Les États-Unis se sont arrogé le pouvoir de décider quel peuple a le droit de manger


Par Caitlin Johnstone − Le 17 octobre 2021

Les agences de presse AP et AFP, multiplicateurs de propagande à l’échelle mondiale, ont toutes deux informé leurs lecteurs qu’un « fugitif » vient d’être extradé vers les États-Unis.

« Un homme d’affaires fugitif proche de Maduro, le président vénézuélien, est extradé vers les États-Unis », titre l’AFP.

« Alex Saab, un fugitif proche du gouvernement socialiste du Venezuela, a été mis dans un avion à destination des États-Unis pour faire face à des accusations de blanchiment d’argent », a annoncé AP sur Twitter.

On peut se demander ce qui fait spécifiquement de cet homme un « fugitif » et ce que ce statut a à voir avec son extradition vers un gouvernement étranger dont les lois ne devraient avoir aucune incidence sur sa vie. Il se trouve qu’Alex Saab, citoyen vénézuélien d’origine colombienne, est un « fugitif » de l’autorité autoproclamée du gouvernement américain, qui décide quelles populations de notre planète sont autorisées à avoir un accès facile à la nourriture. Son crime est de travailler à contourner les sanctions américaines écrasantes qui font mourir de faim les civils vénézuéliens, par dizaines de milliers.

Il est absolument honteux que @AP décrive un diplomate vénézuélien 
enlevé par les États-Unis comme un "fugitif".
https://t.co/52AxFOFB80

- Alan MacLeod (@AlanRMacLeod) 16 octobre 2021

Saab fut extradé de la nation africaine du Cap Vert où il est emprisonné depuis l’année dernière, sous la pression du gouvernement américain. Dans un article publié en mai dernier et intitulé « Alex Saab v. The Empire : Comment les USA manipulent la loi pour punir un diplomate vénézuélien », Roger D Harris explique comment les États-Unis utilisent leur domination sur le système financier international pour écraser les nations qui leur désobéissent. Il expose aussi les véritables raisons de l’emprisonnement de Saab, qui fut torturé et soumis à des conditions de vie draconiennes. Harris écrit :

Alex Saab, envoyé spécial et ambassadeur auprès de l’Union africaine pour le Venezuela, effectuait une mission humanitaire en volant de Caracas vers l’Iran afin de se procurer de la nourriture et de l’essence pour le programme vénézuélien d’aide alimentaire CLAP. Saab a été arrêté lors d’une escale dans la nation africaine du Cap Vert et est détenu depuis le 12 juin 2020.

 

Le « crime » de Saab – selon le gouvernement américain, qui a ordonné l’emprisonnement – est le blanchiment d’argent. Pourtant, Saab menait un commerce international parfaitement légal. Mais le fait qu’il ait contourné les sanctions américaines – qui visent à empêcher l’aide d’arriver aux mains des Vénézuéliens – est considéré par Washington comme du blanchiment d’argent.

Après une enquête de deux ans sur les transactions de Saab avec les banques suisses, le gouvernement suisse a conclu, le 25 mars dernier, qu’il n’y avait pas de blanchiment d’argent. Saab est poursuivi en justice parce qu’il sert les intérêts de son pays plutôt que ceux des États-Unis.

Les agences de presse comme AP et AFP savent très bien que Saab est extradé non pas pour avoir enfreint une quelconque loi, mais pour avoir osé transgresser les sanctions unilatérales de Washington. Comme l’écrivait Joe Emersberger de FAIR en juillet dernier :

Reuters (3/15/21, 3/18/21) a rapporté avec désinvolture que Saab « risque d’être extradé vers les États-Unis, qui l’accusent d’avoir violé les sanctions américaines » et qu’il a été « désigné à plusieurs reprises par le Département d’État américain comme un opérateur qui aide Maduro à conclure des accords commerciaux que Washington cherche à bloquer par des sanctions ». Un article de Reuters (28/08/20) sur le cas de Saab en 2020 mentionne au passage que « les États-Unis ont saisi ce mois-ci quatre cargaisons de carburant iranien à destination du Venezuela, où les pénuries de carburant s’aggravent à nouveau. »

Les critiques de l’empire américain ont eu des mots durs pour l’extradition.

« Biden, reprenant le bâton de Trump, a kidnappé le diplomate vénézuélien Alex Saab pour le crime d’avoir essayé de nourrir les Vénézuéliens au mépris des sanctions américaines destinées à empêcher cela », a tweeté le journaliste Aaron Maté. « Les Vénézuéliens n’auront pas le droit de manger tant que la mafia de Washington ciblera leur gouvernement pour un changement de régime. »

Oui, en effet. Le gouvernement américain s’est attribué l’autorité de décider unilatéralement quelles populations du monde ont le droit de manger et lesquelles ne l’ont pas, et d’emprisonner toute personne qui tente de faciliter l’alimentation non autorisée pour une nation sanctionnée par les États-Unis.

« L’extradition du diplomate vénézuélien Alex Saab est un signal clair que l’administration Biden n’a pas rompu avec l’assaut tous azimuts de Trump contre le droit international », a tweeté la journaliste Anya Parampil. « C’est aussi un signe inquiétant pour le cas de Julian Assange – un autre citoyen étranger que les États-Unis ont essentiellement kidnappé et retenu en otage. »

C’est vrai. Il semblerait que la principale différence entre le cas d’Assange et celui de Saab soit que l’empire américain s’efforce d’extrader Assange parce qu’il a transgressé son autorité autoproclamée sur l’accès du monde à l’information, alors que Saab a transgressé son autorité autoproclamée sur l’accès du monde à la nourriture.

« L’État voyou américain vient de briser toutes les lois internationales, après avoir emprisonné et maintenant extradé le DIPLOMATE vénézuélien Alex Saab. L’immunité diplomatique est morte ; l’empire américain l’a tuée. Désormais, tous les diplomates étrangers peuvent être kidnappés et emprisonnés, si Washington le souhaite », a tweeté le journaliste Ben Norton, ajoutant : « Les accusations américaines de ‘blanchiment d’argent’ sont absurdes et politiquement motivées. Les États-Unis prétendent que toute personne qui viole leurs sanctions ILLÉGALES est un ‘criminel’. »

En effet, le « blanchiment d’argent » est une accusation vague qui, en gros, signifie simplement essayer de dissimuler la source ou la destination de l’argent qui est considéré comme ayant été obtenu illégalement, et puisque le gouvernement américain se considère comme l’arbitre des transactions financières légales dans les nations qu’il sanctionne, il peut appliquer cette affirmation à quiconque tente de contourner financièrement les sanctions américaines.

Le gouvernement américain ne nie pas que ses sanctions nuisent aux Vénézuéliens en s’attaquant à l’économie dont ils dépendent pour se nourrir, en fait il a ouvertement admis que « les sanctions, en particulier sur la compagnie pétrolière d’État en 2019, ont probablement contribué au déclin plus marqué de l’économie vénézuélienne. »

Le gouvernement américain ne nie pas non plus que les sanctions de famine qu’il inflige à l’Iran visent sa population civile, le secrétaire d’État de l’époque, Mike Pompeo, ayant ouvertement admis en 2019 que la guerre économique menée par Washington contre cette nation visait à faire pression sur les civils iraniens pour qu’ils « changent de gouvernement », c’est-à-dire les rendre si misérables qu’ils mènent un soulèvement national pour renverser Téhéran.

Le gouvernement américain ne nie pas non plus que les sanctions de famine qu’il inflige à la Syrie sont conçues pour nuire à sa population civile, l’actuel secrétaire d’État Tony Blinken ayant réaffirmé mercredi dernier que la politique de l’administration Biden consiste à « s’opposer à la reconstruction de la Syrie » tant qu’Assad reste au pouvoir. En d’autres termes, les États-Unis n’accorderont pas à la Syrie les fonds nécessaires pour l’aider à se reconstruire après la guerre dévastatrice pour changer le régime que les États-Unis et leurs alliés ont menée contre elle, alors même que les Nations unies signalent que 60 % de la population du pays est proche de la famine.

Et bien sûr, il y a l’horrible blocus du Yémen par l’alliance de puissance américaine, qui tue des centaines de milliers de personnes par la famine et la maladie, l’ONU signalant que 16 millions de personnes supplémentaires « se rapprochent de la famine ».

La famine est le seul type de guerre où, en raison du recadrage continuel de la propagande des médias de masse, il est considéré comme parfaitement normal et acceptable de cibler délibérément une population civile avec une force mortelle.

L’empire américain est tout à fait ouvert sur le fait qu’il se considère comme le gardien de l’approvisionnement alimentaire du monde. Si une population désobéit à l’empire, ses habitants mourront de faim, et toute personne qui tentera de leur procurer de la nourriture sera arrêtée par des mandataires américains et placée dans une cellule de prison américaine.

C’est la vision qu’ont les impérialistes du paradis sur terre. Un monde où la mainmise de l’Amérique sur les systèmes financiers mondiaux lui permet d’étouffer des populations entières si leurs gouvernements désobéissent aux décrets impériaux, sans même tirer un coup de feu. Un monde où le cauchemars de relation publique que provoquaient des images de civils bombardés et des nations détruites font partie du passé, où les nations désobéissantes peuvent simplement être pressées à mort par des tactiques modernes de guerre de siège tandis que les sociétés de propagande impériales comme AP et AFP rejettent la responsabilité de cette famine sur les dirigeants de leur nation.

C’est le pouvoir ultime juste là. C’est le contrôle total. Faire en sorte que le monde se plie à la volonté du dollar tout-puissant et de la force militaire massive avec laquelle il est inextricablement lié, à tel point que la désobéissance devient impossible. C’est pour cela que l’on se bat dans cette guerre mondiale de basse intensité que l’empire mène contre des gouvernements non obéissants comme le Venezuela, la Syrie, l’Iran, la Russie et la Chine. Et c’est pourquoi ces gouvernements font de leur mieux pour s’éloigner du dollar, en réponse.

Il va sans dire qu’une structure de pouvoir qui affame ouvertement des civils à mort pour assurer sa domination mondiale n’est pas le genre de structure de pouvoir que l’humanité devrait accepter pour dominer le monde. La volonté de faire des choses aussi monstrueuses montre une dépravation et un manque de sagesse qui devrait rendre cette structure de pouvoir illégitime.

Caitlin Johnstone

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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