La compagnie Bayer a-t-elle passé un marché de dupe avec la Commission européenne ?


Voici la suite du suivi de l’affaire Glyphosate/RoundUp, suivi entrepris par W. Engdhal, dont nous avions traduit un premier article à ce sujet, en mars 2016.

Par William Engdahl – Le 24 janvier 2014 – Source New Eastern Outlook

Il semble de plus en plus évident que l’arrêt extraordinaire rendu par la Commission européenne, le 29 juin 2016, accordant au désherbant toxique Glyphosate un sursis de 18 mois jusqu’en décembre 2017, a été pris afin de laisser suffisamment de temps à Bayer AG, le nouveau propriétaire de Monsanto depuis décembre 2016, pour mettre sur le marché son substitut de désherbant, une fois la fusion achevée. Le sujet est soumis à une rude controverse, surtout en raison d’une déclaration de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) à Genève, disant que le Glyphosate est un “probable cancérigène”. La Commission européenne a ignoré cette déclaration de l’OMS, s’est fiée à une frauduleuse étude sanitaire du gouvernement allemand et a ignoré la volonté d’une majorité des gouvernements de l’UE en accordant au glyphosate, l’ingrédient principal de l’herbicide RoundUp de Monsanto, une extension de licence commerciale.

Début 2016, la Commission européenne a recommandé l’extension de la licence commerciale du glyphosate, l’herbicide le plus largement utilisé dans le monde, l’ingrédient principal du Roundup de Monsanto, pour 15 ans supplémentaires. La Commission, organe décidément antidémocratique formée de bureaucrates sans visage, a déclaré que son «oui» était fondé sur la décision de l’Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire (AESA), selon laquelle il n’y avait aucune raison de croire que le glyphosate soit cancérigène. Tout cela s’est passé bien avant la déclaration officielle par l’Allemand Bayer AG de sa prise de contrôle sur Monsanto.

Le côté louche de la décision de la Commission européenne vient du fait que l’AESA a refusé de divulguer ouvertement les études pertinentes sur la santé et la sécurité sur lesquelles elle a prétendu fonder sa décision initiale. Or la décision de l’AESA est totalement contraire à la décision de 2015 de l’Agence internationale de recherche sur le cancer (AIRC), faisant partie de l’Organisation mondiale de la santé, selon laquelle le glyphosate était un “cancérigène probable pour l’homme“. Ce qui signifie que les risques de cancer dus à l’exposition au Glyphosate sont supérieurs à 50%. La présence de glyphosate a été trouvée dans l’eau potable ordinaire ou dans les cultures vivrières pulvérisées avec du Roundup ou d’autres herbicides à base de glyphosate.

La science corrompue du gouvernement allemand

L’AESA a fondé son approbation initiale de renouvellement du glyphosate, uniquement sur un rapport de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR), qui a pris sa décision à partir d’un rapport clairement biaisé fait par Monsanto et d’autres groupes agrochimiques. Utilisant l’évaluation de Monsanto pour le glyphosate, le BfR allemand est allé contre la professionnelle et très respectée Agence internationale à la santé, l’OMS, en déclarant que le glyphosate avait «une faible probabilité» de provoquer un cancer. L’OMS n’utilisait que des données du domaine public, alors que le BfR allemand corrompu a fondé son rapport sur les études confidentielles menées par Monsanto et d’autres firmes agrochimiques, dont ils ont refusé la diffusion à l’OMS ou au public.

La pression du public, les objections de plusieurs États de l’UE et une pétition signée par plus d’un million de citoyens de l’UE demandant la fin de l’utilisation du glyphosate, ainsi qu’une lettre de protestation signée par près d’une centaine de scientifiques, adressée au Commissaire européen à la santé et à la sécurité alimentaire Vytenis Andriukaitis, ont toutes été ignorées.

Le fait que les États membres de l’UE n’étaient pas en mesure de parvenir à un vote à la majorité qualifiée requise en faveur du renouvellement du glyphosate a permis à la décision, via une lacune technique de la Commission européenne, d’être prise par le très douteux Vytenis Andriukaitis.

Sans surprise, Andriukaitis a décidé de prolonger la licence commerciale. Jusqu’à présent, l’aspect bizarre était qu’il avait autorisé un renouvellement de seulement 18 mois et pas les 15 ans demandés par Monsanto et approuvés par lui seulement quelques mois auparavant. La raison en est maintenant plus claire.

Bayer phagocyte Monsanto

Cette critiquable décision de la Commission Européenne s’est faite en pleine contradiction d’un principe européen largement accepté, qui exige que les décisions soient basées sur le « principe de précaution », à savoir que lorsqu’il y a le moindre doute sur les risques qu’un produit chimique entraîne pour la santé, on doit être précautionneux et l’interdire.

La décision d’Andriukaitis concernant le renouvellement limité du glyphosate a été prise le 29 juin, alors que les conseils d’administration du géant allemand des pesticides, Bayer AG, et l’Étasunien Monsanto finalisaient des semaines de discussions sur un rachat à l’amiable, de 66 milliards de dollars, de Monsanto par Bayer, créant ainsi la plus grande multinationale de l’agrobusiness, traitant 29% des semences mondiales, la plus grande partie des semences brevetées OGM et 24% de ses pesticides et produits agrochimiques.

Pour rendre la situation encore plus alarmante pour ceux d’entre nous qui cherchons une alimentation saine, en 2016 une énorme cartellisation de l’agrochimie mondiale et des fabricants de semences OGM a eu lieu. En plus du phagocytage de Monsanto par Bayer, ChemChina, une entreprise chimique chinoise, a acheté la grande entreprise suisse d’OGM et de pesticides, Syngenta. Et les deux autres monstres agrochimiques et fabricants d’OGM américains, Dow Chemical et DuPont, ont également fusionné. La société suisse a renoncé à cette fusion, uniquement pour accepter plus tard une prise de contrôle par la société chinoise ChemChina. Ces trois gigantesques sociétés restantes contrôlent maintenant près de 70% du marché mondial des pesticides et 80% du marché des semences de maïs des États-Unis, la plupart de ces dernières étant des semences OGM.

Bayer choisit Liberty

À ce stade, depuis l’évaluation par l’OMS disant que le glyphosate est un « cancérigène probable pour l’homme », les jours du glyphosate étaient clairement comptés. Maintenant, une fois que la prise de contrôle technique par Bayer de Monsanto sera achevée, vers la fin de cette année 2017, juste au moment où le renouvellement du glyphosate expire, Bayer AG prévoit de mettre sur le marché son substitut pour le glyphosate, connu sous le nom commercial de Liberty and Basta, un herbicide appelé glufosinate, semblable au glyphosate mais sans (jusqu’à présent) le stigmate cancérigène de l’OMS.

De plus, depuis l’expiration du brevet Monsanto sur le Roundup à base de glyphosate, d’autres sociétés ont inondé le marché mondial de substituts bon marché. Trois entreprises chinoises – Jiangsu Sevencontinent, Hebei Veyong et Sichuan Lier – exportent le glufosinate depuis 2015. La production de glufosinate est bien plus limitée, ce qui permet à Bayer AG d’apparaître comme le géant des désherbants. En outre, en proposant de vendre son activité Roundup, le nouveau Bayer AG semble faire un noble sacrifice dans l’intérêt de réduire les préoccupations anti-monopole.

Il n’y a aucun aspect de la prise de contrôle de Monsanto par Bayer AG qui soit positif pour le monde. Mentionner les violations « anti-monopole », c’est y aller doucement. Les lois anti monopole, en tous cas dans le secteur agroalimentaire, sont restées lettre morte. Une véritable protection de la santé et de la sécurité des consommateurs européens est restée lettre morte, tout au moins à Bruxelles. Comment la présidence Trump et son secrétaire à l’Agriculture, l’ancien gouverneur de la Géorgie Sonny Perdue, vont peser dans le débat sera plus qu’intéressant à observer. Après tout, Bayer-Monsanto ne rentre plus dans une politique « America First », puisqu’elle est devenue une entreprise allemande.

William Engdahl

Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone

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