La Cour pénale internationale, un jouet aux mains des puissants ?


Par MARC Jean − Mars 2018

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Laurent Gbagbo

Le 30 novembre 2017, l’ancien président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo a entamé sa septième année de détention dans le quartier pénitentiaire de la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye (Pays-Bas). Par courrier du 9 février 2018, le juge-président de la Cour, Cuno Tarfusser, a fixé un ultimatum à la Procureure générale Fatou Bensouda. Il lui demande de fournir un mémoire d’instruction détaillé des preuves à l’encontre de l’accusé. On croit rêver. Ainsi, après quatre années d’une instruction conduite uniquement à charge, disposant d’importants moyens d’investigation, et deux ans de procès consacré à l’audition des seuls témoins de l’accusation, il est reproché à la Procureure générale de présenter un dossier insuffisant !

En effet, après le passage des témoins de l’accusation, le juge italien souhaite que Madame Fatou Bensouda fasse le lien entre les dépositions et les différentes charges retenues contre les deux accusés (Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, le leader des Jeunes Patriotes).

« À ce stade, conformément à ses pouvoirs et responsabilités statutaires et en vue de s’acquitter de son obligation d’assurer l’équité et la célérité du procès, la Chambre considère qu’il est en effet nécessaire d’inviter le Procureur à déposer un mémoire d’instruction contenant un récit détaillé de son cas à la lumière des témoignages entendus et de la preuve présentée au procès. Plus précisément, elle devrait indiquer à la Chambre de quelle manière, selon elle, la preuve appuie chacun des éléments des différents crimes et formes de responsabilité » stipule le communiqué publié en anglais.

Ce mémoire est nécessaire, selon le juge, au vu du retrait de nombreux témoins. « La Chambre rappelle que la défense de M. Gbagbo avait indiqué que, pour permettre à la défense et à la Chambre d’apprécier la thèse du Procureur (notamment compte tenu du nombre important de témoins retirés depuis l’ouverture du procès) le Procureur devrait fournir un mémoire préalable au procès amendé, où tous les éléments de preuve soumis et les témoignages seraient spécifiquement liés à chacune des charges » souligne le juge italien.

Dans son courrier, Cuno Tarfusser enjoint par ailleurs à Mme Fatou Bensouda de signaler le plus rapidement possible le retrait, si elle le souhaite, de certaines charges. Dans toute autre institution judiciaire, une telle incompétence du ministère public entraînerait des sanctions immédiates… ou tout au moins une mise en liberté conditionnelle du prévenu.

Ce véritable camouflet ne surprendra pas ceux qui suivent ce dossier depuis le début. Le Monde diplomatique dans son numéro de décembre 2017, titrait un article de Fanny Pigeaud consacré à cette affaire : « La Cour pénale internationale de nouveau en échec ». On relevait l’expression de « débâcle de l’accusation contre M.Gbagbo ». On lisait aussi que « révélant les carences d’une instruction à charge, les audiences mettent en lumière les responsabilités françaises dans le conflit et la puissance du réseau du président Alassane Ouattara ».

Dès juin 2012, la revue Marianne sous le titre « Gbagbo, déjà condamné ? » s’interrogeait sur le bien-fondé de la procédure judiciaire intentée alors par la Cour pénale internationale (CPI) contre l’ancien président de la Côte d’Ivoire. Les révélations récentes de neuf médias regroupés dans l’European Investigative Collaborations (EIC), notamment Médiapart 1 pour la France, montrent aujourd’hui à quel point celle-là semble avoir été engagée en dehors de tout cadre procédural et, comme l’écrivent nos confrères « au bénéfice exclusif d’une partie, à savoir l’actuel président ivoirien Alassane Ouattara ». En contradiction totale donc avec la neutralité politique absolue que revendique l’institution judiciaire depuis sa création.

Le rôle de la France dans la chute de M. Gbagbo suscite de nombreuses interrogations. Le 2 février 2016, la juge d’instruction française Sabine Kheris a demandé le renvoi devant la Cour de justice de la République des anciens ministres Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie et Michel Barnier. Ils auraient permis la fuite de mercenaires biélorusses soupçonnés d’avoir bombardé le camp de Bouaké en 200. 2. Neuf soldats français de la force d’interposition avaient péri, et Paris avait profité de l’émotion suscitée par cette attaque trouble pour « riposter » en détruisant la flotte aérienne ivoirienne. Pour les partisans du président déchu, la France cherchait en fait un prétexte dans une stratégie visant à éliminer M. Gbagbo.

Au printemps 2013, le dossier contre M. Gbagbo était si mince que la chambre préliminaire de la CPI avait demandé à la procureure des « preuves additionnelles » obligeant Mme Fatou Bensouda à revoir en toute hâte sa copie afin d’éviter un humiliant abandon des charges.

La Cour et la Procureure persistent, en dépit de leurs promesses de justice équitable et de combat contre l’impunité, à refuser de s’enquérir des crimes de l’ex-rébellion et de ses responsables aujourd’hui au pouvoir, se contentant de ne juger que les vaincus, en confirmant ainsi s’être laissées instrumentaliser par certains pays et certains intérêts. Amnesty International, dans un rapport publié le 26 février 2013, fustige sous le titre « La Loi des vainqueurs, une justice borgne, en Côte d’Ivoire et à La Haye ». 3.

Seul l’abandon de toute tergiversation et de l’inertie procédurale pourrait faire regagner à la CPI un peu d’impartialité et de crédit. Si elle continue à faire la sourde oreille et s’obstine à n’entreprendre aucune poursuite à l’encontre des membres des forces pro-Ouattara, son sort sera très probablement celui d’un tribunal international purement symbolique, écrit Francesca Maria Benvenuto. 4.

De surcroît, le procureur peut décider des enquêtes et des poursuites de façon discrétionnaire et sur la base de critères subjectifs. La sélection qu’il opère apparaît, en pratique, très suspecte : aucun crime international impliquant directement ou indirectement les États les plus puissants n’a encore fait l’objet d’investigations. Membre de la CPI depuis le 1er avril 2015, la Palestine a transmis une première série de documents au procureur concernant la colonisation israélienne en Cisjordanie, l’offensive contre Gaza en 2014 et le sort des prisonniers palestiniens. Mais aucune « situation » comme on dit dans le jargon de la CPI pour désigner les affaires traitées, n’a pour l’instant été déférée. [L’auteur de cette contribution veut bien prendre le pari que jamais aucune instruction, à fortiori un procès, ne sera diligenté envers les responsables politiques de l’État d’Israël. L’ouverture d’une telle instruction signifierait la disparition pure et simple de la CPI… ce qui, convenons-en, aurait au moins le mérite de mettre fin à l’hypocrisie actuelle. NdA].

Pour la journaliste Stéphanie Maupas, le procès Gbagbo illustre l’instrumentalisation politique de la justice pénale mondiale : « On a l’impression que les puissances locales ou internationales ont fait de la CPI un joker, observe-t-elle. Une carte diplomatique qu’ils peuvent brandir lorsqu’ils en tirent avantage. C’est le cas dans l’affaire Gbagbo et dans d’autres. Au final, ils ne font que fragiliser une institution qu’ils ont voulue et qu’ils financent. » 5.

Ce que semble reconnaître Hans-Peter Kaul, juge de la Cour pénale internationale. 6.

Le lecteur consultera avec intérêt le livre co-signé par Laurent Gbagbo et François Mattei en 2014 qui déjà apportait la démonstration de l’absence d’éléments à charge contre l’ancien président. 7.

Dans une excellente étude de Guillaume Berlat publiée le 16 octobre 2017 sur le site Les Crises, l’auteur analyse les dérives de la CPI, en particulier à travers le traitement du dossier Gbagbo. Nous en extrayons ces commentaires :

« Pour ce qui est de la suite de l’histoire, il n’y a rien à ajouter de plus si ce n’est que Laurent Gbagbo a bien été traîné devant la CPI et que le déroulement de la procédure démontre que le dossier du nouveau procureur tel qu’il existe en 2013 est trop faible pour pouvoir envisager un procès. Mais, l’intéressé n’est toujours pas libéré au titre de la présomption d’innocence, principe cardinal du droit français. Il est inculpé en 2014 pour crimes contre l’humanité en compagnie de Charles Blé Goudé. Sa santé est source de préoccupation. Quant aux crimes commis pendant la guerre par les troupes d’Alassane Ouattara et son actuel premier ministre, Guillaume Soro (800 civils massacrés dans l’ouest du pays), aucun mandat n’a, à ce jour, été émis par la CPI. Du bon usage de la justice à géométrie variable et du deux poids, deux mesures. »

Pour l’heure, écrit Alain Léautier dans un article publié dans la revue Marianne n°1091 « le procès est suspendu et nul ne sait quand il reprendra et si les avocats de Laurent Gbagbo renonceront à l’audition de leurs propres témoins pour hâter le dénouement. Comme ce fut le cas plusieurs fois, la rumeur d’une libération conditionnelle du prévenu agite à nouveau les couloirs de la CPI.… ». 8.

En conclusion, rien n’a changé depuis le fameux vae victis (malheur aux vaincus). 9. Le droit international et son soi-disant bras justicier, la Cour internationale de justice, restent des instruments à la disposition des dominants. Le droit et la justice attendront…

Aux dernières informations, il semblerait qu’un dénouement approche… [10. http://www.rue80.com/lire-details-information-politique.php?id=482

Le juge en charge du dossier de l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, s’en va. Le magistrat italien, Cuno Tarfusser est en fin de mandat avec la Cour pénale internationale (Cpi). L’information, publiée par le confrère ivoirien Le Temps, est confirmée par le porte-parole de la Juridiction internationale, interrogé à cet effet. Fadi El Abdallah, a annoncé le départ dans le mois de mars prochain du président de la première Chambre préliminaire de la CPI, qui épuise ses 9 ans de mandat, d’ici le 10, ou au plus tard le 23 mars 2018, date de sa prise effective de fonction.

Ce départ du juge en charge du dossier marque un tournant décisif dans la conduite de l’affaire conjointe Laurent Gbagbo et Blé Goudé vs le Procureur. Le dossier, encore loin d’être à son terme, pourrait être évacué avec célérité dans les semaines et mois à venir. En effet, conformément aux dispositions de la CPI, notamment en son article 39 du paragraphe 9 cité par Fadi El Abdallah « un juge affecté à une chambre de première instance ou d’appel, qui a commencé à connaître devant cette Chambre une affaire en première instance ou en appel, reste en fonction jusqu’à la conclusion de cette affaire ».

Ainsi, Cuno Tarfusser part, en réalité, sans partir. Le juge-président devra conclure l’affaire Laurent Gbagbo et Blé Goudé vs le Procureur avant de dire ses adieux à la CPI.

MARC Jean

Notes

  1. « Procès Gbagbo : les preuves d’un montage » Médiapart, 5 octobre 2017
  2. Cf. Vincent Duhem, « Bombardement de Bouaké : au cœur d’une affaire d’État » Jeune Afrique, Paris, 4 août 2017, et Jean-Philippe Rémy, « WikiLeaks : les mystères du bombardement du camp français de Bouaké en Côte d’Ivoire » 9 décembre 2010, Le Monde.fr
  3. « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs. La situation des droits humains deux ans après la crise post-électorale » (PDF), Amnesty International, 26 février 2013
  4. Lire Francesca Maria Benvenuto « Soupçons sur la Cour pénale internationale » Le Monde diplomatique, avril 2016
  5. Stéphanie Maupas, « Laurent Gbagbo, un procès crucial pour la CPI » Le Monde, 28 janvier 2016
  6. Cf. « La Cour pénale internationale, un jouet aux mains des pouvoirs politiques ? » Réflexions de Hans-Peter Kaul, juge de la Cour pénale
  7. Cf. Laurent Gbagbo et François Mattei, Pour la vérité et la justice. Côte d’Ivoire : révélations sur un scandale français, Éditions du Moment, Paris, 2014
  8. Alain Léautier « L’ombre des doutes sur le procès Gbagbo » Marianne, numéro 1091 du 9 au 15 février 2018
  9.  L’expression vae victis, « malheur aux vaincus » aurait été prononcée par le chef gaulois Brennus, ou Brennos, victorieux de Rome, et signifiait que les vainqueurs pouvaient s’arroger tous les droits : https://fr.wikipedia.org/wiki/Vae_victis. Vers 390 av. J.-C., les Gaulois, emmenés par Brennos, envahissent l’Étrurie pour s’approprier les richesses de la péninsule italienne. Vainqueurs de l’armée romaine sur la rivière Allia, ils s’emparent de Rome qu’ils trouvent désertée, ses portes ouvertes. Les Romains, réfugiés dans le Capitole, parviennent à résister à l’assaut gaulois. Conscients de la vanité de leurs efforts, les Gaulois décident d’assiéger la ville. Le siège du Capitole commence alors et dure sept longs mois. Devant cette résistance inattendue, Brennos accepte de traiter avec le tribun militaire romain Quintus Sulpicius Longus : les Gaulois se retireront moyennant le versement d’une forte rançon, 1 000 livres d’or (soit 327,45 kg).

    Une grande balance est alors préparée sur une place de Rome. Afin d’alourdir encore la rançon, les Gaulois y placent de faux poids. Devant les protestations des Romains qui s’aperçoivent de la supercherie (« De quel droit utilises-tu des poids truqués ? ») Brennos ajoute encore à leur déshonneur : leur répondant « Du droit des vainqueurs ! » il jette son épée et son baudrier sur la balance en ajoutant « Vae victis » − « Malheur aux vaincus » comme conclusion

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