La Chine comble le fossé en sciences et technologies


Alors que les États-Unis augmentent leurs dépenses en guerres et autres changements de régime – et réduisent leur budget pour la science et pour l'infrastructure – la Chine fait des choix différents et comble rapidement son écart, en ce qui concerne l'innovation scientifique, explique John V. Walsh.

Par John V. Walsh – Le 9 mai 2016 – Source Consortiumnews

Le titre nous avertit : «L’ascension rapide d’une nation scientifique: le boum économique chinois reflète une ascension similaire en ce qui concerne  les sciences de haut niveau». Ce titre n’est pas imprimé dans le Quotidien du Peuple, mais dans la plus prestigieuse des publications scientifiques occidentales, la revue Nature.

Les 38 pages qui suivent ce titre dans un supplément spécial à la revue Nature, nous apprennent que la Chine est maintenant le deuxième pays au monde pour les publications scientifiques de haute qualité et avance rapidement. Cela contredit certainement les stéréotypes, oserais-je dire racistes, du Chinois travailleur mais sans imagination, de l’ouvrier asiatique abattant consciencieusement des montagnes de travail à faible valeur ajoutée.

Mais comment pouvons-nous nous assurer de la véracité de ces données sur la Chine ? Avons-nous affaire ici à la diffusion de données par le gouvernement chinois qui, toujours selon le stéréotype occidental, ne produit guère que des copies? [L’auteur n’a jamais trouvé que ce soit le cas, mais il est mieux d’utiliser des sources à l’abri des préjugés occidentaux.]

Avant d’examiner les arguments de Nature soutenant la haute qualité de la science chinoise, nous devrions nous demander quelle importance cela a pour le profane. Exactement celle-là : alors que les États-Unis continuent leur agressif pivot vers l’Asie, conçu par la secrétaire d’État Hillary Clinton, le président Barack Obama et l’élite de la politique étrangère, afin de se confronter à la Chine, nous nous devons de savoir dans quelle galère nos dirigeants nous embarquent.

Les deux piliers de la puissance d’un pays sont son économie et sa technologie. Depuis la fin de 2014, la Chine est devenue la plus grande économie au monde, selon le Fonds monétaire international, si on calcule en parité de pouvoir d’achat (PPA). Son taux de croissance est d’environ 7 %, ou seulement 7 %, comme les médias occidentaux s’empressent d’ajouter, alors même que toutes les nations occidentales rêvent d’un tel taux.

Maintenant, la Chine semble être sur le point de devenir le moteur mondial en matière de recherche et  développement (R & D). C’est un phénomène qui va stimuler encore plus l’économie chinoise, car la technologie et la science sont les forces motrices du développement économique moderne.

Nous ferions bien de nous rappeler la dernière fois que les États-Unis se sont confrontés militairement à la Chine, pendant la guerre de Corée. Quand les États-Unis, en utilisant les Nations Unies comme couverture, ont avancé jusqu’à la frontière chinoise, le fleuve Yalu, la Chine est entrée en guerre et les États-Unis se sont retirés au sud du 38e parallèle. Le résultat a été le rétablissement du statu quo ante bellum, avec une Corée divisée comme elle l’est encore à ce jour. A cette époque, la Chine était faible et arriérée; maintenant elle est forte et avancée.

L’histoire d’une domination

Dans un contexte historique plus large, qui remonte aux 500 dernières années, l’Occident a toujours entretenu un sale commerce d’invasion et de colonisation du reste de la planète. Ce processus se poursuit aujourd’hui sous la forme du néo-colonialisme et, plus récemment, par les guerres américaines, les opérations de changement de régime et autres sanctions économiques visant les nations qui  résistent.

Durant toute cette période de 500 ans, l’Occident a toujours joui d’une supériorité technologique, qui a été l’une des clés de sa domination sur le reste du monde. Certains diront même que la technologie fut LE moyen de soumettre le reste de la planète.

Nous pouvons imaginer les armures en acier de Tolède et les épées des conquistadores de 1492, comme étant les gigantesques porte-avions américains patrouillant en mer de Chine méridionale aujourd’hui. Mais le progrès de la science et de la technologie en Chine, signifie que ce ne restera pas longtemps le cas. En réalité, ce jour est pratiquement déjà là.

Donc, nous serions bien avisés de réaliser quel genre de problèmes nos élites sont en train de nous créer avec leur pivot vers l’Asie.

Examinons maintenant les preuves. Comment savons-nous assurément que la Chine a réussi de manière impressionnante dans le domaine de la science et de la technologie ? L’information provient d’Index Nature (NatureIndex.com), un produit de la revue Nature. Peut-être que relativement peu de gens connaissent la revue Nature, mais pratiquement tous les scientifiques la considèrent comme l’une des plus remarquables publications scientifiques, une réputation bien méritée.

Prenons comme seul exemple, le document original de Watson et Crick sur la structure en double hélice de l’ADN, ainsi que le rapport, de Maurice Wilkins et Rosalind Franklin, fournissant les données qui ont conduit à la structure Watson-Crick, qui ont tous les deux été édités dans Nature.

Nature est publiée par Elsevier, maison d’édition qui existe depuis un bon bout de temps. Elsevier, dont le siège était à l’époque aux Pays-Bas, a publié, clandestinement depuis l’Italie, le Dialogue concernant les deux systèmes du monde, de Galilée, pour échapper à la répression du Vatican alors que ce dernier était en résidence surveillée. Descartes a également été publié par Elsevier. La liste d’auteurs s’étend au travers des siècles.

Mesurer le progrès

Maintenant, cher lecteur, nous allons étudier au cours des brefs paragraphes suivants, comment NatureIndex quantifie le concept de qualité en science. Tout est énoncé en détail sur le site NatureIndex.com. NatureIndex est construit sur une base de données de tous les articles originaux publiés dans 68 revues scientifiques de qualité dans le monde, énumérées ici. La sélection de ces revues est faite par un groupe de chercheurs actifs importants, énumérés ici. Tous les journaux sélectionnés sont occidentaux, comme le sont aussi tous les scientifiques sélectionnés, à quelques exceptions près.

Environ 60 000 articles originaux par an sont publiés dans ces revues. À chaque auteur des 60 000 documents, est attribué un score basé sur le nombre de ces articles auxquels il ou elle a contribué. Ce nombre est appelé l’indice fractionnaire (IF). Pour des raisons techniques, l’IF doit être pondéré pour certaines disciplines, donnant lieu à un autre chiffre, l’indice fractionnaire pondéré (IFP) pour chaque chercheur.

Additionnez l’IFP de tous les scientifiques chinois figurant dans la liste des contributeurs à une année donnée et vous obtenez l’IFP pour la nation chinoise. La même chose peut être faite pour tout autre pays. C’est aussi simple que ça.

Fondamentalement, l’IFP est une mesure de qualité, parce que les revues choisies pour faire partie de l’indice, sont celles qui publient la meilleure science de l’époque. La publication d’un article par ces revues est une entreprise très compétitive, et chaque scientifique veut y publier ses meilleurs travaux.

L’IFP n’est pas un indice bureaucratique ou gouvernemental. Chaque article qui apparaît a été examiné et accepté, habituellement par au moins trois scientifiques qui agissent de manière totalement indépendante, et ne sachant même pas qui sont les collègues qui analysent le même manuscrit. Cela signifie que nous avons au moins 180 000 analyses indépendantes par an.

Et puis il y a les nombreux autres articles rejetés par ces scientifiques examinateurs. Cela signifie que l’IFP d’un pays étudié est déterminé par des centaines de milliers d’examens indépendants chaque année! Ils agissent tous indépendamment les uns des autres. Adam Smith adorerait un tel modèle.

L’auteur a été impliqué toute sa vie dans ces revues scientifiques, à la fois examinateur et examiné. Les commentaires sont généralement sans concessions, honnêtes et surtout équitables. Et en général, plus la publication est prestigieuse, plus l’examen est exigeant.

Plus l’IFP est élevé, plus l’est la qualité de la production scientifique du pays. Pour les 12 mois de 2015, les États-Unis avaient l’IFP de loin le plus élevé. Mais la deuxième place revenait à la Chine. (L’ordre du top 20 est : États-Unis, Chine, Allemagne, Royaume-Uni, Japon, France, Canada, Suisse, Corée du Sud, Italie, Espagne, Australie, Inde, Pays-Bas, Israël, Suède, Singapour, Taiwan, Russie, Belgique. )

Le magazine Nature a commencé à analyser les données chinoises en 2012 et a récemment (en décembre 2015) publié un supplément pour résumer l’indice IFP chinois pour la période 2012-2014. Les 38 pages de ce supplément sont très intéressantes. Elles contiennent des évaluations du niveau scientifique par région, par institution (cela comprend à la fois des universités et des sociétés) et par ville. La stupeur de ceux qui ont préparé ce supplément sur les progrès de la science chinoise est palpable à la lecture de celui ci.

Changez de rangs

Pour ceux intéressés par des comparaisons, comme nous devrions l’être si nous voulons connaître avec précision notre place dans le monde, le paragraphe suivant du Supplément Nature Index est frappant: «Mais ce qui distingue la Chine est son IFP. Pendant que la contribution de la Chine (au total mondial) a augmenté de 37% entre 2012 et 2014, les États-Unis ont connu une baisse de 4% pendant la même période.»

Ce paragraphe devrait être lu et relu par ceux qui prétendent que le développement de la Chine est simplement quantitatif ou même complètement bidonné.

En outre, la baisse de l’IFP des États-Unis est sans surprise pour les chercheurs aux États-Unis même, mes collègues, qui ont vu de nombreux laboratoires fermer et des chercheurs talentueux contraints de démissionner, car le financement fédéral a échoué à suivre le rythme des dépenses. Il est bien triste de regarder cette tragédie se dérouler, avec toutes les pertes que cela entraîne, de talent, de formation et d’éducation.

Pour revenir au Supplément Index Nature sur la Chine entre 2012-2014, voici des extraits de l’introduction, qui expliquent en grande partie l’ampleur et l’importance des progrès chinois:

«La Chine a des plans ambitieux pour que 15% de son approvisionnement énergétique le soit à partir de ressources renouvelables, d’ici 2020, alors même que son économie devrait ralentir [à 6,8 -7,0 % par an. Note de l’auteur]. Elle aspire également à devenir la prochaine superpuissance de l’espace, tout en faisant face à des défis majeurs dans le domaine de la santé et de l’environnement, comme celui de sa  population vieillissante et de la pénurie d’eau ». [La Chine a également fixé comme objectif l’élimination totale de la pauvreté et la création d’une «société modérément prospère» d’ici 2020. Note de l’auteur]

«Le gouvernement chinois sait que surmonter ces défis, tout en réalisant ses objectifs, ne peut être accompli que grâce à la science. En effet, la Chine rattache sa prospérité future à une économie fondée sur la connaissance, soutenue par la recherche et l’innovation. Pour un pays qui a inventé le papier, la poudre et la boussole, de telles ambitions pourraient être réalisables. Cette année (2015) le pharmacologue Tu Youyou est devenu le premier chercheur chinois à avoir reçu le prix Nobel de médecine, pour sa contribution à découvrir un nouveau médicament contre le paludisme, qui a sauvé des millions de vies.»

Cela devrait être assez pour convaincre le lecteur de l’étendue, de la rapidité et de la qualité de la science en Chine. Mais existe-t-il des données corroborant l’étude Index Nature? Oui, venant de notre propre Fondation nationale américaine des sciences (FNAS). La FNAS a publié une évaluation en R & D de la Chine en Janvier 2016, intitulée : «L’avancée de la science et de la technologie étasuniennes de plus en plus contestée par les progrès en Asie : la Chine est maintenant le deuxième plus grand compétiteur en recherche et développement.»

Cette évaluation est tirée de la revue Indicateurs en Sciences et Technologies 2016, qui est produite par le National Science Board (NSB), un organe de direction de la FNAS dont les 25 membres sont nommés par le Président. L’évaluation mérite d’être lue dans son intégralité, mais la ligne directrice est la suivante:

«Selon Indicateurs 2016, la Chine est maintenant le deuxième plus grand pays en R&D, et représente 20 % de la R&D mondiale, par rapport aux États-Unis qui en représentent 27 % ».

Cela signifie bien sûr que la Chine produit maintenant près de trois-quarts en R&D de ce que produisent les États-Unis, si l’on en croit les chiffres de la FNAS, et la production de la Chine se développe rapidement. Voici quelques autres citations de l’évaluation FNAS:

«Entre 2003 et 2013, la Chine a augmenté ses investissements en R&D à un rythme moyen de 19,5 % par an, dépassant largement celui des États-Unis. La Chine a procédé à ses investissements en dépit de la grande récession.» (Ce qui montre à l’auteur le profond engagement chinois en R&D.)

«La Chine a également fait des progrès considérables en éducation en S&E (Sciences et Engineering), élément essentiel pour soutenir la R&D, ainsi que pour les industries du savoir et à forte intensité technologique. La Chine est le premier producteur mondial de diplômés du premier cycle en sciences et en technologies. Ces champs représentent 49% des diplômes de tous les bacheliers accordés en Chine, comparativement à 33% des diplômes américains ».

« En 2012, les étudiants chinois raflaient environ 23% des 6 millions de diplômes universitaires du premier degré en S&E au monde, les étudiants de l’Union européenne en sciences environ 12% et ceux des États-Unis environ 9 pour cent ». [Notez que la Chine produit maintenant plus de diplômes de premier cycle en S&E que les États-Unis et l’Union européenne réunies. Note de l’auteur]

« Le nombre de diplômes d’études supérieures en S&E décernés en Chine est également en augmentation. Cependant, les États-Unis continuent d’attribuer le plus grand nombre de doctorats et restent la destination de choix pour les étudiants internationaux ». [Mais avec les énormes chiffres de premier cycle S&E diplômes délivrés en Chine, il semble que ce ne soit plus qu’une question de temps avant que les diplômes d’études supérieures ne suivent. Note de l’auteur]

Le retranchement américain

Maintenant, voyons voir ce que la FNAS a à dire sur le taux de croissance en R&D des États-Unis, quelque chose qu’elle sait probablement mieux que quiconque. Encore une fois, nous citons:

«L’investissement fédéral en R&D universitaire et privé a diminué ces dernières années, reflétant les effets de la fin des investissements dus à l’ARRA (American Recovery and Reinvestment Act), l’avènement de la Loi sur le Contrôle Budgétaire, et l’augmentation de la pression sur la partie discrétionnaire du budget fédéral.»

«Depuis la Grande Récession, une substantielle et réelle croissance en R&D – en avance sur le rythme du PIB des États-Unis – n’est pas revenue. La croissance, ajustée de l’inflation, des États-Unis en matière de R&D n’est que de 0,8 % par an sur la période 2008-13, derrière la moyenne de croissance annuelle à 1,2 % du PIB américain ».

«La diminution de l’investissement fédéral a un impact négatif sur la recherche dans les universités de notre pays», a déclaré Kelvin Droegemeier, vice-président pour la recherche à l’Université de l’Oklahoma. «Nos universités conduisent 51% des recherches fondamentales de la nation et forment la prochaine génération de scientifiques. Le soutien fédéral est essentiel pour développer les nouvelles connaissances et le capital humain qui permet aux États-Unis d’innover et d’être à l’avant-garde en sciences et technologies.»

Je tire de cette citation une phrase qui revêt une importance particulière pour expliquer la diminution du financement fédéral en R&D, à savoir «une pression accrue sur la partie discrétionnaire du budget fédéral». Les dépenses discrétionnaires excluent les avantages sociaux, principalement la Sécurité sociale et Medicare, qui sont dans la catégorie non discrétionnaire.

Dois-je dire aux lecteurs que la plus grande partie du budget discrétionnaire fédéral est réservée au Pentagone? Selon OMB, les militaires ont consommé 55% du budget discrétionnaire fédéral en 2015, alors que la science n’en a obtenu que 3% ! Les Affaires internationales en ont également reçu 3%. En d’autres termes, les États-Unis construisent – et utilisent – de grandes quantités d’armes de destruction, pendant que la Chine se construit son socle scientifique et technique.

J’ai souligné les faits et les preuves montrant le grand bond en avant de la Chine en science et technologie. À la lumière de ces résultats impressionnants dans le développement économique et dans la R&D, les États-Unis ne devraient-ils pas mettre fin à leur pivot belliqueux vers l’Asie et rechercher plutôt une relation pacifique et collaboratrice avec la Chine?

La réalité passée en revue ici suggère que la confrontation avec la Chine appartient au passé colonial et néocolonial, qui pour la Chine a pris fin de façon décisive en 1949. L’élite étasunienne doit reconnaître cette réalité ou frayer avec le désastre, pour l’Amérique et le monde.

John V. Walsh

Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone

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