Le messianisme nihiliste et la révolution
Par Youssef Hindi − Le 8 août 2017 − Source geopolitica.ru
À l’occasion du centenaire de la Révolution d’Octobre 1917, nous avons l’intention de poser la même série de questions aux personnalités de la Moldavie, la Roumanie, la Russie et les pays occidentaux. Ces entretiens ont pour but de représenter une modeste contribution à la réévaluation des événements qui ont marqué le XXe siècle. Bien que 100 ans se soient écoulés, dans la conscience du public de l’espace ex-communiste et du monde entier, il y a encore beaucoup de préjugés sur les causes profondes de ce bouleversement majeur, mais aussi sur la façon dont la « révolution prolétarienne » est traitée par l’élite politique, le milieu universitaire et la hiérarchie de l’Église. Trouver des réponses appropriées à certaines questions d’une telle complexité nous semble absolument vital.
Iurie Roșca
1. Quelles sont les origines spirituelles, intellectuelles et idéologiques de la Révolution d’Octobre ?
Il faut remonter au XVIIIe siècle pour identifier les origines spirituelles, idéologiques et intellectuelles de la Révolution bolchévique. Dès la veille de la Révolution française de 1789, une fusion va s’opérer entre une des variantes du messianisme juif – le messianisme nihiliste issu sabbato-frankiste – et les idées des Lumières (voir : Youssef Hindi, La Mystique de la Laïcité). Tout au long du XIXe siècle, le socialisme (comme le républicanisme), issu de cette fusion, va muer sous ses différentes formes, mais garder toujours la structure du messianisme juif.
Comme on le sait, les bolchéviques feront du socialisme étatiste centralisateur et progressiste de Karl Marx la religion de leur régime, après avoir subverti l’ordre ancien par le chaos ; par un nihilisme très proche de l’anarchisme d’un Mikhaïl Bakounine. Le socialisme scientifique, qui croit au progrès technique (apporté par le capitalisme qu’il combat dans un rapport dialectique), tout comme l’anarchisme qui prône l’abolition de la loi et de l’État (de droit), doivent mener, à la fin de l’Histoire, à la restauration d’un passé idéalisé – par exemple le néolithique qui peut être considéré comme le Jardin d’Eden des matérialistes athées – ou d’une utopie encore jamais connue par l’Humanité.
Cette contradiction apparente reflète en réalité la dialectique motrice entre deux tendances qui résident depuis le Moyen Âge au sein du messianisme juif : d’un côté le rétablissement d’un idéal passé, c’est-à-dire le retour à l’Éden paradisiaque (terrestre), et de l’autre la réalisation d’une utopie, l’avènement d’un monde idéal qui n’a jamais existé. Le concept juif – biblique et kabbalistique – de tikkun (à la fois restauration, réparation et réforme) est la traduction de cette dualité du messianisme.
Ce monde idéal doit être instauré/restauré par l’action volontariste de l’Homme. Une conception de l’Histoire née du messianisme juif (et plus précisément de la kabbale lourianique. Voir : La Mystique de la Laïcité) ; une théorie de l’action du peuple juif, puis des non-juifs – en particulier, dans le socialisme, les masses prolétariennes. Le philosophe juif marxiste Georg Luckacs (1885-1971) parlera du prolétariat comme « porteur de la rédemption sociale de l’humanité et classe-messie de l’histoire du monde » (Georg Luckacs, Le bolchevisme comme problème moral, 1918).
La rédemption sociale correspond aux temps messianiques, à la rédemption (geoula) du peuple juif qui passe par une révolution universelle. Le grand historien du judaïsme, spécialiste du messianisme juif et de la Kabbale, Gershom Scholem (1897-1982), a eu une réflexion pénétrante sur ce messianisme sous-jacent des révolutions socialistes du XXe siècle :
« Le messianisme prouve à notre époque sa puissance précisément en réapparaissant sous la forme de l’apocalypse révolutionnaire, et non plus sous la forme de l’utopie rationnelle (si l’on peut ainsi l’appeler) du progrès éternel qui fut comme le succédané de la rédemption à l’époque des Lumières. » (Gershom Scholem, Considération sur la théologie juive, in Fidélité et Utopie).
En clair, le culte de la Raison, qui a engendré le positivisme des élites et qui avait été présenté aux peuples d’Occident comme le point culminant de l’évolution de l’esprit humain, ne fut que ce que les kabbalistes appelleraient une kelippah (une coque) recouvrant l’essence religieuse, messianique et apocalyptique de la Révolution progressiste et mondiale. La phase historique débutant avec les Lumières fut recouverte d’un mensonge utopique imperceptible mais qui finit par disparaître avec ses promesses non accomplies et indéfiniment ajournées.
Telle est l’essence et la finalité de la Révolution bolchévique.
2. Pourquoi ce coup d’État s’est-il produit spécifiquement en Russie et dans quelle mesure est-ce un « projet importé » ?
Ce projet est totalement étranger à la culture russe et à la religion orthodoxe. Comme je l’ai dit plus haut, il est issu du messianisme juif. D’ailleurs, le socialisme et le libéralisme, avant de s’implanter en Russie, sont nés dans les communautés juives d’Europe centrale ; lieu de naissance et de maturation du messianisme frankiste.
Plus concrètement, l’écrasante majorité des révolutionnaires bolchéviques étaient des juifs. Le 13 juin 2013, le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a affirmé, à l’occasion de sa visite au Musée juif de Moscou et devant un parterre de religieux :
« Jusqu’à 80% à 85% des membres du gouvernement de l’Union soviétique étaient juifs. Et ces juifs guidés par de fausses pensées idéologiques ont arrêté et réprimé les adeptes du judaïsme, du christianisme, de l’islam et d’autres religions. Ils n’ont pas fait de différence. »
Dans un article publié le 21 décembre 2006 par le journal israélien Yediot Aharonot, Steve Plocker écrit à propos des massacres perpétrés par les bolchéviques :
« Un étudiant israélien termine ses études supérieures sans avoir entendu parler de Genrikh Yagoda, le plus grand meurtrier juif du XXe siècle, le fondateur et commandant du NKVD. Yagoda a mis en place la collectivisation stalinienne et est responsable de la mort d’au moins 10 millions de personnes. Ses députés juifs ont établi et dirigé le système du goulag. Lorsqu’il ne fut plus en odeur de sainteté auprès de Staline, Yagoda a été démis de ses fonctions et exécuté, et il fut remplacé en 1936 par Yezhov, le ‘nain assoiffé de sang’. »
Yezhov n’était pas juif mais été marié à une activiste juive. Dans son livre Staline : la cour du tsar rouge, l’historien juif Sebag Montefiore écrit que durant la période de terreur la plus sombre, quand la machine à tuer communiste travaillait à plein régime, Staline était entouré par de belles et jeunes femmes juives…
De nombreux juifs ont vendu leur âme au diable de la révolution communiste et ont du sang sur les mains pour l’éternité.
En 1934, d’après les statistiques publiées, 38,5% de ceux qui occupaient les postes les plus élevés dans les appareils de sécurité soviétiques étaient d’origine juive.
« Il s’avère que les juifs, lorsqu’ils sont capturés par l’idéologie messianique, peuvent devenir de grands meurtriers, parmi les plus grands connus de l’histoire moderne. » (Steve Plocker, Stalin’s jews, Yediot Aharonot, 21/12/2006).
Si l’on se penche sur l’histoire de la Révolution universelle, l’on constate qu’elle ne visait pas spécifiquement la Russie. Elle a frappé la France en 1789 et s’est servie d’elle comme siège pour instaurer une république universelle sur les ruines des régimes traditionnels et des Églises. La Russie bolchévique a joué au XXe siècle le même rôle que la France révolutionnaire aux XVIIIe et XIXe : répandre à travers le monde les idées des Lumières, du messianisme progressiste et de l’Humanité nouvelle. Les révolutionnaires ne se sont pas trompé d’ennemi ; en attaquant la Russie, ils ont visé le siège de l’Orthodoxie, l’héritière de Byzance, tout comme ils avaient visé la Fille aînée de l’Église romaine.
Pour illustrer mon propos, je citerai le philosophe théologien et kabbaliste juif allemand Franz Rosenzweig (1886-1929), qui s’est exprimé sur la révolution bolchévique :
« Ce n’est pas un hasard, si c’est maintenant pour la première fois qu’on a commencé à transformer les exigences du Royaume de Dieu en exigence de l’actualité. C’est seulement en ce moment qu’ont été entrepris ces actes de libération qui, sans être nullement en eux-mêmes le Royaume de Dieu, constituent néanmoins les pré-conditions de son avènement. ‘Liberté Égalité Fraternité’, qui étaient des paroles-coeur de la foi, sont devenus des mots d’ordre actuels, imposés de haute lutte à un monde paresseux, avec sang et larmes, avec haine et passion ardente, dans des combats inachevés. » (Franz Rosenzweig, Stern der Erlösung, III, p. 35)
On voit ici le lien de parenté qu’établit à raison Rosenzweig entre les espérances messianiques juives, la Révolution de 1789 et la Révolution bolchévique. Un processus historique révolutionnaire qui doit se conclure par une révolution mondiale, totale, dont celle des bolchéviques ne devait être (comme l’affirme Rosenzweig) qu’une étape.
3. Le régime soviétique a produit une idéologie spécifique qui est aussi nommée la religion de la civilisation soviétique. Quelles sont les causes et les caractéristiques de la soviétolâtrie ? Comment expliqueriez-vous le fait que le virus communiste persiste encore en Russie et dans les anciens pays socialistes, même après plus d’un quart de siècle ?
Ce que vous appelez la soviétolâtrie est un phénomène tout à fait classique qui s’explique par l’anthropologie et l’histoire des religions.
Il s’agit de l’adhésion des peuples à une idéologie dominante nouvelle qui a remplacé la précédente. Dans le cas de la Russie, c’est le communisme qui a remplacé momentanément (70 ans représentent une période très courte au regard de l’histoire de la Russie) le christianisme orthodoxe.
L’anthropologue et psycho-sociologue Gustave Le Bon (1841-1931) a expliqué que les termes démocratie, socialisme, égalité, liberté, etc., ont une puissance vraiment magique qui est attachée à leurs brèves syllabes, comme si elles contenaient la solution de tous les problèmes. Ils synthétisent, nous dit Le Bon, des aspirations inconscientes variées et l’espoir de leur réalisation (Gustave Le Bon, Psychologie des foules).
Il faut par conséquent redéfinir ce que signifie le communisme aujourd’hui en Russie et dans les anciens pays socialistes pour évaluer dans quelle mesure il serait un virus et s’il s’agit vraiment d’une persistance.
De plus, la mort d’une croyance collective n’entraîne pas instantanément sa disparition totale et définitive. Il s’agit d’un processus lent à l’échelle humaine.
La croyance collective se meurt lorsque sa valeur commence à être discutée (ce qui fut le cas en Russie par les intellectuels dissidents bien des années avant la chute finale du régime). Puis, explique Gustave Le Bon, lorsque même une croyance est fortement ébranlée, les institutions qui en dérivent conservent leur puissance et ne s’effacent que lentement. Quand elle a enfin perdu complètement son pouvoir, tout ce qu’elle soutenait, à savoir le régime et ses institutions, s’écroule.
Par conséquent, que des résidus de socialisme, ou ce qui s’en apparente, continuent à résider dans l’esprit de certains Russes – moins de 30 ans après l’effondrement du régime soviétique – qui sont nés et ont vécu sous l’empire de la religion communiste, ne doit faire l’objet ni d’un étonnement ni d’une inquiétude particulière. Le temps fera son œuvre.
4. Ceux qui critiquent l’expérience soviétique fonctionnent souvent avec le système de référence de la démocratie occidentale pour aborder les effets politiques et économiques de cette période. Pourquoi les aspects du religieux, spirituel, métaphysique restent-ils la plupart du temps au second plan ?
L’on nous a vendu deux systèmes censés être les deux seules voies idéologiques et politique du « salut » des Hommes : le capitalisme libéral incarné dans un premier temps par l’Empire britannique puis par l’Amérique-monde, et le système communiste réalisé dans l’Union soviétique. Il n’est donc au fond pas étonnant que Karl Marx ait été réfugié à Londres, centre du capitalisme mondial ; de plus, c’est à Londres que fut créée (1864) et siégeait l’Internationale communiste. C’est d’ailleurs dans la capitale de l’Angleterre que s’était réuni le congrès de leur parti (1903) où étaient présents Staline et Trotsky.
Ces deux systèmes matérialistes ce sont établis – lentement depuis l’avènement du protestantisme – contre la société traditionnelle, contre les religions traditionnelles. Le modernisme a imposé une vision purement matérialiste de l’Histoire, un règne de la quantité qui ne juge et étudie les sociétés humaines que par le prisme des graphiques statistiques.
Le paradigme matérialiste s’est imposé culturellement, il a envahi de fait les milieux intellectuels, de sorte que les historiens, politologues et autres s’interdisent même de voir dans ces systèmes matérialistes (capitalisme, socialisme, droit-de-l’hommisme…) la dimension mystique et messianique ; ils n’observent et étudient que l’épaisse surface des choses sans les pénétrer.
5. Aujourd’hui, le libéralisme et le communisme sont considérés comme deux idéologies totalement différentes. Cependant, en les examinant de plus près, nous pouvons identifier une série de coïncidences et de complémentarités frappantes. Comment décririez-vous les différences et les similitudes entre ces théories politiques ?
Répertorier les différences et les similitudes entre ces théories politiques nécessiterait une étude approfondie, mais soyons ici schématiques et synthétiques.
L’utopie révolutionnaire s’est très tôt fondée sur la nostalgie d’un monde pré-capitaliste fantasmé, mais aussi sur un progressisme matérialiste qui est généré par le capitalisme. Ainsi, Karl Marx et ses disciples vont développer une conception foncièrement mécaniste, qui veut qu’une fois accompli le progrès technique nécessaire, le progrès moral suive de lui-même (dixit Georges Orwell dans sa lettre à Humphry House du 11 avril 1940). Aujourd’hui, un idéologue libéral ne dirait pas autre chose que les marxistes de ce point de vue là.
La foi dans le progrès technique menant à la fin de l’Histoire unit les libéraux et les marxistes dans cette perspective. De même que la lutte des classes en tant que moteur de l’Histoire ne les oppose pas idéologiquement, à posteriori. Le milliardaire américain Warren Buffet dira à ce propos : « Il y a une lutte des classes, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous la gagnons » (CNN, le 25/05/2005).
Il y a une évidente dialectique historique entre capitalisme et communisme ; le communisme s’est historiquement nourri du capitalisme moderne – et s’est opposé à lui – et de son avatar : la révolution industrielle. Capitalisme et communisme se sont nourris l’un de l’autre dans une opposition dialectique, sur les plans historique, idéologique et géopolitique, jusqu’à la chute du Mur de Berlin.
Suite à l’effondrement de l’Union soviétique, le capitalisme et le communisme, la thèse et son antithèse, ont commencé leur fusion pour former la synthèse, incarnée aujourd’hui par la Chine, par l’Union européenne, et dans une certaine mesure par le système oligarchique américain où les grandes banques et multinationales ont pris le contrôle de l’État (ce qu’a très bien démontré l’économiste américain James K. Galbraith dans son livre L’État prédateur).
6. Certains chercheurs affirment que le projet communiste a trouvé une suite logique dans le projet globaliste. Dans quelle mesure cette opinion est-elle valable ?
Il est vrai dans la mesure où, comme je l’ai dit précédemment, le projet communiste est celui de la révolution universelle. Un projet messianique global qui avait pour vocation de s’imposer à l’Humanité entière. Si l’Union soviétique s’est effondrée, si le communisme tel qu’on le connaissait à disparu (mis à part dans quelques pays), l’essence de ce projet messianique révolutionnaire demeure toujours.
Aujourd’hui, ce sont les institutions internationales, l’Union européenne… pilotées par l’oligarchie occidentale judéo-protestante, qui accomplit ce projet globaliste.
Le projet se transforme, il ne change que de formes, mais l’arkhê, le principe premier, l’essence, se perpétue grâce à ces transformations.
7. Dans le monde ex-communiste et en Occident, la russophobie est alimentée par la confusion entretenue artificiellement entre l’Union Soviétique et la Russie (jusqu’en 1917 et après 1991), les crimes de l’ancien régime communiste étant attribués à la nation russe. C’est la même chose que si le nazisme était attribué à la nation allemande, quelque chose qui devrait causer la germanophobie. À qui profite le maintien de cette confusion et comment pourrait-elle être surmontée ?
La Russie tsariste était déjà un ennemi à abattre. Le communisme fut à la fois un outil de destruction de la Russie traditionnelle et un prétexte pour maintenir le monde dans une opposition capitalisme/communisme. Durant la guerre russo-japonaise (1904-1905), le britannique Sir Ewen Cameron (un ancêtre de l’ancien Premier ministre David Cameron), président de la Hong Kong and Shangai Bank, a joué un rôle clé pour faciliter les prêts consentis par la famille de banquiers juifs Rothschild au Japon (Takahasi Korekiyo, The Rothschild and the Russo-Japanese War, 1904-1907), ceci afin d’affaiblir la Russie dans le contexte de la première tentative de révolution qui allait éclater en 1905 avec la défaite de l’Empire.
Nous avons affaire aujourd’hui, comme à l’époque tsariste, à une guerre contre la Russie et ses alliés par les forces thalassocratiques, anglo-américaines et judéo-protestantes. Ce ne sont pas les crimes de l’Union soviétique qui sont utilisés comme prétexte à la propagande anti-russe, mais plutôt le caractère supposé dictatorial du Président Vladimir Poutine, son opposition aux forces atlantistes en Ukraine et en Syrie, sa volonté de préserver la famille traditionnelle contre les attaques des organisations LGBT… En résumé, le fond du problème est l’insoumission de la Russie.
Il s’agit d’une guerre idéologique que mène l’Occident moderniste contre la Russie chrétienne et un certain nombre de pays musulmans.
Il faut, par ailleurs, bien distinguer l’Europe et l’Occident. L’Occident est une construction liée à cette fabrication idéologique qu’est le judéo-christianisme, et qui renvoie bien plus au monde anglo-saxon thalassocratique qu’au continent européen. J’ai analysé dans un de mes ouvrages (Occident et Islam – Sources et genèse messianiques du sionisme) des évènements majeurs dans l’histoire de l’Angleterre du XVIIe siècle qui ont transformé plus tard et de manière décisive – notamment à l’occasion des deux guerres mondiales – le rapport de ce monde anglo-saxon à l’Europe continentale. Ce que l’on appelle aujourd’hui l’Occident n’est pas seulement une construction idéologique, mais politique, à savoir l’Union européenne et son pendant géostratégique, le bras armé des États-Unis, l’OTAN, qui est tourné contre la Russie. Cet Occident a le visage du monde anglo-saxon qui a connu une expansion économique et géopolitique poussée en avant par un messianisme vétérotestamentaire, lequel a accompagné et a suivi la Révolution d’Oliver Cromwell (1599-1658).
Le monde occidental est donc cet ensemble idéologique, politique et géopolitique qui a absorbé peu à peu l’Ancien monde catholique, gréco-latin, mais aussi germanique.
Le théoricien de l’histoire sur la longue durée et de la civilisation Arnold J. Toynbee (1889-1975) avait très bien perçu quel était le fond de la guerre menée par l’Occident moderniste contre les traditions. Ainsi il écrivait en 1947 :
« Cette attaque concentrique lancée par l’Occident moderne contre le monde de l’Islam a inauguré le présent conflit entre les deux civilisations. On verra qu’il participe d’un mouvement encore plus vaste et plus ambitieux par lequel la civilisation occidentale ne vise rien moins qu’à l’incorporation de toute l’humanité en une grande société unique, et au contrôle de tout ce que, sur terre, sur mer et dans l’air, l’humanité peut exploiter grâce à la technique occidentale moderne. Ce que l’Occident est en train de faire à l’Islam, il le fait en même temps aux autres civilisations survivantes – chrétiens orthodoxes, indiens, monde extrême-oriental – et aux sociétés primitives survivantes qui sont actuellement aux abois, même dans leurs ultimes réduits d’Afrique tropicale. » (Arnold J. Toynbee, L’Islam, l’Occident et l’avenir, 1947).
Par conséquent, l’erreur à ne pas faire, c’est de se soumettre en permanence aux « valeurs » occidentales, se laisser acculer chaque jour, comme le fait l’Allemagne, par le chantage à l’homophobie, à l’antisémitisme et au racisme. Il ne faut pas se limiter à mener une guerre défensive sur les plans diplomatique et géopolitique, mais il faut mener une bataille culturelle en rejetant catégoriquement le paradigme moderne et ses avatars qui tuent purement et simplement les peuples en détruisant leurs religions, leurs valeurs et leurs traditions.
8. Une autre confusion fréquente en Russie et dans l’ancien espace communiste est l’attachement simultané d’une partie de la population à la fois à l’Église et à la civilisation soviétique, qui est par définition antichrétienne. Que faut-il faire pour surmonter cette approche au moins incohérente ? La hiérarchie de l’Église pourrait-elle contribuer de façon substantielle au dépassement de ces déviations ?
Comme je l’ai dit précédemment, le régime communiste s’est effondré il y a moins de 30 ans, beaucoup de Russes sont nés et ont vécu une partie de leur vie sous ce régime. Il faut donc relativiser cette prégnance du communisme sur une partie de la population.
Si le christianisme a pu renaître en Russie c’est justement parce que le communisme en tant que croyance collective et idéologie du régime est mort.
Si la Russie s’est redressée politiquement et économiquement, c’est grâce au retour du christianisme qui a restructuré la société russe. Ce qui reste de communisme en Russie sera effacé par le temps dans une ou deux générations. Mais l’on ne pourra jamais effacer de l’histoire russe et de sa mémoire les 70 ans de communisme. Ce serait une erreur et une perte considérable de temps et d’énergie que de s’essayer à effacer cette histoire des mémoires.
Le travail de la hiérarchie de l’Église doit consister, entre autres choses, à solidifier le christianisme et la foi des Russes ; aider la Russie et son État dans ce combat culturel contre l’hégémonie mondiale du modernisme, plutôt que de combattre les spectres du communisme.
9. Comment pourrait-on expliquer que plus d’un quart de siècle après la chute du communisme et de l’URSS, le mausolée de Lénine soit intact et que ses restes mortels ne soient pas enterrés ? Les explications qui se réfèrent à éviter d’agiter la sensibilité d’une partie des personnes âgées qui nourrissent la nostalgie ou celles de l’opportunité politique ne résistent pas à la critique. Quelles sont les causes spirituelles qui déterminent cette paralysie volitive et que devraient faire l’élite russe, l’Église, les intellectuels de pointe, l’administration gouvernementale pour sortir du filet de cette malédiction historique ?
Dans la prolongation de ma réponse à la question précédente, je dirai qu’il ne faut pas donner plus d’importance que cela mérite aux oripeaux (choses qui ont un éclat apparent et sous lesquelles il n’y a rien de solide) du communisme. Je doute que les jeunes Russes considèrent Lénine comme étant un prophète et son mausolée un temple. Il est indéniablement un personnage historique central du XXe siècle à l’échelle mondiale. Je ne pense pas qu’il y ait une paralysie volitive, c’est une question générationnelle. L’attachement au communisme et à ses prophètes disparaîtra avec la génération qui a été modelée par eux.
L’histoire de la longue durée nous apprend à relativiser et à étudier les croyances collectives au-delà de l’échelle humaine.
10. Au cours des dernières années de plus en plus de gens se tournent vers la Russie comme un bastion des valeurs traditionnelles du monde. Le courant de pensée anti-libéral en Russie pourrait-il avancer à la mesure d’une Révolution conservatrice d’envergure mondiale et quelles sont, selon vous, les chances d’une résurrection religieuse d’envergure qui pourrait supprimer le paradigme libéral dominant de la scène de l’histoire ?
La Russie a pris des positions courageuses sur le mariage homosexuel, l’homoparentalité, qui ont eu un retentissement mondial et qui peuvent inspirer nombre de nations, c’est indéniable. Mais il ne me semble pas (vu de l’extérieur), que le libéralisme économique et sociétal (les deux étant liés) soit prêt à reculer en Russie, du fait qu’il a, dans le pays, des relais importants et puissants.
Je ne crois pas en une révolution conservatrice à l’échelle mondiale, mais il peut y avoir, dans certains pays, et sous des modes différents, des avancées conservatrices en réaction aux poussées du libéralisme.
Pour mener une révolution conservatrice, il faut au préalable élaborer un projet de société global. Les réaction ponctuelles, comme la Manif’ pour tous en France, ne constituent aucunement un projet de société capable d’endiguer le libéralisme sous ses diverses formes ; tout au plus elles peuvent être un point de départ, une impulsion.
En Russie, l’Église orthodoxe, qui a repris ses droits, peut jouer un rôle très important dans le sens d’une révolution conservatrice, que l’État ne peut entreprendre à lui seul (du fait des intrications des intérêts économiques et leur poids dans les décisions politiques). Les religieux, les docteurs de la foi, les philosophes, les politiques et les intellectuels de tous les domaines doivent travailler de concert à l’élaboration d’un projet global en vue de la refondation de la société sur des bases traditionnelles.
L’Histoire pourrait bien offrir cette chance, dans la mesure où, à mon sens, notre monde est en train de basculer, avec l’effondrement des dernières idéologies modernes, dans une nouvelle ère, l’ère véritablement postmoderne.
Une interview de Youssef Hindi réalisée par Iurie Rosca parue le 8 août 2017 dans la revue GEOPOLITICA.RU à l’occasion du centenaire de la révolution bolchevique.
Note du Saker Francophone Les lecteurs attentifs auront noté que 2 autres intervenants Valérie Bugault et Emmanuel Leroy sur ce site auront répondu à la question il y quelques semaines. Youssef Hindi donne un troisième éclairage sur cette révolution.
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