Ancien président tunisien : la CIA derrière le «Printemps arabe»


Rencontre entre Zine el-Abidine Ben Ali et la secrétaire d’État américaine Condoleeza Rice, le 6 septembre 2008 à Tunis.

Par Angelika Gutsche – Le 29 janvier 2017 – Source NEO Presse

Six ans après son renversement, l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali a pris la parole pour la première fois, dans un message au peuple tunisien. Il y accuse la CIA d’avoir provoqué les soulèvements en Tunisie, de concert avec les islamistes radicaux.

Le message a été publié le 7 janvier 2017, notamment par l’agence de presse JamahiriyaNews.

Zine el Abidine Ben Ali (né en 1936) présida la Tunisie de 1987 à janvier 2011. L’immolation par le feu d’un marchand de légumes à Sidi Bouzid, en janvier 2011, conduisit à des manifestations de masse contre le gouvernement de Ben Ali. Lui et son entourage furent accusés de kleptocratie et de cupidité à grande échelle. Ce fut le début de ce qu’on a appelé le « Printemps arabe ».

Dans son message, Ben Ali explique que la conspiration contre la Tunisie avait en fait commencé en 2007 déjà. Le prétexte en était le refus de la Tunisie de céder la base militaire de Bizerte aux États-Unis et de durcir le blocus contre la Libye. En 2008, lorsque Condoleezza Rice 1 se rendit en Tunisie et proposa de mettre sur pied un centre de défense des Droits de l’Homme sous la houlette des États-Unis, au prétexte d’enseigner aux jeunes les normes des droits de l’homme, et s’entendit répondre : « Pourquoi n’ouvrez-vous pas un tel centre en Israël ? », elle fut si fâchée qu’elle annula tous ses autres rendez-vous et reprit l’avion le jour même.

Ben Ali y voit aujourd’hui le premier signal d’alarme indiquant le complot à venir. Il devait être mis en œuvre par leurs représentants en Tunisie.

Lorsque le gouvernement reçut de nombreuses indications sur un plan pour le renversement du gouvernement en Tunisie et posa ensuite la question à Ali Seriati 2, la réponse fut toujours la même : il s’agissait de fausses informations et tout était sous contrôle. Ce même renseignement fut encore donné, une semaine avant l’immolation par le feu du marchand de légumes Bouazizi à Sidi Bouzid.

Le 14 janvier 2011, Ben Ali accompagna à l’aéroport sa femme et son fils, qui devaient quitter le pays à cause de la situation politique incertaine. Son intention était de retourner ensuite au palais présidentiel. Il eut cependant la surprise de rencontrer Ali Seriati à l’aéroport, qui lui conseilla de quitter lui aussi le pays. Sa vie ne serait plus en sécurité en Tunisie. Il reviendrait sitôt la situation apaisée.

Lorsque des personnes innocentes furent tuées lors des troubles par des tireurs embusqués, les médias utilisèrent ces événements pour exciter la population. La confusion régnait. Il y avait des mercenaires sous commandement américain, des escadrons de la mort composés de membres du mouvement islamiste Ennahda (Renaissance), en partie encore actifs en Tunisie aujourd’hui, des mercenaires des pays voisins ainsi que d’autres provenant des pays de l’ex-Yougoslavie, en particulier la Bosnie, introduits et financés par le Qatar.

Ben Ali écrit que d’autres détails étaient connus, qui indiquent clairement que le mouvement Ennahda était impliqué dans le coup d’État, et qu’il entraînait et armait des jeunes gens. Il se souvient encore bien des événements de 2006, après la libération de prison de Hamadi Jebali 3. L’ambassadeur américain à Tunis lui téléphona pour exprimer son souhait de lui rendre visite dans sa maison. Cette visite eut effectivement lieu. Cela souleva évidemment des questions, mais personne n’aurait alors imaginé qu’il pourrait y avoir une relation aussi étroite entre le mouvement « Renaissance » et la CIA.

Assez curieusement, personne ne demanda jamais qui avait donné l’ordre de tirer aux hommes armés qui avaient tué des innocents après que lui, Ben Ali, était déjà en Arabie saoudite. Lui non plus ne fut jamais interrogé sur ce qu’il advint des tireurs d’élite pris en flagrant délit et arrêtés.

Le jeu continua. Sous la supervision de Mustafa Kamel Nabli, de grandes sommes d’argent provenant de la banque centrale furent saisies dans le palais présidentiel puis photographiées sur place. Selon Ben Ali, ces contes furent servis à la population par les traîtres.

Une fois que le jeu des dirigeants d’Ennahda fut développé avec succès, ceux-ci se présentèrent ensuite d’une manière fausse et exagérée, selon Ben Ali, comme des victimes. Ils ne voulaient pas admettre que lui, Ben Ali, leur avait sauvé la vie en 1987, en suspendant la condamnation à mort prononcée sous Habib Bourguiba 4 contre seize de leurs dirigeants. Ainsi, l’exécution de la sentence contre Rachid Ghannouchi 5 devait avoir lieu le 8 novembre 1987.

Ben Ali termine en constatant que la Tunisie actuelle est un refuge pour les bandes criminelles et les services secrets étrangers. La CIA contrôle tout ce qu’elle veut. Un accord a été signé récemment par Rachid Ghannouchi et Beji Caid Essebsi 6, qui autorise les États-Unis à établir une base militaire en Tunisie. L’avenir fournira les preuves de la trahison qui a fait faire à la Tunisie d’aujourd’hui cette expérience dévastatrice.

Voilà pour le message de Ben Ali aux Tunisiens. Aujourd’hui, on sait que le renversement des gouvernements arabes a été planifié et réalisé par une collaboration de la CIA étasunienne et de cercles islamistes radicaux. Tout ceci, cependant, n’aurait pu se passer si Ben Ali n’avait pas été extrêmement impopulaire dans de larges couches de la population. Il fut perçu comme incapable de conduire le pays vers un avenir digne. Malheureusement, la chute de Ben Ali a énormément aggravé la situation politique et sociale dans le pays. L’économie est au bord de l’effondrement, les cercles islamistes, d’orientation néolibérale, qui sont soutenus financièrement par l’étranger et sont bien organisés, s’accrochent au pouvoir sans aucune vision politique.

Angelika Gutsche

Traduit par Diane, vérifié par jj, relu par nadine pour le Saker francophone

Liens

  1. Condoleezza Rice fut ministre des Affaires étrangères des États-Unis de 2005 à 2009, sous l’administration de George W. Bush.
  2. Le chef de la sécurité de l’époque au palais présidentiel
  3. Hamadi Jebali appartenait au Mouvement de la tendance islamique (MTI). Il fut longtemps membre de la direction et secrétaire général d’Ennahda (Renaissance). Le 28 août 1992, Jebali fut condamné à 16 ans de prison pour appartenance à une organisation illégale et tentative de coup d’État. Il fut libéré en 2006. Selon Wikipedia, il se rendit en mai 2011 à Washington, à l’invitation du Centre pour l’étude de l’islam et la démocratie, pour y rencontrer les sénateurs américains John McCain et Joe Liebermann. Jebali fut nommé Premier ministre de Tunisie en décembre 2011.
  4. Habib Bourguiba (1903-2000) fut le président de la Tunisie de 1957 à 1987.
  5. Rachid al-Ghannouchi, un islamiste radical. En 1987, sous la présidence de Bourguiba, il fut condamné à mort pour incitation à la violence et instigation d’un coup d’État. En 1988, Ghannouchi et d’autres islamistes incarcérés furent libérés par le nouveau président Ben Ali. De 1993 à 2011, il vécut en exil à Londres. En 2011, Ghannouchi devint le Premier ministre du gouvernement de transition tunisien. Note d’un lecteur : Il s’agirait plutôt de Mohamed Ghannouchi
  6. En 2014, Beji Caid Essebsi devint président de la Tunisie. En 2012, il fonda le parti Nidaa Tounes, d’orientation laïque.
   Envoyer l'article en PDF