Vénérer le fantôme de Staline


Par Dmitry Orlov – Le 16 mai 2017 – Source Club Orlov

Funérailles de Staline

Il y a quelques jours, le 9 mai, la Russie a célébré le 72e anniversaire de sa victoire dans la Grande Guerre patriotique ou, comme on la connait en Occident, la Seconde Guerre mondiale. Passée inaperçue à l’Ouest, c’est une affaire très importante en Russie. Tous les éléments du défilé, du discours, de la musique, de l’iconographie, sont maintenant brillamment polis. C’est un rituel clé du culte de l’État de la Russie. Sa nature religieuse s’est manifestée par le ministre de la Défense Serguei Shoigu qui, sortant des murs du Kremlin debout dans une limousine classique de l’ère soviétique, a fait le signe de la croix : si vous êtes encore coincé dans le cadre du «communisme sans Dieu », il faut vite le repenser. Bien que le défilé soit une démonstration de force militaire indéniable, avec une collection de matériel militaire moderne qui se répand sur la Place Rouge, le message global est celui de la paix. « La Russie n’a jamais été vaincue et ne le sera jamais. » Voila le message. Et même si les Russes veulent être reconnus pour leur immense sacrifice en vue de la victoire, ils voient cette victoire comme celle de chacun : tout le monde – même les Allemands – a bénéficié de la destruction par les Soviétiques d’un mal parfait sous la forme d’une machine génocidaire qu’était l’Allemagne nazie.

Serguei Shoigu

Les défilés de la Journée de la Victoire se sont déroulés tous les ans depuis que le premier a eu lieu le 24 juin 1945. Mais au cours des deux dernières années, un nouveau rituel a émergé : dans toute la Russie, dans les républiques de l’ex-URSS et au-delà, des personnes, par centaines de milliers et même par millions, ont défilé dans les rues avec des portraits de leurs proches tombés. Cette année, leur nombre dans toute la Russie était de huit millions; 600 000 y ont participé en Ukraine, malgré les menaces, le harcèlement et la violence absolue des nazis ukrainiens, descendants et admirateurs de collaborateurs nazis qui ont récemment été réhabilités à titre posthume en tant que héros nationalistes ukrainiens.

En anglais, ce mouvement populaire s’appelle le « régiment éternel ». Et, comme d’habitude, quelque chose s’est perdu dans la traduction. Le mot « éternel » en russe est « вечный » (véchny) – mais le mot utilisé ici est « бессмертный » (bessmértny), qui signifie « sans mort » ou « invincible ». Et le mot « régiment » sonne un peu plus comme… enrégimenté, alors que le mot russe « полк » (polk), est un cousin proche de « ополчение » (opolchénie) – une unité volontaire militaire formée spontanément, et de « ополченец » (opolchénets) – essentiellement un rebelle ou un guérillero. Peut-être que la meilleure traduction anglaise pourrait être un mélange de l’anglo-saxon, du français et de l’espagnol : « guérilla invincible ».

Le régiment éternel

La popularité déjà énorme et toujours croissante de ce mouvement provient de la puissante combinaison d’émotions qui la pousse. D’une part, c’est un hommage aux morts et la commémoration de leur sacrifice extrême sous la forme d’une reconnaissance publique pour les membres de leur famille, aux côtés de toutes les autres. D’autre part, c’est alimenté par une source de confiance et de fierté nouvelle : la fierté de la victoire militaire la plus décisive et la plus importante de ces cent dernières années. Et la confiance que, si le besoin s’en fait sentir à nouveau, la Russie sera à la hauteur de la tâche.

Il existe une théorie populaire qui tourne en Occident selon laquelle l’Histoire n’est qu’un tas de récits, et que l’un ou l’autre, tout se vaut. Par exemple, il y a un récit que les Russes aiment, dans lequel les hommes que les Ukrainiens vénèrent maintenant comme des héros en Ukraine étaient des collaborateurs nazis complices du génocide perpétré contre les juifs, les Polonais et d’autres. Mais il y a un autre récit, soi-disant tout aussi bon, où ces mêmes collaborateurs nazis étaient des combattants de la liberté qui s’opposaient à l’oppression communiste soviétique et qui luttaient contre l’occupation soviétique de leur patrie en se battant avec des vaillants Allemands venus les aider. Pour mieux faire valoir leurs points de vue, les partisans de ce second récit se sont attachés à profaner des monuments et des tombes et à attaquer les anciens combattants.

Comment un spectateur innocent est-il supposé comprendre comment naviguer dans cette zone de guerre politique et culturelle ? Ce ne sont pas seulement des récits : des gens sont blessés et même tués. Les nerfs sont à vif et les tempéraments sont en feu. Dites la mauvaise chose à la mauvaise foule, et vous pourriez finir par avoir à vous payer un tout nouveau sourire. Il y a une tentative pour déclarer qu’« ils sont tous un tas de bâtards maléfiques! » Les millions de personnes de tous âges qui marchent avec des portraits de leurs parents morts dans la neige et la grêle seraient tous des « bâtards maléfiques »? Vraiment? Voyons ce qui se passe ici plus en détail.

Comprendre le sens d’une autre culture, même familière, est toujours difficile. Nous devons compter sur diverses fonctions du cerveau gauche, exigeant « seulement les faits  » et appliquant la logique et l’arithmétique pour raisonner. Dans nos propres cultures, où nous sommes beaucoup mieux orientés, nous avons tendance à compter sur diverses fonctions du cerveau droit : l’intuition, l’heuristique, le « sens commun » – mais, en ce qui concerne une culture différente, cela peut facilement nous égarer. Et puis, nous pouvons être encore plus égarés par les différences doctrinales, en particulier par celles dont nous ne sommes même pas conscients. La première étape consiste donc à faire place nette.

Tout d’abord, sauf si vous êtes un ressortissant russe vivant en Russie, veuillez fermer votre hémisphère droit. Ça ne vous aidera pas. Si vous êtes l’une des personnes qui aiment dire des choses comme « Je n’aime pas Poutine; c’est un voyou! », c’est l’une de ces fonctions du cerveau droit qui se déclenche intempestivement. Mais votre hémisphère gauche pourrait certainement être utile si vous aviez une bonne appréciation des sondages d’opinion. Ensuite, vous pourriez considérer que vous n’avez joué aucun rôle en élisant Poutine ou en suggérant comment les électeurs russes devaient voter (pour éviter même l’apparition de l’ingérence américaine dans les élections russes) et aussi prendre en compte le fait que 62% des Russes interrogés l’approuvent encore après plusieurs années de récession. Vous reconnaîtriez alors peut-être que Poutine fait un travail suffisant en ce qui concerne les Russes, et que cela devrait être assez bon pour vous aussi, puisque vous, n’étant pas russe, n’êtes pas concerné par la question.

Mais alors, les différences doctrinales entravent encore une perception précise. En Occident, Poutine est considéré comme autoritaire et donc anti-démocratique. En Russie, cette perception est considérée comme non pertinente. Tout au long de l’histoire de la Russie, le pinacle du pouvoir a été occupé par le chef de l’État, qu’il s’agisse du tsar, du Secrétaire général du Politburo ou du Président. Il n’y a pas d’oligarques cachés dans l’ombre, de cartels bancaires internationaux, d’entreprises transnationales ou d’« État profond » pour agir comme des marionnettistes invisibles.

Le chef de l’État travaille directement pour la population et la population soutient le chef de l’État tant qu’il est considéré comme efficace et qu’il a du succès. Poutine est efficace et il a du succès, et sous sa direction, la Russie est devenue plus prospère, plus stable, plus respectueuse de la loi et beaucoup plus puissante sur la scène mondiale. Et il exerce plus une autorité naturelle qu’il n’abuse de son autorité, la différence étant que les dirigeants autoritaires doivent imposer leur volonté par la force tandis que les autres sont suivis volontairement, en reconnaissance de leur autorité et de leur fonction au service du bien commun.

Si cela vous semble encore insuffisamment démocratique, considérez ce à quoi la démocratie occidentale ressemble de l’extérieur. En ce qui concerne les Russes, les autres nations peuvent être aussi démocratiques ou anti-démocratiques qu’elles le souhaitent, c’est une affaire interne et aucunement les affaires de la Russie, de même que la politique interne de la Russie n’est pas l’affaire des autres. Il existe de vastes différences culturelles entre les pays, certains (par exemple, l’Irak, la Libye) ne peuvent être tenus ensemble que par un homme fort, et la plupart des Russes le reconnaissent comme un fait de base.

Mais alors que la démocratie est facultative et ouverte aux interprétations locales, la souveraineté nationale est obligatoire. Le fait que les nations occidentales, ainsi que le Japon et la Corée du Sud à l’Est, aient largement renoncé à leur souveraineté devant Washington, les disqualifie comme modèles. En ce qui concerne les États-Unis, c’est un état voyou qui viole la souveraineté d’autres nations, les attaque et les envahit sans provocation et sans l’autorisation appropriée de l’ONU ou même de son propre Congrès, comme l’exigerait sa Constitution. La raison souvent donnée pour un tel comportement est que les États-Unis sont les garants autonomes des valeurs et des droits universels, tels que le droit de pratiquer ouvertement l’homosexualité. Mais c’est absurde, étant donné que chaque nation a le droit souverain de déterminer ses propres valeurs.

Cette contradiction ouvre ce qui peut sembler un fossé infranchissable entre l’Occident et la Russie. D’un côté, vous avez un État voyou et ses vassaux impuissants; de l’autre, vous avez un bastion de la souveraineté nationale et un garant du droit international. Et puis il y a un autre ingrédient toxique : les États-Unis eux-mêmes n’ont pas de souveraineté nationale. Leur système politique est un système où on paye pour jouer et où il a été statistiquement prouvé qu’il n’avait rien à voir avec la démocratie : la volonté populaire n’est pratiquement jamais reflétée dans les politiques publiques.

Au lieu de servir le peuple, Washington sert les intérêts des lobbies d’affaires : les banquiers internationaux, les entreprises transnationales, le complexe militaro-industriel et les oligarques dans l’ombre. Il a fallu moins de 100 jours pour que cette combinaison de joueurs frustre complètement les efforts de Donald Trump pour gouverner au nom des gens en suivant ses promesses de campagne. Il semble que personne aux États-Unis n’a le pouvoir de régner sur ces forces, et donc la responsabilité de ce fait incombe à la Russie, en défense de sa propre souveraineté et de celle des autres nations.

Il peut sembler que les peuples de l’Ouest pourraient bénéficier de cette montée en puissance, renversant cet « ordre mondial » putatif corrompu et rétablir leur souveraineté nationale. Mais ils ne paraissent plus capables de tels gestes d’envergure. De plus, ils n’en sont plus capables depuis un certain temps, quelque chose comme quatre décennies! Voici ce que Alexandre Soljenitsyne a dit à propos de ce problème à l’époque.

Un déclin du courage peut être la caractéristique la plus frappante qu’un observateur extérieur observe aujourd’hui à l’Ouest. Le monde occidental a perdu son courage civique, dans son ensemble et séparément, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque parti politique et, bien sûr, aux Nations Unies. Un tel déclin du courage est particulièrement remarquable chez les élites dirigeantes et intellectuelles, ce qui entraîne une perte de courage pour toute la société. Il y a beaucoup d’individus courageux, mais ils n’ont aucune influence déterminante sur la vie publique. [Harvard Speech, 1978]

Il s’agissait d’un seau d’eau glacée jeté aux visages des sommités réunies, qui ont ignoré et rapidement oublié son discours. Mais peut-être que Soljenitsyne ne leur parlait même pas. Après tout, il a parlé en russe. Peut-être qu’il parlait par dessus les têtes de la foule à Harvard, directement aux Russes qui écoutaient les ondes courtes diffusées méticuleusement par les Américains.

Après tout, il est rapidement retourné en Russie depuis son exil du Vermont  après l’effondrement de l’URSS. Avant sa mort, il a eu un rendez-vous chaleureux et cordial avec Poutine. Son long séjour au GOULAG, brillamment documenté dans son impressionnant travail, n’a en rien tempéré son patriotisme.

Ce qui ne fut pas le cas de ses compatriotes : après l’effondrement soviétique, il y a eu une décennie sans courage civique alors que les Russes tentaient de copier de manière servile les voies occidentales même s’ils étaient pillés en douce. Heureusement, cette maladie n’est pas devenue chronique et le patient a pu complètement récupérer.

En revenant maintenant au sujet de la victoire de la Russie dans la Grande Guerre patriotique et des divers récits qui l’entourent, nous pouvons régler une énigme autour du cerveau gauche – cerveau droit. Il y a un récit chaud et flou du cerveau droit qui circule en Occident, ce qui donne quelque chose comme ce qui suit.

Hitler était diabolique et devait être vaincu. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie se sont réunis pour le vaincre. Les États-Unis ont permis à la Russie de gagner avec la politique de prêt-bail. Une fois que Hitler a été vaincu, les trois chefs victorieux se sont assis ensemble lors d’une conférence à Yalta. Mais alors, Staline s’est avéré être aussi mauvais que Hitler, et donc dès que Hitler a été vaincu, les États-Unis ont commencé une guerre contre l’URSS. Cela a fini par devenir une Guerre froide, parce que les Russes étaient militairement un peu trop forts pour que les États-Unis s’engagent. Puis les Soviétiques ont rapidement inventé la bombe atomique, empêchant par conséquent les États-Unis de les atomiser jusqu’à leur reddition comme cela avait été fait avec les Japonais. Une des grandes raisons pour vaincre l’URSS était qu’ils étaient un tas de communistes sans Dieu. Mais il s’est avéré que tout ce que les Américains devaient faire, c’était attendre, parce que le système communiste ne fonctionnait pas bien et que l’URSS s’en était largement éloignée d’elle-même. Néanmoins, ce sont les États-Unis qui ont « gagné » la Guerre froide – parce que l’autre côté a dû jeter l’éponge.

C’est à peu près l’histoire que j’ai entendue dans un cours d’histoire dans une classe américaine. Cela semble flatteur pour les Américains, mais ce sont d’anciennes « infos bidons ». Si on s’en tient « seulement aux faits », nous pouvons générer un autre récit.

Du point de vue de l’Occident, la Russie a toujours été l’ennemi. Les différences doctrinales évoquées ci-dessus, la défense de la souveraineté nationale, l’inadmissibilité de toute personne au dessus du leader national, ont joué un rôle important, parce qu’elles ont rendu la Russie, avec ses ressources naturelles abondantes, difficile à exploiter par l’Occident comme il l’a fait pour à peu près tous les autres pays et continents. La Révolution russe de 1917 était dans une certaine mesure une tentative occidentale de détruire l’Empire russe.

La révolution a entraîné une guerre civile, mais l’effort pour détruire la Russie n’a pas réussi : au lieu de l’Empire russe, l’URSS a rapidement émergé. De plus, à la fin des années 1920, alors que l’Occident s’enfonçait dans la Grande Dépression, l’URSS a annoncé son premier plan quinquennal, qui a transformé une nation agraire en une nation industrielle. Les gens du monde entier en ont pris note : le capitalisme échouait alors que le communisme réussissait. En réponse, les intérêts financiers et industriels en Occident ont tout fait pour créer l’Allemagne nazie comme un rempart contre le communisme soviétique.

Les signes de collusion entre les États-Unis, les Britanniques et les nazis sont nombreux : Ford a vendu des camions aux Allemands, IBM leur a vendu des machines à tabulation pour compiler les victimes du génocide. Les Américains et les Britanniques ont fermé les yeux sur la solution finale d’Hitler, qui a envoyé à la mort des millions de juifs, de gitans, de Slaves, d’homosexuels et d’autres sous-hommes, tous ceux que les nazis considéraient comme dégénérés ou racialement inférieurs. La solution finale était relativement « compatible » avec le racisme britannique et américain 1. Les Américains ont refusé d’accepter les réfugiés juifs, jusqu’au moment où ils ont découvert que les juifs étaient plus riches qu’ils ne l’avaient imaginé et qu’ils apportaient beaucoup d’or. Ils leur ont alors ouvert les portes. [Il y avait aussi un projet sioniste de peuplement de la Palestine qui a beaucoup joué pour y diriger les juifs d’Europe de l’Est, NdT]

Après que les nazis ont été vaincus, davantage de signes de collusion ont émergé. Les Américains et les Britanniques ont pardonné à des dizaines de criminels et de collaborateurs de guerre nazis, permettant à beaucoup d’entre eux de s’échapper en Amérique du Sud, et en ont amené d’autres aux États-Unis et au Canada, où leurs descendants vivent et prospèrent aujourd’hui. Récemment en 2013-2014, certains de ces descendants ont été déployés en Ukraine pour aider à renverser le gouvernement et à aider à mettre en place un régime de marionnettes du même style que le régime qui célèbre aujourd’hui les collaborateurs nazis [Comme Stephan Bandera, NdT] en tant que héros et libérateurs.

Sur ce point de vue, les différences entre l’Occident en général et ses manifestations les plus fascistes (Hitler, Mussolini, Franco, Pinochet, Salazar, Porochenko, etc.) sont superficielles, tandis que la fracture civilisationnelle entre l’Occident et l’Empire russe / URSS / Fédération de Russie est fondamentale. C’est un conflit qui s’est déroulé sur des siècles, mais, en nous concentrant sur le siècle dernier, nous pouvons observer ce qui suit : la Russie souffre de revers et d’énormes pertes, mais prend toujours le dessus à la fin. La révolution russe a détruit l’empire russe et a précipité une guerre civile qui a finalement conduit à la création de l’URSS, à une industrialisation rapide et à une éventuelle parité économique avec l’Occident.

Le gambit de l’utilisation de l’Allemagne nazie pour détruire la Russie a provoqué des millions de morts, mais a finalement mené à la défaite et à la destruction de l’Allemagne nazie et à l’occupation soviétique de l’Europe de l’Est. L’effondrement de l’URSS, causé en grande partie par des problèmes internes de l’appareil étatique soviétique, fut d’abord un revers majeur. Mais finalement, il a abouti à un système économique réformé, plus efficace, et à un meilleur système de gouvernance. Il a également permis à la Russie de renvoyer les responsables et commencer à faire passer ses propres intérêts en premier. Et maintenant, la Russie a aussi récupéré de ce revers.

Mais il n’y a qu’une seule victoire commémorée tous les 9 mai à Moscou, parce que c’est la seule de son genre pour trois raisons distinctes. Tout d’abord, c’était un triomphe clair du Bien sur le Mal. En vainquant le nazisme, les Soviétiques ont sauvé le peuple juif de l’extermination complète. Ils ont libéré toute l’Europe de l’Est et l’ont mise sur la voie vers la stabilité politique, la reconstruction et le développement social et économique.

Deuxièmement, c’est une victoire dont ils peuvent revendiquer tout le crédit. Les États-Unis n’ont pris une position hostile envers l’Allemagne nazie qu’une fois que les Allemands ont commencé à interférer avec la flotte commerciale américaine. Apparemment, la partie la plus sensible de l’anatomie américaine n’est pas la tête ou le cœur, mais le porte-monnaie. Et les États-Unis n’ont été impliqués militairement en Europe qu’une fois qu’il est apparu clairement que les Soviétiques allaient vaincre le Troisième Reich. La principale raison pour laquelle ils se sont impliqués n’était pas de vaincre les Allemands, mais d’empêcher les Soviétiques de prendre toute l’Europe plutôt que simplement la moitié orientale. Les Soviétiques étaient heureux d’accompagner ce plan. Prendre toute l’Europe aurait voulu dire mordre plus que ce qu’ils auraient pu mâcher. Mais le fait est qu’ils n’ont pas eu besoin de l’aide américaine ou britannique pour détruire le Troisième Reich.

Troisièmement, il s’agit de la seule victoire des 100 dernières années qui mérite ce nom. La Première Guerre mondiale était une guerre de classe ridicule d’attrition dans laquelle tous les côtés essayaient d’utiliser leurs paysans en excédent comme chair à canon, car ce dont ils avaient besoin, ce n’était pas de paysans mais de travailleurs dans l’industrie. Cette guerre n’a rien résolu et a plutôt posé les bases des divers conflits futurs, y compris la montée du fascisme en Allemagne.

Entre les deux guerres mondiales, des conflits tels que la guerre civile espagnole et la guerre entre la Finlande et l’URSS ne méritent certainement pas d’être célébrées, par personne.

La victoire américaine contre le Japon impérial n’est pas une victoire mais un crime de guerre : les États-Unis porteront jusqu’à la fin des temps la distinction douteuse d’avoir atomisé des civils. La guerre de Corée n’a pas été gagnée ou perdue, mais on s’est battu jusqu’à un armistice. La guerre du Vietnam a été une défaite pour les États-Unis. L’Afghanistan a été perdu par l’URSS et finira par être perdu par les États-Unis aussi.

La première guerre du Golfe a été menée jusqu’à la frontière irakienne, libérant le Koweït en laissant Saddam Hussein en place. Cela semble n’être que de petites pommes de terre. L’invasion de l’Irak, qui a été faite sous de faux prétextes et, selon une estimation approfondie, a causé la mort de quelque 1 455 590 Irakiens et a également conduit à la création d’ISIS / EI / Daesh. Celle ci ne peut donc être considérée comme une victoire que par quelqu’un aimant les meurtres en masse.

La destruction de la Libye, à la suite d’une mission prétendument « humanitaire » (méfiez-vous des Américains sur les droits de l’homme) a plus ou moins détruit ce pays et n’est pas une franche réussite. Qu’y a-t-il d’autre? Le Kosovo? Ah, n’oublions pas la vaillante invasion américaine et la libération de l’île de Grenade en 1983! Cochons le 25 octobre sur notre calendrier : faisons une très belle victoire pour un succès aussi court! Bref, au cours des cent dernières années, en dehors de la victoire soviétique sur le Troisième Reich, il ne semble pas y avoir de victoires militaires à célébrer.

Maintenant, voici une humble suggestion : peut-être, alors que nous célébrons la victoire soviétique sur le Troisième Reich et vénérons le souvenir des morts, nous ne devons pas négliger le responsable de cette victoire. Par « responsable », je veux dire la personne qui a donné les ordres qui ont mené à la victoire. Et cette personne, bien sûr, est Joseph Vissarionovitch Djougachvili-Staline. Si cette suggestion vous fait reculer avec horreur, c’est un bon signe! C’est un peu une histoire d’horreur, et les histoires d’horreur peuvent être très amusantes.

Il y a un récit flou du cerveau droit sur Staline qui va comme ceci : c’était un dictateur impitoyable, de toutes les manières aussi mauvais que Hitler. En fait, il a tué autant, sinon plus, que Hitler. Il était un terrible commandant en chef, c’est pourquoi tant de millions de Russes sont morts en combattant les nazis. Par conséquent, quiconque veut vénérer sa mémoire doit être une sorte de maniaque dérangé.

C’est bon, mais essayons maintenant avec l’hémisphère gauche, où, si tout se passe bien, les faits se transforment en conclusions en utilisant l’arithmétique et la logique.

1. Selon les documents déclassifiés de l’ère soviétique, plusieurs centaines de milliers de personnes ont été exécutées pendant le long règne de Staline. Certains d’entre eux étaient des prisonniers politiques; les autres étaient des criminels. Le total était bien inférieur à un million.

2. Au cours de cette même période, la population détenue par les GOULAG si renommés a grimpé à environ un million et demi. La majorité de ceux qui ont traversé les GOULAG ont survécu pour raconter l’histoire. Mais pendant toute la période, plus d’un million de détenus ont péri d’une grande variété de causes.

3. Le nombre de soldats de l’Armée rouge tués et blessés alors qu’ils combattaient les nazis était à peu près égal à celui de la Wehrmacht. Peut-être qu’un tiers de soldats soviétiques ont été tués. La plupart des pertes allemandes l’ont été sur le front de l’Est. Quelques millions de citoyens soviétiques sont morts dans le conflit, mais ils sont morts du froid, de la faim et de maladie. Beaucoup d’entre eux ont été conduits dans des camps de concentration allemands et n’ont pas survécu à cette expérience.

Conclusion : Staline n’était pas comme Hitler. Le génocide nazi s’est perpétré contre les juifs, les Tsiganes et d’autres mais a aussi touché la population de l’URSS. Staline ne les a pas tués; Hitler l’a fait. Et donc, ceux qui disent que Staline était tout aussi mauvais, sinon pire que Hitler, sont en train de comparer des pommes et des oranges, pour le dire doucement. Je vais vous laisser déterminer qui est la pomme et qui est l’orange .

Mais en ce qui concerne les pommes et les oranges, il y a une autre différence étonnamment évidente mais souvent négligée entre les deux hommes : Hitler était un perdant; Staline était un gagnant. Staline est mort de causes naturelles. Des millions de personnes sont venus lui rendre un dernier hommage. Ses funérailles ont été saluées par une salve de tir d’artillerie. Toute l’URSS s’est figée pour cinq minutes de silence. Des dizaines de dignitaires étrangers ont assisté à ses funérailles. Il a été placé dans le mausolée de la Place Rouge, à côté de Lénine.

En contraste, Hitler s’est suicidé d’une balle. Ses quelques sbires restants ont sorti son cadavre du bunker, y ont mis de l’essence et l’ont brûlé. À ce jour, 72 ans plus tard, les Allemands sont criblés de culpabilité et de honte d’avoir eu un tel leader. Ses quelques supporters frôlent la ligne rouge entre l’idiotie congénitale et la rébellion adolescente.

Quelqu’un pourrait être tenté de faire valoir que Hitler et Staline sont semblables car ils se sont combattus. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. L’un a attaqué l’autre et l’autre a été obligé de répondre. Ce fait seul porte une condamnation parfaitement succincte d’Hitler : il était clairement un idiot pour la simple raison que seul un idiot envahirait la Russie.

D’autre part, la réponse de Staline a été assez raisonnable. Face à l’attaque de la plus grande machine militaire de la planète, il n’avait d’autre choix que de construire une machine militaire encore plus puissante. Pour ce faire, il avait besoin de temps – environ un an – et il a donc donné l’ordre d’évacuer, de battre en retraite et de transformer rapidement l’économie en production de guerre. Puis, un peu plus d’un an plus tard, en juillet 1942, il a émis son Ordre no 227 : « Plus un pas en arrière. » En février de l’année suivante, les nazis ont été vaincus à Stalingrad; en août, à Koursk. À ce moment-là, le sort d’Hitler était scellé.

Avance rapide jusqu’à aujourd’hui : les États-Unis et leurs vassaux occidentaux essaient encore de jouer la carte nazie. Ils soutiennent les Ukro-fascistes en Ukraine et les Islamo-fascistes (diverses marques de terroristes, de modérés à « immodérés ») en Syrie et dans d’autres misérables endroits. Leurs populations semblent vaguement écœurées par ce spectacle, si elles ont consciente ou s’en soucient, mais la plupart d’entre elles ne savent rien et n’y font pas attention, car leurs médias les gardent dans un cocon, zombifiées.

Et puis, il y a les Russes, marchant dans le grésil et la neige avec des portraits de leurs parents morts. Peut-être qu’ils seront forcés de se battre de nouveau contre les fascistes. Ou peut-être que les fascistes peuvent être persuadés d’éviter de nouveaux problèmes à tout le monde. Peut-être qu’ils peuvent simplement suivre l’exemple de leur leader spirituel, Hitler, se tirer une balle, s’enduire d’essence et y mettre le feu [L’ordre est à leur discrétion, NdT].

Je vais terminer avec une autre citation d’Alexandre Soljenitsyne.

Aux espoirs inconsidérés de ces deux derniers siècles, qui nous ont réduit à l’insignifiance et nous ont amenés au bord de la mort nucléaire et non nucléaire, nous ne pouvons proposer qu’une quête déterminée pour la main chaleureuse de Dieu, que nous avons imprudemment, et trop confiants en nous-même, repoussée avec mépris. C’est seulement de cette façon que nos yeux peuvent être ouverts aux erreurs de ce malheureux vingtième siècle et que nos mains pourront être orientées vers les bonnes intentions. Il n’y a rien d’autre auquel s’accrocher dans ce glissement de terrain : la vision combinée de tous les penseurs des Lumières ne mène à rien. Nos cinq continents sont pris dans un tourbillon. Mais c’est au cours de ces essais que les plus grands dons de l’esprit humain se manifestent. Si nous périssons et perdons ce monde, la faute sera la notre, à nous seuls. [Discours de Tempelton, 1983]

Dmitry Orlov

Note du Saker Francophone

Vladimir Poutine : « Celui qui ne regrette pas l'URSS n'a pas de cœur ; celui qui souhaite sa restauration n'a pas de tête. »

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Les cinq stades de l'effondrement

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone

Notes

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  1. Il y a eu beaucoup de pollinisation croisée entre les racistes américains et britanniques et les nazis. Les nazis ont copié les lois américaines anti-mariages mixtes comme pour les mariages entre Blancs et Nègres. Churchill a fait sa propre solution finale avec la famine du Bengale en Inde. Les Américains ont regardé ailleurs alors que des juifs étaient exterminés. Et puis, les juifs ont attrapé la contagion raciste et ont formé un État d’apartheid racialement déterminé appelé Israël. Ils ont aussi graduellement pris le pouvoir sur l’establishment politique américain, l’obligeant à pratiquer une politique raciste et sectaire au Moyen-Orient… La « collusion » est peut être en légère hausse. « Le fantôme d’Hitler » est toujours là, vivant et bien vivant!
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