Par Moon of Alabama – Le 26 juillet 2018
Imran Khan a remporté les élections d’hier au Pakistan. C’est un politicien hors du commun et son programme politique est louable. La tâche qui l’attend est difficile et pleine de dangers.
Imran Khan a revendiqué la victoire de son parti Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) lors de cette élection historique pour le Pakistan. Le PTI représente un virage populiste qui s’éloigne des anciens partis traditionnels, le PML-N et le PPP, qui ont tous deux obtenu des résultats médiocres à l’élection. En outre, les résultats des partis extrémistes religieux sont particulièrement mauvais comparés aux deux élections précédentes et aux prévisions de nombreux partis théocratiques. Enfin, le MQM, très controversé, a perdu à la fois des sièges et son élan électoral dans son centre de Karachi, au profit du PTI.
De la même manière, le PML-N sortant a eu de mauvais résultats dans son bastion traditionnel du Pendjab lors du vote national, et c’est le PTI d’Imran Khan qui l’a emporté haut la main dans l’élection de l’assemblée du Pendjab. Enfin, dans le Khyber Pakhtunkhwa qui, depuis 2013, est gouverné par un conseil provincial dirigé par le PTI, les femmes ont pu voter pour la première fois. Comme prévu, le PTI a fortement dominé dans tout le Khyber Pakhtunkhwa.
Imran Khan est un personnage intéressant. Il est né en 1952 dans une famille pachtoune aisée avec une tradition anticoloniale. Il a fait ses études en Grande-Bretagne. Après avoir obtenu son diplôme d’Oxford, il est devenu un joueur de cricket professionnel de premier plan. En 1992, il a remporté la Coupe du monde de cricket pour le Pakistan en tant que capitaine de l’équipe. Cela a fait de lui un héros national, mais, du fait de sa vie dans les hautes sphères, il a acquis également la réputation d’être un coureur de jupons et un playboy.
Son entretien de 2012 avec Julian Assange (vidéo) montre qu’il est bien plus que cela. En 1996, il a fondé son parti politique et l’a lentement mené au succès. L’administration par le PTI du Khyber Pakhtunkhwa, l’État pachtoune pauvre et déchiré par la guerre qui jouxte l’Afghanistan, a surpris tout le monde par son efficacité.
Le Pakistan a longtemps été gouverné par les militaires et quelques riches clans qui ont utilisé leurs partis politiques pour s’enrichir. Imran semble être différent.
Les partis qui ont perdu les élections prétendent qu’elles ont été truquées par l’armée pakistanaise. Pendant la campagne, l’armée a certainement tenté de fausser les élections. Elle aurait incité certains candidats à changer d’affiliation politique et se serait ingérée dans certains médias. Mais les élections elles-mêmes se sont déroulées le plus souvent de manière pacifique, la mission d’observation de l’UE semble largement satisfaite du processus et le résultat est conforme aux sondages et aux prévisions antérieures.
Imran a fait campagne sur une plateforme sociale-démocratique et anti-corruption. Son discours de victoire soulignait sa préoccupation pour les pauvres :
« Le Pakistan devrait être un État qui a assez d’humanité pour assumer la responsabilité de nos classes les plus faibles.
Les plus faibles meurent de faim. Je vais faire de mon mieux – toutes mes décisions auront pour but d’élever nos classes les plus faibles, nos travailleurs… nos agriculteurs pauvres, qui travaillent toute l’année et n’ont pas d’argent… 45 % des enfants ont un retard de croissance, ils n’atteignent pas la taille qu’ils devraient avoir, ou leurs cerveaux ne se développent pas comme il faut.
(…)
Aucun pays ne peut prospérer quand il y a un îlot de riches dans une mer de pauvres. »
Le Pakistan est depuis longtemps un État aux ordres des États-Unis et de leur financier saoudien. Les États-Unis en ont usé et abusé pendant leur guerre par procuration en Afghanistan contre l’Union soviétique et le pays ne s’en est jamais remis. La corruption et le fanatisme religieux que cette guerre a amenés dans le pays n’ont pas disparu une fois la guerre terminée. L’armée pakistanaise a profité de l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis en 2003 pour les racketter. Elle a exigé beaucoup d’argent pour laisser passer l’approvisionnement nécessaire aux Étasuniens à travers le Pakistan tout en soutenant la résistance des talibans contre l’occupation américaine. Finalement, les États-Unis ont perdu la guerre. Imran Khan a organisé des manifestations contre la guerre terroriste américaine et ses frappes de drones au Pakistan et ailleurs. Dans son discours de victoire, il a souligné l’inégalité de la relation :
« Il y a aussi l’Afghanistan, le pays qui a le plus souffert de la guerre contre le terrorisme. Le peuple afghan a besoin de paix. Nous voulons la paix là-bas. S’il y a la paix en Afghanistan, il y aura la paix au Pakistan. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour y parvenir.
Nous voulons avoir un jour des frontières ouvertes avec l’Afghanistan.
Avec les États-Unis, nous voulons avoir une relation mutuellement bénéfique…. jusqu’à présent, tout va dans un seul sens malgré ce que pensent les États-Unis de l’aide qu’ils nous donnent pour se battre dans leur guerre… nous voulons que les deux pays bénéficient de la relation, nous voulons une relation équilibrée. »
L’administration de Trump se ralliera probablement à la position d’Imran, après avoir essayé de le saboter. Les médias américains disent que l’élection a été « disputée ». Trump a exigé que le Pakistan arrête de « déstabiliser l’Afghanistan » et il a retenu une partie de l’argent que le pays devait recevoir. Mais Trump veut aussi quitter l’Afghanistan. Hier, un fonctionnaire du département d’État a rencontré des représentants des talibans au Qatar pour relancer les négociations de paix. L’administration Trump, comme les autres avant elle, apprendra bientôt qu’il ne peut pas y avoir de paix en Afghanistan sans l’accord du Pakistan.
Au cours des dernières années, le Pakistan s’est rapproché de plus en plus de la Chine. D’importants investissements dans les infrastructures chinoises remodèlent le pays. Imran veut poursuivre cette relation :
« La Chine nous offre la belle opportunité, par l’intermédiaire du CPEC (China–Pakistan Economic Corridor), d’attirer des investissements au Pakistan.
Nous voulons apprendre de la Chine comment ils ont sorti 700 millions de personnes de la pauvreté…. L’autre chose que nous pouvons apprendre de la Chine, concerne… les mesures qu’ils ont prises contre la corruption, comment ils ont arrêté plus de 400 ministres là-bas. »
C’est avec son voisin indien que les relations du Pakistan sont les plus fragiles, en particulier en ce qui concerne la vallée du Cachemire à majorité musulmane sur laquelle l’Inde règne sans ménagement, et d’où vient le fleuve Indus, le cordon ombilical du Pakistan et son point faible. Les deux États nucléaires se sont affrontés plusieurs fois. Les relations tendues avec l’Inde permettent à l’armée pakistanaise de justifier les avantages de son corps d’officiers et son rôle excessif dans la politique pakistanaise.
Imran Khan aimerait entamer de nouvelles négociations avec l’Inde :
« Si le leadership de l’Inde y est prêt, nous sommes prêts à améliorer nos liens avec l’Inde. Si vous faites un pas en avant, nous en ferons deux. »
Mais la question est de savoir si les militaires le laisseront faire. Les analystes indiens sont sceptiques :
« Imran ne peut contribuer ni à l’amélioration ni à la détérioration des relations du Pakistan avec l’Inde. Les premiers ministres pakistanais ont depuis longtemps perdu l’influence qu’ils avaient sur l’orientation et la forme de la politique étrangère d’Islamabad il y a trois décennies, au lendemain de la mort du général Zia-ul-Haque. Au cours de ces décennies, l’armée pakistanaise a pris le contrôle absolu d’importantes questions de sécurité nationale concernant l’Afghanistan, les États-Unis, la Chine, les forces djihadistes et l’Inde. »
Imran Khan ne peut pas s’opposer à l’armée pakistanaise – du moins pas encore. S’attaquer à la corruption endémique et résoudre les problèmes économiques basiques de son pays sont déjà des tâches énormes. S’il réussit dans ces domaines, il pourra peut-être reprendre lentement le contrôle de la politique étrangère et mettre fin au pouvoir excessif de l’armée.
L’élection d’Imran Khan est une rupture avec le passé oligarchique du Pakistan. Pour mettre en place ses programmes sociaux et lutter contre la corruption, il lui faudra se battre contre un establishment puissant et sans scrupule. Il pourrait gagner ce combat, mais seulement à condition de garder l’appui des militaires. Pour cela, il devra se soumettre aux exigences des généraux en matière de politique étrangère. Seul un second mandat lui donnera assez de pouvoir pour s’attaquer à ce problème.
Pour l’instant, il est ce qui pouvait arriver de meilleur au Pakistan. Je lui souhaite bonne chance.
Traduction : Dominique Muselet