personne n’essaie de se protéger de la tricherie financière en créant des systèmes alternatifs pour investir dans des progrès non virtuels.
Ce processus – en fait – de faire exactement cela a dominé le sujet de la géopolitique pendant des années alors que l’Amérique décline et s’en prend à elle-même tandis que les nations créent patiemment et systématiquement ce genre d’alternatives. Collectivement, on l’appelle « l’ordre mondial multipolaire » et il est construit sur des infrastructures physiques comme les usines et les chemins de fer – et non sur des tableurs et des données de téléscripteur.
À domicile : construire la communauté dans laquelle vous voulez vivre
Wall Street n’a aucun problème à ce que des militants « éveillés » brûlent des entreprises dans tout le pays – même celles qu’ils possèdent. Ils savent que les investissements qu’ils ont faits sont « choquants » – ils en ont dix autres que la communauté « éveillée » continuera à financer.
Ce que Wall Street ne veut pas, c’est que les communautés boycottent toutes les entreprises qu’elles possèdent et créent des alternatives locales qui maintiennent la richesse au sein des communautés. La concentration des richesses sur Wall Street et tout le pouvoir et l’influence qu’elle achète seraient ainsi répartis plus uniformément dans le pays.
Le faux socialisme est proposé comme solution – quelque chose que Wall Street peut garder tout près à Washington et sous son contrôle – plutôt qu’une véritable distribution des richesses que les gens eux-mêmes contrôlent en possédant réellement des entreprises, des terres et des moyens de production en construisant et en exploitant des usines locales.
Si l’argent est le pouvoir, le demander ou même l’exiger de ceux qui le possèdent pour qu’ils le rendent n’est pas la solution. En ne le leur donnant plus volontairement et en le gardant dans les communautés, c’est la seule façon de réorienter cet argent et son pouvoir pour qu’ils travaillent pour le peuple plutôt que pour Wall Street.
Si les Américains veulent une société meilleure – ils vont devoir la construire – ils ne doivent pas la demander à ceux qui n’ont rien à gagner en la leur donnant. Ceux qui brûlent au lieu de construire, qui se plaignent au lieu de collaborer – soit tentent délibérément d’entraver les réformes et les progrès réels aux États-Unis, soit sont tombés dans les pièges tendus par ceux en place.
La protestation a sa place – surtout lorsqu’elle sert à protéger ce qui est construit. Mais en ce qui concerne le moyen de changement en soi, l’histoire est dépourvue d’un seul exemple où la violence aveugle et les clameurs bruyantes de la rue ont suffi à changer quelque chose d’important.
La « révolution éveillée » ne fera certainement pas exception à la règle. De nombreux manifestants citent des choses comme la « Révolution française » – c’est douloureusement clair. La Révolution française s’est bien sûr terminée par le renversement d’une monarchie, et une autre, beaucoup plus importante, dirigée par Napoléon Bonaparte, a pris sa place.
Aujourd’hui encore, la France reste contrôlée par d’immenses intérêts financiers qui se situent bien au-delà de la « démocratie » superficielle et des « protestations » du peuple français. L’armée française reste déployée dans ses nombreuses « anciennes » colonies en Afrique où elle cherche à s’affirmer au nom de l’Occident aux côtés de ses alliés à Wall Street et à Washington.
Il est clair qu’il faut faire quelque chose de plus substantiel que de s’engager dans un chaos aveugle dans les rues et de se plaindre sans fin dans les médias. Si les gens veulent le pouvoir, ils doivent posséder les moyens de l’acquérir – l’argent. Pour ce faire, ils doivent cesser de remettre leur chèque de paie à Wall Street et le garder dans leur communauté. C’est ainsi que la Chine, la Russie et le reste du monde multipolaire ont changé les choses au niveau mondial et c’est la seule façon dont les choses changeront pour les Américains au niveau national.
À l’étranger : Le temps est venu de faire du judo avec l’hypocrisie américaine
Au judo, l’énergie d’un ennemi attaquant est retournée contre lui – généralement sous la forme d’une projection spectaculaire.
Pour le reste du monde, c’est le moment idéal pour tirer profit de l’hypocrisie d’une nation qui, pendant des décennies, a fait la leçon au monde entier en matière de « démocratie », de « droits de l’homme » et de « liberté d’expression », alors qu’aujourd’hui elle écrase ouvertement tout cela chez elle.
Les fronts financés par le Département d’État américain via le National Endowment for Democracy (NED) opérant à l’étranger se trouvent dans la position très peu enviable de prendre l’argent d’une nation exposée comme étant chroniquement malade, systématiquement raciste, divisée et de plus en plus violente.
Comment ces fronts financés par le NED vont-ils prétendre faire avancer la « démocratie » ou les « droits de l’homme » à l’étranger, grâce à un financement américain généreux, alors que la démocratie et les droits de l’homme aux États-Unis sont exposés comme dysfonctionnels au mieux et inexistants au pire ?
Les nations touchées par l’ingérence américaine pourraient facilement faire valoir leurs arguments pour balayer de l’intérieur de leurs frontières les fronts financés par des États-Unis divisés, racistes, violents et de plus en plus hypocrites – c’est-à-dire si la subversion financée par l’étranger n’est pas déjà une raison suffisante pour le faire.
Les entreprises technologiques américaines, étant étroitement liées au gouvernement, qui purge des milliers de comptes sur des plateformes telles que Facebook et Twitter pour avoir prétendument été impliqués dans un « comportement contraire à l’éthique et coordonné », il est facile de faire valoir que le NED est le roi du comportement non conforme à l’éthique et coordonné, et devrait également être « purgé ».
Avec toute l’énergie que les États-Unis ont investie dans l’ingérence à l’étranger, cette énergie n’a jamais été aussi vulnérable et susceptible d’être retournée contre les États-Unis.
La fin de l’Empire est inévitable
Mais les nations pourraient tout aussi bien attendre patiemment.
Les États-Unis sont un empire qui se mange lui-même.
Tant que le reste du monde restera déterminé à continuer à construire de meilleures alternatives à l’« ordre international » américain, il continuera à remplacer l’hégémonie américaine dans le monde entier. La plupart des nations souhaitent vivement travailler avec le peuple américain lui-même – dont 99,999 % sont également victimes de Wall Street et de Washington – qu’elles s’en rendent compte ou non. Cela explique en partie la patience presque infinie de nations comme la Russie et la Chine face aux provocations quotidiennes de l’Occident.
Pour les Américains, c’est à eux de décider dans quel genre de nation ils vivront une fois que la poussière sera retombée.
Un État où le pouvoir et la richesse sont encore très concentrés à Wall Street et où la violence semée contribue à justifier un État policier encore plus gros que jamais ? Ou bien un État dans lequel les Américains apprennent que personne à Washington, à la télévision ou les bénis-oui-oui sur Twitter n’est de leur côté et commencent à penser et à agir pour eux-mêmes ?
Seul le temps nous le dira.
Traduit par Michel, relu par Wayan pour le Saker Francophone
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