Par F.William Engdhal – Le 28 mai 2015 – Source Russia Insider
Ce qui fut extraordinaire pour la parade du 9 mai, journée de la victoire, c’est la marche mémoriale des citoyens, une parade symbolique connue sous le nom de marche du régiment immortel.
Quelque chose d’extraordinaire vient de se produire en Russie, quelque chose qui a peut-être mené notre monde agité un pas plus loin vers la paix, écartant l’éventualité d’une nouvelle guerre mondiale. De façon inattendue, les Russes ont, sur le plan national, rendu hommage à la mémoire des 27 à 30 millions de citoyens soviétiques qui ne sont pas revenus vivants de la seconde Guerre Mondiale.
Par leur esprit, les événements qui ont eu lieu ce 9 mai, jour de la victoire sur le nazisme, à travers toute la Russie, ont été bien plus qu’une simple commémoration du 70e anniversaire de la fin de la seconde Guerre Mondiale en 1945. Jamais, de sa vie, l’auteur de ces lignes n’a vu émerger une atmosphère aussi émouvante.
L’événement a été extraordinaire dans tous les domaines. Il y avait chez tous les participants le sentiment qu’ils façonnaient l’histoire de manière ineffable. Ce ne fut pas le 9 mai habituel avec son spectacle de la force militaire russe. Oui, il y a bien eu un défilé de matériel militaire, le plus moderne de la Russie, y compris les impressionnants nouveaux chars Armata T-14, les systèmes anti-missiles S-400 et les avions de chasse Sukhoi Su-35. Ils étaient en effet impressionnants à voir.
La partie militaire des événements mettait aussi pour la toute première fois en vedette des soldats d’élite de l’Armée de libération de la Chine populaire marchant en formation avec des soldats russes. Cela en soi devrait faire frissonner l’épine dorsale des faucons néoconservateurs de l’UE et de Washington, à supposer qu’ils aient une colonne vertébrale.
L’alliance entre les deux grandes puissances d’Eurasie — la Russie et la Chine — évolue avec une rapidité étonnante pour former une nouvelle entité capable de faire passer le monde de son cortège de crises – dettes, dépressions, guerres – à une hausse générale du développement et de la prospérité, si nous sommes assez bons pour aider à y parvenir.
Au cours de sa visite, le XIe président chinois, en plus de son très visible hommage à la victoire russe et à l’importance de l’événement pour la Chine, a rencontré séparément Vladimir Poutine; il s’est assuré que la nouvelle Route de la Soie chinoise, un grand projet d’infrastructure ferroviaire à haute vitesse, sera intégrée entre autres à la planification russe de l’Union économique eurasienne qui comprend désormais la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Arménie et d’autres candidats potentiels en attente de les rejoindre. Même si cela peut sembler évident, ce n’était pas certain jusqu’ici.
Les deux grands pays d’Eurasie ont maintenant scellé d’importants accords sur les réserves de pétrole et de gaz, sur les échanges commerciaux et la coopération militaire, avec l’engagement d’intégrer pleinement leurs infrastructures économiques. À la suite de sa rencontre avec Xi, Poutine a déclaré à la presse: «L’intégration des projets d’Union économique eurasienne et de Route de la Soie signifie qu’un nouveau palier de partenariat est atteint, impliquant, de fait, un espace économique commun sur le continent.»
Le pire cauchemar géopolitique de Zbigniew Brzezinski se concrétise. Et cela en conséquence d’une stratégie géopolitique stupide et à courte vue, mise en œuvre par la faction guerrière de Washington, qui a prouvé à Pékin et à Moscou que leur seul espoir de développement indépendant passait par la fin de la dictature de l’unique superpuissance Washington–Wall Street, en construisant un espace économique et monétaire entièrement indépendant du dollar.
La Parade du Bien
Mais la partie la plus extraordinaire des événements de toute la journée n’a pas été le spectacle du matériel militaire, alors que l’Otan, non seulement fait des moulinets de sabres face à la Russie, mais va jusqu’à intervenir militairement en Ukraine, essayant d’entraîner la Russie dans la guerre.
Ce qui a rendu extraordinaire le 9 mai, le jour de la Parade de la Victoire, c’est la marche du souvenir des citoyens, un défilé symbolique connu sous le nom de marche du Régiment immortel, une procession à travers les rues de Moscou vers la célèbre et très belle Place Rouge. Contrairement à la croyance de beaucoup de gens en Occident, la place n’a pas été nommée ainsi par les Bolcheviks, les Rouges.
Elle doit son nom au Tsar Alexeï Mikhaïlovitch, vers le milieu du XVIIe Siècle, et vient d’un mot russe qui signifie aujourd’hui rouge. Des défilés similaires du Régiment Immortel, impliquant environ douze millions de Russes, ont eu lieu en même temps dans toute la Russie, de Vladivostok à Saint-Pétersbourg jusqu’à Sébastopol, dans ce qui est maintenant la Crimée russe.
Dans une atmosphère de respect et de calme, quelque trois cent mille Russes, portant pour la plupart des photos ou des portraits de membres de la famille qui ne sont jamais revenus de la guerre, ont marché par une belle journée ensoleillée de printemps, à travers le centre de la ville de Moscou vers la Place Rouge, où se trouve également la résidence du Président, le célèbre Kremlin.
De voir les visages de milliers et de milliers de citoyens Russes ordinaires, marchant, optimistes quant à leur avenir, leurs visages rayonnants, des jeunes et des très vieux, y compris des anciens combattants, survivants de la Grande Guerre patriotique, comme l’appellent les Russes, a paisiblement ému l’auteur jusqu’aux larmes. Ce qui émanait des sourires et des yeux de ces milliers de manifestants n’était pas un regard en arrière vers la peine des horreurs de la guerre. Au contraire, ce qui ressortait clairement du défilé était un geste de respect, d’amour et de reconnaissance envers ceux qui ont donné leur vie, d’où la Russie d’aujourd’hui a pu naître, une nouvelle Russie, tournée vers l’avenir, au cœur de la construction de la seule alternative viable à un monde dominé par la dictature militaire du Pentagone et par un système monétaire prédateur, oppressant les peuples par la dette, la fraude et le mensonge. De l’ensemble de la nation russe se dégageait le sentiment d’être bon et victorieux. Peu de peuples au monde ont aujourd’hui ce sentiment.
Lorsque les caméras de télévision ont zoomé sur le Président Vladimir Poutine, qui était là lui aussi, il marchait ouvertement, libre parmi des milliers de citoyennes et de citoyens, tenant une photo de son père défunt, qui avait servi dans la guerre et avait été gravement blessé en 1942. Poutine n’était pas entouré de limousines blindées comme l’auraient été tous les présidents des États-Unis depuis l’assassinat de Kennedy en 1963, à supposer même qu’ils aient oser se rapprocher d’une foule. Il y avait trois ou quatre personnes de la sécurité présidentielle, des personnes proches de Poutine, mais il y avait des milliers de citoyens russes ordinaires à la portée de l’un des plus influents leaders mondiaux de l’heure actuelle. Aucun climat de peur n’était visible.
Mes larmes
Mes larmes, en voyant les marcheurs silencieux et Poutine au milieu d’eux, étaient une réaction inconsciente à ce que, à la réflexion, j’ai compris être mon sentiment personnel. Je constatais à quel point une marche mémorielle similaire, dans la paix et la sérénité, serait aujourd’hui aussi éloignée que possible, dans mon propre pays, les États-Unis d’Amérique, de ce que je voyais ici. Il n’y a pas eu de marches de la victoire quand les troupes américaines ont détruit l’Irak ; pas de marches de la victoire, après l’Afghanistan ; pas de marches de la victoire après la Libye. Les Américains d’aujourd’hui n’ont rien d’autres à commémorer des guerres que la mort, la destruction et les vétérans qui, rentrés chez eux traumatisés et empoisonnés par les rayonnements, sont ignorés par leur propre gouvernement.
Cette transformation a vu le jour aux États-Unis durant ces mêmes 70 ans depuis la fin de la guerre, une guerre durant laquelle nous – les Américains et les Russes, alors l’Union soviétique, bien sûr — avions combattu côte-à-côte pour la défaite de Hitler et du Troisième Reich. Aujourd’hui, le gouvernement des États-Unis est du coté des néo-nazis en Ukraine. Il les aide afin de provoquer la Russie.
J’ai réfléchi à la façon dont beaucoup de mes compatriotes ont changé au cours de ces décennies. De la nation la plus prospère du monde, centre de l’invention, de l’innovation, de la technologie, de la prospérité, en l’espace de sept décennies, nous avons laissé ruiner notre pays par un troupeau d’oligarques stupides et richissimes avec des noms comme Rockefeller, Gates, Warren Buffett et leurs acolytes de la dynastie des Bush. Ces oligarques narcissiques ne se sont guère souciés de la grandeur du peuple américain, mais nous ont vus comme un simple tremplin pour réaliser leur rêve maladif de domination du monde.
Nous avons laissé cela se produire
Je vais vous confier un secret que j’ai récemment découvert. Les oligarques américains ne sont pas tout-puissants ; ce ne sont pas de nouveaux illuminés ou des dieux, comme certains essaient de nous en convaincre. Ils ne sont pas omniscients. Ils s’en tirent par des assassinats parce que nous le leur permettons. Nous sommes hypnotisés par leur aura de puissance.
Pourtant, si nous nous clamions ouvertement haut et fort: «Le Roi est nu!», leur pouvoir s’évaporerait comme la barbe à papa dans de l’eau chaude.
C’est ce qui les terrifie. C’est pourquoi ils déploient les Forces armées américaines au Texas pour mettre en scène des jeux de guerre qui nous visent NOUS, les citoyens ; c’est pourquoi, après le 9/11, ils ont déchiré la Constitution et la déclaration des Droits. C’est pourquoi ils ont créé un Département de la Sécurité intérieure. C’est pourquoi ils essaient de terroriser nos concitoyens par des vaccins non testés contre ebola ou d’autres vaccins. C’est pourquoi ils sont prêts à tout pour contrôler la liberté d’exprimer des idées politiques sur l’Internet.
Maintenant, quand je réfléchis à l’état véritable de l’Amérique d’aujourd’hui par rapport à la Russie, cela me fait monter des larmes. Aujourd’hui, l’économie des États-Unis est en ruine. Le pays a été globalisé par ses entreprises internationales de Fortune 500 et par les banques de Wall Street. Ses emplois industriels ont été délocalisés en Chine, au Mexique, même en Russie au cours de ces 25 dernières années. L’investissement dans l’éducation de nos jeunes est devenu une plaisanterie de mauvais goût, politiquement correcte. Les étudiants doivent s’endetter considérablement auprès de banques privées, pour atteindre la somme gigantesque de mille milliards de dollars, afin d’obtenir un morceau de papier, appelé un diplôme, leur permettant de postuler à des emplois inexistants.
Notre gouvernement de Washington est composé d’un tas de charlatans qui nous ont menti sur l’état véritable de l’économie depuis que, pendant la guerre du Vietnam, Lyndon Johnson a ordonné aux départements du Commerce et du Travail de trouver des moyens de truquer les chiffres pour masquer le développement de la pourriture économique interne. Il s’ensuit que depuis, président après président, nous vivons dans un monde de conte de fées où les grands médias nous disent que nous sommes dans la sixième année de la reprise économique et avons seulement 5,4% de chômage.
La réalité est que plus de 23% des Américains sont aujourd’hui au chômage mais, par le biais de détours astucieux, sont déclarés en dehors des statistiques. Quelques 93 millions d’Américains sont incapables d’obtenir un travail à temps plein. Ce n’est pas la faute d’Obama ou de Bush avant lui ou de Clinton, Bush, Reagan ou Jimmy Carter. C’est notre propre faute, parce que nous avons été passifs ; nous leur avons donné le pouvoir parce que n’avons pas assez cru en nous-mêmes. Nous avons laissé les milliardaires décider pour nous, qui sera notre Président et qui ira au Congrès, parce que nous n’avons plus considéré que nous étions bons.
Parallèlement aujourd’hui les Russes, malgré l’artillerie brutale des sanctions économiques et financières de l’Ouest, malgré une guerre de l’Otan en Ukraine, qui a conduit plus d’un million d’Ukrainiens russophones à fuir vers la Russie pour leur sécurité, malgré la diabolisation de leur pays par les médias occidentaux, dégagent un nouvel optimisme face à leur avenir. Ce qui rend Vladimir Poutine si extraordinairement populaire, avec plus de 83% d’approbations, c’est que, par son action, il représente de plus en plus l’âme russe, le sens des gens qui sont bien, qui sont justes, qui sont droits, un sentiment qu’éprouve la grande majorité des Russes d’aujourd’hui.
C’était manifestement visible sur le visage des marcheurs du 9 mai. On pouvait sentir que, sur la tribune, Poutine le voyait lorsque il a observé la grande foule. C’était clair lorsque le ministre de la Défense Shoigu, un russo-mongol bouddhiste né à Touva, a respectueusement et humblement fait le signe orthodoxe de la croix, la tête baissée, tandis qu’au Kremlin il traversait la tour du sauveur pour prendre sa place à coté de Poutine.
Comme l’a dit Victor Baranets, un célèbre journaliste russe: «À ce moment-là, j’ai senti qu’avec ce simple geste Shoigu avait mis l’ensemble de la Russie à ses pieds. Il y avait tant de gentillesse, tant d’espoir, tant de notre sens russe du sacré dans ce geste.» L’âme russe légendaire était manifeste, le 9 mai, elle est vivante et se porte bien, merci.
Et c’est pourquoi j’ai versé des larmes, le 9 mai, en voyant des centaines de milliers de Russes pacifiques se promener à travers leur capitale, la ville qui a mis en déroute l’armée de Napoléon et celle d’Hitler. J’ai été profondément ému en les voyant marcher lentement et délibérément sur la Place Rouge, à côté de la résidence de leur Président, alors qu’à Washington la maison Blanche est entourée de barrières en béton, de barbelés et de gardes armés.
Vous pouviez le voir aux yeux des Russes dans la rue : ils savaient qu’ils étaient bons. Ils étaient bons, non pas parce que leurs pères ou leurs grands-pères étaient morts pour vaincre le nazisme. Ils étaient bons, parce qu’ils pouvaient être fiers d’être Russes, fiers de leur pays, après tous les ravages de ces dernières décennies, les plus récents étant les pillages des années 1990, soutenus par les Américains lors de la thérapie de choc de Harvard, durant l’ère Eltsine.
J’ai versé des larmes, parce que j’étais profondément ému par ce que j’ai vu de ces Russes ordinaires, et des larmes aussi pour ce que j’ai ressenti en voyant détruire mon pays. Nous, les Américains avons perdu le sens que nous sommes bons ou même pourrions peut-être encore l’être. Nous avons accepté d’être mauvais, de tuer partout dans le monde, de nous haïr nous-mêmes et nos voisins, d’avoir peur, de vivre dans un climat de guerre raciale, d’être méprisés pour tout cela, partout dans le monde.
Nous nous sentons tout sauf bons parce que nous sommes conditionnés à être ainsi, hypnotisés par ces oligarques narcissiques. L’hypnose peut cependant être rompue dans de bonnes circonstances. Nous n’avons qu’à le vouloir.
Post-scriptum
La dernière fois que j’ai pleuré lors d’un événement public c’était en novembre 1989, lorsque le Mur de Berlin est tombé et que les Allemands – de l’Est et de l’Ouest – ont dansé ensemble sur le symbole de la division entre l’Orient et l’Occident, et que l’Ode à la Joie de Beethoven a retenti.
Le chancelier allemand a fait un discours devant le Bundestag, proposant la vision d’un train à grande vitesse reliant Berlin à Moscou. L’Allemagne n’était pas alors assez forte, pas encore assez libérée de la culpabilité de la guerre, pour rejeter les pressions venant de Washington. L’architecte de cette vision, Alfred Herrhausen, a été assassiné par la Fraction Armée Rouge de Langley (Virginie). 1.
Après la chute du mur de Berlin, la Russie a été délibérément jetée dans le chaos par la thérapie de choc du FMI et la criminelle famille Eltsine. Aujourd’hui, le monde a une nouvelle possibilité, beaucoup plus belle, de réaliser le rêve d’Herrhausen — cette fois avec la Russie, la Chine et tous les pays de l’Eurasie. C’est ce qui était si beau lors de la parade du 9 mai.
F.William Engdahl
Traduit par Claude, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone
- Allusion au rôle du réseau Gladio, sous les ordres de l’Otan, créé par la CIA, dont le siège est à Langley, dans les mouvements révolutionnaires extrémistes en Allemagne (Fraction Armée Rouge), en France (Action Directe) et en Italie (Prima Linea) dont les attentats terroristes avaient pour but d’effrayer les citoyens des pays dans lesquels les socialistes et les communistes pouvaient prendre le pouvoir, et ainsi renforcer les organes de répression politique ↩
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