… Version thermonucléaire.
Par F. William Engdahl – Le 26 août 2016 – Source New Eastern Outlook
Comme s’il ne suffisait pas que le Secrétaire américain à la Défense, Ash Carter, et ses généraux jouent le rôle de la poule mouillée, version thermonucléaire, en provoquant la Russie par l’intermédiaire de l’Ukraine, l’Otan se livre maintenant à des exercices militaires aux frontières de la Russie, et vient de lancer, de façon très provocatrice, son programme de bouclier anti-missiles dans l’arrière-cour de la Russie. Ces derniers mois, Obama s’est lui aussi clairement livré à une escalade des tensions dans les eaux qui bordent la Chine, en mer de Chine orientale avec l’aide du Japon, et en mer de Chine méridionale avec l’aide des Philippines ; ces tensions pourraient dégénérer en catastrophe.
S’il est vrai que ces opérations de provocations militaires pourraient aboutir à une augmentation du budget du Pentagone en ces temps de crise budgétaire, elles peuvent aussi mener à une frappe nucléaire préventive de la part de la Chine, de la Russie ou des deux. Au XXIe siècle, une telle attitude infantile de la part du Pentagone sous la houlette de l’administration Obama n’est pas seulement irresponsable, c’est de la folie pure.
J’ai mentionné dans un article précédent, avec force détails, la provocation planifiée de Washington à l’encontre de la Chine, par le biais de disputes territoriales en mer de Chine méridionale, au cours desquelles l’administration Obama a encouragé le gouvernement des Philippines, à l’époque présidé par le pantin pro-américain Benigno Aquino, à procéder à une escalade des tensions au sujet des îlots rocailleux des Spratley. Cela en présentant de façon unilatérale le contentieux devant la cour d’arbitrage de la Haye en dépit du fait que Pékin ne reconnaît pas la légitimité de cette cour, ce qui enfreint donc le principe même d’arbitrage [où les deux parties doivent s’accorder sur la désignation d’un arbitre, NdT]. Il s’agissait d’une manœuvre délibérée de la part de Washington pour provoquer la Chine à réagir brutalement. Jusqu’à ce jour, et c’est tout à son honneur, la Chine a au contraire lancé toute une série de procédures diplomatiques avec l’ASEAN, tout en ouvrant un canal diplomatique informel avec le nouveau gouvernement de Rodrigo Duterte, plus raisonnable que son prédécesseur, dans le but de désamorcer la propagande américaine diffusée par la cour d’arbitrage de La Haye.
Cependant, au cours des dernières semaines, Washington a montré que son viseur est bien fixé sur la Chine, son ennemi public numéro un en Asie-Pacifique, mettant ainsi la Chine dans la même position que la Russie vis-à-vis de l’OTAN en Europe occidentale. Le Pentagone a procédé à une escalade des tensions dans la région, faisant usage de l’influence de Washington sur des gouvernements tels que ceux du Japon, de la Corée du Sud, et celui récemment élu de Taïwan, pour les faire passer du statut de partenaires commerciaux de la Chine à celui d’ennemis de celle-ci.
Au début du mois d’août, la télévision d’État japonaise NHK a déclaré que le Japon cherche désespérément à acquérir le système américain de missiles anti-balistiques THAAD (Défense territoriale ultime à haute-altitude). Le Japon deviendrait ainsi le second pays en Asie de l’Est, après la Corée du Sud, à déployer ce système.
Quelques jours auparavant, le 7 juillet exactement, le Pentagone annonçait officiellement que le gouvernement de Corée du Sud avait accepté de déployer des batteries de missiles THAAD dans la péninsule, dans le comté de Seongju. Après cinq mois de négociations avec le régime conservateur de la Présidente Park Guen-hye, la très pro-américaine fille du proche allié de Washington pendant la Guerre froide, le général Park Chung-hee [président-dictateur de la Corée du Sud des années 1960 et 1970, formaté au Japon et aux États-Unis, célèbre pour ses multiples violations des droits de l’homme, qui fut assassiné en 1979, et était également réputé pour avoir collaboré activement avec les forces d’occupation japonaises dans la péninsule coréenne et dans le Mandchoukouo chinois dans les années 1940, NdT]. Le communiqué de presse du Pentagone explique que la décision coréenne relève simplement d’une mesure défensive destinée à assurer la sécurité de la République de Corée du Sud et de son peuple, et à protéger les forces militaires alliées [i.e. les GIs américains, NdT] des armes de destruction massives et de la menace des missiles nord-coréens.
Plus récemment, le 16 août exactement, le quotidien coréen Chunan Ilbo a rapporté que les forces navales sud-coréennes ont signé un accord avec le marchand de canons américain Lockheed Martin pour l’équipement des frégates coréennes avec des missiles décrits comme la version navale des missiles THAAD, capables d’intercepter des missiles nord-coréens.
Le jour d’avant, dans un éditorial daté du 15 août, le quotidien officiel chinois Global Times [quotidien officiel, plus controversé et populiste que ses confrères, publié sous l’égide du Quotidien du Peuple, NdT] a réagi violemment à l’information selon laquelle le Japon développerait un nouveau missile sol-mer d’une portée de 300 kilomètres, citant un rapport du Yomiuri Shimbun, le principal quotidien conservateur au Japon, qui a rapporté que le nouveau missile serait déployé sur l’île de Miyako en 2023.
Le rapport du Yomiuri Shimbun affirme qu’en améliorant la force de frappe de ses missiles à longue portée, le Japon vise à affirmer son contrôle militaire sur les eaux que la Chine revendique et appelle les îles Diaoyu, à seulement 170 kilomètres de l’île Miyako.
Depuis 2012, date à laquelle le pivot vers l’Asie d’Obama a été mis en place, Washington a incité Tokyo à revendiquer les îlots inhabités des îles Diaoyu (Senkaku en japonais), que la Chine revendique comme étant chinoises depuis 1534, et illégalement attribuées au Japon par la puissance occupante après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis, en violation de l’Accord de Potsdam.
Le quotidien chinois Golbal Times a relevé que «l’île de Miyako repose à l’embouchure du canal de Miyako, une voie maritime internationale qui se trouve également être une route maritime majeure pour la marine chinoise vers l’océan Pacifique. Si les nouveaux missiles japonais étaient déployés à Miyako, ils pourraient menacer le droit de passage des bateaux chinois dans les eaux des îles Diaoyu».
L’évolution de la position japonaise au sujet des missiles THAAD a immédiatement fait suite à une visite de haut niveau du Secrétaire à la Défense américain Ash Carter, effectuée au Japon et en Corée du Sud au mois d’avril dernier. Lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue japonais de l’époque, Carter a déclaré que l’objectif de Washington était de «transformer l’alliance américano-japonaise et de multiplier les occasions pour les forces armées américaines et les forces d’auto-défense japonaises de coopérer de façon fluide». Le seul problème avec cet objectif est que jusqu’à nouvel ordre, la Constitution japonaise adoptée à la fin de le Deuxième Guerre mondiale, et son fameux article 9, rend illégal tout acte de guerre de la part du Japon pour régler un différend. Le gouvernement du Premier ministre actuel Shinzo Abe travaille d’arrache-pied pour abolir cet article, avec le soutien total de Washington, dans le but de faire du Japon ce que Shinzo Abe appelle «un pays normal», à savoir avec le droit de partir en guerre comme bon lui semble.
Les discours menaçants de Carter
Cette tournée asiatique de Carter au mois d’avril a marqué une escalade importante dans les efforts militaires américains pour consolider l’encerclement de la Chine, aussi connu sous le nom de pivot vers l’Asie selon Obama, utilisant les voisins asiatiques de la Chine pour effectuer des manœuvres militaires provocatrices, tout en essayant, par le biais de l’Accord de partenariat transpacifique (TPP en anglais) qui exclut explicitement la Chine, de faire dérailler la coopération économique pacifique que ces pays entretiennent d’autre part avec cette dernière. Tout est orchestré de façon à faire croire qu’il s’agit d’une réponse à la menace des missiles nord-coréens et la perspective qu’ils pourraient un jour embarquer des ogives nucléaires.
Le système balistique anti-missiles THAAD, placé sous contrôle américain, et utilisant le spectre radar X-band, n’a en fait aucun rapport avec aucune menace, que ce soit de la part de la Corée du Nord, ni avec la protection du Japon ou de la Corée du Sud. Il s’agit plutôt d’une action dirigée contre la Chine tout d’abord, mais aussi des capacités balistiques dans l’Extrême-Orient russe.
Cibler la Chine comme la Russie
Fan Guoyue, colonel chinois retraité et ancien expert en chef du Département des affaires militaires étrangères de l’Académie de science militaire de l’Armée populaire de libération, aujourd’hui enseignant à l’Université du Sichuan, Chine, a mis en lumière la fausseté des accusations de Washington à l’encontre de l’épouvantail nord-coréen. Monsieur Fan a déclaré, lors d’une interview pour le journal China-US Focus: «THAAD est conçu pour l’interception à haute altitude d’un missile dans la phase terminale de sa trajectoire descendante, ce qui signifie que le système est optimisé principalement pour défendre un territoire contre des missiles à portée moyenne et intermédiaire, mais ne sert à peu près à rien contre des missiles à courte portée tactique, ceux qui pourraient être utilisés contre la Corée du Sud [par la Corée du Nord, NdT]. […] De plus, THAAD est complètement inutile pour contrer la menace réelle que pose l’artillerie de Corée du Nord.»
L’analyste militaire précise en outre qu’«étant donné les types de missiles à courte portée de la Corée du Nord, ainsi que leur nombre relativement limité, et que les États-Unis ont déjà déployé entre 30 et 44 missiles Patriot PAC-3 en Corée du Sud, il est difficile pour la force de frappe balistique nord-coréenne de poser un problème sérieux à la Corée du Sud. La vraie menace grave que l’armée de Corée du Nord pose à son voisin du sud sont les 21 000 pièces d’artillerie, dont la plupart est positionnée le long du 38e parallèle, et qui peuvent atteindre Séoul directement.» Fan Guoyue conclut en soulignant que «THAAD forcera la Corée du Sud à rejoindre le système de défense anti-missile américano-japonais, ce qui aura pour effet de diminuer ses propres initiatives militaires».
Piéger la Corée du Sud en la faisant rejoindre le bouclier anti-missile américano-japonais, qui est en fait dirigé contre la Chine et l’Extrême-Orient russe, apporterait une nouvelle pièce au puzzle d’encerclement de la Chine et de la Russie.
En 2011, l’ancien Secrétaire d’État à la Défense du Royaume-Uni, Philip Hammond, répondant à ses collègues membres de l’OTAN à Washington, déclarait explicitement que le récent pivot vers l’Asie décidé par l’administration Obama pour sa politique de défense était directement dirigé contre la Chine. Il a déclaré que «l’importance stratégique croissante du bassin Asie-Pacifique exige que tous les pays, mais en particulier les États-Unis, incluent dans leur schéma stratégique l’émergence de la Chine comme une puissance mondiale. Loin d’être inquiétées par ce mouvement de balancier vers l’Asie-Pacifique, les puissances européennes membres de l’OTAN devraient plutôt accueillir d’un œil bienveillant le fait que les États-Unis soient disposés à s’engager dans cette nouvelle épreuve stratégique pour le compte de l’Alliance atlantique».
Se gratter l’oreille gauche avec la main droite
Le petit jeu thermonucléaire que joue Washington en essayant d’entraîner ses camarades japonais et coréens est devenu encore plus apparent dans les remarques du Premier ministre japonais Shinzo Abe, du parti conservateur, à l’amiral américain Harry Harris, commandant du Commandement de la flotte américaine du Pacifique. Selon ses déclarations, Abe aurait protesté contre la déclaration d’Obama de s’efforcer de faire de la doctrine de l’«interdiction de frapper en premier» la politique nucléaire officielle américaine, ce qui n’est actuellement pas le cas. Abe a déclaré à l’amiral que «le Japon en particulier pense que si Obama fait de cette doctrine la politique officielle des États-Unis dans la région, alors la force de dissuasion contre des pays comme la Corée du Nord s’en trouvera diminuée et de nouvelles perspectives de conflit émergeront».
Le cocktail potentiellement thermonucléaire que constitue le déploiement des missiles THAAD au Japon et maintenant au sein de la marine de Corée du Sud, couplé à l’expansion du bouclier anti-missile américain sur cette zone, ainsi que le refus d’un Premier ministre japonais que la doctrine d’interdiction de frapper en premier ne soit adoptée, crée un mélange toxique que personne ne devrait secouer, mais qu’il conviendrait plutôt de démanteler avant que l’irréparable ne se produise et que quelqu’un, par ses gesticulations, ne laisse d’autre choix de survie à la Chine et la Russie que de frapper en premier avec une arme nucléaire.
C’est la que réside la folie de la politique américaine en place depuis 1992 appelée domination à tous les niveaux, pensée par le Secrétaire américain à la Défense Dick Cheney et son assistant, le Sous-secrétaire Paul Wolfowitz, nommé la Doctrine Wolfowitz.
Vladimir Poutine et les Russes n’ont cessé de dénoncer cette doctrine depuis le discours de Vladimir Poutine au Forum de Munich sur les politiques de défense (Münchner Sicherheitskonferenz, un forum annuel consacré aux questions de sécurité internationale depuis 1963) en 2007, au cours duquel il a clairement dénoncé le déploiement de missiles balistiques américains en Pologne et dans d’autres nations européennes membres de l’OTAN, au motif avancé par Washington que ces missiles défendent les alliés de l’Otan contre «des attaques balistiques sauvages de la part de l’Iran et de la Corée du Nord». Neuf ans après ce discours funestement annonciateur de l’actualité et de la réalité sur le terrain que nous impose Washington aujourd’hui, il vaut la peine de citer un paragraphe de cette déclaration de Poutine en février 2007 :
«Qu’est-ce qu’un monde unipolaire ? Quels que soient les efforts d’embellissement de ce mot, au bout du compte cela fait référence à une situation dans laquelle il existe un centre détenteur de l’autorité, de la force, et de la décision. Il s’agit d’un monde dans lequel il n’y a qu’un maître à bord, un souverain unique. Au bout du compte, cette situation est pernicieuse non seulement pour tous ceux qui font partie de ce système, mais pour le souverain lui-même parce que ce système s’effondre sur lui-même. Et c’est très éloigné de la façon dont devrait fonctionner un système démocratique. Nous assistons aujourd’hui à un usage quasi-illimité de la force brute, de la force militaire, au sein des relations internationales, une force qui précipite le monde dans un abysse de conflits perpétuels… L’OTAN a stationné ses premières lignes à nos frontières. Il est évident que l’expansion de l’OTAN n’a aucun rapport avec la modernisation de l’Alliance atlantique, ou avec l’impératif de protéger l’Europe. Au contraire, cette expansion de l’OTAN représente une grave provocation qui ternit la confiance mutuelle. Et nous sommes en droit de demander : contre qui cette expansion est-elle dirigée ? Et où sont passées les déclarations de bonnes intentions que nous ont faits nos alliés occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie [de ne pas étendre le nombre de pays membres de l’Otan, NdT] ?».
Se référant à la déclaration que venait de faire l’administration Bush de l’époque de son intention de déployer ses missiles et ses radars en Pologne et en République tchèque au prétexte fallacieux de protéger les membres européens de l’OTAN d’attaques sauvages de la part de la Corée du Nord ou de l’Iran, Poutine conclut son discours ainsi :
«Ces projets d’étendre certains éléments de ce bouclier anti-missile en Europe ne peuvent que nous préoccuper. Avons-nous vraiment besoin de nous lancer, si nous répondions de façon similaire, dans une inévitable course aux armements ? Je doute sérieusement que les Européens eux-mêmes le souhaitent. Un arsenal balistique d’une portée de 5000 à 8000 kilomètres qui menacerait le territoire européen n’existe tout simplement pas dans les prétendus pays à problème. Il n’est même pas envisageable que cela n’arrive dans un futur proche. Et tout lancement hypothétique, par exemple d’une fusée nord-coréenne vers le territoire américain traversant l’Europe occidentale, va à l’encontre, et ce de façon évidente, des lois de la balistique. Cela reviendrait, comme on dit en russe, à se gratter l’oreille gauche avec la main droite.»
Aujourd’hui, un Washington à bout d’alternatives de politique étrangère avance précisément vers ce même encerclement balistique anti-missiles contre la Chine et contre l’Extrême-Orient russe, qui est une partie du territoire stratégiquement vitale. Si quelqu’un à Washington voulait ardemment solidifier l’alliance stratégique militaire entre Beijing et Moscou et l’amener au niveau de leur incroyable synergie sur le plan économique, il ou elle ne s’y prendrait pas autrement. Mais cela n’est pas exactement une idée de génie pour l’humanité ou pour le développement économique pacifique de notre planète que de nous faire avancer à marche forcée vers l’annihilation mutuelle.
F. William Engdahl
Article original paru sur New Eastern Outlook
Traduit par Laurent Schiaparelli, édité par Wayan, relu par Cat pour Le Saker Francophone
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