Le complexe militaro-industriel est la principale cause de la crise globale.


Par John Scales Avery – Le 30 mars 2018 – Source The Transnational

Je voudrais vous annoncer la publication d’un nouveau livre intitulé The Devil’s Dynamo [La dynamo du diable]. Il s’agit d’une collection d’articles et de textes sur la façon dont les complexes militaro-industriels du monde entier conduisent et perpétuent la guerre. Une quantité considérable de données nouvelles ont également été ajoutées.

Le livre peut être téléchargé et diffusé gratuitement du site de l’Académie danoise pour la paix.

Pourquoi appeler un livre sur les complexes militaro-industriels The Devil’s Dynamo ?

Un complexe militaro-industriel est un flux circulaire d’argent. L’argent y circule comme le courant électrique dans une dynamo, en faisant une machine diabolique. L’argent des oligarques immensément riches achète les votes des politiciens et la propagande des médias grand public.

Engourdis par la propagande, les citoyens permettent aux politiciens de voter pour des budgets militaires obscènement gonflés, ce qui enrichit encore plus les oligarques corporatifs et le flux circulaire se perpétue ainsi.

Les racines historiques du complexe militaro-industriel

La version moderne du colonialisme et de l’empire est une conséquence de la dynamo du diable contemporaine. Il est donc intéressant de se pencher sur la première ère globale de colonialisme.

Aux XVIIIe et XIXe siècles, le développement toujours plus rapide de la science et de l’industrie scientifique a commencé à toucher le monde entier. Au fur et à mesure que les usines d’Europe déversaient des produits manufacturés bon marché, la structure du commerce mondial s’est modifiée.

Avant la Révolution industrielle, les routes commerciales vers l’Asie permettaient d’importer en Europe des épices, des textiles et des produits de luxe asiatiques. Par exemple, des tissus de coton et des textiles fins, tissés en Inde, étaient importés en Angleterre. Avec l’invention des machines à filer et à tisser, le commerce s’est inversé. Le tissu de coton bon marché, fabriqué en Angleterre, a commencé à être vendu en Inde et l’artisanat textile indien à commencé à disparaître, tout comme c’était arrivé au secteur du tissage manuel en Angleterre, un siècle auparavant.

Avec l’industrialisation de l’Europe, les armements européens ont permis l’expansion coloniale jusqu’à ce que 85 % de la surface terrestre mondiale tombe sous la domination des nations industrialisées.

Le colonialisme peut être considéré comme un exemple précoce de complexe militaro-industriel.

À ce stade précoce de l’industrialisation, nous pouvions déjà voir des guerres menées au nom des ressources. Nous pouvions déjà voir un flux circulaire d’argent provenant des profits des fabricants d’armes vers les politiciens et leurs partisans, puis retour vers les fabricants d’armes. Nous pouvions déjà voir la Dynamo du Diable à l’œuvre. Le chapitre 2 du livre passe en revue l’historique de ces événements.

Les rivalités industrielles et coloniales ont contribué à l’éclatement de la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale peut être considérée comme sa suite.

La Seconde Guerre mondiale a été suffisamment terrible pour que les dirigeants du monde entier se résolvent à mettre fin à la guerre une fois pour toutes et les Nations unies ont été créées dans cet objectif. L’article 2 de la Charte des Nations Unies exige que « Tous les membres s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout autre État. »

Les chapitres 3 et 4 traitent des événements qui ont mené aux deux guerres mondiales et à la course aux armements d’aujourd’hui. Le chapitre 5 traite de l’expansion du droit international et des propositions de réforme de la Charte des Nations unies.

Les principes de Nuremberg, qui ont été utilisés pendant les procès des dirigeants nazis après la Seconde Guerre mondiale, ont explicitement interdit « les crimes contre la paix : (i) planifier, préparer, déclencher ou mener une guerre d’agression ou une guerre en violation des traités, accords ou assurances internationaux ; (ii) participer à un plan commun ou à une conspiration pour l’accomplissement de l’un des actes mentionnés sous (i) ».

La fondation de l’ONU et l’accent sur le droit international

Avec la fondation des Nations unies à la fin de la Seconde Guerre mondiale, un système de droit international a été mis en place pour remplacer le principe de la force militaire. La loi est un mécanisme égalitaire. Face à la loi, les faibles et les puissants sont en principe égaux.

L’objectif fondamental des Nations unies est de rendre la guerre illégale et si la guerre est illégale, les puissants et les faibles sont sur un pied d’égalité, au grand dam des puissants.

Comment peut-on construire ou maintenir un empire si la guerre n’est pas autorisée ? Il est naturel que des nations puissantes s’opposent au droit international, car c’est un frein à leur pouvoir. Cependant, malgré cette opposition, l’ONU a réussi à mettre fin à l’ère coloniale, peut-être en raison de l’équilibre des forces entre l’Est et l’Ouest pendant la guerre froide.

Une à une, les anciennes colonies ont retrouvé leur indépendance. Mais ce n’était pas fait pour durer. L’époque du colonialisme originel fut bientôt remplacée par le néocolonialisme et par « l’Empire américain ».

L’Empire américain et le CMI − Complexe militaro-industriel − contre lequel Eisenhower nous avait mis en garde.

Les deux guerres mondiales du XXe siècle ont entraîné une réorganisation complète de l’économie des pays belligérants et un dangereux phénomène moderne en est sorti, le complexe militaro-industriel.

Dans son discours d’adieu (le 17 janvier 1961), le président américain Dwight David Eisenhower mettait en garde contre les dangers de l’économie basée sur la guerre, que la Seconde Guerre mondiale avait forcé sa nation à mettre en place : « … Nous avons été contraints de créer une industrie de l’armement de vastes proportions », y disait Eisenhower, « … Maintenant cette conjonction d’un immense établissement militaire et d’une grande industrie de l’armement est nouvelle dans l’expérience américaine. Son influence totale − économique, politique, voire spirituelle − se fait sentir dans chaque ville, chaque parlement d’État, chaque bureau du gouvernement fédéral. (…) Nous ne devons pas manquer d’en comprendre les graves implications. Notre labeur, nos ressources et nos moyens de subsistance sont tous concernés, tout comme l’est la structure même de notre société. (…) Nous devons nous garder de l’acquisition d’une influence injustifiée, qu’elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. La catastrophique possibilité d’une montée au pouvoir de gens mal intentionnés existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos processus démocratiques. Nous ne devrions rien prendre pour acquis. »

Ce clairvoyant discours d’Eisenhower mérite d’être étudié par tous ceux qui se préoccupent de l’avenir de la civilisation humaine et de la biosphère.

Comme le soulignait le président sortant, le complexe militaro-industriel est une menace à la fois pour la paix et pour la démocratie. Elle n’est pas propre aux États-Unis, mais existe dans de nombreux pays.

Les pays du monde, membres de l’ONU, dépensent aujourd’hui environ 1,7 millions de millions de dollars US ($ 1.700.000.000.000.000) chaque année en armements.

Il est évident qu’un très grand nombre de personnes vivent de la guerre et il est donc correct de parler de la guerre comme d’une institution sociale, politique et économique.

Le complexe militaro-industriel est l’une des principales raisons pour lesquelles la guerre persiste, bien que tout le monde se rende compte que la guerre est la cause d’une grande partie des souffrances de l’humanité.

Les États-Unis d’après 1945 et comment le complexe militaro-industriel a besoin d’ennemis.

Le complexe militaro-industriel a besoin d’ennemis. Sans eux, il dépérirait. Ainsi, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce vaste et puissant complexe a été confronté à une crise, mais il a été sauvé par la découverte d’un nouvel ennemi : le communisme.

Les États-Unis sont sortis des deux guerres mondiales en devenant la puissance industrielle dominante, reprenant la position que la Grande-Bretagne avait occupée au cours du XIXe siècle. Les économies de ses rivaux ont été détruites par les deux guerres, alors qu’aucun combat n’a eu lieu sur le sol américain.

En raison de sa position unique en tant que seul grand pays dont l’économie est restée complètement intacte en 1945, les États-Unis se sont soudainement retrouvés au centre de la scène politique mondiale, presque sans le vouloir.

Son nouveau rôle de « leader du monde libre » a été accepté par les États-Unis avec une certaine nervosité. L’attitude précédente de l’Amérique penchait plutôt vers l’isolationnisme, le désir d’être « à l’abri des guerres et des querelles de l’Europe ».

Après la Seconde Guerre mondiale, cependant, cette attitude a changé et les États-Unis on prit un rôle international beaucoup plus actif. Peut-être que leur nouvel intérêt pour le reste du monde reflétait la puissance et la croissance rapide de l’économie industrielle du pays et son besoin en matières premières et nouveaux marchés (le motif classique de développement des empires).

En public, cependant, c’est la menace du communisme qui a été présentée aux électeurs américains comme justification de l’ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.

Aujourd’hui, après la fin de la guerre froide, il est devenu nécessaire de trouver une autre motivation respectable qui puisse être utilisée pour justifier une intervention étrangère, et la « Croisade contre le communisme » a été remplacée par la « Guerre contre le terrorisme ».

Interventionnisme et violations systématiques du droit international, y compris de la Charte des Nations Unies.

Bien que le déclenchement d’une guerre soit une violation de la Charte des Nations Unies et des Principes de Nuremberg, les États-Unis maintiennent aujourd’hui environ 1000 bases militaires dans 150 pays, selon Iraklis Tsavdaridis, secrétaire du Conseil mondial pour la paix : « L’établissement de bases américaines ne doit pas, bien sûr, être vu simplement en termes d’objectifs militaires directs. Elles sont utilisées pour promouvoir les objectifs économiques et politiques du capitalisme américain. Par exemple, les entreprises américaines et le gouvernement américain sont impatients, depuis un certain temps, de construire un corridor sûr pour les oléoducs et gazoducs contrôlés par les États-Unis depuis la mer Caspienne en Asie centrale, en passant par l’Afghanistan et le Pakistan jusqu’à la mer d’Arabie. Cette région possède plus de 6 % des réserves mondiales prouvées de pétrole et près de 40 % de ses réserves de gaz. La guerre en Afghanistan et la création de bases militaires américaines en Asie centrale sont considérées comme une opportunité clé pour faire de ces pipelines une réalité. »

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se sont ingérés militairement ou secrètement dans les affaires intérieures de très nombreux pays. En Chine, 1945-49 ; Italie, 1947-48 ; Grèce, 1947-49 ; Philippines, 1946-53 ; Corée du Sud, 1945-53 ; Albanie, 1949-53 ; Allemagne, 1950 ; Iran, 1953 ; Guatemala, 1953-1990 ; Moyen-Orient, 1956-58 ; Indonésie, 1957-58 ; Guyane britannique/Guyane, 1953-64 ; Vietnam, 1950-73 ; Cambodge, 1955-73 ; Congo/Zaïre, 1960-65 ; Brésil, 1961-64 ; République dominicaine, 1963-66 ; Cuba, 1959-présent ; Indonésie, 1965 ; Chili, 1964-73 ; Grèce, 1964-74 ; Timor oriental, 1975-présent ; Nicaragua, 1978- 89 ; Grenade, 1979-84 ; Libye, 1981-89 ; Panama, 1989 ; Irak, 1990-aujourd’hui ; Afghanistan 1979-92 ; El Salvador, 1980-92 ; Haïti, 1987-94 ; Yougoslavie, 1999 ; et Afghanistan, 2001-aujourd’hui.

Parmi les interventions qui viennent d’être mentionnées, la guerre du Vietnam, le bombardement du Cambodge et du Laos et les invasions de l’Irak et de l’Afghanistan ont été particulièrement terribles, entraînant la mort, la mutilation ou le déplacement de millions de personnes, la plupart d’entre elles étant des civils.

Lorsque la guerre froide s’est terminée avec l’effondrement de l’Union soviétique, un groupe de réflexion basé à Washington, appelé Project for a New American Century (PNAC), a soutenu qu’un moment stratégique était en train de se passer : les États-Unis étaient à ce moment là la seule superpuissance et ils se devaient d’utiliser la force militaire pour dominer et remodeler le reste du monde.

De nombreux membres du PNAC ont occupé des postes clés dans l’administration de George W. Bush. Il s’agit notamment de Dick Cheney ; I. Lewis Libby ; Donald Rumsfeld ; Paul Wolfowitz ; Eliot Abrams ; John Bolton et Richard Perle.

Aujourd’hui, le gouvernement américain prend des mesures qui semblent presque insensées, risquant une guerre nucléaire avec la Russie et s’aliénant en même temps la Chine.

À long terme, une telle arrogance ne peut réussir. Les dépenses de guerre excessives conduiront à l’effondrement de l’économie.

Une crise civilisationnelle

Alors que nous entrons dans le XXIe siècle et le nouveau millénaire, notre civilisation scientifique et technologique semble aborder une période de crise.

Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire, la science a donné à l’homme la possibilité d’une vie de confort, à l’abri de la faim et du froid et à l’abri de la menace constante des maladies infectieuses.

Parallèlement, la science nous a donné le pouvoir de détruire la civilisation par la guerre thermonucléaire, ainsi que le pouvoir de rendre notre planète inhabitable par la pollution et la surpopulation.

La question de savoir laquelle de ces alternatives nous choisissons est une question de vie ou de mort pour nous-mêmes et nos enfants.

La science et la technologie se sont montrées à double tranchant, capables de faire beaucoup de bien ou de produire beaucoup de mal, selon la manière dont nous utilisons l’énorme pouvoir sur la nature que la science nous a donné.

Pour cette raison, une vision éthique des choses est plus que jamais nécessaire.

La sagesse des religions, la sagesse traditionnelle de l’humanité, peuvent nous aider si nous essayons de nous assurer que notre progrès matériel écrasant nous sera bénéfique plutôt que désastreux.

La crise de civilisation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui a été provoquée par la rapidité avec laquelle la science et la technologie se sont développées. Nos institutions et nos idées s’adaptent trop lentement au changement.

Le grand défi que l’histoire a confié à notre génération est de construire de nouvelles structures politiques internationales qui seront en harmonie avec la technologie moderne. En même temps, nous devons développer une nouvelle éthique mondiale, qui remplacera nos étroites loyautés par une loyauté envers l’humanité dans son ensemble.

À long terme, à cause d’armes extrêmement destructrices, qui ont été produites par un mauvais usage de la science, la survie de la civilisation ne peut être assurée que si nous sommes capables d’abolir la guerre et les institutions qui s’en nourrissent.

John Scales Avery

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.

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