Que font réellement les Russes en Syrie?


Par le Saker original – Le 13 septembre 2015 – Source thesaker.is

Je pense qu’une semaine après que Ynet a révélé l’affaire d’une intervention militaire russe en Syrie, nous pouvons affirmer en toute confiance que c’était là une opération psychologique typiquement anglosioniste destinée à freiner l’implication russe dans la guerre impériale contre la Syrie, qui n’a aucun fondement dans la réalité.

Ou bien est-elle fondée?

Il s’avère qu’il y avait un petit noyau de vérité dans ces histoires. Non, la Russie n’était pas en train d’envoyer «des MiG-31 pour bombarder Daesh» ni d’envoyer un SSNB (sous-marin armé de missiles ballistiques intercontinentaux) sur la côte syrienne. Mais il y a des signes grandissants que la Russie fait deux choses:

1) accroître son implication diplomatique dans le conflit en Syrie

2) livrer certains équipements militaires non spécifiés mais importants à la Syrie

Le second élément est le plus intéressant des deux. Inutile de le dire, comme c’est typique dans ce genre de cas, le contenu effectif de la cargaison que la Russie envoie par air et par mer n’a pas été rendu public, mais nous pouvons spéculer. D’abord, nous savons que la Syrie a besoin d’une grande quantité de pièces de rechange et de réparation de ses équipements. Cette guerre dure depuis quatre ans maintenant et les Syriens ont fait un usage intensif de leur matériel. Ensuite, les Syriens manquent de certains systèmes sur le champ de bataille qui pourraient beaucoup les aider. Par exemple des radars de contrebatterie (des radars qui repèrent de quel endroit tire l’artillerie ennemie) et des systèmes de guerre électronique. En outre, des sources russes disent que la Syrie a besoin de davantage de véhicules blindés pour les transports de troupes.

Nous savons que la Russie et la Syrie ont passé des contrats militaires depuis longtemps et nous savons que la Russie livre actuellement son équipement lourd par mer et les systèmes plus légers par voie aérienne. Tout cela indique-t-il un changement?

Non. Du moins pas pour l’instant.

Alors pourquoi cette panique anglosioniste?

Mon sentiment est qu’une des choses qui les rend aussi nerveux est que les Russes ont apparemment choisi la ville de Lattaquié comme point de livraison. Contrairement à Damas, Lattaquié est un emplacement idéal : elle est sûre mais pas trop éloignée des lignes de front et elle est assez proche de la base russe de Tartous. L’aéroport et le port naval sont également faciles à protéger et à isoler. Il y a déjà des rapports selon lesquels les Russes ont prolongé les pistes et amélioré l’infrastructure de l’aéroport de Lattaquié et qu’on y a observé atterrissage de lourds AN-124 [avion cargo Antonov]. Quant à la marine russe, elle a envoyé des bateaux à l’aéroport de Lattaquié.

En d’autres termes, au lieu de se limiter à Tartous ou d’entrer dans Damas, très exposée, les Russes semblent avoir créé une nouvelle tête de pont au nord du pays, qui pourrait être utilisée pour livrer du matériel, et même des forces, dans la zone de combat du nord du pays.

Cela expliquerait aussi, par ailleurs, les rumeurs paniquées sur les Russes envoyant leurs unités d’infanterie navale de Crimée en Syrie : les troupes d’infanterie navale sont idéales pour protéger une telle base et, tenant compte du fait que les lignes de front ne sont pas très loin, ce serait parfaitement sensé pour les Russes de sécuriser leur tête de pont avec ces unités.

De plus, tandis que l’équipement lourd est généralement envoyé par mer, les Russes peuvent livrer leurs systèmes de défense aérienne par avion cargo : l’AN-124 est plus que capable de transporter des S-300. Ce fait seul pourrait expliquer la panique anglosioniste.

Il semble qu’il se passe la chose suivante : les Russes, apparemment, envoient une quantité limitée mais importante de matériel pour fournir une aide immédiate aux forces syriennes. En faisant ainsi, ils ont aussi créé les conditions pour garder leurs options ouvertes. Ainsi, alors qu’aucune intervention russe massive n’a lieu, quelque chose a vraiment changé dans le conflit syrien.

J’aimerais ajouter ici que tandis que les forces gouvernementales ont perdu récemment la base aérienne d’Idlib au nord du pays (et pas très loin de Lattaquié), toutes mes sources me confirment que les forces syriennes sont dans une bien meilleure position que Daesh et que la guerre se passe très mal pour les takfiris. Les Syriens ont récemment libéré la ville de Zabadani et sont à l’offensive en maints endroits, et s’il est vrai que Daesh contrôle encore beaucoup de terrain, c’est principalement du désert.

Pour résumer ce qui précède, je dirais ceci : les anglosionistes flippent parce que leur guerre contre la Syrie a échoué ; tandis que Daesh a créé le chaos et la terreur dans plusieurs pays, il y a de nombreux signes que les pays sur place sont progressivement de plus en plus déterminés à faire quelque chose. Les États-Unis ont aussi échoué à se débarrasser de Assad, l’afflux massif de réfugiés a déclenché une crise majeure en Europe, et maintenant les Européens voient Assad sous un éclairage radicalement différent. La Russie a clairement décidé de s’engager politiquement avec toutes les puissances régionales, déclassant efficacement les États-Unis, et il y a des indices tout à fait concluants que les Russes maintiennent leurs options ouvertes. Et tandis qu’il n’y a absolument aucune raison de soupçonner que la Russie planifie une intervention militaire de grande envergure dans le conflit, en termes de quantité, il y a des signes que le soutien russe a atteint un nouveau niveau qualitatif.

Il faut souligner deux choses ici :

Premièrement, au niveau politique, il est extrêmememt improbable que la Russie entreprenne unilatéralement une action importante dans cette guerre. Tant que la Syrie est un pays souverain et tant qu’un accord russo-syrien est suffisant pour justifier légalement toute opération militaire convenue par les deux parties, la Russie se donnera les moyens de ne pas agir seule. Cela explique pourquoi le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov s’efforce de créer une sorte de coalition.

Deuxièmement, sur un plan militaire, le pays à considérer n’est pas la Russie mais l’Iran. Les Iraniens ont une voie terrestre sûre vers la Syrie (par le nord de l’Irak) et ils disposent du genre de forces combattantes susceptibles d’être engagées avec succès contre Daesh. Il en va de même pour le Hezbollah qui a, et aura à l’avenir, à envoyer ses forces d’élite pour soutenir les Syriens dans des zones stratégiquement vitales. S’il était nécessaire d’engager une opération terrestre importante en soutien des forces syriennes, nous devrions nous attendre à ce que ce soient ces forces qui interviennent, et non les Russes.

Pour conclure, je dirais que ce que nous voyons se mettre en place est du Poutine typique : tandis que les dirigeants occidentaux préfèrent généralement des actions très visibles [et médiatisées, NdT] qui apportent des résultats immédiats (mais à court terme), Poutine préfère laisser ses adversaires s’infliger eux-mêmes le maximum de dommages avant d’intervenir par étapes graduelles et lentes. Le déchaînement de Daesh par les anglosionistes était une sorte de choc et effroi politique qui a presque renversé le gouvernement syrien. Lorsque cette stratégie d’action rapide mais à court terme a échoué, Assad était toujours là, mais Daesh s’était transformé en un monstre, un Golem qui menaçait tout le monde et que personne ne pouvait contrôler. Quant à Assad, il a été progressivement déclassé, passant du statut de nouvel Hitler gazant son propre peuple à celui de quelqu’un qui sera de toute évidence une partie de la solution (quelle que soit la solution qui finira pas émerger).

Pour tous ceux qui résistent à l’Empire, la leçon est claire : la chose la plus difficile est de rester debout après le premier choc infligé par les forces impériales. Si vous pouvez survivre (comme le Donbass et la Syrie l’ont fait), alors le temps joue en votre faveur et la position de l’Empire commencera à faiblir lentement mais sûrement à cause de ses propres contradictions internes. Lorsque ce processus est en cours, vous ne devez pas tomber dans le piège du surengagement, mais occuper graduellement chaque position (politique ou autre) abandonnée par l’Empire dans le processus de désintégration tout en assurant la vôtre à chaque étape du parcours.

C’est beaucoup trop tôt pour un quelconque trimphalisme – Daesh est toujours là, les Ukronazis à Kiev aussi, et l’Empire n’y pas encore tout à fait renoncé. La bonne nouvelle est que le vent a maintenant visiblement tourné et que si la lutte à venir est encore longue, la défaite finale des takfiris et des nazis semble inévitable.

The Saker

Cette chronique a été écrite pour Unz Review

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

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