Le nouveau PDG de Boeing persiste à mener la compagnie à sa perte


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama − Le 24 janvier 2020

Peu après la publication de notre dernier article sur Boeing, où nous nous demandions si la société pouvait survivre, le nouveau PDG de Boeing et ancien membre du conseil d’administration, David Calhoun, organisait une conférence de presse. Celle-ci a confirmé notre position pessimiste.

Calhoun y a déclaré que tout allait bien chez Boeing. C’est juste que les pilotes étrangers sont incompétents, que les travailleurs de Boeing manquent de pratique et que ses clients n’ont aucune idée de ce dont ils parlent. La sécurité, dit-il, n’est qu’une condition nécessaire à la valeur pour l’actionnaire, et non un principe en elle-même. Les dividendes doivent continuer à affluer, même si cela oblige l’entreprise à s’endetter davantage. Boeing ne devrait pas développer de nouveaux avions, car les dérivés d’anciens modèles peuvent battre la concurrence. Calhoun veut également rester dans ses nouvelles fonctions aussi longtemps que possible, même s’il n’a pas les compétences nécessaires pour les occuper.

En bref, Calhoun a dit les pires choses qui pouvait être dites :

S'exprimant depuis le siège de Boeing Commercial Airplanes à Longacres, dans la province de Renton, lors d'une visite de deux jours dans la région avant le premier vol du 777X prévu vendredi, Calhoun a reconnu que la conception du nouveau système de contrôle de vol du MAX était défectueuse, mais a insisté sur le fait que ce n'était pas le résultat d'une décision délibérée faisant passer les questions de coût avant la sécurité.

Au contraire, a-t-il dit, les défauts provenaient de vieux présupposés sur la façon dont les pilotes réagiraient à une défaillance - suppositions qui étaient fatalement fausses.

Nous avons des documents écrits par plusieurs employés de Boeing qui disent exactement le contraire :

"Nous nous sommes mis dans cette position en choisissant les fournisseurs les moins chers [...] et en nous engageant sur des délais impossibles", a écrit un employé de Boeing. "Nous avons une équipe de direction qui comprend très peu de choses à l'entreprise et qui pourtant nous pousse à atteindre certains objectifs."

"Nous sommes sans cesse inondés de brochure Boeing spécifiant que la qualité est la priorité - ce qui n'est clairement pas le cas dans toutes les décisions qui sont prises", écrit un autre. "Tant qu'une discussion ouverte et franche n'aura pas lieu, les mêmes erreurs, les mêmes opportunités gâchées et les mêmes pertes financières seront continuellement recommencées".

Les dires des ingénieurs de Boeing mentionné ci-dessus ne font pas seulement partie d’une « micro-culture non représentative de Boeing », comme l’a affirmé Calhoun. C’était et c’est encore un sentiment répandu dans toute la compagnie :

Les enquêteurs de la commission des transports et des infrastructures de la Chambre des Représentants, chargés d'examiner la conception et la certification du 737 Max, ont reçu des informations sur une étude en interne datant de trois ans. Cette enquête montre qu'environ un employé sur trois ayant répondu a ressenti une "pression potentielle indue" de la part des dirigeants concernant les approbations liées à la sécurité par les régulateurs fédéraux dans toute une série d'avions commerciaux. La charge de travail et les horaires ont été cités comme des causes importantes.

Avec Calhoun à sa direction, Boeing n’aura jamais la « discussion ouverte et franche » dont il a besoin de toute urgence. Au lieu de cela, il recommence à « blâmer les pilotes » qui ont été submergés par des alarmes surprenantes qui n’avaient pas grand-chose à voir avec les véritables difficultés que subissaient leurs avions.

Calhoun a annoncé qu’il avait arrêté le développement de nouveaux avions chez Boeing :

Calhoun a également révélé qu'il avait demandé aux ingénieurs de retourner à la planche à dessin pour le prochain nouvel avion de Boeing. Cette remise à l'étude pourrait avoir un impact stratégique important sur l'équilibre concurrentiel avec Airbus, signe de la gravité des dommages causés à Boeing par la crise du MAX.

Le nouveau jet que Boeing devait lancer l'année dernière au salon du Bourget semble maintenant avoir des années de retard.

Il faut au moins 7 ans et quelque 10 à 15 milliards de dollars pour créer et certifier un nouvel avion. Airbus détient déjà quelque 60 % de la part de marché des grands avions à réaction, Boeing en ayant environ 40 %. En repoussant le lancement du nouvel avion de taille moyenne (NMA), Boeing n’aura rien de nouveau à offrir au cours des dix prochaines années. Sans un nouvel avion, la part de marché de Boeing tombera à 30 %, ce qui est inférieur au tiers, minimum nécessaire pour survivre dans ce duopole.

Le MAX, cependant, est là pour rester. Calhoun a déclaré qu'il s'attendait à ce qu'il finisse par atteindre la parité avec l'Airbus A320neo. Il a rejeté la suggestion selon laquelle le MAX ne volerait plus jamais, ou serait renommé pour masquer son histoire, et a déclaré que la confiance des passagers dans l'avion serait restaurée.

"Je crois en cet avion", a-t-il déclaré. "Je suis tout à fait confiant en lui et la compagnie aussi."

Le 737 MAX de Boeing n’atteindra pas la parité avec les séries A220 et A320neo, beaucoup plus récents, à moins qu’il ne vende ses avions à un prix inférieur à ce qu’il lui en coûte de les produire. L’A320neo et ses variantes sont déjà les meilleurs avions et ils ont déjà les chiffres de vente les plus élevés. Il n’y a aucun moyen de les battre avec une conception vieille de plus de 50 ans comme l’est le 737 MAX.

Ne pas renommer le MAX va à l’encontre des conseils de certains des plus gros clients de Boeing :

L’appellation Max est endommagée suite à deux accidents mortels l'année dernière, et il n'y a aucune raison pour que Boeing la conserve, a déclaré lundi Udvar-Hazy, le fondateur et président d'Air Lease Corp. lors d'une conférence à Dublin.

"Nous avons demandé à Boeing de se débarrasser du mot Max", a déclaré Udvar-Hazy. "Je pense que ce nom devrait entrer dans les livres d'histoire comme un mauvais nom pour un avion."  ...
Air Lease est l'un des plus gros clients du Max, avec environ 200 commandes.

Calhoun continue de dire n’importe quoi :

"S'il y a un moment où l'on peut souligner que la sécurité est la partie la plus importante de la valeur actionnariale, c'est bien maintenant", a déclaré Calhoun. "La sécurité d'abord. Sans elle, il n'y a pas de valeur actionnariale".

Pourquoi diable parle-t-il de « valeurs actionnariales » ? Ni les clients de Boeing, ni ses travailleurs, ni le public ne s’en soucient. Ils se soucient de leur sécurité. Point final.

Le nouveau PDG, qui a siégé au conseil d’administration de Boeing pendant dix ans, n’essaie même pas de revendiquer la compétence :

Il a déclaré que lui et le reste du conseil d'administration n'étaient pas au courant des problèmes [du MAX] "jusqu'à ce qu'il soit déjà trop tard", après les crashs.

Calhoun s’en va ensuite insulter les pilotes étrangers qui pilotent environ 85% de tous les avions vendus par Boeing :

Calhoun a également déclaré qu'il souhaitait des changements dans la culture de l'entreprise au sens large.

"Elle sera construite autour du niveau d'importance que nous accordons aux processus de sécurité. Elle s'appuiera sur les disciplines de l'ingénierie et sur ce que nous faisons pour les pilotes du monde entier, et pas seulement pour les pilotes américains".

Il n’y a aucune preuve statistique que les pilotes américains sont meilleurs que les pilotes étrangers. Avec plus de quatre cinquièmes de tous les vols ayant lieu en dehors des États-Unis, il s’agit évidemment d’un biais statistique étant donné qu’il y aura plus d’accidents en dehors de l’espace aérien américain qu’à l’intérieur. Blâmer les pilotes étrangers ne gagnera pas leur confiance dans les avions Boeing.

Boeing avait arrêté la chaîne d’assemblage final du 737 MAX parce qu’il n’y avait plus de place pour stocker les plus de 400 avions produits mais cloués au sol. Il faudra plus d’un an pour écouler ce stock. Mais Calhoun veut maintenant relancer la production avant même que le MAX ne soit autorisé à reprendre l’air. C’est plus qu’idiot :

Il a déclaré que Boeing prévoit de redémarrer les chaînes de montage des 737 à Renton quelques mois avant que l'Administration fédérale de l'aviation (FAA) n'approuve une remise en service afin de garantir que la production puisse être relancée avec une efficacité maximale.

"Nous allons démarrer lentement afin de pouvoir améliorer nos pratiques encore et toujours. C'est un peu le bon côté de la pause [de la production]."

C’est une insulte aux travailleurs de Boeing. Ils savent comment construire des avions. Ils n’ont pas besoin de plus de « pratique », mais d’une direction qui est consciente que mettre la pression sur les travailleurs ne produira pas de meilleurs avions.

Mais Calhoun n’est pas intéressé par les détails concrets de la fabrication de bons avions. Il ne s’intéresse qu’aux actionnaires, le seul groupe qui compte :

Calhoun a déclaré que Boeing ne prévoit pas de réduire ou de suspendre les dividendes parce que Boeing a "la capacité financière et la capacité de faire les choses que nous devons faire". Calhoun a déclaré qu'il "restera sur cette voie à moins que quelque chose de dramatique ne change".

Boeing va donc s’endetter à hauteur de 10 milliards de dollars supplémentaires pour payer des dividendes et augmenter ses dépenses de lobbying alors même qu’il ne dispose pas des liquidités nécessaires pour développer de nouveaux avions.

Lorsque Calhoun a été nommé PDG, les analystes ont convenu qu’il faisait partie des problèmes de Boeing, qu’il serait préférable pour la compagnie de trouver un meilleur homme pour le poste et qu’il se retire dès que possible. Calhoun, qui n’a aucune qualification dans la fabrication aérospatiale, veut au contraire rester :

Calhoun a également déclaré qu'il est dans le métier pour longtemps.
"J'ai l'intention de travailler bien au-delà de 65 ans", a déclaré Calhoun, qui a 62 ans. "Le conseil d'administration peut m'employer aussi longtemps qu'il le souhaite."

Il est triste de voir une entreprise, autrefois si grande, sombrer à cause de l’incompétence de tels hommes.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

 

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