Alors maintenant ?


Par James Howard Kunstler – Le 14 novembre 2016 – Source kunstler.com

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L’air de rien, l’Amérique a recraché Hillary Clinton la semaine dernière, comme un glaviot irritant mais qu’elle a dû ravaler comme une pilule amère appelée Donald Trump. Cela valait la peine de voir le brouillard de la mafia Hillary s’étaler sur les réseaux des médias, alors que la narrative « Je suis avec elle / c’est son tour» n’était qu’une couverture pour l’équipe de pilleurs qu’est devenu l’establishment permanent à Washington DC, y compris la Fondation Clinton.

De toute évidence, la nation est ébranlée par ce laxatif, luttant pour comprendre le sens de tout cela. Le grand moment pour moi est survenu lorsque la semaine dernière, Slate Political Gabfest, un podcast orienté très à gauche, via son modérateur David Plotz, a demandé à ses collègues John Dickerson (de CBS News) et Emily Bazelon (du NY Times) ce que pourrait faire le Parti démocrate pour regagner la légitimité après cette catastrophe électorale. Silence de mort. Rien ne leur est venu à l’esprit.

Quelque chose m’est venu à l’esprit, comme à un vieux démocrate encarté depuis longtemps : jeter cette stupide politique ethnique et revenir à la réalité. Hélas, c’est peut-être trop demander. Pour l’instant, le parti est en ruines, sans une seule figure de taille pour représenter un ensemble cohérent d’idées autres que celle de stimuler l’estime de soi des groupes cherchant des faveurs. Voici mon idée : que diriez-vous de former une opposition crédible à ce qu’on appelle l’État profond, la matrice du racket et de la construction de cet Empire qui a drainé la vie hors de la politique? C’était impossible avec le racketteur en chef menant le ticket électoral bleu [Démocrate, NdT], mais maintenant que la dynamique se tient nue et évidente, répondons à la question: que faire ensuite?

Autre élément, bien sûr, c’est que s’opposer à l’état profond des rackets est à peu près ce que M. Trump a promis de faire, si «drainer le marais» [Douguine aussi parle de marais, NdT] signifie quelque chose. Il ne l’a jamais bien articulé clairement au-delà de cette métaphore, mais vous pouvez parier que c’est ce pourquoi l’establishment de Washington DC est si alarmé. Le comportement de Trump lors de la campagne est maintenant salué dans les médias comme une sorte de génie. Pour moi, il semble encore très suspect et il reste à voir comment un tel brigand pourrait organiser notre évasion de l’empire des rackets et du racket de l’Empire. Il commence à ressembler à un homme dans un tunnel, regardant fixement la puissante lumière d’un train roulant vers lui.

M. Trump pourrait ne pas le savoir encore, mais sa tâche principale sera de gérer la contraction économique. Cela semble problématique, puisque sa promesse principale – «Make America Great Again» – est basée sur le redémarrage des expansions épiques des XIXe et XXe siècles. Eh bien, les choses ont changé. Ce n’est plus un continent vierge rempli de filons, de champs pétroliers inexploités et de gisements fabuleux qui implorent d’être exploités. En fait, nous sommes sur le point d’être au bout de ces ressources. Et l’économie techno-industrielle élaborée à partir de ces actifs est salement vacillante.

Il y a un fort désir de voir ce système remplacé juste-à-temps par une économie verte alternative, encore à créer, avec des voitures solaires électriques sans conducteur – mais, bien sûr, l’idiotie pathétique incontestée de la dépendance automobile, supposée au centre de cette narrative, devrait vous dire à quel point c’est irréel. La contraction à laquelle nous faisons face, a ses impératifs qui lui sont propres, et cela n’inclut pas la poursuite du Happy Motoring, en aucune façon. Je suis certain que les équipes de Trump ne l’ont même pas imaginé.

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Je proposerais trois méta-problèmes pour considérer la façon dont l’Amérique pourrait survivre aux désordres de The Long Emergency : la financiarisation de l’économie, les fardeaux de l’empire et le fiasco de notre organisation de vie suburbaine.

La financiarisation de l’économie a déjà atteint son climax désastreux sur lequel j’ai écrit, avec des marchés obligataires en baisse, partout sur la planète. Ce que cela signifie, c’est que les facteurs de risques longuement ignorés, associés à la dette sont de retour à la maison. Comme prévu, ils vont étaler une belle couche de caca sur tout le paysage financier. Les sociétés industrielles ont emprunté sur l’avenir à un degré grotesque depuis des décennies, prétendant que ces dettes étaient des actifs plutôt que des passifs. Cette perception est sur le point de changer et avec elle, une quantité énorme de richesse théorique présumée va disparaître. Cela se traduira par une hausse des rendements obligataires (et une baisse des valeurs obligataires), des effondrements de monnaies, des flux de capitaux paniqués, des situations d’urgence bancaires et des sautes d’humeur sur le prix des actions sur les marchés. Si cela semble trop métaphysique, on peut aussi considérer cela comme des économies en contraction et le flétrissement des relations commerciales mondiales. Il y a aussi une chance qu’elle s’exprime en un conflit cinétique, c’est-à-dire la guerre.

Mon point de vue est que cette méta-situation seule pourrait submerger le gouvernement Trump dès le début. Nous pourrions avoir des problèmes avec des ordres de grandeur bien pires que tout ce que à quoi Roosevelt a fait face en 1933, avec les fermetures de banques, la saisie des comptes et la paralysie des affaires quotidiennes. Cela mènerait facilement à des troubles civils, à une rupture de la légalité et à la paupérisation de la plupart des Américains. Elle pourrait aussi déboucher sur des résultats politiques jusqu’alors inconnus, comme une discontinuité du gouvernement. Ceci est lié au second méta-problème, les fardeaux de l’Empire.

Les États-Unis gaspillent leur vitalité en essayant de maintenir un empire mondial à moitié garanti de supposés intérêts économiques, idéologiques et existentiels. Dernièrement, ce projet malheureux n’a abouti qu’à des guerres sans fin, dans des endroits qui ne nous appartiennent pas. Cela comprend des expériences imprudentes, telles que la promotion de changements de régime (Irak, Libye, Ukraine, Égypte, Syrie) et des exercices insensés et provocateurs, comme l’utilisation des forces de l’OTAN pour mener des jeux de guerre près de la frontière russe. Le coût monétaire de tout cela est hors limites, bien sûr, redondant avec le désordre financier. Mettre fin à ses impulsions impériales pourrait être à l’ordre du jour de Trump, mais ses propres prétentions impériales plaquées en or suggèrent qu’il pourrait aggraver la situation, en combinant une réduction de notre empire avec une perte de la «grandeur» qu’il veut réclamer. En effet, l’Amérique pourrait être forcée par les circonstances économiques à céder les fardeaux de l’Empire. Le monde est sur le point de devenir une place plus grande à nouveau, à mesure que le mondialisme va s’essouffler et que les grandes nations vont établir des sphères d’influence plus réalistes. Nous ferions mieux de nous associer à ce programme.

Troisièmement vient la question de la façon dont les Américains habitent: le fiasco des banlieues et tous ses accessoires et autres meubles. Vous pouvez juste faire une croix dessus. Le grand projet qui attend ce pays est celui de la façon dont nous pourrions redistribuer notre population autour de communautés pédestres réaménagées et dotées d’économies localisées, y compris une agriculture remaniée. Cela va arriver, qu’on le veuille ou non. C’est seulement une question de savoir à quel point le processus peut être désordonné. De toute évidence, toute cette banlieue mitée là-bas représente également une énorme portion de richesse présumée. La «valeur» investie dans les maisons de banlieue est à elle seule la sous-couche de la finance structurée. Il n’y a pratiquement aucune conscience politique dans aucun parti – y compris chez les Verts – quant à la façon dont nous pourrions essayer de résoudre ce problème.

Mais, par exemple, et pour commencer, M. Trump pourrait considérer les effets que la chaîne nationale de magasins «Big Box» a eu sur Main Street America. Elle a littéralement détruit les économies commerciales locales partout dans le pays, et avec elles, des niches professionnelles innombrables et des rôles sociaux dans les communautés. Cela ne veut pas dire signer un édit contre l’empire Big Box, mais ses employés pourraient commencer à imaginer le processus de reconstruction des réseaux locaux de commerce et désactiver activement le business modèle Big Box. Ce modèle a beaucoup d’autres manières d’échouer, accessoirement, et il est déjà en échec dans une certaine mesure, entre l’appauvrissement de ses clients et les problèmes croissants avec les lignes d’approvisionnement mondiales. Mais tout ce qui pourrait lubrifier la transition serait mieux que l’effondrement brutal des petits arrangements actuels.

Le bavardage de cette semaine a été tout accaparé par l’orgie à venir d’«infrastructures» que Trump veut entreprendre. Cela dépend avant tout de la façon dont le secteur financier se fissure. J’espère que nous ne gaspillerons pas plus de notre capital en diminution, sur les accessoires de la dépendance automobile, parce que cette addiction va devoir être sevrée. Une chose que M. Trump pourrait obtenir, c’est la restauration des chemins de fer de transport de voyageurs de l’Amérique, afin que nous puissions au moins traverser la nation-continent lorsque la fête Happy Motoring calera. Cela mettrait beaucoup de monde au travail sur des choses réellement bénéfiques à long terme – cela s’inscrit dans la restauration des villes de Main Street [Villes populaires, NdT] et de leurs économies – et c’est un projet faisable, qui pourrait nous donner un encouragement nécessaire pour aller de l’avant, avec les nombreux autres projets nécessaires qui attendent notre attention.

Au cas où tu te demanderais si je n’aurais pas sauté de joie en applaudissant la victoire de Trump, aussi étonnante qu’elle fut. J’ai pensé que la bonne nouvelle était que Hillary ait perdu et que la mauvaise nouvelle était que Trump ait gagné. Maintenant, nous devons juste faire avec cela.

James Howard Kunstler

Ancien journaliste et auteur de nombreux ouvrages dont Too Much Magic et The Long Emergency.

 

Note du Saker Francophone

Kunstler a mis une semaine à cogiter son premier papier sur l'élection. Beau joueur, il acte le résultat mais il frappe fort. Il tape là où ça va faire mal pour Trump, sur ce que celui-ci n'a pas dit ou pas compris. C'est que ça va tanguer, quoi qu'il arrive. Lirait-il Brandon Smith ? Le système de racket a mélangé l'argent sale, les retraites des vieux occidentaux et les actifs de bien d'autres. Sans ce système, c'est la notion d'argent au sens dollar qui peut disparaître. On peut toujours imaginer qu'une nouvelle monnaie devrait remplacer ce pétro-dollar, mais sur 15 ans, pas en quelques semaines ou en un week-end. Tactiquement, Trump devrait jouer cartes sur table et affronter la crise selon son calendrier, mais osera-t-il ? Il faudrait que les BRICS soient parties prenantes... et si en plus les anciens maîtres s'y font plumer... On peut rêver. 

Pour la partie réorganisation, il faut lire son livre Too Much Magic, pour bien comprendre les risques systémiques liées aux villes américaines qui ne sont pas construites là où il faut, comme en Europe. Mais les résistances culturelles vont être énormes et ce n'est a priori pas Trump qui pourrait l'incarner.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone

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