Par Moon of Alabama – Le 2 janvier 2019
Le récit médiatique sur les événements actuels en Irak passe à côté de la cause profonde de la crise.
Au cours de l’été dernier, plusieurs fortes explosions ont eu lieu dans des bases détenues par les Forces de mobilisation populaire (FMP/PMU/Hashed) en Irak. Ces explosions ont été causées soit par la chaleur estivale extrême, soit par des attaques aériennes israéliennes lancées depuis des bases américaines en Irak ou en Syrie. La plupart des dirigeants des FMP penchent pour la deuxième cause.
Des attaques de drones ont également été lancées sur des positions tenues par les FMP à la frontière syro-irakienne à Abu Kamal/Al-Qa’im. Ces attaques ont également été attribuées à Israël qui aurait fait voler les drones à partir de bases américaines du nord-est de la Syrie.
Le but présumé de ces opérations était de perturber la circulation terrestre de matériel en provenance d’Iran et à destination de la Syrie. Plusieurs dizaines de membres des FMP ont été blessés au cours de ces incidents.
C’est après ces attaques qu’une petite série d’attaques vengeresses contre des bases américaines en Irak a commencé. Il s’agissait surtout d’attaques au mortier ou à l’aide de petits missiles qui ont fait peu de dégâts. Au total, quelque 17 attaques de ce genre ont eu lieu. Les États-Unis ont allégué, sans fournir de preuves, que les missiles utilisés avaient été introduits clandestinement d’Iran et utilisés par des forces soutenues par l’Iran contre les États-Unis.
Les FMP/PMU sont des troupes irakiennes et font partie de l’establishment militaire irakien. Elles sont sous le commandement du premier ministre irakien. L’État irakien paie leurs salaires. Elles ont leur propre approvisionnement en munitions et ne dépendent pas de l’Iran. Il est fort possible que certains de ses membres aient tiré sur des bases américaines pour se venger des explosions contre leurs bases, mais sans aucun ordre ni appui venant d’Iran.
Le 12 décembre, le Carnegie Middle East Center a demandé à plusieurs « experts » comment les États-Unis devraient réagir aux attaques qui, selon eux, proviennent d’Iran.
Michael Knights, un « senior fellow » de l’Institut Washingtonien faisant aussi partie du lobby israélien, a répondu :
Comme les plates-formes de lancement mobiles peuvent se déplacer ou se trouver au même endroit que des civils, les États-Unis doivent maintenir à jour une liste de cibles préétablies qui peuvent être frappées au moment et à l'endroit de leur choix. Les États-Unis devraient attendre, le cas échéant, que les quartiers généraux des milices soient occupés, et ne pas se contenter de frapper des bâtiments vides aussi rapidement que possible. Toute cible en Iran, en Irak, au Liban, en Syrie, au Yémen ou ailleurs devrait être considérée comme une réponse adaptée.
Lorsque, le 29 décembre, plusieurs missiles ont frappé une base américaine en Irak et ont tué un entrepreneur américain, c’est exactement ce qu’a fait l’administration Trump. Elle a bombardé cinq sites localisés à la frontière irako-syrienne, à des centaines de kilomètres de l’attaque initiale. Quelque 32 personnes sont mortes, dont seulement neuf étaient membres du groupe Kata’ib Hezbollah, membre des FMP. Les autres personnes tuées étaient des gardes-frontière et des soldats de l’armée régulière irakienne.
Nous avons tout de suite anticipé que l’incident serait susceptible de mettre fin à la présence de l’armée américaine en Irak.
Après le deuil officiel, les membres des familles et les camarades des soldats décédés ont pris d’assaut le périmètre de l’ambassade des États-Unis à Bagdad. Ils sont partis hier après que le premier ministre leur ait garanti que le Parlement irakien voterait bientôt une loi qui expulserait toutes les forces américaines.
Les États-Unis ont renforcé les gardes de leur ambassade. Ils ont aéroporté un bataillon d’infanterie du Koweït et 4 000 autres soldats sont sur le pied de guerre.
L’administration Trump n’a pas présenté d’excuses pour son attaque contre les troupes irakiennes. Elle a pourtant fait appel à la souveraineté irakienne, qu’elle n’avait pas respectée lors de l’attaque, quand elle a exigé une meilleure protection pour son ambassade. Même aujourd’hui, sans aucun manifestant à proximité, les États-Unis effectuent des patrouilles en hélicoptère au-dessus de Bagdad. Les Irakiens voient cela comme une insulte supplémentaire.
Les médias américains se sont joints à l’administration Trump pour décrire les FMP comme étant « soutenues par l’Iran ».
Il y a cinq ans, lorsque État islamique envahissait des pans entiers de l’Irak, l’Iran a aidé les FMP en envoyant formateurs et armes. Mais rien ne prouve que l’influence iranienne sur ces groupes soit encore forte ou même pertinente. Il n’y a aucune preuve que l’Iran soit impliqué dans le désordre actuel. Les États-Unis et Israël ont attaqué ces groupes tout au long de l’année dernière et ces derniers étaient donc très motivés pour se venger.
Ce sont les intérêts américains et israéliens qui ont fait de l’Irak un champ de bataille contre l’Iran :
Le personnel militaire américain est en Irak soi-disant pour une mission anti-EI. Sous l'administration Trump, il semble y avoir eu un glissement de mission, en Irak comme en Syrie, et le fait d'affronter l'Iran fait partie de la nouvelle mission. Cette mission n'a jamais été justifiée. Personne n'a expliqué exactement en quoi l'état actuel des relations entre l'Irak et l'Iran menaçait les intérêts américains – sans parler d’une quelconque menace pour le personnel militaire américain en Irak. En plus de tout cela, on semble oublier comment l'Iran et les éléments irakiens qu'il soutient mènent également une mission anti-EI.
Les États-Unis considèrent l’Irak et la Syrie comme des bases à partir desquelles ils peuvent combattre l’Iran. Aucun des deux pays ne veut assumer une telle position.
Le gouvernement irakien, son premier ministre et son président, les principaux érudits religieux en Irak et les chefs des principaux partis irakiens ont tous condamné l’attaque américaine. Au cours des derniers jours, l’humeur du public irakien est passée d’un léger sentiment anti-iranien à un fort sentiment anti-américain. Comme Washington ne présente pas d’excuses, mais seulement des menaces supplémentaires, le Parlement irakien acceptera probablement de demander aux forces américaines de partir.
Mais l’administration Trump, en particulier les néocons Pompeo et Esper, veut garder des troupes en Irak. Elle en a besoin pour soutenir ses manigances en Syrie et menacer davantage l’Iran.
Que peut-elle, et que va-t-elle tenter de faire pour faire changer d’avis les Irakiens ?
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone