Yémen. Voici pourquoi les Houthis rejettent les « accords de paix » américain et saoudien.


Par Ahmed Abdulkareem – Le 27 mars 2021 – Source Mint News

SANA’A, YEMEN – Le 26 mars marque le sixième anniversaire de la campagne de bombardement saoudienne, soutenue par les États-Unis, contre ce pays déchiré par la guerre qu’est le Yémen. Pour commémorer cet événement, des manifestations massives ont eu lieu dans tout le pays, vendredi dernier.

Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale yéménite, Sanaa, près de l’aéroport international assiégé de Sanaa, et à Hodeida, le plus grand et le plus important port maritime du pays. En fait, des milliers de Yéménites se sont rassemblés dans plus de vingt centre-villes des provinces du nord, portant des drapeaux yéménites et des banderoles sur lesquelles étaient inscrits des messages de fermeté et des promesses de libérer le pays tout entier du contrôle saoudien. Les images des manifestations montrent une mer de drapeaux yéménites, des affiches portant des photos du leader houthi, Abdulmalik al-Houthi, et le slogan « Six ans d’agression – Nous sommes prêts pour la septième année – Nous vaincrons ».

« Nous sommes ici pour envoyer un message aux États-Unis et à l’Arabie saoudite : nous sommes prêts à faire davantage de sacrifices pour lutter contre la coalition dirigée par l’Arabie saoudite », déclare Nayef Haydan, un dirigeant du Parti socialiste yéménite et membre du Conseil de la Choura yéménite. « Toute initiative de paix doit contenir une fin permanente de la guerre, une levée totale du blocus, un programme de reconstruction détaillé et une indemnisation pour les Yéménites », ajoute-t-il.

Après les avoir bombardé pendant six ans, les Saoudiens leur parlent maintenant de paix

Pendant six ans, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, deux des pays les plus riches de la planète, ont bombardé sans relâche la nation la plus pauvre du Moyen-Orient, avec l’aide cruciale de trois administrations américaines consécutives. Pendant 2 160 jours – soit six années consécutives – l’armée de l’air royale saoudienne et l’armée de l’air des Émirats arabes unis ont lancé, avec l’aide des États-Unis, près de 600 000 frappes aériennes contre le Yémen. Les bombardements ont touché des maisons civiles, des écoles, des hôpitaux, des routes, des funérailles, des installations alimentaires, des usines, des mosquées, des pompes pour l’eau, le système des égouts, des marchés, des camps de réfugiés, des villes historiques, des bateaux de pêche, des stations-service, un bus scolaire rempli d’enfants et des camps bédouins, rendant toute reconstruction potentielle très longue et coûteuse.

Les bombardements se poursuivent alors même que de nouvelles initiatives de paix commencent à être évoquées. Pas plus tard que dimanche dernier, le 21 mars, plusieurs frappes aériennes saoudiennes consécutives ont détruit une exploitation avicole dans la province d’Amran. Cette attaque est d’autant plus désolante que le Yémen souffre de l’une des famines les plus graves de l’histoire récente. En fait, le pays est confronté à une crise humanitaire, économique et politique d’une ampleur jamais vue depuis des décennies. Selon les Nations unies, près de 16 millions de Yéménites vivent dans la famine, dont 2,5 millions d’enfants souffrant de malnutrition. Et des milliers de fonctionnaires yéménites sont aujourd’hui confrontés à la faim, leurs salaires n’ayant pas été versés depuis des années ; depuis que la coalition saoudienne a pris le contrôle de la banque centrale du pays.

Une destruction implacable

Alors que la guerre entre dans sa septième année, la population du pays, épuisée par la guerre, est confrontée à de sinistres nouvelles. Une épidémie de choléra qui connaît la croissance la plus rapide jamais enregistrée et des épidémies de grippe porcine, de rage, de diphtérie et de rougeole figurent parmi les menaces biologiques d’origine humaine auxquelles le Yémen est confronté. Pendant ce temps, des centaines de Yéménites meurent chaque jour de la Covid-19, à cause d’un système de santé effondré et détruit. Nombre de ces maladies et crises ne sont pas naturelles mais ont été créées, artificiellement et intentionnellement, par l’Arabie saoudite. La coalition saoudienne soutenue par les États-Unis a détruit complètement ou partiellement au moins 523 établissements de santé et bombardé au moins 100 ambulances, selon un rapport du ministère de la Santé, basé à Sanaa, publié mardi dernier.

Des années après le début du blocus des ports yéménites que l’Arabie saoudite a imposé, interrompant ainsi l’acheminement en fournitures vitales, les Yéménites souffrent toujours d’un manque de nourriture, de carburant et de médicaments.

Le port de Hodeida, qui est le principal point d’entrée de la plupart des importations alimentaires du Yémen, est toujours soumis à un strict blocus saoudien ; même l’aide humanitaire est empêchée d’atteindre le port. L’aéroport international de Sanaa, qui a été lourdement bombardé par l’armée de l’air saoudienne au cours des deux dernières semaines, est bloqué depuis presque le début de la guerre, laissant des milliers de patients mourir prématurément parce qu’ils n’ont pas pu se rendre à l’étranger pour se faire soigner.

De leur côté, les Yéménites ont décidé de prendre pour cible la coalition saoudienne dans son propre jardin. Espérant que la monarchie saoudienne sera suffisamment éprouvée par le fait que la bataille atteint son territoire et qu’elle reconsidère son enlisement au Yémen, les missiles et drones des Houthis ont réussi à frapper des infrastructures pétrolières, des aéroports et des bases militaires saoudiennes, exposant le sol saoudien à des bombardements quotidiens, une première depuis que la famille Al Saoud a établi son emprise sur l’État.

Dans une déclaration récente, le porte-parole de l’armée yémenite, soutenue par Ansar Allah, a affirmé que son armée de l’air avait effectué plus de 12 623 frappes de drones et opérations de reconnaissance au cours des six dernières années et que, rien qu’au cours des deux derniers mois, 54 missiles balistiques de haute précision avaient été tirés sur des cibles saoudiennes vitales, dont certaines se trouvaient au cœur de l’Arabie saoudite.

Mercredi dernier, l’aéroport saoudien d’Abha a été attaqué par un certain nombre de drones, et vendredi, une installation appartenant au géant pétrolier public saoudien Aramco dans la capitale saoudienne de Riyad a été frappée par six drones, causant des dommages à l’installation, selon des sources militaires yéménites.

La futilité saoudienne

Malgré ses énormes assauts, ses armes occidentales meurtrières et les centaines de milliards de dollars gaspillés dans cette guerre, l’Arabie saoudite n’a pas réussi à écraser la volonté du peuple yéménite, qui continue de lutter pour sa souveraineté. Fin mars 2015, le prince héritier saoudien, Mohammed Bin Salman, promettait avec assurance que tout serait terminé en quelques semaines et qu’Ansar Allah se rendrait rapidement. Aujourd’hui, après six ans de guerre, Bin Salman s’est montré incapable de vaincre les Houthis. Au contraire, les Houthis restent fermes dans leur résistance et sont devenus encore plus puissants, ce qui a provoqué une grande consternation en Arabie saoudite et une tentative timide de Bin Salman de demander aux Houthis d’accepter sa version de la paix afin de libérer le royaume du bourbier qu’il a lui-même créé au Yémen.

Alors que les Yéménites lancent leur dernier assaut pour reprendre la ville stratégique de Marib, et que les États-Unis n’ont pas réussi à protéger leur allié saoudien des missiles balistiques et des drones des Houthis, Washington et Riyad présentent des initiatives de paix dans le but d’endiguer la vague de défaites militaires de la coalition saoudienne. Ces initiatives ne résolvent toutefois pas la détresse humanitaire des Yéménites, ne promettent pas une levée du blocus, ni même une fin à cette guerre.

Juste un vin aigre dans de nouvelles bouteilles

Le 12 mars, l’envoyé spécial des États-Unis pour le Yémen, Tim Lenderking, annonçait une initiative visant à mettre fin à la guerre lors d’un séminaire en ligne avec l’Atlantic Council. Le plan est essentiellement une version recyclée d’une proposition précédente présentée par Mohammed Bin Salman et l’administration Trump il y a un an à Oman, baptisée « Déclaration conjointe ». Il contient un ensemble de principes et de conditions saoudiennes visant à la reddition de l’armée yéménite, des Houthis et de leurs alliés, en échange de la fin de la guerre. L’initiative de Lenderking ne donne aucune garantie que la Coalition prendra des mesures pour lever son blocus et mettre fin à la pire crise humanitaire au monde.

Le 22 mars, l’Arabie saoudite a annoncé sa propre « initiative de cessez-le-feu«  pour mettre fin à la guerre qu’elle a annoncée depuis Washington D.C. il y a six ans. Le ministre saoudien des affaires étrangères, Faisal bin Farhan, a révélé cette initiative, qui comprendrait un cessez-le-feu à l’échelle nationale sous la supervision de l’ONU et une réouverture partielle de l’aéroport international de Sana’a pour certaines destinations. Elle comprend également un plan de partage des revenus qui garantirait au gouvernement saoudien l’accès à une partie de la richesse générée par les gisements de pétrole et de gaz du Yémen, à Marib.

Revenez quand vous serez sérieux

Les deux initiatives ont été rejetées par Sana’a. « Nous rejetons les initiatives de paix américaines et saoudiennes parce qu’elles ne répondent pas aux demandes du peuple yéménite », a déclaré Khaled Al-Sharif, président du Comité suprême des élections, à propos des propositions lors d’une réunion tenue à Sanaa, lundi dernier. Selon de nombreux Yéménites, y compris des décideurs à Sanaa, les plans des États-Unis et de l’Arabie saoudite ne visent pas à instaurer la paix, mais à faire avancer leurs objectifs politiques face à un échec militaire imminent après six coûteuses années de guerre. Selon les responsables de Sanaa, ces mesures visent également à sauver la face et à présenter un plan inacceptable, de sorte que, puisqu’il sera inévitablement rejeté, l’opinion publique penchera en faveur de la coalition dirigée par les Saoudiens.

Dans un discours télévisé en direct commémorant le sixième anniversaire de la guerre, jeudi après-midi, ِAbdulMalik al Houthi, le chef des Houthis, a refusé les initiatives de Washington et de Riyad, expliquant :

Les Américains, les Saoudiens et certains pays ont essayé de nous persuader de troquer le dossier humanitaire contre des accords militaires et politiques. Nous refusons cela.

L’accès aux produits pétroliers, à la nourriture, aux produits médicaux et de base est un droit humain et légal qui ne peut être troqué contre des extorsions militaires et politiques.

Nous sommes [toutefois] prêts pour une paix honorable dans laquelle il n’y a pas de compromis pour le droit de notre peuple à la liberté et à l’indépendance ou pour les droits légitimes du Yémen.

Les dirigeants houthis considèrent que les politiques de l’administration Biden ne sont pas très éloignées de celles de son prédécesseur, Donald Trump.

« L’administration Biden suit les mêmes politiques que celles de l’ancien président Donald Trump. [Ils] n’ont pas proposé de nouveau plan pour la paix au Yémen. Washington a plutôt présenté un ancien plan pour la résolution du conflit », a déclaré Mohammed Abdul-Salam, porte-parole d’Ansar Allah, ajoutant que le plan américain n’offre rien de nouveau. « Le plan a posé des conditions inacceptables à l’ouverture du port de Hodeida et de l’aéroport international de Sanaa », a-t-il conclu.

Pas de retraite, pas de reddition

Les Houthis – forts de six années de persévérance dans l’une des guerres les plus violentes contre certaines des forces militaires les plus puissantes du monde, sans parler de leur capacité à rejeter les propositions formulées par ces mêmes puissances – ne sont guère incités à accepter l’offre de Riyad. Ils voient la fin du conflit sous la forme d’une annonce de cessez-le-feu immédiat, d’un départ de toutes les forces étrangères du pays et d’une levée du blocus aérien et maritime, conditions préalables à tout accord. « Ils auraient dû démontrer leur sérieux pour l’instauration de la paix en permettant à la nourriture et au carburant d’accoster dans le port de Hodeida plutôt que d’avancer de simples promesses », a déclaré Mohammed Ali al-Houthi.

Plus de deux mille jours consécutifs de guerre ont prouvé que l’Arabie saoudite n’est pas prête à apporter la paix au Yémen. À l’exception d’un fragile cessez-le-feu à Hodeida et d’un petit nombre de libérations de prisonniers, les négociations entre les deux parties aboutissent généralement à une impasse, Bin Salman recherchant une reddition totale et rien d’autre. De nombreuses négociations entre l’Arabie saoudite et le Yémen ont échoué, notamment les pourparlers de paix menés sous l’égide de l’ONU en Suisse en 2018. Les Yéménites, qui sont maintenant à l’offensive, ne sont pas susceptibles de battre en retraite ou de se rendre. L’offensive visant à reprendre Marib, riche en pétrole, et à balayer les zones de plus en plus réduites qui restent sous contrôle saoudien ne montre aucun signe de ralentissement et, selon des responsables militaires de haut rang, la province de Shabwa, riche en gaz et sous contrôle saoudien, sera la prochaine à être libérée. En outre, les missiles balistiques de représailles et les attaques de drones contre des cibles saoudiennes vont se poursuivre.

Malgré les récentes initiatives de paix, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite n’a fait qu’intensifier les manœuvres militaires au Yémen cette semaine. Des avions de guerre saoudiens sont régulièrement vus au-dessus des zones urbaines très peuplées du nord du pays, larguant des centaines de tonnes de munitions, la plupart fournies par les États-Unis. Les dirigeants de l’armée yéménite et d’Ansar Allah sont presque tous d’accord pour dire que l’administration américaine actuelle participe aux combats qui se déroulent dans la province de Marib, riche en pétrole. Cependant, les Houthis n’ont pas encore directement accusé l’administration Biden d’être impliquée dans les combats et attendent davantage de preuves pour le faire. Ils pourraient ne pas avoir à attendre longtemps. Mardi, un drone MQ-9 Reaper sophistiqué de fabrication américaine a été abattu par un missile sol-air alors qu’il survolait le district de Sirwah à Marib.

Ahmed Abdulkareem

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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