Ce que les États-Unis apprennent, et n’apprennent pas, de leur guerre en Ukraine


Par Moon of Alabama – Le 16 septembre 2023

Le magazine trimestriel Parameters de l’U.S. Army War College a publié un article intéressant sur les capacités de guerre des États-Unis :

Un appel à l’action : Les leçons tirés de l’Ukraine pour les futures forces

Le résumé de l’article se lit comme suit :

Il y a cinquante ans, l’armée américaine a été confrontée à un point d’inflexion stratégique après l’échec des efforts de contre-insurrection au Viêt Nam. En réponse aux leçons tirées de la guerre du Kippour, le commandement de la formation et de la doctrine de l’armée américaine a été créé pour réorienter la pensée et la doctrine autour de la menace soviétique conventionnelle. L’armée d’aujourd’hui doit saisir l’occasion du conflit russo-ukrainien pour réorienter ses forces et en faire une armée aussi avant-gardiste et redoutable que celle qui a remporté l’opération Tempête du désert.

Cet article propose des changements que l’armée devrait apporter pour assurer le succès des opérations de combat multidomaines à grande échelle au point d’inflexion stratégique d’aujourd’hui.

Il est normal pour une armée d’analyser les guerres en cours ou qui viennent de se terminer et d’en tirer des conclusions. Ces efforts devraient alors conduire à des changements dans la structure militaire ou dans ses procédures.

Il est toutefois peu probable que l’effort susmentionné aboutisse aux changements souhaités par les auteurs.

Les auteurs soulignent à juste titre que le commandement et le contrôle des troupes par radio est problématique lorsque l’ennemi a les moyens de détecter tout le trafic radio :

La guerre entre la Russie et l’Ukraine montre clairement que la signature électromagnétique émise par les postes de commandement des 20 dernières années ne peut survivre au rythme et à la précision d’un adversaire qui possède des technologies basées sur des capteurs, la guerre électronique et des systèmes aériens sans pilote ou qui a accès à l’imagerie par satellite ; cela inclut presque tous les acteurs étatiques ou non étatiques que les États-Unis pourraient avoir à combattre dans un avenir proche.

La solution réside dans l’utilisation intensive du commandement de mission (en allemand : Auftragstaktik), qui permet aux chefs subordonnés de planifier et de mener leurs propres opérations dans le contexte donné :

Lorsque Milley était chef d’état-major de l’armée de terre, il a expliqué le commandement de mission par un concept de « désobéissance disciplinée » dans lequel les subordonnés sont habilités à accomplir une mission pour atteindre l’objectif visé par le commandant, même s’ils doivent désobéir à un ordre ou à une tâche spécifique pour y parvenir. En l’absence d’une communication parfaite, il faut faire confiance à un officier ou à un soldat subordonné pour qu’il prenne la bonne décision au cours de la bataille, sans avoir à demander l’approbation pour de petits ajustements.

Il s’agit là d’une question culturelle. Le commandement de mission doit être vécu et expérimenté dès le premier jour où un civil devient soldat. Le corps des officiers américains est plus habitué aux ordres directs et au contrôle. La culture du commandement de mission n’est pas appréciée car les erreurs des unités subordonnées sont toujours imputées au niveau de commandement supérieur.

Le commandement de mission utilise beaucoup moins de communication que l’ordre et le contrôle directs et est plus robuste lorsque les choses se gâtent. Mais, contrairement à l’armée allemande, l’armée américaine ne s’est jamais vraiment montrée à la hauteur. Je doute que cela change.

Le problème suivant est le nombre élevé de victimes :

La guerre entre la Russie et l’Ukraine met en évidence des vulnérabilités importantes dans la profondeur stratégique du personnel de l’armée et dans sa capacité à supporter et à remplacer les pertes. Les planificateurs médicaux de l’armée de terre sur le théâtre peuvent s’attendre à un taux soutenu d’environ 3 600 victimes par jour, qu’il s’agisse de personnes tuées au combat, blessées au combat ou souffrant de maladies ou d’autres blessures non liées au combat. Avec un taux de remplacement prévu de 25 %, le système de personnel aura besoin de 800 nouveaux membres chaque jour. À titre de comparaison, les États-Unis ont subi environ 50 000 pertes en vingt ans de combats en Irak et en Afghanistan. Lors d’opérations de combat à grande échelle, les États-Unis pourraient subir le même nombre de pertes en deux semaines.

Le taux de remplacement de 25 % est probablement trop bas. Prenons l’exemple de ce titre de Strana (traduction automatique) :

Sur 100 personnes, il en reste 10 à 20. Le chef du TCC de Poltava parle des pertes subies dans son district

Le TCC est l’administration ukrainienne responsable de la formation des conscrits.

Sur 100 personnes mobilisées à l’automne dernier, il en reste 10 à 20, les autres étant mortes, blessées ou handicapées.

C’est ce qu’a déclaré le chef du TCC de la région de Poltava, Vitaliy Berezhnoy, lors de la 39e session du conseil municipal de Poltava.

Le problème est que les États-Unis ne disposent plus des réserves nécessaires pour soutenir un conflit de grande ampleur :

L’armée américaine est confrontée à une combinaison désastreuse d’un manque de recrutement et d’une diminution de la réserve individuelle prête à l’emploi. Ce déficit de recrutement, de près de 50 % dans les domaines de la gestion des carrières des armes de combat, est un problème longitudinal. Chaque soldat d’infanterie et de blindés que nous ne recrutons pas aujourd’hui est un atout stratégique de mobilisation dont nous ne disposerons pas en 2031. La réserve individuelle prête, qui s’élevait à 700 000 en 1973 et à 450 000 en 1994, n’est plus que de 76 000 aujourd’hui. Ces chiffres ne permettent pas de combler les lacunes existantes au sein de la force active, sans parler du remplacement des pertes ou de l’expansion au cours d’une opération de combat de grande envergure.

Les auteurs recommandent de réintroduire une conscription partielle.

D’un point de vue politique, cela ne se produira pas. Tout président qui agirait de la sorte serait immédiatement confronté à l’hostilité de ses électeurs.

En outre, le problème est que la plupart des jeunes citoyens américains ne sont même pas qualifiés pour cela :

Une nouvelle étude du Pentagone montre que 77 % des jeunes Américains ne pourraient pas effectuer leur service militaire sans dérogation en raison de leur surpoids, de leur consommation de drogues ou de leurs problèmes de santé mentale et physique.

Une diapositive détaillant les conclusions de l’étude 2020 du Pentagone sur les militaires qualifiés disponibles, partagée avec Military.com, montre une augmentation de 6 % par rapport à la dernière étude du ministère de la Défense de 2017, qui montrait que 71 % des Américains ne seraient pas éligibles au service.

« Si l’on considère les jeunes disqualifiés pour une seule raison, les taux de disqualification les plus répandus sont le surpoids (11 %), l’abus de drogues et d’alcool (8 %) et la santé médicale/physique (7 %) », peut-on lire dans l’étude, qui a examiné les Américains âgés de 17 à 24 ans. L’étude a été menée par le bureau du personnel et de la préparation du Pentagone.

Par ailleurs, la plupart des jeunes ne sont pas intéressés par le service militaire :

Seuls 9 % des jeunes montrent aujourd’hui une propension à servir, selon les données d’un sondage du ministère de la défense communiquées à ABC News. C’est le chiffre le plus bas depuis 15 ans.

Le second ancien haut responsable militaire a déclaré que le problème de recrutement était le signe de problèmes sociétaux plus vastes.

« C’est le reflet de notre pays. C’est notre pays, et ces recruteurs voient ces problèmes de première main tous les jours« , a déclaré l’ancien responsable.

Oui, c’est vrai.

Le point suivant du document Parameters est l’introduction à grande échelle des drones :

L’utilisation omniprésente des drones, des véhicules de surface sans pilote, de l’imagerie satellite, des technologies basées sur des capteurs, des smartphones, des liaisons de données commerciales et des renseignements provenant de sources ouvertes modifie fondamentalement la manière dont les armées combattront dans le domaine terrestre, de la même manière que les drones ont modifié la manière dont les forces aériennes mènent leurs opérations au cours de ce siècle. Ces systèmes, associés aux plateformes émergentes d’intelligence artificielle, accélèrent considérablement le rythme de la guerre moderne.

Les armées occidentales n’ont pas encore introduit les drones à l’échelle nécessaire. Les armées ukrainienne et russe ont toutes deux réussi à le faire. Elles ont admis que les drones sont, comme les munitions, des produits consommables : l’Ukraine en perdrait 10 000 par mois. En plus des drones de reconnaissance, les drones armés ciblés en vue subjective (FPV) ont conduit à une large utilisation des drones dans le rôle d’artillerie ciblée de précision.

Toutes les unités qui se regroupent sur le futur champ de bataille seront immédiatement reconnues et punies. Cela complique la préparation de toute opération de grande envergure.

Cela nécessitera, selon l’auteur, un nouveau niveau de tromperie lors de la préparation de la bataille. Cela nécessite également davantage de reconnaissance et de renseignements multi-domaines à tous les niveaux. Tout chef de groupe devrait disposer d’une tablette et des informations nécessaires.

Ce point est probablement le plus facile à résoudre. Il faut juste du temps jusqu’à ce que les installations de production nécessaires soient en place pour produire des quantités massives de drones et pour mettre en place un système d’information bon marché jusqu’au dernier niveau.

Les autres problèmes, le commandement de mission, les réserves de personnel et l’aptitude au recrutement, sont des questions culturelles qui résisteront au changement.

L’armée américaine, comme beaucoup d’autres armées occidentales, est actuellement incapable de se battre à grande échelle comme le fait actuellement l’armée russe.

Cela ne concerne pas seulement l’armée de terre, mais aussi la marine et l’armée de l’air. La capacité de construction navale des États-Unis est 200 fois inférieure à celle de la Chine. Les navires de la marine américaine sont des gâchis mal conçus. Les jets F-35 ont des taux de disponibilité terriblement bas.

Malgré tout cela, les politiciens américains continuent de déclencher des guerres contre des concurrents de haut niveau.

Les résultats de guerres contre la Russie ou la Chine avec les forces militaires dont disposent actuellement les États-Unis seraient embarrassants. Il vaudrait mieux ne jamais essayer.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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