Par Andrew Korybko – Le 20 janvier 2017 – Source Oriental Review
Le dernier des cinq pays traditionnels de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) à analyser dans cette recherche est la Tanzanie, le membre sud-est du bloc. Longtemps reconnu comme un bastion de stabilité harmonieuse, malgré ses quelques 120 groupes ethniques et langues distinctes, la Tanzanie a également une histoire de leadership régional dans la lutte anti-coloniale et contre l’apartheid. Un pays de près de 50 millions de personnes, selon le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (ONU) sur les perspectives démographiques de 2015, qui devrait atteindre les 137 millions d’ici 2050, puis 299 millions au tournant du siècle prochain. Cela fait de la Tanzanie l’un des pays les plus dynamiques au monde en termes démographiques, ce qui pourrait laisser présager des défis majeurs dans les décennies à venir en matière de sécurité alimentaire, d’infrastructures physiques et sociales et de stabilité ethnique.
La Tanzanie pourrait néanmoins devenir l’une des plus belles réussites mondiales de ce siècle, surtout si elle maintient son taux de croissance du PIB de 6,9% prévu par le FMI et si elle demeure l’une des économies les plus dynamiques d’Afrique. Il ne faut donc pas s’étonner que la Chine et l’Inde soient activement en compétition pour gagner en influence dans ce pays, la Chine construisant une multitude de projets d’infrastructure de connectivité tandis que l’Inde s’est déjà mise en position pour être le principal partenaire d’importation et d’exportation de la Tanzanie. Les deux pays sont également en lice pour une part de la production énergétique de cet État de l’Afrique de l’Est, soit 1,2 milliard de mètres cubes de gaz naturel offshore, qui devraient en faire un chef de file du GNL dans la prochaine décennie. Alors que les investissements de l’Inde sont principalement portés sur des entreprises commerciales et sont moins concrets à étudier dans le contexte de la théorie de la guerre hybride, ceux de la Chine se font principalement dans le genre de projets d’infrastructure qui constituent la base physique de cette recherche. Ils font également partie intégrante des nouvelles routes de la soie que la Chine construit sur l’ensemble du continent et serviront ainsi de point focal pour l’évaluation de leur vulnérabilité face à la guerre hybride.
L’autre variable principale qui sera analysée est la politique du gouvernement visant à dissuader la discorde identitaire et à maintenir la croyance de la population dans l’inclusion du patriotisme tanzanien. Si certains groupes ne se sentent pas équitablement parties prenantes dans le succès du pays, on peut prédire qu’ils deviendront exposés à des idéologies conflictuelles et violentes comme le salafisme et le séparatisme. Personne ne sait exactement ce que sont les statistiques religieuses de la Tanzanie, et le gouvernement ne fait pas officiellement le compte, mais les estimations varient largement de 35% de musulmans et 30% de chrétiens à 61% de chrétiens et 35% de musulmans. Néanmoins, en dépit des différences sur la taille de la population chrétienne de la Tanzanie, chaque estimation convient généralement que plus d’un tiers du pays est musulman et que ce groupe réside le plus souvent le long de la côte swahili historique et à Zanzibar. Beaucoup, dans ce dernier territoire, sont également favorables au parti d’opposition du Front civique uni (CUF), qui pourrait devenir un facteur de complication à long terme pour le parti au pouvoir Chama Cha Mapinduzi (CCM).
En s’efforçant de comprendre les complexités domestiques en jeu en Tanzanie et comment la théorie de la guerre hybride pourrait les prendre en compte pour manier ces variables dans la compensation des projets d’infrastructure de la Chine dans le pays, la recherche commencera par expliquer l’essence du gouvernement tanzanien et l’histoire du leadership régional dont jouit le pays. Après avoir saisi comment et pourquoi la Tanzanie est devenue un poids lourd régional, une enquête sera menée pour examiner les particularités nationales derrière le pourquoi de cet État à l’identité éclectique n’ayant jamais subi une période de conflit civil comme la plupart de ses pairs africains. L’aperçu tiré de cette section fera partie intégrante de la compréhension de la viabilité du scénario de guerre hybride pour un « choc de civilisations » fabriqué. Mais avant, l’étude exposera l’importance stratégique des projets chinois les plus importants menés dans le pays afin que le lecteur puisse comprendre à quel point une poussée de turbulences le long du littoral de la Tanzanie serait préjudiciable à ces investissements régionaux.
L’anatomie du leadership tanzanien
La Tanzanie est incontestablement l’un des leaders dans cette partie de l’Afrique. Cependant, au lieu de simplement prendre cela pour acquis, il est utile que les observateurs sachent comme c’est arrivé pour qu’ils puissent apprécier à quel point une guerre hybride en Tanzanie changerait l’équilibre de la région. Voici les trois composantes qui sous-tendent le leadership tanzanien.
Géographique
La Tanzanie abrite avantageusement trois des Grands Lacs d’Afrique ─ Victoria, Tanganyika et Malawi / Nyasa ─ ce qui lui confère une forte influence sur ces ressources d’eau douce et sur leurs pêcheries. Peut-être pour cette raison, une grande partie de la population est concentrée le long de la périphérie du pays et dans le corridor de Dar es Salaam – Dodoma – Mwanza qui coupe à travers le centre du pays et relie l’océan Indien au lac Victoria. Une autre caractéristique unique de la géographie de la Tanzanie est que c’est le seul pays de la CAE à être voisin des quatre autres États traditionnels de ce groupe, sans compter bien entendu le nouveau Sud-Soudan.
Cela a doté le pays d’un potentiel d’infrastructure inégalé en servant de jonction connective pour le reste du bloc, un rôle qu’il est plus que désireux de jouer avec l’aide chinoise. Dans la même veine, il est également possible pour la Tanzanie d’utiliser sa position pour projeter ses forces de hard power / soft power, ce qui signifie que sa capacité de leadership attendue ne doit pas seulement être axée sur l’infrastructure. Il est peu probable que Dodoma recourra à des moyens forcés pour affirmer son leadership régional, mais il n’en demeure pas moins que c’est toujours une possibilité stratégique en cas de contingences imprévues, qu’il s’agisse de tensions entre États ou d’urgences humanitaires dans les États voisins (par exemple le Burundi).
Politique
Aucune analyse de la direction historique et actuelle de la Tanzanie ne serait complète sans mentionner l’ancien président Julius Nyerere. Le premier président du pays, Nyerere, a conduit pacifiquement l’ancienne colonie britannique du Tanganyika à l’indépendance et a ensuite modelé chaque facette de sa société au cours des décennies suivantes. Il était un anti-impérialiste irréprochable et un allié fiable de la Chine, deux caractéristiques qui complétaient la version du socialisme tanzanien qu’il appelait Ujamaa. Cette vision a mis en place une forme de centralisation étatique qui a conduit à la collectivisation et à la communautarisation, mais avec des conséquences économiques dévastatrices pour le pays.
Néanmoins, c’est plus tard que se révélera à quel point Ujamaa s’est révélé instrumentalisé dans la promotion du sentiment d’unité et de cohésion qui continue à prévaloir en Tanzanie. Cette idéologie a été exercée par le parti Chama Cha Mapinduzi du président comme un outil pratique pour construire une identité nationale inclusive. Mais encore une fois, Ujamaa ou cet État à parti unique n’aurait pas existé sans Nyerere, le père de la nation. L’héritage le plus durable de Nyerere ne réside pas seulement dans la façon dont il a changé son pays, mais aussi dans l’exemple qu’il a fourni à d’autres dirigeants africains en démontrant comment un visionnaire à l’ère de l’indépendance pouvait équilibrer le maintien de l’harmonie identitaire dans son État ultra-divers avec une politique étrangère robuste qui impliquait activement Dodoma dans les affaires de ses voisins.
International
La Tanzanie a pris une position frontale et centrale dans la géopolitique de l’Afrique australe lors de la Guerre froide, fonctionnant comme l’un des États en première ligne dans les luttes épiques contre l’impérialisme et l’apartheid. Nyerere était étroitement aligné avec le président Kenneth Kaunda de la Zambie voisine et, ensemble, ces deux dirigeants panafricains ont ouvert leurs territoires aux combattants régionaux de la liberté et ont grandement contribué à leurs campagnes de libération. Les relations fraternelles entre la Tanzanie et la Zambie ont constitué également la base du chemin de fer TAZARA construit par la Chine entre eux. Ce sera bien décrit en détail dans une section ultérieure. En ce qui concerne l’implication de la Tanzanie dans l’accueil des rebelles régionaux, elle a joué un rôle particulièrement important contre la minorité gouvernante de la Rhodésie (plus tard rebaptisée Zimbabwe), celle du Mozambique portugais et celle de la zone Amin de l’Ouganda, tout en soutenant simultanément le Congrès national africain lors de l’apartheid sud-africain. Pendant ce temps, la Tanzanie a également conçu le coup d’État aux Seychelles en 1977 et a mené une guerre contre l’Ouganda en 1978-1979, cette dernière évoluant également en une opération de changement de régime.
L’après-Guerre froide a vu la Tanzanie jouer un rôle international beaucoup plus pacifique et passif. Le pays a été le théâtre des accords d’Arusha de 1993 qui ont tenté de mettre fin à la guerre civile rwandaise. Lorsque ces derniers ont échoué et que le génocide a éclaté six mois plus tard, la ville du nord a ensuite accueilli le Tribunal pénal international sur le Rwanda dans une tentative de traduire les auteurs en justice. C’est aussi à cette époque que la Tanzanie a été victime de l’afflux d’armes de migration de masse produit par la crise des Grands Lacs (les guerres civiles au Burundi et au Rwanda et les conflits internationaux consécutifs au Congo). Comme cela a été expliqué dans le chapitre précédent sur le Rwanda, les autorités étaient bien préparées à cette éventualité et ont coopéré avec les organisations internationales pour atténuer l’impact de ce raz-de-marée humain.
Dès la fin du siècle dernier, la Tanzanie s’est associée une fois de plus à l’Ouganda et au Kenya pour relancer la Communauté d’Afrique de l’Est qu’ils avaient tous abandonnée en 1977 et Arusha a été choisie comme capitale de l’organisation. En 2008, la Tanzanie a participé à sa deuxième projection de puissance maritime limitée depuis le coup des Seychelles de 1977 en rejoignant la force d’intervention de l’Union africaine pour retarder de plusieurs années un mouvement de rébellion dans l’île comorienne d’Anjouan. L’autre intervention multilatérale de maintien de la paix de la Tanzanie s’est déroulée au Congo, où elle s’est de nouveau associée à l’Union africaine pour lutter contre les rebelles du M23 en 2013. Compte tenu de tous les développements postérieurs à la guerre froide, la politique étrangère de la Tanzanie est resté alignée sur le multilatéralisme et la coopération régionale. Encore une fois, le simple fait qu’un schéma se soit établi de façon convaincante ne signifie pas qu’il est immuable. Néanmoins, il semble plus que probable que la Tanzanie continuera à se comporter comme un « géant doux » en travaillant avec d’autres dans la lutte contre les obstacles mutuels dans l’environnement international.
La rivalité kenyane-tanzanienne
En guise de complément, il convient de parler de la rivalité entre Kenya et Tanzanie en discutant du leadership régional de cette dernière, car il s’agit d’un sujet très pertinent qui déterminera certainement les relations intra-CAE à l’avenir. L’auteur décrit plus en profondeur cette dynamique dans un précédent article pour Katehon, mais pour résumer succinctement les principaux points, le Kenya et la Tanzanie sont tous deux en compétition pour être le pays le plus influent dans leur bloc d’intégration partagé. Les deux États ont un potentiel économique et de leadership impressionnant soutenu par les projets d’infrastructure respectifs soutenus par la Chine qui sont prévus sur leurs territoires (ou les traversent déjà). Le chemin de fer standard et le LAPSSET sont les principaux investissements de Pékin au Kenya, alors que les ports de Tanga, de Bagamoyo et de Mtwara, ainsi que le corridor central et les chemins de fer TAZARA sont l’équivalent chinois en Tanzanie. Sans même savoir grand-chose sur cette deuxième catégorie de projets, le lecteur peut aisément conclure que la Chine diversifie ses investissements en Tanzanie et s’y engage beaucoup plus qu’au Kenya, ce qui ne devrait pas automatiquement conduire à supposer que Pékin est « partie prenante » de quelque façon que ce soit.
Au lieu de cela, et comme le souligne l’article précédemment cité, la Tanzanie et le Kenya peuvent maintenir leur concurrence à un niveau informel et amical tant que ni l’un ni l’autre de leurs projets régionaux respectifs n’est bloqué par aucun de leurs partenaires. C’est là que réside le problème, car l’Ouganda a récemment abandonné la route d’exportation de son pétrole précédemment convenue vers le port de Lamu au Kenya en faveur de la réorientation de ses ressources vers Tanga. Cela a généré une mauvaise volonté envers l’Ouganda et la Tanzanie à l’intérieur du Kenya, mais telle que la situation se présente actuellement, cela n’a pas suffi à nuire de façon spectaculaire à la coopération pragmatique entre ces pays. Cependant, le risque existe que de telles perturbations des plans d’infrastructure du Kenya ─ surtout si l’Ouganda continue de retarder la construction de sa partie du chemin de fer de la voie standard ou avec le Soudan du Sud, mettant en avant les projets ougandais et laissant tomber le LAPSSET en faveur de Tanga ─ créent l’étincelle pour un dilemme de sécurité entre Nairobi et Dodoma qui menacerait par inadvertance les espoirs d’intégration de la CAE dans son ensemble. L’effet tangible d’une rivalité exacerbée entre eux pourrait influer sur les plans de l’organisation régionale pour se fédérer à une date encore indéterminée, plans qui pourraient être indéfiniment mis en attente, minant ainsi toute la compétitivité relative de l’Afrique de l’Est dans un monde de plus en plus mondialisé.
Le secret de l’inclusion de l’identité
Le facteur domestique le plus remarquable qui distingue la Tanzanie de la quasi-totalité de ses pairs africains est qu’elle n’a jamais subi une période de conflit identitaire. Certes, il y a eu parfois des troubles à Zanzibar et ceux-ci seront certainement abordés à la fin de la recherche, mais dans l’ensemble, cela fait peu par rapport à tout ce qui a historiquement eu lieu sur le continent. Lorsqu’on regarde la Tanzanie continentale, où réside la grande majorité de la population, elle est indubitablement paisible et intacte de violentes discordes civiles. En général, cela s’explique par le fait que l’appartenance ethnique n’est pas politisée en Tanzanie et que les citoyens du pays ont appris à résister profondément à la démagogie en s’appuyant sur la rhétorique identitaire. En outre, un facteur qui ne doit jamais être oublié est qu’aucun groupe ethnique n’est proche de dominer les affaires du pays, le plus important ─ les Sukuma ─ constituant un maigre 16% de la population, alors que le total composite de ce groupe et de ses six plus grands homologues ne représentent qu’environ 33% du pays. Cette réalité rend extrêmement difficile la mise en place d’un arrangement « durable » dans lequel la politique identitaire devient le moteur clé des affaires intérieures du pays. La Tanzanie s’effondrerait simplement dans un assortiment défaillant d’États quasi-indépendants identifiés par leur côté tribal et cesserait de fonctionner comme une unité politico-territoriale viable.
La particularité de la façon dont la Tanzanie a pu éviter les conflits civils au cours des décennies qui ont suivi son indépendance est quelque chose de suffisamment exceptionnel pour consacrer davantage de temps et de ressources à son étude et, par conséquent, cette partie de la recherche va montrer au lecteur tous les éléments intéressants découverts par les experts sur ce sujet. Si l’on se souvient de la « loi de la guerre hybride », elle est basée sur un conflit identitaire fabriqué provoquant une vulnérabilité accrue pour tous les pays y participant le long de la Nouvelle Route de la Soie. Par conséquent, tout ce qui peut aider à défendre un pays de cette turbulence asymétrique est d’une valeur stratégique inégalée pour les décideurs partout dans le monde. L’expérience tanzanienne est donc un exemple inestimable pour expliquer comment un pays très diversifié a étonnamment réussi à éviter les affres du conflit identitaire pendant des décennies. Bien sûr, il faut aussi préciser que cela ne signifie pas que ce pays sera indéfiniment immunisé contre ce virus. Les « ONG » (ou plus exactement les ONG organisées par le gouvernement ou les GONGO) pourraient s’engager dans une « prospection identitaire » sous le prétexte d’être des travailleurs impliqués dans des projets d’aide humanitaire. La Tanzanie est encore un pays relativement pauvre et dépendant excessivement de telles activités, de sorte que la couverture plausible est déjà établie pour les organisations « humanitaires » et « démocratiques » influencées par le renseignement pour infiltrer l’État et diffuser des idéologies amenant des divisions centrées sur l’identité.
Pour poursuivre sur ce sujet très instructif, l’auteur résumera les travaux de chercheurs éminents dans ce domaine, compartimentant chaque catégorie supplémentaire dans un aperçu de leurs publications les plus pertinentes. Après avoir examiné ces documents, un résumé composite sera ensuite présenté qui pose les bases théoriques pour reproduire en partie le succès de la Tanzanie dans la réalisation de l’harmonie identitaire.
Les racines de la paix ethnique
Michael Lofchie, professeur de science politique à l’UCLA, a écrit un article de recherche sur Les racines de la paix ethnique en Tanzanie. Il décrit méthodiquement la nature transversale de l’establishment tanzanien, qui a évolué dès le début pour devenir une collection cosmopolite de nombreux groupes identitaires distincts, où aucun d’eux ne place son identité au-dessus de son devoir patriotique. Il l’attribue à deux catégories complémentaires de facteurs prédisposés et de politiques proactives. Tout d’abord, il parle en profondeur de l’importance de la langue swahili, que Lofchie identifie comme un aspect unificateur important de la société tanzanienne. Il est important de noter que le swahili n’est pas une langue maternelle de l’un des groupes ethniques du pays, mais qu’il est plutôt formé comme une langue composée du vocabulaire africain local et des emprunts arabes pendant l’apogée de la traite négrière. Il pense également que les effets coloniaux tels que le régime indirect allemand (qui a essentiellement broyé les dirigeants traditionnels et leurs structures) et la tutelle internationale dirigée par le Royaume-Uni (qui empêchait les Britanniques de manipuler excessivement les structures sociales) ont joué un rôle démesuré dans l’élaboration d’une identité nationale inclusive.
En ce qui concerne la géographie, il reconnaît que la majeure partie de la population est située autour des régions périphériques, laissant ainsi un intérieur relativement vide. La vaste richesse agricole de la Tanzanie et son territoire peu peuplé signifient qu’il y a « assez de place pour bouger pour tout le monde » et que la distance entre les groupes ethniques rend moins probable l’éclatement des hostilités historiques sur les ressources. Lofchie attire l’attention sur Dar es-Salaam et souligne comment elle a vraiment évolué vers une ville multiethnique et diverse. C’est particulièrement important, car cela signifie qu’aucun groupe « natif » dominant n’a pu prendre le pouvoir dans l’ancienne capitale et exercer de façon disproportionnée le pouvoir aux dépens des autres (comme cela s’est souvent produit dans de nombreux autres pays africains après l’indépendance). Cela a aussi grandement contribué au succès de Nyerere et de l’Union nationale africaine tanzanienne (TANU, prédécesseur du CCM), qui ont pratiqué l’inclusivité révolutionnaire dans leur lutte pour l’indépendance, au lieu de l’ethnocentrisme qui a caractérisé régulièrement l’histoire nationale des autres pays africains. En conséquence, Lofchie identifie une forme de pluralisme culturel vigoureusement renforcé par les principes socialistes d’Ujamaa. Il a contribué à la variabilité de l’identité ethnique, qu’il définit comme étant un échange entre nationalismes (tribaux), religieux, politiques et civiques qui pourraient fluctuer fréquemment selon les circonstances, bien que cette dernière demeure toujours prédominante.
S’appuyant sur la deuxième classification sur les politiques proactives que le gouvernement a mises en œuvre dans la promotion de la paix ethnique, l’expert reparle du swahili, mais cette fois en discutant du raisonnement derrière la décision des autorités d’en faire la langue officielle. Il dit que c’était un jalon très important parce que c’était un « égaliseur » entre toutes les identités disparates de la Tanzanie, mais qui était totalement apolitique et pas associé à un groupe donné plus qu’au reste. La prochaine politique que Lofchie loue est l’éducation. Il remarque comment le gouvernement a fermé les écoles privées et a fait un effort délibéré pour mélanger les différents groupes sociaux et ethniques ensemble. Il souligne en outre comment les enseignants mettaient l’accent sur la fierté nationale et la loyauté envers le parti tout en rappelant aux étudiants que l’unité et la coopération étaient les clés du mouvement national. Cela a eu pour effet de renforcer une identité patriotique singulière. L’autre politique importante que le professeur explique est le Service national, qui était une période obligatoire de formation militaire de cinq mois avant que toute personne intéressée puisse entrer dans la fonction publique. Il dit que les participants ont pris part à des activités aussi laborieuses que le défrichage, la réparation des routes et la construction d’écoles, ce qui a contribué à l’achèvement d’un sentiment d’union entre les recrues. Cette liaison a joué un rôle déterminant dans la promotion d’un cadre civil patriotique qui a traversé la multitude de lignes d’identité de la Tanzanie.
Poursuivant ses recherches, Lofchie développe les politiques électorales qui ont été bénéfiques pour atteindre l’objectif de l’unité nationale. Il raconte comment le parti a été plus important que les candidats individuels, et que chaque politicien éventuel a dû passer par un processus d’examen minutieux pour se conformer à des règles strictes de procédure. Il écrit que certaines de ces exigences ont été appliquées afin de « se prémunir contre des individus dont la prétention majeure à la prééminence était la popularité ethnique locale, afin qu’ils ne puissent atteindre des mandats nationaux ou même rester sur place ». A côté de cela, le retrait des chefs traditionnels a également fait beaucoup sur le long chemin du démantèlement de l’identité ethnocentrée. La Tanzanie respecte généralement la liberté d’expression, écrit Lofchie, mais elle interdit toujours aux partis politiques d’inciter au séparatisme identitaire et à la division selon des lignes religieuses, ethniques et/ou régionalistes. Parlant d’une autre politique gouvernementale qu’il juge très importante, le chercheur fait allusion à ce qu’il appelle le « rôle symbolique du leadership ». Il le décrit comme un système dans lequel le décideur individuel est important, mais toujours soumis au parti. Cela empêche une personne d’escalader les rangs trop vite et de gagner en popularité hors de tout contrôle, bien que Lofchie fasse bien sûr une exception pour Nyerere, l’homme qui a fondé ce système.
Aussi prudente que puisse être la politique du gouvernement et aussi avantageuse que la situation préexistante de la Tanzanie ait pu être pour l’unité nationale, Lofchie continue d’avertir qu’il existe plusieurs facteurs contraires dont les décideurs doivent être conscients. Il reconnaît que les progrès des cinq dernières décennies ont été modifiés ou, dans certains cas, inversés par la libéralisation de l’après-guerre froide que le pays a traversée, bien qu’il reste assez confiant que l’harmonie de l’identité prévaudra en raison du fait que chaque Tanzanien apprécie combien un travail consciencieux et appliqué est précieux pour le maintien de la stabilité nationale. Néanmoins, la hausse de l’identité islamique représente un risque très évident pour la Tanzanie, dit-il, et le fossé entre les musulmans et les chrétiens pourrait même devenir plus prononcé à l’avenir (de fait ou perçu). Les différences entre Zanzibar et le Tanganyika sur le continent pourraient également émerger comme un problème à l’avenir, et cela sera évidemment développé dans la dernière section de la recherche concernant le scénario de guerre hybride le plus probable susceptible d’affecter le pays.
Face à ces défis évidents, cependant, Lofchie prend soin de rappeler au lecteur que la communauté musulmane de la Tanzanie est géographiquement dispersée et recoupe de nombreuses classes, races et même sectes confessionnelles (sunnites et chiites). Il note également que les musulmans sont représentés équitablement au sein du Comité exécutif national et de l’Assemblée nationale, les deux plus puissantes institutions de décision du pays, ainsi que la façon dont deux présidents (Ali Hassan Mwinyi et Jakaya Kikwete) partageaient la foi islamique. Même si le principal parti d’opposition du pays, le CUF, est assez populaire à Zanzibar, le professeur dit que les continentaux, beaucoup plus nombreux, ne partagent pas l’enthousiasme de leurs homologues insulaires pour ce groupe, bien que cela puisse éventuellement émerger comme source d’intensification de discorde à l’avenir si le territoire semi-autonome de l’île était visé par une révolution de couleur (analyse de Korybko). En conclusion de ses recherches approfondies, Lofchie remarque que le CCM, qui gouverne, a été capable de se réinventer dans la période post-Guerre froide et de continuer à gagner toutes les élections nationales en dépit de l’effondrement économique qui a eu lieu dans les années 1970 et 1980 sous son contrôle. Il croit que c’est dû au besoin de familiarité et de continuité de la population, qui respecte la vision de Nyerere, et que le gouvernement dirigé par le CCM est visiblement beaucoup plus efficace pour prévenir la discorde identitaire que ses homologues kényans, ougandais, rwandais et congolais.
Un îlot de stabilité en Afrique subsaharienne
Le prochain expert dont le travail sera discuté est Alicia Erickson. Elle a écrit La paix en Tanzanie : un îlot de stabilité en Afrique subsaharienne. Une grande partie de son analyse fait écho à celle de Lofchie, sauf qu’elle introduit quelques éléments nouveaux et intéressants sur le sujet. Tout comme Lofchie, elle croit que Nyerere et le CCM ont joué un rôle essentiel dans la préservation de la paix ethnique en Tanzanie, en soulignant spécifiquement la formalisation du Kiswahili comme langue nationale. Elle ajoute également que l’interdiction par le gouvernement des termes ethniques a joué un rôle influent dans l’établissement d’une identité nationale unitaire. Une des choses les plus décisives que Nyerere a faites, cependant, a été d’annoncer les principes d’Ujamaa avec la Déclaration d’Arusha de 1967. Cela a établi une vision nationale claire et a posé le cadre idéologique pour les politiques à venir des autorités. Erickson montre le fort contraste avec le « tribalisme » au Kenya, qui n’a pas subi les expériences de collectivisation et de communalisme. Bien que ces politiques soient bénéfiques pour la stabilité sociale et politique, l’expert conclut qu’elles ont été horribles pour l’économie.
En ce qui concerne les autres États d’Afrique de l’Est, Erickson dit que la Tanzanie ne ressemble pas à ce que beaucoup de gens pourraient en penser au départ. Elle dit que la diversité identitaire répandue en terme d’ethnicité, de religion et de localisations régionales est trompeuse et masque les nombreuses différences du pays avec ses voisins. En fait, la seule ressemblance avec ceux-ci concerne sa diversité éclectique. Elle soutient de manière intéressante que c’était une force unique pour la Tanzanie dans l’ère d’avant l’indépendance. Elle explique de façon convaincante que cela a forcé le TANU à être diversifié et inclusif, ce qui a favorisé un assortiment d’élites cosmopolites dès le départ. Pour maintenir ce profil d’identité, elle écrit que la Tanzanie a utilisé la « socialisation politique », qu’elle définit comme « la focalisation sur la façon dont les dirigeants utilisent les médias et les systèmes éducatifs pour modeler les opinions des citoyens avec certains idéaux politiques ». Dans la culture populaire, cette notion est familière et connue sous le nom d’« ingénierie sociale ». En terminant sa recherche, Erickson partage ses principales conclusions en écrivant que l’unité est mieux réalisée grâce à un leader commun avec une vision commune. Elle félicite Nyerere d’avoir démissionné de façon responsable en 1985 pour démontrer « son dévouement à la cause de la paix et de l’égalité, faisant fi de la préservation de son propre pouvoir personnel ».
La leçon à tirer est qu’un leader commun ayant une vision commune devrait faire croire à la viabilité et à l’attractivité de son modèle, et ensuite léguer un appareil institutionnel fonctionnel semblable à celui d’un héritage qui assure ainsi l’endurance et la durabilité du modèle supportant cette vision du leader (analyse de Korybko).
L’importance des institutions
Rebecca Tong, chercheuse de premier cycle à l’Université Wesleyan de l’Illinois, a publié un article de recherche sur le thème Expliquer la paix ethnique: l’importance des institutions. Elle compare deux paires de pays voisins ─ le Ghana et la Côte d’Ivoire, le Kenya et la Tanzanie ─ pour explorer pourquoi l’un d’eux est très pacifique tandis que l’autre a des antécédents de violence, théorisant que la principale différence entre ces États semblables est la nature de leurs institutions. Comme le lecteur l’a déjà remarqué, c’est une activité populaire parmi les chercheurs tanzaniens de comparer leur pays principalement avec le Kenya, en grande partie grâce à la langue swahili partagée, aux longues périodes de paix et aux niveaux similaires de diversité démographique dans ces deux États.
La majeure partie de son travail traite de l’analyse des trois principales théories du conflit identitaire. La première est le primordialisme, qui dit essentiellement que le conflit ethnique est si profondément ancré chez les gens qu’il est immuable et presque instinctif, suggérant que les conflits historiques ressurgiront toujours après un certain temps et l’activation de déclencheurs circonstanciels appropriés. La deuxième théorie est l’instrumentalisme qui enseigne que l’identité est consciemment et rationnellement appliquée par l’individu et les collectifs pour obtenir de meilleurs avantages, ce qui signifie qu’elle pourrait être soit pragmatique soit une source de concurrence. Enfin, la théorie finale que Tong introduit devant le lecteur est le constructivisme, qui est « essentiellement un pont entre le primordialisme et l’instrumentalisme » et « pose que l’ethnicité est une identification sociale, et non individuelle ». En pratique, cela signifie que l’identité est fluide et peut changer, consciemment ou inconsciemment, et pourrait être influencée par d’autres facteurs volontaires ou appliqués par inadvertance. Elle relie également l’identité aux structures et aux institutions.
Cette dernière partie est importante car elle constitue la base de la recherche de Tong. Elle émet l’hypothèse que « les institutions absorbent les conflits, soit en créant des mécanismes pacifiques, soit en empêchant les abus dans les systèmes politiques ». À ce propos, elle décrit comment certains musulmans perçoivent que l’élite est disproportionnellement chrétienne; une représentation plus musulmane ou une focalisation plus explicite sur leurs intérêts minerait l’unité nationale et créerait un groupe de pression ne répondant qu’à son ordre du jour. En cherchant à évaluer comment les Tanzaniens se sentent au sujet de leurs institutions, qui, selon elle, sont le baromètre le plus fort de la paix ethnique dans le pays, Tong a utilisé des données d’autres sources et les a intégrées dans sa méthodologie. Elle a découvert que la Tanzanie, comme elle en a émis l’hypothèse, a un taux élevé de confiance sociétale dans les institutions et que les citoyens ont également beaucoup de confiance dans les autres groupes ethniques distincts. Par conséquent, elle conclut que l’élite tanzanienne ne manipule pas les facteurs politiques et ethniques, contribuant ainsi durablement à la stabilité du pays.
Ethnicité dépolitisée en Tanzanie
La dernier élément littéraire faisant autorité qui sera examiné est celui de Mrisho Malipula, Ethnicité dépolitisée en Tanzanie : un récit structurel et historique. Le chercheur tanzanien écrit que son pays a une appartenance ethnique uniquement liée à un caractère social et culturel et qu’elle n’a pas de signification politique en raison du projet national de construction soutenu par la Tanzanie et entrepris depuis l’indépendance. Cela a été influencé par les facteurs pré-coloniaux et coloniaux, et cela a conduit au développement d’une culture politique unique. Malipula attribue cela à la structure ethnique, en disant que si un pays a quelques grands groupes ethniques, alors il sera plus ethniquement polarisé parce qu’il y a une possibilité que ces blocs soient assez grands pour gagner des élections; inversement, dans les pays où les groupements ethniques sont très divers, les hommes politiques doivent atteindre des groupes ethniques innombrables et sont donc moins susceptibles de s’engager dans la polarisation ethnique. Tout cela est en fin de compte attribuable à ce qu’il appelle une coalition minimale gagnante, qui est le minimum de voix dont une coalition ethnique aurait besoin pour gagner une élection.
Malipula analyse la proportion de chacun des 120 groupes ethniques de Tanzanie dans le pays et conclut solidement qu’il est presque impossible pour une coalition minimum gagnante d’être atteinte. Il prouve que les deux groupes ethniques les plus importants réunis ─ les Sukuma et les Nyamwezi ─ ne représentent que 25% de la population, et si les cinq plus grandes ethnies suivantes sont ajoutées au total, alors cette coalition proposée ne constituerait que 33% des citoyens du pays, et cela suppose que chacun d’entre eux vote pour ce bloc. Le nombre de questionnements ethniques qui seraient nécessaires pour franchir le seuil des 50% est énorme puisque aucune des 118 autres ethnies du pays ne représente plus de 4% de la population totale. En outre, Malipula rappelle au lecteur que la politique de l’État et la tradition culturelle y seraient totalement opposées, de toute façon, rendant ainsi cette manipulation encore plus impossible. Le Kenya, cependant, est très différent à cet égard et a une histoire prouvant que des tribus encore plus petites pouvaient rassembler des coalitions ethniques et créer des « super tribus », en utilisant ce que Tong appelle l’instrumentalisme. En raison de la réalité démographique de la Tanzanie, cependant, Malipula écrit avec force que le potentiel de politisation de l’ethnicité est plus imaginaire que réel.
La partie suivante de l’article du chercheur consiste en une explication sur la façon dont quatre périodes distinctes de l’histoire tanzanienne sont les plus pertinentes dans la construction d’une identité unifiée et harmonieuse. Il commence par commenter l’ère pré-coloniale et note que le continent avait des groupes ethniques non centralisés, tout en remarquant que c’était le contraire du système esclavagiste omanais de Zanzibar. Il précise que ses recherches traitent spécifiquement de la majorité continentale du pays, à moins d’indication contraire, car il reconnaît que la situation dans l’archipel semi-autonome est radicalement différente de ce qu’elle est à terre. Malipula aborde la période coloniale et décrit comment les Allemands ont adopté un système d’administration directe qui a affaibli les structures politiques et économiques des sociétés tanzaniennes pré-coloniales. Le système de contrôle indirect de Zanzibar, parrainé par le Royaume-Uni, a toutefois retenu et renforcé le système omanais existant et ses élites respectives. Après 1920, la Tanzanie continentale (à l’époque dénommée le Tanganyika) est entrée sous le contrôle indirect du Royaume-Uni après la fin de la Première Guerre mondiale. Cela a bouleversé les structures traditionnelles qui existaient encore dans le pays, mais les Britanniques n’ont pas accordé trop d’attention à leur nouvelle colonie et l’ont en grande partie négligée, en la considérant comme un bras mort de l’Empire en raison de son manque de signification économique pour la couronne.
Malipula décrit la période suivante comme étant définie par le mouvement nationaliste et le projet de construction de la nation socialiste. Il affirme que le TANU et son alliée, l’Association africaine du Tanganyika (TAA) ont favorisé une culture politique d’unité et d’inclusivité, et que Nyerere était très explicite sur son opposition aux politiques tribales, régionales et raciales. L’expert aborde la déclaration d’Arusha de 1967 qui définissait les principes d’Ujamaa et les interprétait comme la voie socialiste vers « l’égalité fondamentale ». Comme ses collègues universitaires, Malipula félicite également le gouvernement pour avoir fait du swahili la langue nationale. Il salue la décision des autorités de minimiser les associations ethniques dans la vie publique et d’accentuer l’identité nationale tanzanienne. Comme Lofchie, Malipula interprète la politique de formation militaire obligatoire et de villagisation comme étant bénéfique pour l’unité du pays.
Au sujet de la période de réforme libérale de l’après-Guerre froide dans les années 1990 jusqu’à nos jours, le chercheur remarque comment les changements économiques et politiques ont détruit la centralisation antérieure qui dominait la scène domestique tanzanienne. Il raconte comment il y a eu une brève période d’inquiétude à ce sujet du début de l’ère multipartite, avec beaucoup de gens craignant que cela ne mène à des divisions violentes dans le pays. Heureusement, cependant, le CCM a remporté l’élection et conservé la cohérence politique. Malipula attribue leur victoire à leurs avantages institutionnels (par exemple, une infrastructure de discussion nationale bien établie), à un soutien public légitime et à leur réussite à se réinventer. De plus, le CCM « a stigmatisé comme tribalistes les partis d’opposition ayant des bases locales apparemment fortes » et le « CUF, fort à Pemba où plus de 98% de ses habitants sont musulmans, a été accusé d’être un instrument pour les intérêts musulmans ». L’autre tactique employée par le CCM a été de comparer la Tanzanie stable à ses voisins en plein chaos, dans une savante démonstration de « socialisation politique » qui soulignait à quel point le parti était efficace dans la transition du pays à la fin de la Guerre froide (analyse de Korybko).
La dernière partie de la recherche de Malipula se termine par la prise de conscience que les facteurs structurels et historiques se complètent dans la dépolitisation de l’ethnicité en Tanzanie. Ils servent à maintenir les structures ethniques poreuses et hétérogènes des périodes pré-coloniales et coloniales. Il est presque impossible pour n’importe quel politicien de jouer la carte ethnique en Tanzanie en raison des statistiques démographiques qui plaident contre la formation d’une coalition minimale gagnante construite selon ces lignes. Le pays a ainsi construit une société unifiée au sein d’une structure décentralisée marquée par des institutions transversales et des associations qui transcendent les frontières identitaires. Rien de tout cela n’aurait été possible sans la politique économique nationale et la centralisation politique d’Ujamaa pendant la guerre froide.
Le modèle de l’identité tanzanienne
Les quatre publications d’experts qui ont été examinées ci-dessus contiennent beaucoup d’informations précieuses sur les secrets de l’harmonie identitaire de la Tanzanie, et en outre, ils ont aussi quelques points communs entre eux. Cela indique que les experts comprennent généralement la situation d’une manière similaire, ce qui donne à penser que certaines des politiques de la Tanzanie qui ont contribué positivement à sa célèbre stabilité domestique pourraient être modelées et aussi appliquées par d’autres États. Il est évident que la plupart des pays du monde ne partagent pas les facteurs nationaux prédisposés en Tanzanie, néanmoins certains d’entre eux pourraient avoir quelques similitudes dans ces pays tout de même et ainsi rendre encore plus applicable l’expérimentation des politiques de Dodoma. Quoi qu’il en soit, les leçons que la Tanzanie a pu tirer de la formation d’une identité nationale unifiée et d’un patriotisme composite sont d’une importance extraordinaire pour tout pays en danger de guerre hybride, c’est pourquoi les principes les plus importants doivent être élucidés d’urgence.
Ce qui ressort le plus de l’expérience en Tanzanie, c’est qu’elle a été menée pendant de nombreuses années par un chef unique avec une vision forte. Il a construit une bureaucratie transversale fonctionnelle et un « État profond » (l’armée permanente, les services d’intelligence et les bureaucraties diplomatiques) qui est resté comme son héritage institutionnel après son retrait. Cela a permis à sa vision de continuer à fonctionner après lui. En outre, le leader reconnu du pays a définitivement exprimé son idéologie en des termes clairs, ce qui a donné aux gens des objectifs concrets et des valeurs pour travailler dans ce cadre. Les médias et les hommes politiques ont réaffirmé régulièrement les principes de l’unité nationale, tandis que sa manifestation physique a été vécue par le travail acharné et les souffrances collectives. Les idéaux célèbres de la Tanzanie d’unité nationale et l’inclusivité identitaire ont survécu à l’ère post-Guerre froide en raison, principalement, de la socialisation politique permanente et incessante qui continue dans le pays, qui sert à incuber le patriotisme et ostracise la rhétorique menant à la division. Dans l’ensemble, il est possible pour n’importe quel État de suivre le cadre conceptuel tanzanien et de mettre en œuvre des politiques unifiant l’identité, bien que cela sera bien sûr plus facile dans certains États que dans d’autres en raison de leur situation historique et du modèle de gouvernance.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Hervé, vérifié par Julie, relu par xxx pour le Saker Francophone
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