Une expérience immersive


Orlov

Par Dmitry Orlov – Le 3 Juin 2018 – Source Club Orlov

Je reste généralement loin des sujets aussi insignifiants que le sport. Divers jeux physiques sont utiles pour élever des enfants en bonne santé, mais le sport professionnel fait partie d’un système de distraction-divertissement organisé.

J’aime faire la distinction entre le divertissement et le plaisir : c’est amusant si vous le faites vous-même et cela demande une certaine quantité de travail de votre part ; si vous vous asseyez passivement et que vous l’absorbez, c’est un divertissement. Escalader une montagne est amusant ; regarder quelqu’un escalader le mont Everest, à moins que vous ne vous prépariez à le faire vous-même, c’est du divertissement et donc une perte de temps. Je m’amuse beaucoup à observer l’effondrement, encore incomplet, de la civilisation occidentale, et ce n’est pas une perte de mon temps – ou du vôtre – parce que je me prépare à y survivre, comme vous devriez le faire.

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Akinfeev, le gardien russe

Mais je suppose qu’il y a des moments où la forme de distraction organisée qu’est le sport professionnel échappe au domaine du trivial et se rapproche du sublime, et il semble que la Coupe du monde actuellement en cours en Russie soit un tel événement, et il m’a contraint à y prêter attention – pas seulement pour le football, bien que les péripéties de ce tournoi aient été assez curieuses. Personne n’aurait pu prédire que certaines des équipes les plus fortes – l’Allemagne et l’Espagne – seraient éliminées avant les quarts de finale, et que cette dernière serait éliminée par la Russie. Les footballeurs russes ne sont pas connus pour gagner des matchs internationaux. Une blague populaire dit : Que veut la Russie pour le Nouvel An? (Noël en fait, le 7 janvier, n’est pas une occasion de faire des cadeaux). De nouvelles jambes pour ses footballeurs ! Que la Russie soit arrivée en quarts de finale est déjà une grande victoire et un petit miracle, et il y a beaucoup de danses dans les rues. Akinfeev, le gardien russe, à qui l’équipe doit à plusieurs reprises sa victoire sur l’Espagne, est devenu un héros national et un mème Internet.

Mais vous pouvez tout lire ailleurs. C’est l’une des rares occasions où la presse occidentale fournit une couverture raisonnablement précise. Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est la réaction des milliers de personnes venues du monde entier qui ont envahi la Russie pour assister à cet événement et participer aux festivités, y compris les dix mille fans de football des États-Unis dont l’équipe nationale n’est même pas qualifiée pour ce tournoi. Une telle présence américaine est surprenante, car leurs compatriotes ont tendance à préférer divers jeux à la maison, comme celui dans lequel les hommes courent autour d’un champ serrant un objet oblong et se donnent des coups, ou cet autre jeu de balle dans lequel les hommes restent la plupart du temps juste debout, crachent beaucoup et ajustent sans cesse leurs casquettes. La plupart du reste du monde ne se soucie pas du tout d’eux ; le jeu vraiment international est le football.

Ce qui est vraiment important, c’est que tous ces fans de football ont pu voir la Russie par eux-mêmes, sans aucune interférence inutile des porte-parole des médias occidentaux qui considèrent que leur mission est de traîner sans fin la Russie dans la boue. Beaucoup de gens, Européens et Américains en particulier, sont allés en Russie en s’attendant à trouver le pays décrit par leurs médias : un endroit sombre et lugubre, vétuste et sale, avec un service grossier et inutile, des fonctionnaires voyous et corrompus, et, pour couronner le tout, très dangereux. Ce qu’ils ont trouvé à la place était un pays amical, hospitalier, propre, sûr et éclairé, conçu pour créer la meilleure atmosphère de fête imaginable. C’est une percée en matière de relations publiques. Leur expérience de première main de la vie en Russie rendra un peu plus difficile pour leurs médias nationaux de continuer à leur vendre la désinformation sur la Russie. Mais je suis sûr qu’ils  vont encore essayer, à cause d’une combinaison d’inertie institutionnelle et de parti pris anti-russe enraciné.

À titre d’exemple de tels efforts de couverture biaisée qui ont échoué, un couple de correspondants britanniques a écrit que des gens faisaient le salut nazi et chantaient des « chansons de la jeunesse hitlérienne » dans un bar. C’était à Volgograd, autrefois Stalingrad, là où les envahisseurs nazis ont été arrêtés et battus – un endroit où les souvenirs de guerre sont encore frais et où, pensait-on, quelqu’un qui ferait le salut nazi serait frappé. La totalité de cette histoire, telle que rapportée, semblait beaucoup trop ridicule, et des journalistes russes sont donc venus enquêter. Effectivement, ils ont découvert que certaines personnes dans un bar de Volgograd ont fait le salut nazi. Ils étaient saouls, mais c’étaient… des fans de football britanniques. Personne ici ne s’en est offusqué ou leur a fait des ennuis. Peut-être n’était-ce pas simplement une stupidité d’ivrogne ou un peu de démonstration de force : aller à Stalingrad et faire semblant d’être un nazi, juste pour voir si l’endroit est vraiment sûr. Il y a trois décennies, des amis russes ont fait quelque chose de similaire aux États-Unis : ils ont acheté quelques bouteilles de vodkas, volé un camion de pompiers et l’ont conduit à travers l’Alabama en buvant de la vodka et en chantant des chansons russes. Pour ce comportement exubérant, ils ont passé deux nuits dans la prison du comté et ont été libérés. Les États-Unis étaient un pays sûr… à l’époque.

Reportages biaisés et provocations à part, plusieurs centaines de milliers de fans de football étrangers qui ont visité la Russie, plus plusieurs centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde qui ont regardé les reportages sur la Russie, ont vu un pays ouvert, accueillant, beau, sûr et prospère. C’est une victoire pour la Russie et une défaite pour CNN, le New York Times, le Washington Post et Hollywood, qui ont tous essayé de représenter la Russie comme une menace. Cette représentation de la Russie n’est pas entièrement fausse. Tout dépend de leurs intentions (ou plutôt de celles de leurs propriétaires). Ceux qui se battent pour la domination du monde n’auront plus qu’à s’en prendre à eux-mêmes : les Russes leur arracheront la tête à chaque fois. Mais ceux qui vont en Russie pour jouer avec un ballon de football dans un champ, ou pour tout autre but pacifique, et qui restent amicaux et respectueux, sont sûrs de passer un bon moment. Ce choix est le leur – et le vôtre.Les cinq stades de l'effondrement

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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