Le 19 mai 2016 – Moon of Alabama
Les récents échanges entre le ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, et le secrétaire d’État, Kerry, ont fait avancer les choses. Les États-Unis ne voulaient pas, jusqu’à présent, accepter un véritable cessez-le-feu en Syrie. Ils préféraient l’accord moins contraignant de cessation des hostilités. Cela a changé. Les États-Unis ont, pour la première fois, accepté d’aller vers un cessez-le-feu complet entre leurs forces par procuration en Syrie et le gouvernement syrien et ses alliés.
Mardi après l’entretien, Kerry a déclaré à la presse:
Nous pensons qu’aujourd’hui nous avons fait des progrès significatifs, et je vais vous dire précisément en quoi :
Tout d’abord, nous nous sommes engagés à transformer la cessation des hostilités en un cessez-le-feu global. Et nous nous sommes engagés à utiliser notre influence pour que les camps impliqués dans la cessation des hostilités, s’y conforment.
Deuxièmement, nous avons convenu que si un camp montrait des signes persistants de refus de s’y plier, les forces d’intervention pourraient en référer aux ministres du Groupe de soutien international à la Syrie (ISSG), ou aux personnes désignées par ces ministres, pour prendre les mesures nécessaires qui pourraient aller jusqu’à l’exclusion de ces groupes des accords de cessation des hostilités. En langage clair, cela signifie que s’ils persévèrent dans leur double-jeu en continuant de vouloir faire partie du groupe qui a accepté la cessation des hostilités sans la respecter, ils pourraient en être exclus immédiatement.
Ces derniers mots sont principalement dirigées contre Ahrar al Sham qui n’a jamais signé l’accord de cessation, mais a prétendu en faire partie, tout en continuant ses attaques contre les forces du gouvernement et les civils syriens. Kerry s’est rallié au point de vue russe qui considère qu’Ahrar se conduit comme un groupe terroriste et qu’il doit être éradiqué.
Quatrièmement, nous appelons tous les partis à cesser les hostilités et à se dissocier physiquement et politiquement de Daesh et d’al-Nusrah et d’appuyer les efforts renouvelés des États-Unis et de la Russie pour développer une compréhension commune de la menace posée et de la surface du territoire contrôlé par Daesh et al-Nusrah, et pour mettre au point des méthodes permettant d’en finir avec les groupes terroristes.
Kerry s’était déjà rallié à cette position sur al-Qaïda et État islamique dans des négociations antérieures, mais, par la suite, il était revenu en arrière sous prétexte que s’interposer entre al-Qaïda et les rebelles modérés rendait la lutte contre Al-Qaïda presque impossible. Il a renoncé à cet argument douteux. Les États-Unis sont maintenant d’accord pour que la Russie et le gouvernement syrien combattent al-Qaïda et pour considérer que, si d’autres groupes se trouvent assez près pour recevoir des coups, ils ne pourront s’en prendre qu’a eux-mêmes.
Soit dit en passant, le rapport du New York Times sur les négociations et sur la conférence de presse, par le manipulateur en chef David Sanger est à mille lieues de ce qui a été vraiment dit.
La cessation de la violence est assez bien respectée depuis fin février. Le sud est globalement calme et, ailleurs, il n’y a que quelques points chauds où il y a encore des combats sporadiques. Plus de 100 villages et leurs forces locales ont signé des accords de cessez-le-feu avec le gouvernement, grâce à la médiation russe.
Il y a aussi, depuis peu, un niveau plus profond de coopération russo-américaine sur la Syrie et sur la lutte contre al-Qaïda et État islamique. Ils se sont mis d’accord sur un plan d’action commune pour attaquer et éliminer les deux groupes. Dans le cadre de ce plan, les forces irakiennes sous contrôle américain ont attaqué et occupé Rutba dans l’ouest de l’Irak. Rutba, qui fait partie de la province d’Anbar, contrôle une grande partie de la terre et du désert du triangle formé par les frontières irakienne, jordanienne et syrienne. Ce mouvement des troupes irakiennes coupe la route du sud qui reliait État islamique en Irak et en Syrie. La partie syro-russe de ce mouvement sera la libération de Deir Ezzor, au sud-est de la Syrie dans les prochains mois. L’attaque de Raqqa occupé par État islamique viendra plus tard, quand une grande concentration de forces deviendra possible.
Il y a quelques autres poudrières en Syrie. Dans l’est du Ghouta, à l’est de Damas, les Salafistes de Jaish al-Islam parrainés par l’Arabie saoudite se battent contre des groupes autrefois approvisionnés par la CIA et maintenant associés à Al-Qaïda/Jabhat al Nusra pour le contrôle de la zone. Ces combats font déjà partie de la séparation d’avec al Nusra que les États-Unis ont acceptée. Mais le combat est sanglant avec au moins 500 morts des deux côtés au cours des dernières semaines. L’armée syrienne, qui est le troisième acteur de la lutte, tire son épingle du jeu et a pris aujourd’hui une partie importante du sud de la poche de Ghouta à l’est.
La partie rebelle de la ville d’Alep, contrôlée par al-Qaïda, est maintenant coupée de sa seule source d’approvisionnement. Des roquettes artisanales tirées par les rebelles frappent quotidiennement les civils des quartiers très peuplés tenus par le gouvernement. Éliminer al-Qaïda, maintenant assiégé dans l’est d’Alep, va nécessiter des combats très meurtriers et très destructeurs qui pourraient prendre des mois.
Au nord, des rebelles modérés soutenus par les Turcs essaient toujours d’avancer vers l’est le long de la frontière turco-syrienne pour couper l’accès de État islamique à cet endroit. Mais chaque fois qu’ils annoncent avoir repris tel ou tel endroit à EI, une contre-attaque suit, et EI reprend ses positions. Cette lutte entre des forces hostiles tourne aussi à l’avantage du gouvernement syrien.
Autour de Palmyre, État islamique a fait quelques attaques surprises sur le champ pétrolier de Shear et l’aéroport militaire de T-4 sur la route de Palmyre, vers l’ouest. EI a occasionné, selon des sources non officielles, des dommages importants au matériel syrien russe sur la base aérienne, mais aucune information sur l’incident n’a été diffusée. Les progrès que État islamique avait faits dans la région ont maintenant tous été renversés, grâce à une importante aide russe. On s’attend à une nouvelle avancée depuis Palmyre vers l’est de Deir Ezzor après une phase de consolidation.
Le Hezbollah a retiré toutes ses troupes de la région d’Alep, où elles ont été remplacées par les forces iraniennes. Il ne veut pas engager des forces supplémentaires uniquement pour déplacer des lignes de cessez-le-feu de quelques kilomètres en arrière ou en avant. Il poursuit son engagement autour de Damas et dans la région frontalière du Liban avec, comme cibles principales, EI et al-Qaïda.
La Russie, l’Iran, le Hezbollah et le gouvernement syrien sont tous conscients que les États-Unis font une interprétation élastique des accords, et ont tendance à tricher chaque fois qu’ils croient que c’est leur intérêt. Ils sont tout à fait prêts à répondre, par une nouvelle escalade, à tout écart des derniers accords par les forces américaines par procuration, ou à tout autre changement important de la situation sur le champ de bataille.
Traduction : Marie Staels
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