Comment l’évolution de ce conflit entre systèmes politiques, dépend de la capacité de la Chine à affronter ses contradictions
Par Kevin Zeese et Margaret Flowers − Le 19 août 2019 − Source Nation of Change
Hong Kong est dans le monde un des exemples les plus extrêmes de capitalisme financier néolibéral. Il s’en suit que de nombreux hongkongais souffrent d’une grande insécurité économique, dans une ville qui compte 93 milliardaires, la seconde dans le monde. Hong-Kong souffre d’avoir été une colonie britannique durant les 150 ans qui ont suivi la guerre de l’opium. Les Britanniques avaient mis en place un système économique capitaliste dans une ville qui dans son histoire n’avait jamais été autonome. En partant, la Grande-Bretagne a négocié un accord avec la Chine qui empêchait cette dernière de modifier les systèmes politique et économique pour les 50 ans à venir, faisant de Hong-Kong une Région administrative spéciale (SAR).
Le Chine ne peut pas répondre aux problèmes des souffrances du peuple de Hong-Kong. La notion «un pays deux systèmes» signifie que le capitalisme extrême de Hong-Kong coexiste indépendamment du système socialisé chinois. Ce qui fait que le système politique hongkongais est inhabituel. Par exemple, la moitié des sièges à son parlement sont réservés aux représentants des intérêts commerciaux, avec pour résultat que les multinationales votent les lois.
Hong-Kong est un centre de haute finance, en même temps qu’un centre de crimes financiers. Entre 2013 et 2017, le nombre de transactions suspectes signalées aux forces de l’ordre était passé de 32 907 à 92 115. Il y a eu très peu de poursuites, elles sont passées d’un maximum de 167 en 2014 à 103 en 2017. Les condamnations ont chuté jusqu’à ne voir condamnée qu’une seule personne à plus de six ans de prison en 2017.
Le problème à Hong-Kong n’est ni le projet de loi sur les extraditions qui a servi à déclencher les protestations, ni la Chine, le problème est son économie et sa gouvernance.
Le projet de la loi sur les extraditions
La cause déclarée des récentes manifestations est le projet de loi sur les extraditions, car jusqu’à présent il n’existe aucun moyen juridique pour empêcher des criminels de se soustraire aux poursuites quand ils se réfugient à Hong-Kong. Le projet de loi avait été proposé par le gouvernement de Hong-Kong en février 2019 de manière à instaurer un mécanisme de transfert de fugitifs depuis Hong-Kong vers Taiwan, Macao ou la Chine continentale.
Les lois sur les extraditions sont conformes à la norme juridique entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci, par exemple entre États fédérés, en vigueur internationalement. C’est une question basique, et le fait est que Hong-Kong fait partie de la Chine. En 1998, Martin Lee , un législateur pro-démocratie, avait proposé une loi similaire à celle à laquelle il s’oppose actuellement, pour assurer qu’une personne soit poursuivie et jugée sur le lieu du délit.
Une poussée en faveur du projet de loi a eu lieu en 2018, quand Chan Tong-kai, un résident de Hong Kong, a tué sa petite amie enceinte, Poon Hiu-wing, à Taiwan, puis est retourné ensuite à Hong Kong. Chan a avoué à la police de Hong Kong avoir tué Poon Hiu-wing, mais la police n’a pas pu l’inculper de meurtre ni l’extrader à Taiwan, car aucun accord n’existait.
Le projet de loi prévoyait 46 types de crimes reconnus partout dans le monde comme des infractions sérieuses. Ils comprennent le meurtre, le viol et les infractions sexuelles, les voies de fait, les enlèvements, les infractions contre les règles sur l’immigration, ainsi que les infractions en matière de drogue, les infractions contre les biens telles que le vol qualifié, le cambriolage et l’incendie criminel et d’autres infractions pénales traditionnelles. Il comprenait également les crimes commerciaux et financiers.
Des mois avant les manifestations, le milieu des affaires avait exprimé son opposition à ce projet de loi. Les deux partis qui le représentaient, avaient exhorté le gouvernement à enlever les crimes en col-blanc de la liste des infractions visées par tout accord d’extradition futur. Il y avait une pression grandissante des poids lourds du milieu des affaires. La Chambre de commerce étasunienne, AmCham, une organisation vieille de cinquante ans représentant plus de 1 200 entreprises étasuniennes exerçant leurs activités à Hong Kong, s’est opposée au projet de loi.
AmCham avait annoncé que cela porterait préjudice à la réputation de la ville : «Toute modification des accords d’extradition qui élargirait considérablement les possibilités d’arrestation et d’extradition […] de dirigeants d’entreprises internationales résidant ou transitant par Hong Kong, résultant d’allégations de crime économique formulées par le gouvernement de la partie continentale… saperait la perception de Hong Kong comme un refuge sûr et sécurisé pour les opérations commerciales internationales.»
Kurt Tong, le plus haut diplomate étasunien à Hong Kong, a déclaré en mars que cette proposition pourrait compliquer les relations entre Washington et Hong-Kong. En effet, le Centre pour l’entrepreneuriat privé international, une branche du NED (National Endowment for Democracy – filiale de la CIA), a déclaré que ce projet de loi saperait la liberté économique, provoquerait une fuite des capitaux et menacerait le statut de Hong Kong en tant que plaque tournante du commerce global. Ils ont évoqué une lettre bipartisane signée par huit membres du Congrès étasunien, dont les sénateurs Marco Rubio, Tom Cotton et Steve Daines et des membres de la Chambre des représentants Jim McGovern, Ben McAdams, Chris Smith, Tom Suozzi et Brian Mast, qui s’opposaient à ce projet de loi.
Les promoteurs du projet de Loi ont réagi en exemptant parmi les crimes économiques neuf d’entre eux et en ne prévoyant l’extradition que pour des crimes punissables par au moins sept ans d’emprisonnement. Ces changements n’ont pas satisfait les défenseurs des milieux d’affaires.
Les manifestations de masse et le rôle des États-Unis
Depuis cette altercation sur la Loi, l’opposition a grandi, formant une coalition pour l’organisation de manifestations. Comme le rapporte Alexander Rubinstein, «La coalition citée par les médias de Hong Kong, notamment le South China Morning Post et le Hong Kong Free Press, comme organisatrice des manifestations anti-extradition, s’appelle le Civil Human Rights Front. Son site internet liste comme membres de la coalition: le HKHRM [organisation de Surveillance des droits de l’homme de Hong-Kong] financé par la NED, la Confédération des syndicats de Hong Kong, l’Association des journalistes de Hong Kong, le Parti civique, le Parti travailliste et le Parti démocratique.» Le HKHRM à lui seul avait reçu entre 1995 et 2013 plus de $1,9 millions de la NED. Les principales manifestations avaient commencé en juin.
La mise en place du mouvement antichinois à Hong Kong est un projet du NED de long terme, depuis 1996. En 2012, la NED a investi $460 000 par l’intermédiaire de le National Democratic Institute pour créer le mouvement antichinois (aussi appelé Mouvement prodémocratie) particulièrement parmi des étudiants d’université. Deux ans plus tard, les manifestations de masse d’Occupy Central ont eu lieu. Dans une lettre ouverte adressée à Kurt Tong en 2016, ces subventions NED et d’autres ont été dévoilées. Suite à cette lettre, il a été demandé à Tong si les États-Unis finançaient un mouvement indépendantiste à Hong-Kong.
Pendant les manifestations actuelles, les organisateurs ont été photographiés lors d’une rencontre avec Julie Eadeh, chef de l’unité politique du consulat général des États-Unis, dans un hôtel de Hong- Kong. Ils ont également rencontré les faucons antichinois à Washington, notamment le Vice-président Pence, le secrétaire d’État Pompeo, le conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, le sénateur Marco Rubio et le représentant Eliot Engel, président du Comité des affaires étrangères de la Chambre des Représentants. Larry Diamond, co-rédacteur de la publication du NED et coprésident à la recherche, avait ouvertement encouragé les manifestants. Il a livré un message vidéo de soutien lors de leur rassemblement ce week-end.
Les troubles comprenaient de nombreux éléments propres aux révolutions de couleur inspirés par les Étasuniens avec des tactiques telles que la violence – les attaques contre des passants, les médias, la police et le personnel de secours. Des tactiques similaires ont été utilisées en Ukraine, au Nicaragua et au Venezuela, comme par exemple des barricades de rue. Les officiels étasuniens et les médias ont critiqué la réaction du gouvernement aux violences lors des manifestations, bien qu’ils se soient tus à propos des extrêmes violences policières contre les Gilets jaunes en France. Les manifestants ont également eu recours à des techniques d’essaimage et à l’envoi sophistiqué de messages sur les réseaux sociaux ciblant des citoyens étasuniens.
Les manifestations de masse ont continué. Le 9 juillet, la Chef de l’exécutif, Carrie Lam, a déclaré que le projet de loi était mort et l’a suspendu. Les manifestants demandent maintenant que le projet de loi soit retiré, que Lam démissionne et que la police fasse l’objet d’une enquête.
À quoi est dû le mécontentement à Hong Kong ?
La source de troubles à Hong Kong est l’insécurité économique découlant du capitalisme. En 1997, la Grande-Bretagne et la Chine étaient convenues de laisser «l’ancien système capitaliste» en place pour 50 ans.
Hong Kong avait été classée, sur l’Indice de liberté de l’économie, de la publication Heritage – depuis son lancement en 1995 – comme l’économie la plus libre dans le monde. En 1990, Milton Friedman avait décrit Hong Kong comme le meilleur exemple d’économie de marché. Son classement est basé sur les bas impôts, une réglementation légère, des droits de propriété solides, la liberté des entreprises et une ouverture au commerce global.
Graeme Maxton écrit dans le South China Morning Post : «Le seul moyen de rétablir l’ordre est de modifier radicalement la politique économique de Hong-Kong. Après des décennies à n’avoir pratiquement rien fait et laissé régner le marché libre, il est temps que le gouvernement de Hong-Kong fasse ce qu’il était censé faire ; gouverner dans l’ intérêt de la majorité.»
La question n’est pas le projet de loi sur l’extradition, Carrie Lam ou la Chine. Ce à quoi nous assistons c’est une économie néolibérale sans restrictions, décrite comme marché libre sous stéroïdes. L’économie de Hong-Kong comparé a la Chine, son PIB est passé de son sommet de 27% en 1993, à moins de 3% en 2017. Pendant ce temps, la Chine a connu une croissance formidable, y compris dans la ville de Shenzhen dont l’économie est proche de l’économie de marché, voisine de Hong-Kong, alors que cette dernière n’a pas évolué.
Comme écrit Sara Flounders: «Depuis 10 ans, les salaires à Hong Kong stagnent, les loyers ont augmenté de 300%, c’est la ville la plus chère au monde. À Shenzhen, les salaires ont augmenté de 8% par an et plus d’un million de nouveaux logements verts et à faible coût sont en voie d’achèvement ».
Hong Kong a les loyers les plus élevés au monde, avec un fossé grandissant entre les riches et les pauvres, avec un taux de pauvreté de 20%, alors qu’en Chine, selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté est tombé de 88% en 1981 à 0,7% en 2015.
Hong Kong dans le contexte chinois
Ellen Brown écrit dans «Le néolibéralisme a sa raison d’être en Chine», que le gouvernement chinois possède 80% des banques, qui accordent des prêts avantageux aux entreprises et subventionne le coût de la main-d’œuvre. Les États-Unis considèrent les subventions de la Chine à son économie comme un avantage commercial injuste, alors que la Chine considère que la croissance planifiée à long terme est plus intelligente que les profits à court terme des actionnaires.
Le modèle chinois de capitalisme d’État (certains l’appellent une forme de socialisme) a permis à 800 millions de personnes de sortir de la pauvreté et de constituer une classe moyenne de plus de 420 millions d’individus, passant de 4% en 2002 à 31%. Les douze plus grandes entreprises chinoises du magazine Fortune 500 sont toutes détenues et subventionnées par l’État, notamment le pétrole, l’énergie solaire, les télécommunications, l’ingénierie, les entreprises de construction, les banques et l’industrie automobile. Selon la CIA , le FMI et la Banque mondiale, la Chine a le deuxième plus grand PIB et la plus grande économie basée sur le PIB, à parité de pouvoir d’achat.
La Chine a des problèmes importants. Il y a chaque année des milliers de manifestations, de grèves et des actions syndicales documentées, de graves problèmes environnementaux, des inégalités et un contrôle social grâce à l’utilisation des technologies de surveillance. La manière dont la Chine répondra à ces défis est une épreuve de gouvernance.
La Chine se décrit comme ayant une démocratie interpartis. Les huit autres «partis démocratiques» légaux autorisés à participer au système politique, coopèrent avec le Parti communiste, mais ne le concurrencent pas. Il y a aussi des élections locales pour des candidats qui s’occupent de problèmes de base. La Chine considère la démocratie et l’économie occidentale faussées et n’essaie pas de les imiter, elle crée son propre système.
La Chine est dirigée par des ingénieurs et des scientifiques, et non par des avocats et des hommes d’affaires. Elle aborde les décisions politiques par la recherche et l’expérimentation. Chaque ville et chaque district est impliqué dans une sorte d’expérimentation comprenant des zones de marché libre, de réduction de la pauvreté et de réforme de l’éducation. «Il y a des écoles pilotes, des villes pilotes, des hôpitaux pilotes, des marchés pilotes, tout ce qui se passe sous le soleil, la Chine entière est fondamentalement un vaste portefeuille d’expériences, avec des maires et des gouverneurs de province comme enquêteurs principaux.» Dans ce système, Hong-Kong pourrait être considéré comme une expérience du capitalisme néolibéral.
Le Parti communiste sait que pour conserver son pouvoir, il doit lutter contre les inégalités et orienter l’économie vers un modèle plus efficace et plus écologique. Beijing s’est fixé 2050 pour devenir une «société socialiste» et, pour ce faire, recherche des améliorations dans les domaines du social, du travail et de l’environnement.
Où se situe Hong-Kong dans ces projets à long terme ? L’année 2047 étant la fin de l’accord, le Royaume-Uni, les États-Unis et les puissances occidentales s’emploient à préserver leur dystopie capitaliste à Hong-Kong et à dégager un consensus en vue d’un conflit à long terme avec la Chine. Les troubles de Hong-Kong inspirés et attisés par la NED font partie de ce processus à long terme.
Comment ce conflit des systèmes économiques et politiques évoluera dépend de la capacité de la Chine à affronter ces contradictions, de celle des hongkongais à traiter leurs problèmes à la source et de celle de l’empire étasunien à maintenir sa dominance monétaire, politique et militaire. Les conflits actuels à Hong-Kong sont enracinés dans toutes ces réalités.
Kevin Zeese est un activiste politique qui a été dirigeant des mouvements pour la réforme de la politique sur la drogue et celle pour la paix. Il a milité pour assurer la traçabilité par les électeurs des bulletins de vote.
Dr Margaret Flowers est pédiatre dans le Maryland, et candidate à la nomination du Parti Vert au Sénat étasunien. Elle est aussi co-directrice de PopularResistance.org et membre du conseil d’administration au Programme national, médecins pour la santé et au conseil de direction de Les Soins de santé à Maryland sont une campagne de droits de l’Homme.
Traduit par Alexandre Moumbaris, relu par Marie-José Moumbaris pour le Saker Francophone
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