Par Gordon hahn – Le 11 janvier 2025 – Source Russian and Eurasian Politics
Il est possible, sinon probable, que la défaite de l’Ukraine dans la guerre et ses effets résiduels (effondrement de l’armée, du front et même de l’État) puissent faciliter leur accession au pouvoir si, d’une manière ou d’une autre, une Ukraine antirusse et indépendante émergeait après la guerre. Les ultra-nationalistes ou néo-fascistes ukrainiens sont fortement antilibéraux, anti-républicains et anti-occidentaux. Il y a quelques années, Dmitro Yarosh, fondateur puis dirigeant ou « coordinateur » du groupe néo-fasciste ukrainien Secteur Droit (SD) et plus tard conseiller du Commandant des Forces armées ukrainiennes, le Général Valerii Zaluzhnyi, qui est maintenant l’ambassadeur de Kiev au Royaume-Uni, ont promis qu’il y aurait une « deuxième phase de la révolution nationaliste » dont la révolte de Maidan de février 2014 n’était que la première. La deuxième phase consisterait à balayer les restes libéraux et oligarchiques de l’ordre démocratique pré-Maïdan restant encore dans le régime de Maïdan. De nombreux autres ultra-nationalistes et néo-fascistes ukrainiens ont des opinions similaires, et ils attendent le moment d’initier la deuxième phase.
Les néo-fascistes ukrainiens tolèrent l’aide militaire et financière occidentale, et donc l’influence qui va avec, parce qu’ils n’ont pas d’autre choix, étant donné que c’est la guerre. S’ils arrivaient au pouvoir et en avaient l’opportunité, ils se détourneraient volontiers de l’Occident, de son aide et de ses influences antinationales et deviendraient une île forteresse se défendant à la fois contre les hordes occidentales et orientales (russes). Le ressentiment causé par les promesses non tenues et le fait d’avoir fait de l’Ukraine l’agneau sacrificiel de l’OTAN pour l’expansion de l’alliance alimenteraient facilement le ressentiment néofasciste et la haine envers l’Occident en cas de défaite finale de l’Ukraine dans cette guerre.
Dans le contexte de la ruine totale du pays que la guerre OTAN-Russie a provoquée et de l’éventualité que l’Ukraine soit forcée de capituler devant Moscou ou de signer un traité de paix qui confie à Moscou les quatre régions ukrainiennes que la Russie revendique comme siennes (Donetsk, Louhansk, Zaporojié, Kherson et Crimée), il est fort probable qu’un segment de la population ukrainienne, peut-être importante, se retournera probablement contre l’Occident. Cela pourrait se produire que la « révolution nationaliste soit terminée ou non » de manière manifeste, comme un coup d’État, alors que les ultra-nationalistes et les néo-fascistes espèrent accéder au pouvoir. Les Ukrainiens ont beaucoup de ressentiment à cause de l’abus par l’Occident de leur désir de rejoindre l’Occident, de son ingérence politique qui n’a pas atténué la corruption, d’avoir poussé à l’expansion de l’OTAN malgré l’opposition viscérale de la Russie en tant que grave menace à sa sécurité, d’avoir favorisé la révolution de couleur de février 2014 qui a divisé le pays et déclenché la guerre civile, d’avoir provoqué la guerre entre la Russie et l’Ukraine en abrogeant, en janvier 2022, l’engagement du président américain Joe Biden envers Poutine que les États-Unis ne déploierait jamais de missiles balistiques en Ukraine, d’avoir promis à l’Ukraine une assistance militaire « aussi longtemps qu’il le faudra » afin que Kiev abandonne l’imminent traité de paix d’Istanbul avec Moscou en mars-avril 2022, d’avoir diminué l’assistance à Kiev alors que les forces russes prenaient le dessus dans la guerre, fin 2023, pour des raisons de politique intérieure américaine, et, plus récemment, d’avoir fait pression pour étendre la mobilisation brutalement coercitive de l’Ukraine à la tranche d’âge des 18-25 ans, ce qui entraînera un effondrement démographique quasi catastrophique pour une population déjà épuisée à cause des morts à la guerre et de l’émigration.1
Les racines d’un grand ressentiment ukrainien à l’égard du soutien limité de l’Occident résident dans l’écart entre les paroles et les actes et les motivations égoïstes bien visibles qui ont motivé les actions occidentales en Ukraine, conçues pour apporter des avantages à l’Occident achetés au prix des finances et du sang ukrainiens. Les politiciens occidentaux ont souvent déclaré que c’était une « bonne affaire » que les Ukrainiens meurent en combattant les Russes afin que les Occidentaux n’aient pas à le faire. Pourtant, de quel genre de « leadership occidental » peut-on parler lorsque les politiciens occidentaux répètent à l’infini que Poutine veut s’emparer de toute l’Europe ou au moins rétablir les empires soviétique ou russe après s’être emparé de l’Ukraine. Les Ukrainiens doivent voir cela comme une hypocrisie à deux visages ; si la menace est si grave, les forces de l’OTAN devraient immédiatement être envoyées en Ukraine. Bien sûr, presque tout le monde comprend que de telles affirmations sur les intentions de Poutine sont une rhétorique absurde, mais ceux qui qui y ont cru doivent en vouloir à l’hypocrisie et aux abus cyniques envers l’Ukraine qu’elles ont provoqués. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que, par exemple, l’ancien ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmitro Kuleba ait récemment exprimé son “choc” face au refus de l’Occident d’envoyer des troupes alors que les fronts de bataille de l’Ukraine s’effondrent, notant: “ « Les gens en Europe peuvent être énervés contre moi, mais je continue à le dire, et je continuerai à le dire, que la vérité est qu’aujourd’hui la Russie a un ami prêt à envoyer ses soldats mourir pour la guerre de la Russie » [il parle de la Corée du nord, NdT], a-t-il déclaré, « alors que les amis de l’Ukraine ne lui envoie même pas les armes dont elle a besoin. »2
Ainsi, le potentiel d’un virage ukrainien, après-guerre, de l’Ouest vers l’Est ne s’éteindrait pas nécessairement si des éléments plus modérés arrivaient au pouvoir dans une Ukraine encore indépendante ou, comme c’est très probable maintenant, une version croupion de celle-ci. Ces éléments sont maintenant échaudés par l’amère expérience avec l’Occident qui a poussé leur pays à la guerre puis les a ensuite abandonnés en exigeant que Kiev négocie avec Moscou. Ces éléments plus modérés, plus nationalistes et moins libéraux en raison de l’expérience de la guerre et voués à faire la paix avec Moscou pourrait bien décider que l’intérêt national de l’Ukraine dicte le développement de bonnes relations avec son puissant voisin oriental plutôt que de s’appuyer de manière unilatérale sur des partenaires occidentaux peu fiables, dont le plus puissant est situé à l’autre bout du monde. Cela pourrait être vrai même si la Russie n’impose pas un régime fantoche à Kiev et, si c’est le cas, Moscou aura d’autant plus de facilité à trouver des alliés et à maîtriser la résistance au sein de la population ukrainienne.
Il y a eu une instabilité considérable et des luttes intestines au sein du régime de Maïdan depuis sa prise du pouvoir en février 2014 dirigée par une coalition diffuse de forces oligarchiques, nationalistes, ultra-nationalistes, néofascistes, républicaines libérales et centristes. J’ai beaucoup écrit sur les fissures au sein du régime oligarchique-nationaliste de Maïdan avant et pendant l’actuelle guerre ukrainienne OTAN-Russie. Je ne les passerai pas en revue ici à part quelques exemples de conflits marquants: Petro Porochenko contre Ihor Kolomoiskii, ultra-nationalistes et néo-fascistes contre tout le monde, Ioulia Timochenko contre Porochenko, Volodomyr Zelenskiy contre Porochenko (pas l’élection mais l’arrestation de ce dernier), le Président Zelenskiy contre Kolomoiskii, Zelenskiy contre le commandant en chef des Forces armées ukrainiennes, le général Valeriy Zaluzhniy, le chef de HRU Kirill Budanov contre Zaluzhniy, et beaucoup plus. Le fait est qu’il y a peu d’unité idéologique ou politique au sein de l’élite politique et du peuple ukrainiens et, à mesure que la défaite dans la guerre approche, les passions qu’elle libérera conduiront à pointer du doigt, à trouver des boucs émissaires et aux luttes de pouvoir les plus amères vues dans le pays depuis la révolte de Maïdan et ses conséquences. Mais l’élément politico-idéologique le mieux armé de la politique ukrainienne, en particulier en cas d’effondrement de l’État ou du front, sont les groupes ultranationalistes et néofascistes. De nombreux ultra-nationalistes et néo-fascistes considéreront que le moment d’achever la révolution nationaliste sera arrivé si l’Ukraine est vaincue par Moscou ou négocie avec elle pour mettre fin à la guerre ukrainienne OTAN-Russie.
Tout le pouvoir aux néo-fascistes ukrainiens ?
J’écris depuis près de deux ans maintenant que « à mesure que la position de l’armée ukrainienne se détériore” sur tout le front de bataille, “la probabilité d’une insurrection militaire et/ou d’une révolte populaire devient assez élevée. » Ainsi :
“Le risque d’un coup d’État politique et/ou militaire est élevé. Des forces telles que Secteur Droit, Azov, le Corps des volontaires ukrainiens et une foule de petits partis et organisations ultranationalistes et néofascistes, ayant accès aux armes, pourraient revenir à Kiev et prendre le pouvoir, en tandem avec des officiers militaires modérés. Après tout, ces éléments ont été une source de violence politique, de troubles de masse et de manifestations d’intimidation néofasciste pendant une décennie ou plus. En effet, ils ont joué un rôle de premier plan dans la transformation des manifestations pacifiques de Maidan, motivées par les aspirations européennes et le dégoût de la corruption, en une violente attaque terroriste sous fausse bannière qui visait les manifestants et la police, suscitant l’indignation qui a conduit à la chute du président Viktor Ianoukovitch en février 2014. Il n’y a aucune raison pour qu’ils ne puissent pas transformer un nouveau cycle de bouleversements, voire de chaos, en un nouveau renversement de la direction politique.
Un coup d’État militaire ou un coup d’État soutenu par l’armée pourrait également résulter de la désintégration et de l’isolement d’un ou de plusieurs importants contingents militaires ukrainiens, qui parviendraient à créer une enclave séparée, voire séparatiste, par exemple dans l’ouest de l’Ukraine ou dans certaines parties de celle-ci, sous le patronage et la direction d’un politicien local, d’un oligarque et/ou d’un commandant militaire s’établissant en tant que chef de guerre. De cette manière, ou d’autres schismes politiques qui pourraient déclencher des guerres intestines et des guerres civiles.”3
Avec l’Occident, les néo-fascistes et les ultra-nationalistes ont été une pierre d’achoppement majeure à tout modus vivendi pacifique avec Moscou et les populations ethniques russes et russophones d’Ukraine, bloquant la mise en œuvre des accords de Minsk, violant ses conditions de cessez-le-feu et menaçant les présidents ukrainiens s’ils respectaient Minsk ou essayaient de faire la paix avec Moscou. De nouveaux éléments font le jeu des radicaux et conduiraient à un potentiel pari désespéré contre le régime de Maïdan, maintenant dirigé par Volodomyr Zelenskiy, notamment : la colère provoquée par la défaite à la guerre parmi les nombreux extrémistes combattant du côté ukrainien, l’effondrement de l’État ukrainien et de sa souveraineté aux mains de la Russie et de l’Occident et la dissolution rampante de l’armée.
Certains en Occident commencent maintenant à reconnaître non seulement la défaite militaire probable ou certaine de l’Ukraine, mais aussi l’effondrement imminent du front et la possibilité de la même chose pour l’État, et ils se tournent tardivement vers un cessez-le-feu et/ou des pourparlers de paix comme une issue. Même la propagandiste Institut pour l’étude de la guerre reconnaît que la Russie s’est emparée de six fois plus de territoire en 2024 qu’en 2023. Un professeur du Kings College vient d’avertir que le front et l’armée ukrainiens sont sur le point de s’effondrer4. L’effondrement de l’armée pourrait entraîner une révolte des unités, en particulier des unités nationalistes les plus politisées, telles qu’Azov, entraînant une violence interne et l’effondrement de l’État. De même, la dislocation économique que l’un de ces processus pourrait faciliter pourrait également entraîner une défaillance de l’État. Il en va de même pour l’ouverture de négociations, qui pourrait inciter les ultra-nationalistes et les néo-fascistes à se révolter.
Même le média néoconservateur The Financial Times a soudainement admis que « L’Ukraine perd sur le champ de bataille. » L’administration Biden est consciente que sa stratégie actuelle n’est pas viable parce que “nous perdons la guerre.” « Si vous entamez des négociations, cela pourrait être un déclencheur d’instabilité sociale”, déclare un responsable ukrainien. « Zelensky le sait très bien.” Il y aura toujours un segment radical de la société ukrainienne qui appellera toute négociation une capitulation. L’extrême droite en Ukraine se développe. « La droite est un danger pour la démocratie », déclare Merezhko, député du parti Serviteur du peuple de Zelensky. L’Ukraine se dirige vers ce qui pourrait être son moment le plus sombre de la guerre jusqu’à présent. Il perd sur le champ de bataille dans l’est du pays, les forces russes progressant sans relâche – mais à un coût immense en hommes et en équipement. Il peine à reconstituer ses rangs épuisés avec des soldats motivés et bien entraînés alors qu’un système de mobilisation militaire arbitraire provoque de réelles tensions sociales. Il fait également face à un hiver sombre avec de graves pannes d’électricité et potentiellement de chauffage. L’administration Biden est consciente que sa stratégie actuelle n’est pas viable car “nous sommes en train de perdre la guerre”, a déclaré Jeremy Shapiro, chef du bureau de Washington du Conseil européen des relations étrangères.”5
Le tristement célèbre Azov est peut-être le principal élément combattant parmi les ultra-nationalistes et les néo-fascistes ukrainiens et sera enclin à prendre des mesures désespérées en cas de défaite ukrainienne ou de paix russo-ukrainienne. Les unités Azov entièrement équipées, telles que la 3e brigade d’assaut, refusent de plus en plus d’exécuter les ordres. Récemment, le commandant d’Azov, Bogdan Koretich, a forcé les autorités à enquêter et à licencier un général de haut rang, Koretich lui reprochant plus de morts ukrainiennes que celles infligées par les Russes. 6 Plus récemment, il a déclaré qu’Azov rejetterait tout accord de paix avec les Russes et n’accepterait qu’une victoire ukrainienne complète.7 Cela est intervenu après trois déclarations de Zelenskiy reconnaissant la nécessité de mettre fin à la guerre et l’intention de rédiger une proposition de paix d’ici la fin de l’année. Dans la dernière de ces déclarations, il a énoncé des conditions qui n’incluaient pas le retour de tout le territoire ukrainien de 1991 et le retrait complet des troupes russes, bien que tout cela ait changé dans le cadre de son « Plan de victoire« .
Plus récemment, le fondateur de Secteur Droit et conseiller de l’ancien commandant en chef de l’armée ukrainienne Zaluzhniy, Dmitro Yarosh, a répété son appel à l’achèvement de la révolution néofasciste sur sa page Facebook: “Il s’est avéré que pendant la Révolution de la Dignité et la Guerre russo-ukrainienne, les nationalistes ukrainiens sont devenus le principal facteur de la lutte de libération nationale ukrainienne au 21e siècle I Je suis un nationaliste ukrainien – J’en suis fier, à la fois face à l’Ukraine et face au monde entier. Le prochain pouvoir après la guerre d’indépendance devra être nationaliste. Sinon, nous serons à nouveau entraînés dans un cycle incassable d’humiliation nationale, de corruption, de dégénérescence, de dégradation morale, de déclin économique, d’infériorité et de défaite. Par conséquent, après la guerre d’indépendance, les sages, courageux et nobles devront régner en Ukraine. Gloire à la Nation!”8
L’anti-occidentalisme néo-fasciste et un potentiel virage ukrainien vers l’Est
Les ultra-nationalistes et les néo-fascistes sont farouchement opposés aux valeurs occidentales et n’utilisent l’aide occidentale que pour combattre le « Moskal » détesté et maintenir un État indépendant qu’ils pourront éventuellement gouverner d’une main de fer. Ils façonneront sinon gouverneront toute portion restante de l’Ukraine indépendante, s’il y en a une. Une telle entité sera centrée politiquement sur l’Ukraine occidentale encore plus que sur l’Ukraine d’avant Maïdan et même d’avant la guerre. C’est le berceau et le foyer contemporain du nationalisme ukrainien, de l’ultra-nationalisme et du néo-fascisme.
Le dédain des ultra-nationalistes pour l’Occident n’a vraiment rien de nouveau. La pensée nationaliste ukrainienne, qui s’est infiltrée dans la plupart des parties de la population sous une forme ou une autre, a peu ou, comme dans la plupart des cas, aucune tolérance pour le libéralisme. Secteur droit, fondé par Dmitro Yarosh pendant le Maidan, est une entité néofasciste banderiste classique. L’ordre collectif ukrainien envisagé par la philosophie de Secteur Droit rejette les “empires du communisme, du chauvinisme des grandes puissances russes, du libéralisme démocratique et du cosmopolitisme” qui sont intrinsèquement “hostiles à la nation ukrainienne. » L’Ukraine est considérée comme “coincé entre deux mondes » et la “mission sacrée” des nationalistes ukrainiens est de défendre l’Occident dans “la lutte en cours contre la dernière génération de hordes asiatiques” et de “créer une nouvelle vie« .”9
Le programme de l’autre principal groupe fondateur de Secteur Droit, le SNA, ne devrait pas laisser un lecteur occidental, ou autre, optimiste. Il met l’accent sur le même concept de « nationocratie. » Il propose d’interdire tous les partis politiques, organisations, associations et groupes idéologiques. L’élite de l’ethnie ou de la nation ukrainienne détiendra les pleins pouvoirs : “Le pouvoir politique appartient entièrement à la nation ukrainienne à travers ses représentants nationaux les plus talentueux, idéalistes et altruistes qui sont en mesure d’assurer le bon développement de la nation et sa compétitivité. Le pouvoir suprême (exécutif, législatif et judiciaire) de l’État ukrainien sera entre les mains du chef de l’État, qui est personnellement responsable du sang et des biens de la nation. Le capitalisme doit être « démantelé » et la démocratie doit être « éliminée.” Toutes les actions qui ne respectent pas “les obligations envers la nation et l’État entraîneront la restriction des droits civils ou la privation de la citoyenneté … Le but ultime de la politique étrangère ukrainienne est la domination du monde.”10
Le chef de la SNA au moment de la formation de Secteur droit était Andriy Biletskiy, qui, avant de diriger la SNA, dirigeait les « Patriotes ukrainiens » tout aussi ultra-nationalistes, l’aile militaire de l’UNA, qui avait pour mission de battre les immigrants. Biletskiy est maintenant le commandant du célèbre bataillon Azov. Dans une interview datant de 2010, il décrit son organisation comme étant une « troupe d’assaut » nationaliste.11 Un an plus tard, Biletskiy était en prison, après que son organisation—rebaptisée SNA—eut été impliquée dans une série de fusillades et de bagarres. En 2007, Biletskiy a fustigé une décision du gouvernement d’introduire des amendes pour propos racistes, notant « Alors pourquoi ‘l’amour des Noirs » au niveau législatif ? Ils veulent briser tous ceux qui se sont levés pour se défendre, défendre leur famille, leur droit d’être maîtres de leur propre terre ! Ils veulent détruire la résistance biologique de la Nation à tout ce qui est étranger et nous faire ce qui est arrivé à la Vieille Europe, où les hordes d’immigrants sont un cauchemar pour les Français, les Allemands et les Belges, où les villes « noircissent » rapidement et où la criminalité et le trafic de drogue envahissent même les coins les plus reculés. »12 Bien qu’Azov soit farouchement anti-russe, il y a des trous dans son apparente unanimité qui pourraient jouer en faveur d’une plus grande tolérance à leur égard. Par exemple, alors que l’anti-russisme ou la russophobie a remplacé l’antisémitisme et l’antisoviétisme à l’heure actuelle, cela n’a pas besoin d’être éternel dans de tels cercles. Ainsi, le commandant de la 3e Compagnie Mécanisée du Bataillon Azov ou 3e Brigade d’Assaut et récipiendaire de la Croix d’Or ukrainienne, Anton “Berserk” Radko, attribue la famine de l’ère soviétique en Ukraine et ailleurs, l’Holodomor, non pas aux Soviétiques en soi ni même aux Russes mais aux Juifs, vraisemblablement les Bolcheviks juifs : “Nous ne devons pas oublier les nationalités, qui sont responsables de la faim. Et ce ne sont pas des Russes.”13
Rien n’a changé dans cette partie du spectre politique ukrainien, sauf peut-être une plus grande radicalisation et un rejet des valeurs occidentales. Dans un récent post sur Facebook, Yarosh notait « Notre lutte pour les valeurs de Dieu, l’identification ukrainienne, notre État nie toute la saleté que l’Occident « multiculturel », « égalitaire entre les sexes » et « tolérant » essaie de nous imposer. La Horde orientale est en guerre contre nous, Ukrainiens, comprenant toute la faiblesse de l’Occident collectif. Nous, luttant pour nous-mêmes, n’avons pas à nous rendre à la pourriture de l’Occident ou au despotisme oriental. Nous, Ukrainiens, devons réaliser que nous ne pouvons gagner que lorsque Dieu est avec nous, et non Satan. Les Dix Commandements de Dieu sont le repère de tous les gens normaux. Louez Dieu et la Nation!”14
La dévastation de la guerre et la perfidie occidentale ont renforcé l’aile nationaliste radicale de la politique ukrainienne : les ultranationalistes et les néofascistes. En tant que député de la Rada, Merezhko, représentant le parti naroda (Serviteurs du peuple) de Zelenskiy, déjà cité ci-dessus : “Si vous entamez des négociations, cela pourrait être un déclencheur d’instabilité sociale. … Il y aura toujours un segment radical de la société ukrainienne qui appellera toute négociation une capitulation. L’extrême droite en Ukraine se développe. La droite est un danger pour la démocratie.”15
Mais le renforcement des nationalistes ne garantit pas leur prise du pouvoir. Il y a la possibilité tout aussi faisable qu’un groupe plus modéré et réaliste – peut-être dirigé par des oligarques et/ou des militaires sensés – qui demandera la paix, avalera les pilules amères de la population, du territoire et des économies perdus en blâmant l’Occident pour avoir convaincu Zelenskiy de rejeter Istanbul, et fera demi-tour vers l’Est. Comme l’a dit un ancien responsable du Cabinet Zelenskiy à un journaliste américain, la vision de Zelenskiy de la fin de la guerre ne correspond ni à celle de l’Occident ni à celle du peuple ukrainien et il existe un fossé énorme entre l’élite et la population quant à la poursuite de la guerre.16 La famille et les amis des près d’un million d’Ukrainiens qui ont perdu la vie dans cette guerre éminemment évitable auront des questions, et ceux qui ont rejeté la paix avec Moscou et ont persisté et persistent encore dans une entreprise perdue n’auront aucune bonne réponse. Dans l’atmosphère de plus en plus angoissée et vengeresse de l’Ukraine, il n’y aurait rien d’inhabituel ni même de fâcheux à se retourner contre l’Occident.
Visions de politique étrangère non centrées sur l’Occident
En politique étrangère, le programme de Secteur Droit propose un cours sur la compréhension actuelle de ce terme. Le partenariat avec l’OTAN, l’UE, la CEI et d’autres organisations internationales existantes est considéré comme « dangereux et destructeur. » La stratégie géopolitique ukrainienne doit être basée sur quelque chose comme « l’Intermarium » de Pilsudski : la création d’un « espace prioritaire » englobant un axe nord-sud s’étendant de la mer Baltique au Caucase et à la mer Noire sur la base des pays avec lesquels l’Ukraine a “historiquement coopéré” ; (Suède, Lituanie, Pologne, Turquie, Géorgie).17 Une rapide formation pour les membres de Secteur Droit sur l’idéologie de la “révolution nationaliste” et de la “nationocratie” indique que Secteur Droit est fondée sur les idées de l’OUN de Bandera, parmi d’autres ultra-nationalistes ukrainiens. Plus précisément, la politique de “l’Ordre national » sera construite non pas sur la base de la concurrence politique et des partis, mais sur des « ordres » ou des confréries conçus non pas pour représenter divers intérêts, mais plutôt pour unir la nation ukrainienne dans une « Communauté ukrainienne d’États indépendants » (Ukrainskaya Sobornaya Samostiynoi Derzhava) ou UCCD. En ukrainien et en russe, le concept de « sobornost » signifie une unité organique qui présume l’unité des croyances et des valeurs et exclut les conflits d’intérêts au sein d’une communauté. Ainsi, citant le philosophe nationaliste Ivan Franko, les notes de cours affirment : « Tout ce qui dépasse le cadre de la nation est soit de l’hypocrisie, soit de la fiction sentimentale stérile.« 18 La vision d’Azov au sujet de la « politique étrangère » ukrainienne a été énoncée par son commandant Biletskiy : “La mission historique de notre nation en ce moment critique est de mener les Races Blanches du monde dans une croisade finale pour leur survie. Une croisade contre les Untermenschen dirigés par les Sémites.”19
Il n’y a aucune vision pro-occidentale dans ces plans. Leur monde est divisé en différentes variantes, mais il y a une constante : la supériorité de la nation ukrainienne sur tout le reste. Et ces sentiments ne résident pas seulement dans les confins du spectre politique ukrainien. Ils sont détenus par des personnes qui ont été acceptées dans le courant dominant ukrainien au sein de l’élite. Yarosh était un conseiller militaire de Zaluzhniy, qui entretient des relations étroites avec Secteur Droit et ses retombées militaires : le Corps des Volontaires ukrainiens (DUK) calqué idéologiquement sur l’Armée Partisane ukrainienne (UPA) alliée aux Nazis à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Biletskiy est commandant d’Azov, l’une des unités militaires les plus importantes de l’armée ukrainienne. De plus, nombre de leurs idées sont partagées ou ressemblent à celles professées par les nombreux autres groupes ultranationalistes et néofascistes en Ukraine tels que C13, Svoboda et même des partis nationalistes modérés tels que le « Parti de la Patrie » de Ioulia Timochenko. De plus, de nombreux néofascistes ont été élus à la Rada sur des listes de partis modérés. De plus, indépendamment des personnalités politiques, les idées ultra-nationalistes et néo-fascistes se sont infiltrées dans le courant dominant et sont confortablement tolérées lorsqu’elles ne sont pas pleinement soutenues. Ainsi, un successeur modéré d’après-guerre au gouvernement Zelenskiy pourrait adopter des positions basées sur le non-alignement avec l’Occident et trouver des raisons pratiques et culturelles de rétablir des relations décentes avec Moscou.
Ni un régime néo-fasciste ni leur vision messianique devenant un modèle de politique étrangère ukrainienne d’après-guerre ne sont nécessaires pour l’adoption d’une politique de retour à l’Est, qu’elle soit a-occidentale ou anti-occidentale. Ces positions ne signifient pas non plus nécessairement un retour à des relations étroites ou même bonnes avec la Russie ou à une relation de marionnette. Le premier résultat à court et à moyen terme après ce conflit est peu probable. Ce dernier, une sorte de régime fantoche à Kiev, exclurait évidemment un régime nationaliste de quelque nature que ce soit. Mais un régime oligarchique modéré et pragmatique pourrait arriver au pouvoir dans une Ukraine indépendante et neutre d’après-guerre ; peut-être par le biais d’un coup d’État dirigé par certains membres du cercle restreint de Zelenskiy et/ou l’ancien président Petro Porochenko et le général Zaluzhniy, et demander la paix. Leur régime ultérieur pourrait impliquer des personnalités comme le magnat du charbon Rinat Akhmetov et/ou des politiciens centristes tels qu’Oleg Boiko. Ils seraient plus intéressés à saisir les opportunités d’investissement économique que le projet sino-russe BRICS+ et la Nouvelle route de la soie pourraient offrir pour la reconstruction de l’Ukraine. La Chine y investit déjà massivement dans l’achat de terres.
Bien que la solution d’un régime fantoche russe ou la disparition de l’Ukraine en tant qu’État indépendant deviennent de plus en plus probables, les pourparlers de paix entre la future administration Trump et le Kremlin pourraient aboutir à un accord qui permettrait une Ukraine indépendante, croupion et, surtout, neutre et largement dénudée militairement. Dans de telles conditions, un gouvernement ukrainien intelligent et pratique pourrait jouer l’Occident et les Sino-Russes l’un contre l’autre au profit de l’Ukraine, comme l’avait déjà fait Viktor Ianoukovitch. Maintenant, cependant, les perspectives d’adhésion à l’UE peuvent peut-être être améliorées en se rapprochant des BRICS+, soit par la coopération, soit par l’adhésion, car l’adhésion à l’UE n’exclut pas l’adhésion aux BRICS+ (bien que l’adhésion aux BRICS+ puisse empêcher l’adhésion à l’UE). En tout cas, il y aurait des moyens de jouer les deux systèmes avant de prendre un engagement décisif de toute façon.
Cela devient un exercice futile d’essayer d’imaginer un scénario dans lequel un régime véritablement néo-fasciste puisse rester longtemps en place avec un soutien occidental massif et une impasse russo-occidentale qui resterait suffisamment pacifique pour assurer la survie de l’Ukraine et de beaucoup d’entre nous. Le soutien occidental est en tout cas peu probable, car les publics occidentaux en ont assez du régime corrompu et quasi néo-fasciste de Maidan dans son itération en temps de guerre. Le soutien occidental à un régime néofasciste pur et simple du type qu’un Yarosh ou Biletskiy pourrait diriger ou soutenir fortement semble aussi un pont trop loin, même pour l’Occident sans principes d’aujourd’hui. Un régime modéré indépendant ou un régime fantoche russe semblent des résultats plus probables. Le premier ne pourrait être formé que dans les conditions d’un accord de paix russo-occidental sur l’Ukraine et la future architecture de sécurité de l’Europe. La neutralité ukrainienne, qui devrait faire partie intégrante d’un tel accord, recèlerait le potentiel d’un lent retour de l’Ukraine à l’Est, maintenant des relations égoïstes et cordiales avec Moscou et l’Occident, et l’adhésion de Kiev au nouvel ordre eurasien.
Gordon Hahn
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
Notes
- https://apnews.com/article/ukraine-war-biden-draft-08e3bad195585b7c3d9662819cc5618f. ↩
- www.politico.eu/article/former-ukraine-foreign-minister-dmytro-kuleba-donald-trump-war-in-ukraine-peace-deal-russia-vladimir-putin/ ↩
- Gordon M. Hahn, “The Road to Ukraine’s Ruin and Possibly a Russian Quagmire,” Russian and Eurasian Politics, 9 October 2023, https://gordonhahn.com/2023/10/09/the-road-to-ukraines-ruin-and-possibly-a-russian-quagmire/. ↩
- www.bbc.com/news/articles/cn0dpdx420lo. ↩
- https://archive.is/Ylpt9#selection-4781.0-4785.257. ↩
- https://ctrana.news/news/467600-bohdan-krotevich-ne-dovolen-otvetom-hbr-po-povodu-sodolja.html. ↩
- https://ctrana.news/news/467699-bohdan-krotevich-prokommentiroval-prizyvy-k-ostanovke-vojny-v-ukraine.html. ↩
- www.facebook.com/dyastrub/posts/pfbid07fbi3Z2u8VLPQU1eESuQq9vPhBF9XY5gHe96TKnnXMnty8FZD89ghB9REvyiNgvil. ↩
- “Korotkiy ideolohichno vyhovniy kurs dlya vo tryzub im s Bandery ta pravoho sektora,” Pravyysektor.info, 27 November 2015, http://old.pravyysektor.info/articles/korotkyj-ideolohichno-vyhovnyj-kurs-dlya-vo-tryzub-im-s-bandery-ta-pravoho-sektora/. ↩
- Programa, Sotsialno-Natsionalna Assembleya, Snaua.info, http://snaua.info/programa/, last accessed 15 September 2014. See also Gordon M. Hahn, “Maidan Ukraine’s Neo-Fascist Problem,” Fair Observer, 23 September 2014, http://www.fairobserver.com/region/europe/the-ukrainian-revolutions-neo-fascist-problem-14785/. ↩
- “Andrei Biletskii | Sotsial-natsionalizm – zolotoi vek Ukrainy,” YouTube, 7 December 2014, http://www.youtube.com/watch?v=0KfqYT6U6xc; Leonid Bershidskiy, “Ukraine’s Neo-Nazis Won’t Get U.S. Money,” Bloomberg, 12 June 2015, http://www.bloombergview.com/articles/2015-06-12/ukraine-s-neo-nazis-won-t-get-u-s-money; and Robert Parry, “US House Admits Nazi Role in Ukraine,” Consortium News, 13 June 2015, http://readersupportednews.org/opinion2/277-75/30719-us-house-admits-nazi-role-in-ukraine. ↩
- “Slovo bilogo vozhdya.pdf,” VKontakte, http://vk.com/doc29866988_319980052?hash=14c0a1bebe416193ef&dl=a33eceb6cbe50c4daf, last accessed on 29 January 2016; and Bershidskiy, “Ukraine’s Neo-Nazis Won’t Get U.S. Money;” and Parry “US House Admits Nazi Role in Ukraine.” ↩
- https://x.com/havryshkomarta/status/1860444100073230851?s=51&t=n5DkcqsvQXNd3DfCRCwexQ. ↩
- http://www.facebook.com/dyastrub/posts/pfbid029Ec2hXVvEo9QpME1tEAwBK1xhHSfpWdMFNsZDPF8iPychfbqVFsRo5vPQW2fQDhKl. ↩
- https://archive.is/Ylpt9#selection-4781.0-4785.257. ↩
- www.spectator.co.uk/article/what-does-victory-for-ukraine-look-like/ and https://t.me/stranaua/170879 ↩
- “Programa Pravogo Sektora,” Pravyysektor.info, http://pravyysektor.info/programa.html, last accessed on 30 January 2016. See also Gordon M. Hahn, Ukraine Over the Edge: Russia, the West and the “New Cold War” (Jefferson: McFarland, 2016), p. 182. ↩
- “Korotkiy ideolohichno vyhovniy kurs dlya vo tryzub im s Bandery ta pravoho sektora.” ↩
- Tom Parfitt, “Ukraine crisis: The neo-Nazi brigade fighting pro-Russian separatists,” Telegraph (UK), 11 August 2014, http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/ukraine/11025137/Ukraine-crisis-the-neo-Nazi-brigade-fighting-pro-Russian-separatists.html. ↩