Le gaspillage, l’incompétence et le dysfonctionnement sont le reflet de la façon dont les États-Unis eux-mêmes se sont égarés, devenant un empire échevelé plutôt que la République utopique de ses débuts
Par F. William Engdahl – Le 6 novembre 2017 – Source Russia Insider
Depuis l’investiture du président américain DJ Trump en janvier 2017 et de son contingent de généraux, Washington a brandi ses sabres nucléaires et militaires dans toutes les directions, menaçant de détruire totalement la Corée du Nord… et l’Iran, augmentant les livraisons d’armes aux groupes d’opposition syriens et aux militaires d’AFRICOM, envoyant ses flottes navales dans toutes les directions imaginables de la mer de Chine méridionale à la mer Baltique, en installant des troupes aux frontières de la Russie…
Derrière toutes ces fanfaronnades se cache une armée américaine dont le moral est au plus bas, la préparation souvent inadéquate et l’utilisation de technologies coûteuses pour les contribuables, loin derrière l’état de l’art militaire des autres adversaires potentiels.
Tous sont les symptômes d’une ancienne superpuissance défaillante dont les militaires sont gravement abusés et mal utilisés, loin de l’intention de défendre la nation.
Collisions dans la marine américaine
En août dernier, l’USS John Sidney McCain, un destroyer porteur de missiles guidés de la septième flotte de l’US Navy, est entré en collision avec un pétrolier au large de Singapour, tuant dix marins. Deux mois plus tôt, l’USS Fitzgerald, basé au Japon, est entré en collision avec un navire marchand tuant sept marins et causant des dégâts estimés à un demi-milliard de dollars. Une enquête du renseignement naval n’a trouvé aucune preuve de cyberattaque. Pour une fois, Washington n’a pas essayé de blâmer la Russie ou la Chine. La faute incombe à notre armée.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, pour la plus grande et la plus redoutable marine du monde, l’administration Bush–Cheney a pris la décision de faire « économiser de l’argent » en abandonnant l’entraînement traditionnel des officiers de la marine.
Alors que l’électronique navale comme les radars avancés, les sonars, les canons, les missiles et les systèmes de liaison de données devenaient plus complexes au cours des années 1960, la Marine a créé ce qu’on a appelé l’École des officiers de guerre de surface qui donnait aux futurs officiers un entraînement rigoureux de 12 à 14 mois avant qu’ils ne montent à bord de leur premier navire.
En 2003, elle a été fermée pour « raison d’efficacité » et remplacée par une formation assistée par ordinateur (CBT). Au lieu de participer à la formation initiale, les nouveaux officiers de marine ont reçu un paquet de ressources informatiques pour l’entraînement et le commandant de bord est devenu responsable d’assurer la compétence des officiers sous son commandement.
Le vice-amiral Timothy LaFleur, le responsable de la décision, vivement critiqué par de nombreux officiers, a insisté sur le fait que l’élimination de la formation sérieuse « entraînerait une satisfaction professionnelle accrue, augmenterait le retour sur investissement durant la première tournée des officiers divisionnaires et libérerait du temps opérationnel en aval ».
Les réductions de formation ont permis d’économiser le montant ridicule de 15 millions de dollars par an. De plus, le recours excessif à l’électronique, « à toute épreuve », dans les systèmes radar automatisés et le système d’identification automatique (AIS), a conduit à l’abandon des postes vigies sur le pont du navire pour prévenir des dangers. Personne ne regardait dehors sur le pont de l’USS Fitzgerald ou de l’USS McCain.
Les commandants de l’USS Fitzgerald et de l’USS McCain ont été relevés de leurs commandements, ce qui n’était guère une réponse sérieuse au problème plus profond. La pourriture va beaucoup plus loin.
Normes inférieures
Comme tout vétéran militaire expérimenté des années 1960 peut l’attester, il existe une différence cruciale si vous venez en tant que soldat étranger sur une terre dont le peuple se bat contre l’occupation militaire ou pour la défense contre les attaques étrangères. Hô Chi Minh, président du Comité central du Parti des travailleurs du Vietnam, qui a passé des années aux États-Unis et en France, a dirigé une armée de paysans sous-équipés contre la force armée la mieux équipée du monde, et finalement il a gagné.
Le fait que les forces armées des États-Unis, depuis la fin de la guerre froide, après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, n’ont pas eu d’adversaire « diabolique » convaincant, a provoqué un énorme effet sur le moral. Que ce soit en Afghanistan en 2001 pour détruire Oussama ben Laden, puis en Irak pour détruire Saddam Hussein, puis en Libye pour détruire Mouammar Kadhafi, maintenant en Syrie pour détruire Bachar al Assad – aucun de ces « adversaires » n’est moralement convaincant pour la plupart des Américains.
Sans surprise, dans ce contexte, les forces armées américaines éprouvent des difficultés à recruter suffisamment de personnel qualifié et intelligent pour les guerres que Washington et ses parrains de Wall Street semblent vouloir mener partout dans le monde.
Cette année, pour atteindre son quota de nouvelles recrues et remplir ses missions mondiales, l’US Army a dû accepter des recrues moins qualifiées, recrutant des engagés notés dans le tiers inférieur des tests, appelés recrues de catégorie 4, y compris ceux ayant des antécédents d’usage de drogues.
Et ce n’est pas seulement le manque de préparation du personnel de son armée ou des officiers de sa marine.
Manque alarmant de pilotes
Le 23 octobre, l’US Air Force a révélé qu’elle préparait sa flotte de bombardiers nucléaires B-52 à se tenir en alerte 24 heures sur 24, ce qui n’a pas été fait depuis la fin de la guerre froide, selon Defense One. Les aviateurs de la base aérienne de Barksdale préparent les avions « au cas où l’ordre d’alerte serait émis ». Les B-52 seraient armés de bombes nucléaires et disponibles pour décoller à tout moment ; cette disposition avait été interrompue avec la dissolution de l’Union soviétique en 1991.
Le nouveau plan fou des généraux de Trump a cependant un problème supplémentaire. La Force aérienne a une pénurie dramatique de pilotes qualifiés.
Le 21 octobre, le président Trump a signé un décret permettant à l’armée de l’air de rappeler jusqu’à mille pilotes retraités, en élargissant l’état d’urgence national déclaré par George W. Bush après le 11 septembre 2001. L’ordre fait partie d’une tentative « d’atténuer la pénurie aiguë de pilotes de l’US Air Force », selon un porte-parole du Pentagone. Pendant des décennies l’armée américaine – dont le budget annuel dépasse ceux, combinés, de la Chine, du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et de la Russie – a mené des guerres contre des opposants militaires comme en Irak ou en Afghanistan ou encore en Libye, avec lesquels il n’y a pas eu de compétition.
En juin dernier, l’US Army War College a publié une étude intitulée, « À nos risques et périls : Évaluation des risques dans un monde post-unipolaire ». Dans l’étude, les auteurs concluent que l’ordre mondial créé après la Seconde Guerre mondiale, et dominé par les États-Unis « est soumis à un stress énorme. » Ils ajoutent : « L’ordre et ses parties constituantes … ont été transformés en un système unipolaire avec la chute de l’URSS, et ont été, depuis, dominés, de la tête et des épaules, par les États-Unis et ses principaux alliés occidentaux et asiatiques. Les forces du statu quo se sentent collectivement à l’aise, avec leur rôle dominant, en dictant les termes de la sécurité internationale et en résistant à l’émergence de centres rivaux.«
L’étude ajoute que les États-Unis « ne peuvent plus compter sur la position inattaquable de domination, de suprématie ou de prééminence dont ils ont joui pendant plus de vingt ans après la chute de l’Union soviétique ».
Maintenant, avec l’émergence de la Chine en tant que véritable grande puissance, et l’essor rapide de la Russie comme grande puissance en symbiose avec la vision de la Chine d’une Eurasie émergente, l’administration Trump est en guerre avec tout le monde, partout, ce qui n’est clairement ni une bonne conduite de la politique étrangère américaine, ni une manière sérieuse de se comporter pour une nation mûre.
Reconstruire et restaurer l’infrastructure domestique en train de pourrir, ne pas développer l’armée américaine contre des menaces concoctées ou des nations qui demandent le respect de leur droit à la souveraineté, construire une véritable économie américaine pour rejoindre les rangs d’une nation industrielle de premier plan est beaucoup plus logique à mon avis.
William Engdahl est consultant en risques stratégiques et conférencier, il est diplômé en politique de l’Université de Princeton et auteur à succès sur les question du pétrole et de la géopolitique, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
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