Par Vladislav B. SOTIROVIĆ − Le 6 juillet 2020 − Source Oriental Review
Première partie ici.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la décision des Slovaques d’accepter le protectorat d’Hitler sur l’État slovaque donna naissance à l’un des griefs mutuels entre Tchèques et Slovaques dans les décennies d’après-guerre. Par crainte de ce que le Troisième Reich ferait à la Slovaquie si la Tchécoslovaquie était défaite par l’Allemagne en cas de guerre, la Slovaquie déclara sa quasi-indépendance et devint un protectorat de l’Allemagne nazie. Mais l’influence nazie ne s’arrêta pas là : les nationalistes slovaques adoptèrent certains des idéaux nazis. Le président slovaque, Jozef Tiso, créa un État quasi nazi. Les Tchèques ainsi que les Juifs furent maltraités par ce nouveau gouvernement. La définition de ce qu’est un Juif fut modifiée, reposant sur l’ethnie plutôt que la religion.
Seconde Guerre Mondiale (1939-1945)
Une telle politique antisémite avait plusieurs objectifs. Tout d’abord, la séparation des Juifs du reste de la population était envisagée comme plus facile. Par conséquent, cette définition servait à justifier le mauvais traitement et la déportation éventuelle de la grande majorité des Juifs de Slovaquie vers les camps de concentration et camps de la mort, où la majorité d’entre eux moururent. Parmi eux se trouvaient des enfants, dont J. Tiso pensait qu’ils ne devaient pas être séparés de leur famille, et dont beaucoup partirent dans les chambres à gaz avec leur mère. Certains Juifs ne furent pas déportés en raison de leur importance dans le fonctionnement économique du gouvernement, mais cela ne les protégea pas des mauvais traitements. Il existe une certaine controverse sur la mesure dans laquelle le gouvernement slovaque a réellement adopté les idéaux nazis, et si cela était dû à la pression du gouvernement nazi ou si les idées ont réellement été intériorisées par l’élite politique slovaque. Néanmoins, si la déclaration d’indépendance et le statut de protectorat de la Slovaquie pendant la Seconde Guerre mondiale ont créé des griefs mutuels, ils ne constituent pas aujourd’hui un point de discorde important entre les Slovaques et les Tchèques.
Après l’assassinat de Reinhard Heydrich, le règne de la terreur de l’Allemagne nazie sur les terres tchèques atteignit son apogée dans l’action de vengeance de la destruction du village de Lidice. Heydrich (1904-1942) était un général de police allemand et l’un des nazis les plus impitoyables. En 1934, il était devenu chef de la Gestapo, avant d’être promu chef du service de sécurité intérieure par Himmler. Heydrich fut nommé général de la police en 1941 et, à ce titre, directement responsable de l’exécution de la politique de « Solution finale » de la question juive en Europe occupée. La même année, il fut nommé protecteur adjoint de la Bohême et assassiné à Prague par un Tchèque qui était un agent britannique. En représailles, Lidice, un village tchèque, fut détruit par les SS et la Gestapo le 10 juin 1942. Tous les hommes (plus de 160) furent abattus, 192 femmes furent déportées au camp de concentration de Ravensbrück, où 52 d’entre elles sont mortes, et 96 enfants furent déportés pour être enrôlés dans les camps SS.
Bien que l’oppression et la brutalité de l’Allemagne nazie aient été importantes, elles restèrent à un niveau comparable à l’occupation en Europe occidentale et sont totalement différentes de celles l’Europe de l’Est et du Sud-Est (par exemple, le massacre de Kragujevac en Serbie centrale en 1941 comparé au cas de Lidice), et ne furent pas aussi brutales qu’en Pologne ou dans les territoires occupés de l’URSS. Cela fut en partie dû à la dépendance des nazis vis-à-vis de la main-d’œuvre tchèque dans l’industrie de l’armement.
La période de transition (1945-1948)
À la fin de la guerre, les Tchèques et les Slovaques acceptèrent de revenir à la Tchécoslovaquie d’avant-guerre. Le gouvernement en exil dirigé par Edvard Beneš retourna en Tchécoslovaquie. La première rupture avec le libéralisme de l’entre-deux-guerres en Tchécoslovaquie en matière de politique et de tolérance des relations interethniques est intervenue en juin 1945. L’état devint alors le premier d’Europe de l’Est, en dehors de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique, à procéder à un nettoyage ethnique de facto en expulsant les minorités allemande et hongroise du pays.
Les Allemands des Sudètes étaient considérés comme autant responsables de la guerre que les autres Allemands et furent, avec le soutien des alliés, déportés de force après la guerre. La minorité la plus virulente contre l’existence de la Tchécoslovaquie n’existant plus dans le pays, le nouveau gouvernement communiste eut une bien meilleure possibilité de traiter les questions relatives aux minorités après 1948. Cependant, immédiatement après la guerre et jusqu’en 1948, le gouvernement tchécoslovaque eut d’autres problèmes à régler d’urgence. Deux partis, les communistes et les démocrates, se disputaient le pouvoir au sein du gouvernement à Prague.
Lors des élections de mai 1946, le parti communiste devint le plus important avec 38 % des voix. La direction du parti organise une coupe en février 1948 avec la création d’un système politique de parti unique communiste en Tchécoslovaquie. Cette évolution s’est accélérée avec les nombreuses purges politico-idéologiques de type stalinien. Par conséquent, la Tchécoslovaquie est rapidement et fermement passée sous le parapluie de l’URSS de Staline, adhérant aux extrêmes du stalinisme même après la mort de Staline en 1953. Dans les années qui suivirent, les violations des droits de l’homme par le régime communiste et le système judiciaire qui en dépendait continuèrent.
Les Slovaques ne parvinrent pas à mettre en place un système fédéral (comme dans la Yougoslavie d’après-guerre, par exemple), en partie parce qu’ils n’étaient pas unis en un seul parti politique, mais divisés entre les partis nationaliste et conservateur. Les Slovaques dont on pensait qu’ils avaient soutenu les nazis furent traités de plusieurs façons. Certains furent tenus responsables par le gouvernement, d’autres quittèrent le pays et ceux qui restèrent ne purent pas jouer un rôle important au sein du gouvernement. En raison de l’association entre les conservateurs et le gouvernement nazi pendant la guerre, ces premiers ne réussirent pas à attirer un grand nombre de personnes pour leur programme. Beaucoup de nationalistes plus libéraux finirent par rejoindre le parti communiste, où ils se concentrèrent principalement sur la préparation du fonctionnement d’une Tchécoslovaquie communiste.
Le temps du communisme (1948-1989)
Le communisme était l’idéologie principale du gouvernement tchécoslovaque depuis l’arrivée au pouvoir des communistes en février 1948, et jusqu’à la Révolution de Velours en 1989. Sous le communisme, le fédéralisme n’était plus une option. Les Slovaques qui étaient jugés trop nationalistes par le gouvernement communiste étaient souvent « purgés », par des exécutions ou des emprisonnements. Même les Slovaques qui avaient initialement soutenu le gouvernement communiste mais qui avaient encore certaines convictions nationalistes ne furent pas épargnés. L’économie évolua également vers le modèle d’économie planifiée promu par l’Union Soviétique. En conséquence, l’économie commença à souffrir, ce qui conduisit à une tentative éphémère de libéralisation à petite échelle, tant au sein de l’économie que de la société civile. Mais ces politiques de libéralisation ne durèrent pas longtemps. Lorsque Antonin Novotny devint président en 1957, elles furent abandonnées. Plus tard, en 1963, il y eut des tentatives de libéralisation de l’économie ainsi que des allègements concernant les restrictions sur des institutions telles que l’éducation et la presse, mais le pouvoir politique resta étroitement entre les mains du gouvernement central contrôlé par le parti communiste.
L’économie du pays, qui avait subi peu de dommages pendant la Seconde Guerre mondiale, devint mal gérée, ce qui conduisit à la crise économique des années 1960. L’agitation croissante et les protestations publiques menèrent à la nomination finale du réformateur Alexander Dubček au poste de premier secrétaire du parti communiste en janvier 1968, en remplacement de Novotny. Cette année (de janvier à août), une vague de démocratisation dénommée « Printemps de Prague » fut menée. Dubček plaida pour des politiques plus libérales afin d’améliorer les conditions économiques du pays. Il entreprit de transformer le parti communiste et le système étatique afin de surmonter le mécontentement et les manifestations engendrés par vingt ans d’économie planifiée et de gouvernement répressif à parti unique. Il voulait mettre fin aux procès politiques inéquitables et libérer et/ou gracier tous les citoyens injustement condamnés dans des procès politiques. Le succès initial de sa politique fut que la censure de la presse cessa en mars 1968, que les restrictions de voyage furent assouplies et que les élections aux postes du parti communiste durent être tenues secrètes.
Cependant, malgré le souci de Dubček de cultiver de bonnes relations avec le gouvernement de l’Union Soviétique, il sous-estima totalement les défis politiques, économiques et géopolitiques que ses réformes représentaient pour les autres membres du bloc soviétique, en particulier pour les voisins Est-Allemands et Polonais. Les partis communistes de ces deux pays avaient leurs propres problèmes et défis de légitimité. Leurs dirigeants comprirent que ces réformes politiques et économiques en Tchécoslovaquie pourraient finalement entraîner l’effondrement de leurs systèmes communistes.
Les tentatives de Dubček pour apporter une libéralisation politique et économique menaçaient les systèmes communistes en Europe de l’Est pendant la guerre froide, défiant les dirigeants intransigeants des autres États communistes. Elles furent brutalement interrompues lorsque l’Union Soviétique (dirigée par l’Ukrainien Leonid Brejnev) et certains pays du Pacte de Varsovie envoyèrent des chars et des troupes en Tchécoslovaquie pour mettre fin au Printemps de Prague le 20 août 1968. Les troupes entrèrent en Tchécoslovaquie sans aucune résistance de la part de l’armée ou du peuple. Si cette démarche permit de forcer le retour à la politique répressive qui existait auparavant, elle ne réussit pas à éradiquer la dissidence. Au contraire, les décennies suivantes virent des manifestations anti-gouvernementales sporadiques. Le nouveau régime ferme du parti communiste devait diriger la Tchécoslovaquie pendant vingt ans encore, jusqu’à la Révolution de Velours de 1989.
Les deux décennies suivantes, jusqu’en 1989, virent le rétablissement de l’orthodoxie politique communiste, associé à une censure stricte de la presse et à une tentative d’apaiser l’opposition politique en faisant des bénéfices économiques. Cependant, ils étaient extrêmement difficiles à réaliser car la croissance économique était lente, notamment du fait des chocs pétroliers des années 70 et de l’absence d’investissement dans les nouvelles technologies dans un pays qui dépendait traditionnellement de son industrie lourde (la partie tchèque). À la fin des années 1970, le développement politique de la Tchécoslovaquie conduisit à la création du mouvement d’opposition à la Charte de 1977, qui inspira au départ les mouvements dissidents dans d’autres pays d’Europe de l’Est. Ce mouvement fournit la direction politique vers laquelle le peuple pouvait se tourner comme alternative au gouvernement communiste, au moment où la position des régimes communistes en Europe de l’Est s’affaiblissait.
La Charte 77 est un document signé par 243 personnes [242 indiqué dans l’article Wikipédia, NdT], dont la plupart sont des intellectuels. Il était adressé directement au gouvernement tchécoslovaque pour protester contre les violations systématiques des droits de l’homme garantis par l’ONU et la Conférence d’Helsinki, auxquelles la Tchécoslovaquie avait adhéré. Le document fut remis en 1977, et recueillit 2 500 signatures au cours de la décennie suivante, malgré les poursuites politiques et la discrimination que le soutien public au texte attirait. D’une part, l’influence politique réelle du mouvement de la Charte de 1977 était limitée, principalement en raison de sa base sociale restreinte. D’autre part, en tant que mouvement politique d’opposition le plus articulé en Europe de l’Est, il devint très connu à l’international. Nombre de ses dirigeants, dont Václav Havel, participèrent activement aux discussions politiques au moment de l’effondrement de l’autorité communiste en 1989 (la Révolution de Velours).
La Révolution de Velours et l’éclatement de la Tchécoslovaquie (1989-1993)
La “Révolution de Velours” de 1989 est un terme utilisé dans l’historiographie pour décrire le transfert pacifique du pouvoir politique en Tchécoslovaquie du parti communiste au mouvement des droits civils. D’août à octobre 1989, des vagues de protestations antigouvernementales eurent lieu à Prague et à Brno et aboutirent à la démission du gouvernement. Elles furent réprimées au début, mais les forces de sécurité de l’État devinrent incapables d’arrêter le nombre croissant de manifestants.
L’organisation anti-gouvernementale appelée Forum Civique, dirigée par Havel, fut fondée le 18 novembre 1989 avec pour principal objectif de coordonner et d’organiser les forces d’opposition, et avec pour tâche politique d’engager des négociations avec le gouvernement. Le 27 novembre 1989, le Forum Civique organisa une grève générale, qui montra clairement que le gouvernement avait perdu tout soutien populaire significatif. En conséquence, ce dernier s’effondra dans les jours qui suivirent.
À cette époque, le communisme s’affaiblissait dans toute l’Europe de l’Est, et la Tchécoslovaquie déclencha sa fin définitive. Le monopole politique du parti communiste fut supprimé le 29 novembre 1989 et le règne des communistes prit fin en décembre 1989 avec la Révolution de Velours. Un gouvernement fut mis en place sous la direction de Václav Havel (1936-2011), membre dirigeant de la Charte 77. Les deux principaux opposants au pouvoir communiste des vingt années précédentes entrèrent en fonction : Dubček fut élu président du Parlement, et le 29 décembre 1989, Havel devint le nouveau président de la Tchécoslovaquie.
La Révolution de Velours fut complètement confirmée par les élections libres des 8 et 9 juin 1990, au cours desquelles ses dirigeants furent approuvés. Au début des années 1990, la Tchécoslovaquie se battit pour retrouver la tradition libérale de l’entre-deux-guerres dans la vie politique et la prospérité économique.
À l’époque, l’opinion et le sentiment généraux étaient que les économies planifiées des pays communistes n’apportaient pas de grands avantages économiques à leurs citoyens, mais qu’elles créaient au contraire des difficultés qui incitaient les gens à protester contre leurs gouvernements. L’Union Soviétique comprit que le communisme ne durerait pas et retira ses derniers équipements militaires et matériels de Tchécoslovaquie en 1991. Peu de temps après, des élections eurent lieu et montrèrent un fort clivage politique des deux côtés du pays.
Alors que la division du pays n’était pas considérée par les étrangers comme mutuellement souhaitée, les hommes politiques tchèques et slovaques plaidèrent en faveur de la séparation des deux pays. Le gouvernement central de Prague ne put empêcher le sentiment de nationalisme croissant dans la partie slovaque du pays, qui débuta même pendant les dernières années du régime communiste. Incapable de parvenir à un accord politique entre une forme fédérale ou confédérée de l’État commun, la Tchécoslovaquie se sépara finalement pacifiquement en deux États internationalement reconnus le 1er janvier 1993 : la République Tchèque et la République Slovaque.
Vladislav B. SOTIROVIĆ
Traduit par Clément et Caroline, relu par jj pour le Saker Francophone