Par Michael Hudson – Le 28 mai 2015 – Source thesaker.is
Avant-propos du Saker US
Je suis absolument ravi de vous proposer aujourd’hui un article de Michael Hudson que je considère comme le meilleur et le plus visionnaire ici en matière économique. Michael a gentiment accepté de me permettre de publier cet article et, même mieux, il a aussi accepté une interview questions réponses avec moi. C’est peu de dire que je suis honoré.
The Saker
L’effondrement de l’Ukraine depuis le coup d’état de février 2014 est devenu un prétexte au pillage généralisé. C’est la main d’œuvre qui subit les dommages collatéraux du c’est gratuit pour tout le monde. De nombreux ouvriers ne sont tout simplement pas payés et ce qui leur est effectivement payé est souvent illégalement bas. Les employeurs prennent tout l’argent qui est dans les caisses de leur entreprise et l’engrangent en douce – de préférence à l’étranger ou au moins dans une monnaie étrangère.
Les arriérés de salaire s’aggravent parce que l’Ukraine étant à la veille de faire défaut sur €10 milliards de dettes à Londres, et plus, les cleptocrates et les propriétaires d’entreprises abandonnent le navire. Ils voient que les prêts de l’étranger se sont taris et que le taux de change va encore plonger. L’annonce de la Rada, la semaine dernière, qu’elle a retiré €8 milliards du service de la dette pour le consacrer à une nouvelle attaque militaire sur les régions exportatrices de l’est du pays a été la goutte qui a fait déborder le vase pour les créanciers étrangers et même pour le FMI. Les prêts de ce dernier ont aidé à soutenir le taux de change de la hryvnia suffisamment longtemps pour permettre aux banquiers, aux hommes d’affaires et à d’autres de prendre tout l’argent qu’ils possèdent et autant d’euros et de dollars qu’ils peuvent avant l’effondrement imminent, en juin ou en juillet.
Dans cette situation de pré-faillite, vider le magasin signifie ne pas payer les travailleurs ni d’autres factures. Les arriérés de salaire ont atteint deux milliards de hryvnias, qui sont dus à plus d’un demi-million de travailleurs. Cela a conduit la Fédération des syndicats d’Ukraine à organiser des piquets devant le Conseil des ministres jeudi 27 mai. D’autres manifestations sont prévues pour les deux prochains jeudis, les 3 et 10 juin. Selon le vice-président de la fédération syndicale, Serhiy Kondratiuk, «le salaire de base courant, de 1 218 UAH est de 60% inférieur au niveau fixé dans la loi ukrainienne, ce qui est confirmé par les calculs du ministère de la Politique sociale. […] Le salaire minimum dans le pays devrait dépasser 3 500 UAH par mois, mais le gouvernement refuse tout dialogue social pour revoir les normes». 1
Le scénario menacé
Vider les comptes des banques d’affaires ukrainiennes laissera des coquilles vides. Avec une économie ukrainienne en lambeaux, les seuls acheteurs sérieux sont les Européens et les Américains. Vendre à des étrangers est donc l’unique moyen, pour les patrons et les propriétaires, de tirer un profit significatif de leurs fonds – payés en toute sécurité en monnaie étrangère sur des comptes offshore, à l’abri de toute amende rétroactive du fisc ukrainien.
C’est comme ça que les travailleurs seront arnaqués. Les nouveaux acheteurs réorganiseront les biens qu’ils acquièrent, déclareront les anciennes entreprises en faillite et effaceront leurs arriérés de salaires, en même temps que toutes les factures. Les sociétés restructurées affirmeront que la faillite a effacé tout ce que les anciennes firmes (ou entreprises publiques) devaient aux travailleurs. Cela ressemble beaucoup à ce que les raiders font aux États-Unis pour déroger à leurs obligations de verser des retraites et autres dettes. Ils affirmeront qu’ils ont sauvé l’économie de l’Ukraine et l’ont rendue concurrentielle.
Opération Vautour
Le coup d’état de Pinochet au Chili était une répétition générale de tout cela. La junte militaire soutenue par les États-Unis a visé les dirigeants syndicaux, les journalistes et les leaders politiques potentiels, ainsi que les professeurs d’université (fermant tous les départements d’économie au Chili, à l’exception de l’Université catholique de Chicago, orientée marché libre). Vous ne pouvez pas avoir un marché libre style Chicago, après tout, sans prendre ce genre de mesures totalitaires.
Les stratèges US aiment donner à de tels stratagèmes des noms d’oiseaux rapaces : Opération Phoenix au Vietnam, et Opération Condor en Amérique latine, qui visait les gauchistes, les intellectuels et autres. Un programme similaire est en cours contre les russophones en Ukraine. Je ne connais pas le nom de code utilisé, donc disons que c’est Opération Vautour.
Pour les dirigeants ouvriers, le problème n’est pas seulement de récupérer les arriérés de salaire, mais de survivre avec un futur salaire décent. S’ils ne protestent pas, ils ne seront tout simplement pas payés. C’est pourquoi ils sont en train d’organiser une protestation anti-Maïdan grandissante, explicitement au nom des salariés – de manière à ce que les tireurs d’élite du Secteur Droit ne puissent pas accuser les manifestants d’être pro-russes. Les syndicats se sont protégés en recherchant le soutien de l’Organisation internationale du travail de l’ONU (OIT) et de la Confédération syndicale internationale à Bruxelles.
La tactique la plus efficace pour lutter contre la corruption qui permet le non-paiement des salaires et des retraites est de se concentrer sur les soutiens étrangers du régime actuel, en particulier le FMI et l’UE. Utilisant les doléances des travailleurs comme prétexte, pour demander des réformes en la matière, celles-ci pourraient inclure des avertissements que toute vente de terres ukrainiennes, de matières premières, de services publics ou de tout autre actif à des acheteurs étrangers pourra être annulée par des gouvernements futurs moins corrompus.
En faveur des travailleurs, il y a le fait que le FMI a enfreint ses statuts en accordant un prêt pour des objectifs militaires. Dès que le dernier prêt a été versé, Porochenko a annoncé qu’il allait intensifier sa guerre contre l’Est. Cela met le FMI tout près de ce que les théoriciens du droit appellent une dette odieuse [susceptible de répudiation légale, NdT]: des dettes en faveur d’une junte qui prend le pouvoir et qui pille le Trésor public et d’autres biens publics, laissant les gouvernements futurs payer ce qui a été volé.
Le combat des travailleurs pour un salaire décent ne vise pas seulement le paiement des arriérés, mais aussi à mettre en place un plan de redressement pour se protéger contre un traitement de l’économie comme celui qui prévaut en Grèce ou en Lettonie, de style néolibéral. Les stratèges états-uniens ont discuté la question de savoir s’ils pouvaient rejeter les 3 milliards de dollars que l’Ukraine doit payer à la Russie en décembre comme une dette odieuse ; ou, peut-être, les classer sous la rubrique aide étrangère et par conséquent non recouvrable dans la pratique. Aussi ironique que cela puisse paraître, l’Institut Peterson d’économie internationale, George Soros et d’autres fossiles de la Guerre Froide ont fourni au gouvernement un catalogue de motifs juridiques pour libérer son économie de ses dettes – lui permettant ainsi de payer les arriérés de salaires et les pensions de retraite.
Pour les créanciers internationaux l’alternative est de gagner le procès pour rembourser en priorité les détenteurs d’obligations étrangères, le FMI et l’Union européenne, et ensuite les droits souverains de l’Ukraine pour empêcher son autodestruction.
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone