Amnesty international attise la guerre en Syrie


Par Rick Sterling – Le 11 février 2017 – Source Consortium News

La vaste machine de propagande occidentale a attiré plusieurs groupes auparavant respectables tels Amnesty international qui vient de publier un douteux rapport sur les « droits de l’homme » destiné à attiser la guerre en Syrie.

Amnesty international (AI) a fait de bonnes investigations et de bons rapports au fil des ans, qui ont mérité au groupe un large soutien. Cependant, ce qui est moins connu est qu’Amnesty international a aussi mené des enquêtes fautives aux conséquences sanglantes et désastreuses.

Des “rebelles modérés” syriens appuyés par les États-Unis sourient tandis qu’ils se préparent à décapiter un garçon de 12 ans (à gauche), dont la tête sectionnée est maintenue en l’air triomphalement dans une partie ultérieure de la vidéo. (Capture d’écran de la vidéo YouTube)

Un exemple marquant est celui de l’Irak où AI a corroboré l’histoire fausse que des soldats irakiens volaient des incubateurs du Koweit, laissant les bébés mourir sur le sol gelé. La tromperie a été planifiée et effectuée à Washington afin d’influencer le public et le Congrès des États-Unis.

Un exemple plus récent est celui de 2011 où de fausses accusations ont été portées concernant la Libye et Mouammar Kadhafi alors que les puissances occidentales et du Golfe tentaient de renverser son gouvernement. Les dirigeants d’AI se sont joints à la campagne en déclarant que Kadhafi employait des « mercenaires » pour menacer et tuer des civils qui protestaient pacifiquement. La propagande a réussi à faire taire la critique envers ce qui est devenu une invasion et un « changement de régime ».

Au-delà d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU afin de « protéger des civils », l’OTAN a lancé des attaques aériennes soutenues et renversé le gouvernement libyen en conduisant au chaos, à la violence et à un flot de réfugiés. AI a plus tard réfuté ses accusations de « mercenaires », mais le dommage avait été fait.

Puis, le 7 février, Amnesty international a publié un nouveau rapport intitulé « Abattoir humain : pendaisons et exterminations de masse à la prison de Saydana », qui accuse le gouvernement syrien d’exécuter des milliers de prisonniers politiques, un ensemble d’accusations qui ont reçu un traitement sans discernement dans les nouvelles des principaux médias.

À l’instar des histoires des incubateurs irakiens/koweïtiens et des « mercenaires » libyens, le rapport sur l’« abattoir humain » arrive à un moment critique. Il accuse et condamne le gouvernement syrien au sujet d’atrocités horribles envers des civils – et AI en appelle explicitement à la communauté internationale pour prendre « des mesures ». Mais le rapport d’AI est profondément biaisé et se résume à une condamnation du gouvernement syrien par un tribunal-bidon.

Les normes d’AI ignorées

Le rapport d’Amnesty international viole les propres normes de recherche de l’organisation. Comme en fait état le professeur Tim Hayward ici, le Secrétaire général d’Amnesty international, Salil Shetty, proclame qu’Amnesty fait sa recherche « de façon très systématique et primaire, en ce que nous recueillons des preuves avec notre propre personnel sur le terrain. Et chaque aspect de notre collecte de données est basé sur la corroboration et le recoupement de la part de toutes les parties, même s’il y a, vous savez, plusieurs parties dans toute situation parce que toutes les questions dont nous traitons sont passablement contestées. Alors il est très important d’obtenir différents points de vue et de vérifier les faits de façon transversale. »

Une image de propagande déchirante conçue pour justifier une importante opération militaire américaine en Syrie contre l’armée syrienne.

Mais le rapport d’Amnesty fait défaut à tous égards : il s’appuie sur des tiers, il n’a pas rassemblé son information à partir de différents points de vue et il n’a pas été contrevérifié par toutes les parties. Les conclusions du rapport ne sont pas basées sur des sources primaires, des preuves matérielles ou le propre personnel d’AI ; les résultats sont uniquement basés sur les revendications d’individus anonymes, principalement dans le sud de la Turquie d’où la guerre en Syrie est coordonnée.

Amnesty a rassemblé des témoins et des dépositions d’un seul côté du conflit : l’opposition soutenue par l’Occident et le Golfe. Par exemple, AI a consulté le Réseau syrien pour les droits de l’homme qui est connu pour rechercher l’intervention de l’OTAN en Syrie. AI a établi une liaison avec la Commission pour la justice internationale et la responsabilité, une organisation financée par l’Ouest pour pousser des chefs d’accusation criminels contre le leadership syrien. Celle-ci n’est évidemment pas une organisation neutre, indépendante ou non partisane.

Si AI faisait ce que son secrétaire général prétend que l’organisation fait toujours, elle aurait consulté des organisations à l’intérieur ou à l’extérieur de la Syrie pour entendre diverses versions de la vie à la prison de Saydnaya. Depuis la sortie du rapport d’AI, AngryArab a publié le récit d’un dissident syrien, Nizar Nayyouf, qui a été emprisonné à Saydnaya. Il contredit plusieurs affirmations dans le rapport d’Amnesty international, le type de contre-vérification qu’AI a négligé de faire dans le cadre de cette importante étude.

L’accusation d’Amnesty selon laquelle les exécutions étaient « extrajudiciaires » est exagérée ou fausse. D’après la propre description d’Amnesty, chaque prisonnier comparaissait brièvement devant un juge et chaque exécution était autorisée par un haut dirigeant du gouvernement. Nous ne savons pas si le juge consultait de la documentation ou d’autre information concernant chaque prisonnier. On pourrait faire valoir que le processus tel que décrit était superficiel, mais il est clair que même si les allégations d’AI sont vraies, il y avait là une forme de processus judiciaire.

La suggestion d’Amnesty selon laquelle tous les prisonniers de Saydnaya sont condamnés est fausse. Amnesty cite un témoin qui explique à propos de la cour : « Le juge demande le nom du détenu et s’il a commis le crime. Selon que la réponse est oui ou non, il sera condamné. » Mais cette affirmation est contredite par un ancien prisonnier de Saydnaya qui est maintenant un réfugié en Suède. Dans ce reportage, l’ancien prisonnier dit que le juge « lui a demandé combien de soldats il avait tué. Quand il a répondu ‘aucun’, le juge l’a épargné. » Ceci est l’évidence qu’il y a un processus judiciaire de quelque sorte et qu’il y a des acquittements.

Le rapport d’Amnesty inclut des photographies satellites avec des légendes qui sont dénuées de sens ou erronées. Par exemple, comme le souligne le dissident syrien Nizar Nayyouf, la photo à la page 30 exposant un cimetière de martyrs est « stupide au-delà de toute expression ». La photo et la légende montrent que ce cimetière a doublé en taille. Cependant, cela ne prouve pas les pendaisons de prisonniers qui n’auraient jamais été enterrés dans un « cimetière de martyrs » réservé aux soldats de l’armée syrienne. Au contraire, cela confirme le fait qu’Amnesty international ignore par ailleurs : des soldats syriens sont morts en grand nombre.

Le rapport d’Amnesty revendique à tort – basé sur des données fournies par l’un des groupes recherchant l’intervention de l’OTAN – que « les victimes sont massivement des civils ordinaires qui sont censés s’opposer au gouvernement ». Bien qu’il soit certainement vrai que des civils innocents sont parfois injustement arrêtés, comme cela se produit dans tous les pays, la suggestion que la prison de Saydnaya est remplie avec 95% de « civils ordinaires » est absurde. Amnesty international peut seulement faire cette affirmation sans affronter le ridicule parce qu’AI et d’autres organisations occidentales ont effectivement « disparu » de la réalité de la Syrie.

Des faits manquants

D’autres faits essentiels, complètement absents du rapport d’Amnesty, sont les suivants :

Le roi Salman d’Arabie saoudite et son entourage arrivent pour accueillir le président Barack Obama et la première dame Michelle Obama à l’aéroport international de King Khalid à Riyadh, en Arabie saoudite, le 27 janvier 2015. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Pete Sousa)

  • Les puissances occidentales et les monarchies du Golfe ont dépensé des milliards de dollars annuellement depuis 2011 pour recruter, financer, entraîner, armer et soutenir au moyen d’une propagande sophistiquée une violente campagne pour renverser le gouvernement syrien.
  • Dans le cadre de cette opération, des dizaines de milliers de fanatiques étrangers ont envahi la Syrie et des dizaines de milliers de Syriens ont été radicalisés et payés par les monarchies wahhabites dans le Golfe pour renverser le gouvernement.
  • Plus de 100 000 soldats de l’Armée syrienne et de la Défense nationale ont été tués en défendant leur pays. La plupart de cette information publique est toujours ignorée par Amnesty international et les autres médias principaux dans l’Occident. Cette opération de « changement de régime » s’est accompagnée d’une distorsion massive et d’un camouflage de la réalité.
  • Sans fournir de preuve, Amnesty international accuse le plus haut dirigeant religieux sunnite en Syrie, le grand mufti Ahmad Badreddin Hassoun, d’autoriser l’exécution de « civils ordinaires ». Alors que le grand mufti est une victime personnelle de la violence de la guerre – son fils a été assassiné par des terroristes près d’Alep –, il a constamment appelé à la réconciliation. Après le meurtre de son fils, le grand mufti Hassoun a prononcé un discours éloquent exprimant le pardon pour les meurtriers et demandant la fin de la violence.

Qu’est-ce que cela dit à propos d’Amnesty international en ce qu’elle porte des accusations personnelles spécifiques contre des personnes qui ont personnellement souffert, ne fournissant aucune preuve de culpabilité ?

Dans le rapport, Amnesty utilise des accusations sensationnelles et émotionnelles à la place de preuves factuelles. Le titre du rapport est : « Abattoir humain ». Et qu’est-ce qui accompagne un « abattoir » ? Un frigo à viande. Ainsi, le rapport utilise l’expression « frigo à viande » en sept instances séparées, vraisemblablement pour faire en sorte de renforcer la métaphore centrale d’un abattoir.

Même la citation d’ouverture du rapport est hyperbolique : Saydnaya est la fin de la vie – la fin de l’humanité. Le rapport offre un contraste marqué avec la recherche objective fondée sur des faits et l’investigation ; il semble conçu pour manipuler les émotions et, ainsi, créer un nouveau soutien public en Occident pour une nouvelle escalade de la guerre.

Pourtant, les accusations d’Amnesty international selon lesquelles le gouvernement syrien applique une politique d’ « extermination » sont contredites par le fait que la vaste majorité de Syriens préfère vivre dans des zones contrôlées par le gouvernement. Quand les « rebelles » ont finalement été éconduits d’Alep-Est en décembre 2016, 90% des civils se sont précipités dans des zones sous contrôle gouvernemental.

Ces derniers jours, des civils de la province de Lattaquié qui avaient été emprisonnés par des terroristes au cours des trois dernières années ont été libérés dans le cadre d’un échange de prisonniers. [Cette vidéo montre le président syrien Bachar Al-Assad et sa femme rencontrant certains civils.]

Une vidéo

Le rapport d’Amnesty est accompagné d’un dessin animé de propagande de trois minutes qui renforce le récit selon lequel des civils syriens qui protestent pacifiquement sont emprisonnés et exécutés. En écho avec le thème du rapport, l’animation s’intitule : « Prison de Saydnaya : abattoir humain ». Amnesty international semble nier qu’il y a des dizaines de milliers d’extrémistes violents en Syrie, déclenchant des voitures piégées, lançant des mortiers et attaquant par ailleurs des zones civiles chaque jour.

Le journaliste James Foley peu de temps avant qu’il ne soit exécuté par un agent de l’État islamique en août 2014 quelque part en Syrie.

Compte tenu de la crise nationale – avec autant de djihadistes violents à confronter – il est improbable que la sécurité syrienne ou des autorités de la prison gaspillent des ressources sur des civils non violents, même si cela ne garantit pas que le gouvernement syrien a les mains propres non plus. Des erreurs et abus doivent se produire dans cette guerre comme dans toutes les autres.

Mais le rapport d’AI ressemble davantage à la propagande qui a entouré le conflit syrien depuis le début, étant pauvrement équilibré et rappelant la « gestion de la perception » utilisée pour justifier l’invasion étasunienne de l’Irak en 2003 et l’assaut de l’Occident en Libye en 2011. L’hyperbole d’AI est aussi contredite par le fait que la Syrie a plusieurs partis d’opposition qui se disputent des sièges à l’Assemblée nationale et qui font ouvertement campagne pour le soutien public tant à la droite qu’à la gauche du parti Baas.

L’affirmation d’Amnesty selon laquelle les autorités syriennes répriment brutalement les protestations pacifiques ignore davantage le processus de réconciliation syrienne. Au cours des dernières années, des militants armés de l’opposition ont été encouragés à déposer leurs armes et à rejoindre pacifiquement la société, un programme largement non signalé dans les médias occidentaux parce qu’il contredit le récit du « chapeau noir » du gouvernement syrien. [Un exemple récent est rapporté ici.]

Le rapport d’Amnesty cite les photographies « César » comme des preuves à l’appui de ses accusations d’« abattoir », mais ignore le fait que presque la moitié de ces photographies démontre le contraire de ce qui est revendiqué. Les « photographies César » largement publicisées étaient un canular financé par le Qatar pour saboter les négociations de Genève de 2014 comme documenté ici.

Alors que le rapport d’Amnesty porte plusieurs accusations contre le gouvernement syrien, AI ignore la violation de la souveraineté syrienne effectuée par les pays occidentaux et du Golfe. Il est curieux que de grosses ONG comme Amnesty international focalisent sur des violations des « droits humains » et de « droit humanitaire », mais qu’elles ignorent le crime d’agression, aussi appelé crime contre la paix.

Selon le tribunal de Nuremberg, l’agression est « le crime international suprême, différant seulement des autres crimes de guerre en ce qu’il contient en lui-même le mal cumulé de l’ensemble ». L’ex-ministre nicaraguayen et ancien président de l’assemblée générale des Nations Unies, le père Miguel D’Escoto, est quelqu’un qui devrait savoir. Il dit : « Ce que le gouvernement des États-Unis fait en Syrie équivaut à une guerre d’agression, laquelle, selon le tribunal de Nuremberg, est le pire crime qu’un État puisse commettre contre un autre État. » Amnesty international ignore cette réalité.

Formation et contexte

Nicolette Waldman (Boehland) est la co-auteure de ce rapport d’Amnesty international, et elle a été interviewée sans critique dans DemocracyNow, le 9 février. La formation et les œuvres antérieures de Waldman révèlent les interconnexions entre les « think tanks » influents de Washington et les fondations de milliardaires qui financent des « organisations non gouvernementales » – ONG – déclarant être indépendantes, mais qui ne le sont pas dans les faits.

Waldman a précédemment travaillé pour le « Centre pour les civils en conflit » dirigé par des responsables comme l’Open Society de Georges Soros, le Human Rights Watch financé par Soros, Blackrock Solutions et le Centre pour une nouvelle sécurité américaine (CNAS).

Le milliardaire spéculateur de devises George Soros. (Crédit photographique : georgesoros.com)

Le CNAS peut être l’indication la plus significative d’une orientation politique depuis qu’il est dirigé par Michele Flournoy qui était pressentie pour devenir secrétaire à la Défense si Hillary Clinton avait gagné l’élection. Le CNAS a été un moteur principal derrière les plans néoconservateurs et interventionnistes libéraux visant à intensifier la guerre en Syrie. Alors que les travaux passés ou les associations ne définissent pas toujours les travaux nouveaux ou futurs, dans ce cas-ci, les accusations sensationnelles et douteuses semblent s’aligner sur ces objectifs politiques. [L’Open Society de George Soros a aussi fourni des fonds à Amnesty international.]

Alors que faire du nouveau rapport d’Amnesty international ? L’organisation jadis grandement respectée s’est, dans un passé récent, laissée utiliser comme outil de propagande pour justifier l’agression occidentale contre l’Irak et la Libye, ce qui semble être le rôle qu’AI joue présentement en Syrie.

Le rapport d’Amnesty international est un mélange d’accusations sur ouï-dire et de sensationnalisme dans la lignée des thèmes de propagande occidentale qui ont entouré la guerre syrienne dès le départ. En raison de la réputation non méritée d’Amnesty pour son indépendance et son exactitude, le rapport a été repris et diffusé largement. Les organes de presse des médias libéraux supposément progressistes se sont joints de concert pour faire écho aux accusations douteuses.

Peu ou pas de scepticisme s’applique lorsque la cible est le gouvernement syrien, qui a fait face à des années d’agression parrainées par l’étranger. Si ce rapport justifie une nouvelle escalade du conflit, comme Amnesty international semble le vouloir, le groupe va à nouveau servir à rationaliser l’agression occidentale en Syrie, comme il l’a fait en Irak et en Libye.

Rick Sterling est un journaliste d’investigation basé dans la région de la baie de San Francisco.

Traduit par Julie, relu par Catherine pour le Saker francophone

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