NBC donne un coup de main à Poutine sans le réaliser


Par Ray McGovern – Le 12 mars 2012 – Source Consortium News

Alors que le président russe est en pleine campagne pour sa réélection, il vient d’être interviewé par Megyn Kelly, de NBC, et leur discussion lui a permis de lustrer ses arguments vis-à-vis de l’électorat russe, nous explique Ray McGovern.

L’équipe du président russe Vladimir Poutine a réussi un coup double avec son long discours du 1er mars revendiquant la parité stratégique avec les États-Unis, puis son duel nocturne avec Megyn Kelly de NBC. Tout doute subsistant sur le fait que Poutine est parti pour un autre mandat présidentiel est maintenant dissipé. Poutine pourrait même envisager d’envoyer une lettre de remerciement à NBC.

Alors que je regardais l’évènement spécial de NBC, Confronting Poutine vendredi soir, je me demandais – naïvement – ce qui avait pu pousser le président Poutine à se soumettre de nouveau à ce que NBC appelle un « passage à la casserole » par Megan Kelly, pleine de questions vicieuses et d’interruptions bien peu polies, à peine neuf mois après son premier « passage à la casserole ». Je me suis alors rendu compte que ce « passage à la casserole » n’existe que dans l’œil du spectateur.

En regardant la cassette russe originale des entrevues, il est devenu clair que le tête-à-tête montrait un Poutine qui paraissait patiemment mais sûrement présidentiel pour les téléspectateurs russes qui pouvaient voir l’ensemble des entrevues, et pas seulement les extraits sélectionnés et diffusés par NBC et « analysés » par Richard Haas. (Conseiller proche du secrétaire d’État Colin Powell, Haas faisait partie de ceux qui lui ont dit que c’était une bonne idée d’envahir l’Irak. Lorsque la « promenade de santé » prévue a tourné à la gabegie, sans armes de destruction massive en vue, Haas a démissionné en juillet 2003 et est devenu président du Council on Foreign Relations où il en est maintenant à sa quinzième année).

Revenons au pas de deux Kelly-Poutine. Lors de l’interview du 1er mars, le président russe a montré sa résolution. Lorsque Kelly lui demande, pour la première fois s’il y avait « une nouvelle course aux armements en ce moment » −  après l’annonce par Poutine des nouvelles armes stratégiques russes − Poutine lui a rappelé que ce sont les États-Unis qui se sont retirés en 2002 du Traité ABM établi en 1972. Il a ajouté qu’il avait averti à plusieurs reprises l’administration Bush/Cheney que la Russie serait contrainte de répondre à cette dangereuse perturbation de l’équilibre stratégique.

Pour une raison que Kelly et NBC connaissent mieux que moi, Kelly a tenté à maintes reprises de démontrer que la décision des États-Unis d’abolir le traité ABM était le résultat des attentats terroristes du 11 septembre 2001 car, a-t-elle répété, « les États-Unis réévaluaient leur dispositif de sécurité. »

« C’est un non sens total » fut la réponse de Poutine (polniy chush en russe – chush sonnant comme une onomatopée est une version polie de « connerie »). Poutine a expliqué que « le 11 septembre et le système de défense antimissile n’ont aucun rapport entre eux » ajoutant que « même les femmes au foyer » sont en mesure de comprendre cela. Il a trouvé l’occasion d’utiliser polniy chush (ou simplement chush) plusieurs fois au cours de l’entrevue.

« L’interférence » russe

Sans surprise, Kelly était armée d’une série de questions sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016 et, dès le début de l’interview, a demandé : « Pouvons-nous avoir cette discussion maintenant ? ». Poutine a répondu : « Je pense qu’on doit discuter de cette question si elle continue à vous tracasser. ». Et ils sont partis pour un échange acharné, avec Poutine répondant calmement aux attaques de Kelly.

Quand Kelly l’interrompt, Poutine lui dit : « Vous n’arrêtez pas de m’interrompre, c’est impoli. » Kelly s’excuse, mais continue consciencieusement à s’épancher sur ce qui reste de charges possibles. Elle  insiste à maintes reprises pour que Poutine punisse les « fermiers à clics » mis en accusation par le conseiller spécial Robert Mueller pour avoir enfreint la loi américaine.

Sans doute pleinement informé sur le fait que Kelly est titulaire d’un diplôme en droit, Poutine a demandé : « Avez-vous des personnes ayant une formation juridique ? (…) Nous ne pouvons pas lancer une enquête sans motif valable. (…) Donnez-nous au moins une enquête officielle avec un exposé des faits ; envoyez-nous un papier officiel. »

Kelly : « N’est-ce pas suffisant que les services de renseignements américains… et maintenant un procureur spécial (sic) avec une accusation criminelle officielle – n’est-ce pas suffisant pour que vous-vous en occupiez ? »

Poutine : « Absolument pas. Si vous n’avez pas de formation juridique, je peux vous assurer qu’une enquête est nécessaire pour cela. »

Kelly : « J’ai une formation juridique. »

Poutine : « Alors vous devriez comprendre qu’une enquête officielle correspondant aux faits doit être envoyée au parquet général de la Fédération de Russie. »

L’entrevue s’est avérée plus difficile vers la fin, car Kelly a tenté de poser toutes ses questions, y compris l’accusation non étayée selon laquelle les forces du gouvernement syrien utilisent des armes chimiques et que la Russie en porte une part de responsabilité.

Au cours du va-et-vient sur les armes chimiques, Poutine a non seulement qualifié de mensonge les accusations portées contre la Russie, mais il a jugé bon de se référer au discours erroné de Colin Powell à l’ONU, six semaines seulement avant l’attaque des États-Unis contre l’Irak : « C’est un mensonge, tout comme la fiole contenant la substance blanche qui prouvait que l’Irak possédait des armes de destruction massive, fiole que la CIA a donné au secrétaire d’État. »

Pour faire bonne mesure, Poutine a même lancé : « Pourquoi avez-vous encouragé un coup d’État en Ukraine ? ».

Une fois de plus, le président Poutine a terminé sur son vœu habituel : « La Russie et les États-Unis devraient s’asseoir et parler pour mettre les choses au clair. J’ai l’impression que c’est ce que le président actuel veut, mais certaines forces l’en empêchent. Nous sommes prêts à discuter de toute question, qu’il s’agisse de questions liées aux missiles, au cyberespace ou à la lutte contre le terrorisme. Mais les États-Unis doivent aussi être prêts ».

Un président fort

Ça sonne présidentiel. Je suis convaincu que c’était l’idée de Poutine. Et Megyn Kelly était, à bien des égards, la parfaite candidate. Les Russes ont également pris la peine de publier une transcription anglaise complète des entrevues Kelly-Poutine pour les anglophones qui pourraient être intéressés par ce que NBC a préféré laisser de coté.

Moins d’une semaine avant les élections russes, Poutine est sans aucun doute heureux que Megyn Kelly soit passée, et que NBC lui ait donné l’occasion si opportune de lustrer ses arguments pour un nouveau mandat à la présidence russe.

Ray McGovern

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.

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