Par Yves Smith − Le 27 octobre 2021 − Source Naked capitalism
Les prix à la pompe aux États-Unis, qui sont fortement subventionné, envoient un signal fort aux consommateurs sur la hausse des coûts énergétiques. Mais comme le souligne cet article, la pénurie, ici et dans le reste du monde, est due dans une large mesure à une mauvaise planification et à des vœux pieux. Les menaces des dirigeants de faire quelque chose au sujet des émissions de combustibles fossiles ont découragé Big Oil d’investir dans le développement et l’extraction. Cela devrait être une bonne chose, mais ces mêmes dirigeants n’ont pas été aussi sérieux pour envisager ce qui allait se passer ensuite, c’est-à-dire quelle combinaison d’anciennes et de nouvelles sources d’énergie (et cela signifie toutes les infrastructures nécessaires qui y sont liées) doit être mise en place pour que les services vitaux continuent à fonctionner au moins de manière adéquate.
Alors que les compagnies pétrolières et gazières subissent des pressions pour réduire leur production, la soif mondiale en énergie ne fait que croître. Sans une augmentation significative des investissements, la demande de pétrole et de gaz dépassera l’offre dans un avenir pas si lointain. Ce décalage entre le désir politique de réduire les combustibles fossiles et la soif mondiale en combustibles fossiles pourrait faire grimper le prix du pétrole jusqu’à 100 dollars le baril.
Le sous-investissement chronique dans de nouvelles réserves de pétrole depuis la crise de 2015 et la pression exercée sur les compagnies pétrolières et gazières pour qu’elles réduisent leurs émissions et même qu’elles « gardent le pétrole dans le sol » conduiront probablement à un pic de la production mondiale de pétrole plus tôt que prévu, selon les analystes.
Ce serait une évolution réjouissante pour les défenseurs de l’énergie verte, les agendas zéro-émission et la planète s’il n’y avait pas ce fait simple : la demande de pétrole rebondit après le marasme dû à la pandémie et établira un nouveau record annuel moyen dès l’année prochaine.
La transition énergétique et les différents plans gouvernementaux pour des émissions nettes nulles ont incité les analystes à prévoir, il y a seulement quelques années, que le pic de la demande de pétrole se produirait plus tôt que prévu. Toutefois, compte tenu des tendances actuelles en matière d’investissement dans le pétrole et le gaz, l’offre mondiale de pétrole pourrait atteindre son pic plus tôt que la demande mondiale, ce qui créerait un déficit d’offre qui entraînerait une volatilité accrue sur le marché du pétrole, avec des pics de prix, et, potentiellement, des prix du pétrole structurellement plus élevés au milieu de cette décennie et au-delà.
L’offre pourrait plafonner avant la demande
« Sur la base des tendances actuelles, l’offre mondiale de pétrole est susceptible de plafonner encore plus tôt que la demande », écrit le département de recherche de Morgan Stanley dans une note de cette semaine reprise par Reuters.
« La planète met des limites à la quantité de carbone qui peut être émise en toute sécurité. Par conséquent, la consommation de pétrole doit atteindre un pic », ont déclaré les analystes de Morgan Stanley.
Le problème dans le monde est que la consommation de pétrole – à cause de vœux pieux, de la pression des investisseurs et autres – n’atteint pas son pic. Elle n’atteindra pas non plus ce pic avant la fin de cette décennie, au plus tôt, selon la plupart des estimations.
L’OPEP prévoit que la demande mondiale de pétrole continuera de croître jusqu’au milieu des années 2030 pour atteindre 108 millions de barils par jour (bpj), après quoi elle devrait plafonner jusqu’en 2045, selon les dernières perspectives annuelles du cartel. D’autres analystes prévoient un pic de la demande vers à la fin des années 2020.
Les investissements dans de nouvelles sources d’approvisionnement sont toutefois très en retard sur la croissance de la demande mondiale de pétrole.
La demande augmente à nouveau après la crise du COVID de 2020 et, contrairement à certaines prévisions du début des années 2020 selon lesquelles la consommation mondiale de pétrole ne retrouverait jamais les niveaux d’avant la pandémie, la demande est actuellement à quelques mois seulement d’atteindre et de dépasser ces niveaux.
Le déficit de l’offre se profilera dans seulement quelques années
L’offre, quant à elle, semble limitée au-delà de l’horizon de l’accord OPEP+.
L’année dernière, les nouveaux investissements ont chuté à leur plus bas niveau depuis dix ans et demi. L’année dernière, les investissements mondiaux en amont ont chuté à 350 milliards de dollars, leur plus bas niveau depuis 15 ans, selon les estimations de Wood Mackenzie datant du début de l’année.
On ne s’attend pas non plus à ce que les investissements augmentent sensiblement cette année, malgré un pétrole à 80 dollars. Cela s’explique par le fait que les supermajors s’en tiennent à la discipline en matière de capital et s’engagent à atteindre des objectifs d’émissions nettes nulles, que certains d’entre eux prévoient d’atteindre en réduisant les investissements et les développements dans les nouveaux projets pétroliers non essentiels et peu rentables.
Le schiste américain, quant à lui, ne se précipite pas cette fois pour « forer jusqu’à plus soif », comme l’a dit Harold Hamm en 2017, car les producteurs américains cherchent à récompenser enfin les actionnaires après des années d’injection de flux de trésorerie dans le forage et de chasse à la croissance de la production.
Si l’on considère que la demande de pétrole va encore croître, au moins pendant quelques années encore, le sous-investissement pour une nouvelle offre sera un problème majeur à moyen et long terme.
Malgré la transition énergétique, la demande ne va pas simplement disparaître, et de nouveaux approvisionnements seront nécessaires pendant des années pour remplacer la production et les réserves en déclin.
Selon l’OPEP, l’industrie pétrolière devra réaliser des investissements massifs au cours des 25 prochaines années afin de répondre à la demande. Selon l’OPEP, le secteur aura besoin d’investissements cumulés à long terme en amont, en milieu de chaîne et en aval de 11 800 milliards de dollars d’ici à 2045.
Patrick Pouyanné, directeur général de la société française TotalEnergies, a déclaré lors du forum Energy Intelligence ce mois-ci que les prix du pétrole « monteraient en flèche » d’ici à 2030 si l’industrie devait cesser d’investir dans de nouvelles sources d’approvisionnement, comme le suggèrent certains scénarios prévoyant une production nette zéro d’ici à 2050. « Si nous arrêtons d’investir en 2020, nous laissons toutes ces ressources dans le sol … et alors le prix va grimper en flèche. Et même dans les pays développés, ce sera un gros problème », a déclaré M. Pouyanné.
Le pétrole à 100 dollars n’est plus une prédiction scandaleuse
Un prix du pétrole à trois chiffres n’est plus une prédiction scandaleuse comme il l’aurait été début 2020.
Francisco Blanch, responsable mondial de la recherche sur les matières premières et les produits dérivés chez Bank of America, prévoit que le pétrole atteindra 100 dollars en septembre 2022, voire plus tôt si cet hiver est beaucoup plus froid que prévu.
La demande revient, alors que nous avons assisté à un grave sous-investissement dans l’offre ces 18 derniers mois, a déclaré Blanch à Bloomberg fin septembre.
« Le problème du sous-investissement ne peut pas être résolu facilement, et dans le même temps, nous avons une montée en flèche de la demande », a-t-il déclaré.
« Nous nous dirigeons vers une camisole de force pour l’énergie, nous ne voulons pas utiliser de charbon, nous voulons utiliser de moins en moins de gaz, nous voulons nous éloigner du pétrole », a déclaré Blanch à Bloomberg.
Bien qu’il soit peu probable que le pétrole reste à trois chiffres pendant une période prolongée, le sous-investissement est devenu « un problème pluriannuel » pour l’industrie, a noté M. Blanch.
Même si le pétrole ne reste pas à 100 dollars le baril, une pénurie de l’offre ferait néanmoins monter le plancher des prix du pétrole et entraînerait des pics de prix insoutenables. Même si les défenseurs du climat souhaitent un arrêt des investissements dans de nouvelles sources d’approvisionnement, l’industrie et le monde ne peuvent pas se le permettre car la demande de pétrole continue de croître.
Yves Smith
Note du Saker Francophone
Cet article postule presque qu’un pic d’investissement pour compenser le sous-investissement pourrait résoudre notre problème. C’est possible mais pas certain. A un moment donné, le coût d’extraction du pétrole dépassera certaines limites économiques et physiques, on rentrera dans l’ère des rendements décroissants.
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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