Par Fred Reed – Le 12 novembre 2018 – Source Unz Review
Vi et moi revenons tout juste de Chengdu, un « village chinois » de dix-sept millions d’habitants, porte d’entrée du Tibet. Puisque la Chine intéresse quelque peu les États-Unis ces jours-ci, j’ai pensé qu’un genre de description, en fait plutôt un carnet de voyage désordonné, pourrait être intéressant. Je n’étais pas retourné dans ce pays depuis douze ans et, avant cela, pas depuis que j’ai vécu à Taiwan au milieu des années 1970. Chaque fois, les changements m’ont étonné. Voici ces quelques notes.
Une mise en garde : nous n’avons jamais été à plus de 600 km de la ville et ne prétendons pas décrire le pays au-delà de ce que nous avons vu.
Malgré la guerre commerciale menée par Trump, nous n’avons eu aucun problème pour obtenir des visas à Guadalajara ou passer la douane à Chengdu. Personne ne nous a montré la moindre hostilité. Bien que la Chine soit assurément une dictature et réprime vigoureusement la dissidence, nous n’avons croisé pratiquement aucun policier. Un ami, qui vivait à Chengdu depuis plusieurs années jusqu’à récemment, affirme qu’il n’y a presque pas de criminalité de rue. (Le crime en col blanc est une autre question, m’a-t-il dit, et semble faire partie intégrante de la culture chinoise. Il y a des livres à ce sujet.)
La Chine est souvent décrite comme un pays en développement. Enfin, en quelque sorte. Chengdu n’est pas vraiment une ville du tiers monde ; elle est moderne, grande, semblant avoir été construite récemment puisque c’est le cas. Le centre-ville est beau, du moins autant que peut l’être une ville, et habitable. Au cours des nombreuses heures de marche sans but, nous avons rencontré de tout, des élégants magasins haut de gamme vendant des marques occidentales haut de gamme jusqu’aux magasins de pâtes chinoises. Ce n’est pas une ville pauvre. Un nombre considérable de personnes portent des vêtements usés et n’ont visiblement pas l’air très prospères, mais personne n’avait l’air affamé et la plupart semblait de classe moyenne. Nous n’avons pas vu de mendiants ou de sans-abri comme c’est souvent le cas aux États-Unis. Je ne sais pas si c’est parce qu’il n’y en a pas ou parce que le gouvernement ne les laisse pas traîner dans la rue.
Pour quiconque sait l’état dans lequel était la Chine avant que Deng Xiaoping ne prenne le pouvoir en 1978, après que Mao eut apporté sa plus grande contribution à son pays – sa mort – la croissance de la prospérité surprend. De nombreuses critiques peuvent être adressées au gouvernement chinois, dont certaines sont valables, mais aucun autre gouvernement n’a sorti autant de gens de la pauvreté aussi rapidement.
Quand je vivais à Taiwan, je me demandais pourquoi les Chinois, en particulier les Chinois du continent, étaient si arriérés. Ils semblaient l’être depuis presque toujours, certainement bien avant l’époque de la légation. À l’époque, Taïwan avait un plan quinquennal de développement, mais il en était de même pour toutes sortes de comtés reculés, dont la plupart consistait en un coin de jungle, un colonel et une chambre de torture.
Cependant j’ai noté ceci, si le lecteur veut bien me pardonner une digression : Taïwan respectait en fait son plan. Dans le Tiers Monde de l’époque, c’était une idée nouvelle. Les réacteurs Jin Shan allaient entrer en activité, le nouveau port, l’aciérie, l’autoroute. J’ai interviewé le directeur du programme nucléaire pour le Far Eastern Economic Review, un gars ayant fait Harvard. D’autres fonctionnaires venaient du MIT.
Aussi jeune et aussi bête que je l’étais – les deux étant difficilement dissociables – je pensais que Hong Kong ressemblait à Manhattan avec des yeux bridés, une place financière très concurrentielle, et je savais que les Taïwanais étudiant en Amérique excellaient dans les cours de sciences. J’en ai conclu que Mousy Dung était le plus grand patriote américain qui ait jamais vécu depuis, s’il avait pu s’empêcher de retenir ces gens en arrière, mais ce qui s’est passé devait arriver.
Mais revenons à Chengdu.
La première chose que nous avons remarquée dans la ville, c’est que tout est à grande échelle. Les immeubles du centre-ville sont énormes. Partout, les autoroutes surélevées sont énormes. Le nombre de personnes est énorme. Il y avait littéralement des centaines d’immeubles d’habitation de très grande hauteur. Le principe semblait être que si vous avez trop de gens pour les disperser, empilez-les. Selon le guide chinois qu’on avait engagé, tout cela n’était pas là il y a 20 ans.
Pour Violeta et moi, c’était la preuve d’un design intelligent. Chengdu n’a manifestement pas évolué au hasard comme les villes de l’Ouest. Quelqu’un a pensé à ces choses à l’avance. Les autoroutes aériennes maintiennent une circulation dense assez fluide. Les trottoirs très larges du centre-ville rendent la marche piétonnière agréable. Le métro n’avait rien de spécial, mais il était bien conçu pour être facile à utiliser, même si vous ne savez pas comment. (Eh bien, il y a des portes coulissantes en verre pour vous tenir à l’écart des voies ferrées jusqu’à l’arrivée du train. De cette façon, vous ne pouvez pas jeter des objets sur les rails, comme votre belle-mère par exemple.)
Une caractéristique des Chinois est qu’ils sont nombreux. Le film est trompeur, car ce n’est que dans quelques vieux marchés étroits que l’on voit cela. Mais j’ai aimé l’idée, alors regardez. (En raison d’un mauvais réglage de ma caméra, j’ai fait une vidéo, mais elle semble descriptive, alors je l’ai gardée.)
Dans un pays qui se prétend communiste ou qui fait semblant de sauver la face au cas où vous remarqueriez que ce n’est pas le cas, vous pourriez vous attendre à une architecture horrible. Tu sais, comme l’horrible gothique stalinien de Moscou. Ou le mausolée de Franco qui semble avoir été conçu par quelqu’un qui sert de médium à Albert Speer. En fait, non. (Sauf peut-être un peu pour les énormes immeubles d’appartements, mentionnés plus haut, qui se regroupent par douzaines et qui pourraient accueillir la population du Guatemala.)
Le fait est que les Chinois ont un sens esthétique bien développé, du moins dans le domaine visuel (pas si chaud musicalement, et l’opéra de Pékin est un crime contre l’humanité). Quelqu’un, c’est-à-dire le gouvernement, a dit qu’il devait rester beaucoup d’espaces verts, et c’est le cas. Il y a partout des jardinières avec des plantes (sans surprise) et des parcelles de ce qui ressemble à de la forêt manucurée. Le résultat est curieux. Vous pouvez vous asseoir dans des bois ombragés et frais à quelques mètres d’une énorme autoroute aérienne.
Le communisme, la doctrine politique chinoise d’autrefois, interdit presque totalement la religion, alors je me suis demandé ce que nous trouverions au niveau spirituel. Des bouddhistes. Nous avons visité des temples bouddhistes, méticuleusement entretenus, avec des fidèles, surtout des femmes, qui prient bien en évidence. Comment est-ce possible, ai-je demandé à mon ami aux yeux ronds. Eh bien, m’a-t-il répondu, le christianisme était fortement désapprouvé parce qu’occidental, mais le gouvernement était nerveux à propos de la réaction du public face à une répression du bouddhisme. Il a donc décidé que le bouddhisme n’était pas une religion, mais faisait partie de la culture chinoise, et donc pas de problèmes. Je ne sais pas si c’est vrai, mais j’ai trouvé que c’était un joli coup.
Énorme. C’est vraiment cela. Chengdu héberge ce qu’on prétend être le plus grand bâtiment du monde ; 1,5 million de mètres carrés. C’est le Global Center. C’est peut-être la chose la plus incroyable que j’aie jamais vue. Je soupçonne qu’il a été construit pour surmonter un complexe du petit homme au niveau international. Je parie même que c’est le cas. C’était comme entrer dans le VAB de Canaveral, un espace illimité, avec des hôtels, des magasins, des bureaux, des grands espaces ouverts. Mais, et nous revenons à l’esthétique, c’était merveilleusement coloré et juste « magnifique », c’est le mot qui me vient à l’esprit. Il n’a pas été conçu par une entreprise du New Jersey.
La conception chinoise de la vidéo sur grand écran, au Global Center. Notez l’homme juste à gauche du bouton vidéo. Je ne sais pas pourquoi la blonde est là. Je pense que c’est une bonne idée, cependant. Violeta pense que ça a un rapport avec Victoria’s Secret. On se demande où elle pourrait cacher plus qu’un tout petit secret.
Pour prouver que la Chine a atteint les niveaux américains de folie ordinaire : nous sommes passés devant un magasin Alienware – des ordinateurs de jeu haut de gamme – avec une foule de Chinois regardant un écran sur lequel un jeu vidéo était joué. L’annonceur avait l’air aussi excité qu’un Latino-Américain couvrant un match de football très disputé : « Womenhau… wangjile !… wangjile !…mijyou ! MIJYOU ! woshrhenhau !… YANGGWEIDZE… » criait-il. Je ne comprenais pas un mot, mais son excitation m’a rappelé l’époque où le Mexique avait battu l’Allemagne en Coupe du Monde.
Plus traditionnel, en banlieue. De la bonne nourriture, des gens sympas. Sans complexes, j’ai ressorti des vieux restes de mandarin appris autrefois, « Ching ni, geiwo liang ping ping pijyou, hau bu hou ». Commander de la bière est l’objectif principal dans l’apprentissage de toute langue.
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Voici la deuxième partie de ma chronique sur les deux semaines que Vi et moi venons de passer à Chengdu, en Chine. Il ne s’agit pas tant d’un récit de voyage que d’un instantané de ce qui s’y passe au niveau économique. À en juger par les courriels des lecteurs, bon nombre d’entre eux ne se rendent pas compte de l’ampleur de la progression de la Chine. Moi non plus, d’ailleurs : depuis mon dernier séjour en Chine, il y a douze ans, beaucoup de choses ont changé. Lire les journaux est une chose. Marcher dans les rues en est une autre.
Ayant beaucoup entendu parler du train à grande vitesse chinois, nous avons acheté des billets pour Chongqing, une ville de montagne de trente millions d’habitants située à une distance de 500 km de Chengdu.
Au risque de passer pour un flagorneur éhonté de l’infrastructure chinoise, je peux vous dire que la gare de Chengdu était immense, attrayante, bien conçue, bien éclairée et pleine de gens. Je sais, je sais, je n’arrête pas de dire des choses comme ça. Eh bien, bon sang, c’est que c’est vrai. En tant que journaliste qui se respecte, je n’aime pas dire la vérité trop souvent, mais ici je vais rompre avec la tradition.
Ayant obtenu des billets à l’avance, nous avons attendu jusqu’à ce que notre train soit appelé, en mandarin et en anglais, comme c’était aussi le cas dans le métro de la ville. Apparemment, Chengdu veut être une ville internationale et quelqu’un y a pensé.
Bref, le train qui s’est arrêté ressemblait à une fusée. Nous sommes montés à bord et nous avons constaté qu’il était propre et confortable, la plupart des sièges étant remplis. Nous sommes partis, presque en silence, et nous avons navigué à travers la campagne.
À 350 km/h. C’était comme entrer dans un monde futur. J’ai pensé à acheter un de ces trains et à l’inscrire en Formule 1, mais j’ai l’impression qu’il ne prendrait pas bien les virages serrés.
Les passagers chinois ne semblaient pas plus impressionnés par ce train que si c’était un simple bus urbain. Ils y sont habitués. Ils pensent que de tels trains sont normaux. En tant qu’Américain, j’étais intérieurement embarrassé. Il y a quelques années, Vi et moi sommes allés de Chicago à la côte Ouest par l’Amtrak. Il n’était pas inconfortable, mais lent, semblant utiliser une technologie datant de 1955. Nous avons souvent traversé les montagnes à la vitesse d’un homme à pied.
Il y avait, jusqu’à récemment, des vols réguliers de Chengdu à Chongqing. Quand le train est entré en service, les vols ont disparu. Personne ne voulait les tracas et les frais d’un vol. Voici pourquoi les États-Unis n’ont pas de TGV : cela tuerait beaucoup de compagnies aériennes politiquement bien connectées.
Par exemple, un train rapide chinois reliant Washington à Manhattan irait plus vite qu’un transfert aérien d’une quinzaine de minutes. Le train rapide entre de nombreuses villes américaines serait plus rapide que l’avion si vous y ajoutez les temps de transfert entre l’aéroport et la ville. Et beaucoup plus agréable.
Un autre jour, nous avons loué une voiture et un chauffeur et roulé pendant trois heures en direction d’une ville près de la frontière tibétaine. Un néant touristique, pas intéressant du tout, par contre le trajet en lui-même l’était. Les autoroutes répondaient aux normes américaines, quand l’Amérique avait encore des normes. L’étonnement a commencé lorsque nous avons atteint les montagnes. La réponse américaine aux montagnes est généralement de les franchir ou de les contourner par des vallées.
Ce n’est pas déraisonnable, mais ce n’est pas la manière chinoise. Eux traversent les montagnes. Nous avons traversé une douzaine de tunnels, tous à quatre voies, tous longs de plusieurs kilomètres (l’un d’eux aurait 15 km de long), éclairés et droits. C’est toujours deux tunnels parallèles, chacun renfermant deux voies dans une direction ou dans une autre.
Les vallées ? Nous les avons traversées sur des ponts ou des autoroutes surélevées. Le résultat est qu’un camion lourd n’a pas à changer de vitesse en permanence. Oui, je sais, ça ne marcherait probablement pas partout, mais ça marche là-bas.
S’il y a quoi que ce soit aux États-Unis qui ressemble un tant soit peu à cela, je ne suis pas au courant. Il y a peut-être une longue liste de choses que les Chinois ne peuvent pas faire, mais construire n’est pas sur cette liste.
Internet : Presque tout le monde utilise WeChat (« met en contact un milliard de personnes… » dit son site web), une application similaire à WhatsApp qui fait les choses habituelles mais vous permet aussi de payer vos factures électroniquement. Vous tenez votre téléphone près du chauffeur de taxi, les informations sont échangées et votre compte est débité. (« Je vous montrerai le mien si vous me montrez le vôtre. ») Ce n’est pas une nouvelle technologie, mais c’est l’échelle à laquelle elle est employée qui l’est. Les gens sortent la nuit sans argent liquide, qui risque de ne plus exister dans quelques années. La Chine semble avoir devancé la carte de crédit. Le gouvernement surveille WeChat et vous pouvez certainement avoir des ennuis si vous complotez pour tuer le Politburo. (Alibaba et Baidu ont des systèmes concurrents.)
Le pays investit beaucoup dans les voitures électriques, mais on en voit rarement une. (Elles ont des plaques d’immatriculation vertes au lieu de bleues.) Les objections, disent les gens ici, sont les mêmes que l’on entend en Occident : le temps de charge et un coût supérieur sans subventions gouvernementales.
L’obésité n’existe pas. En deux semaines, nous n’en avons pas vu un seul exemple. Peut-être que les gros porcs sont arrêtés et broyés en saucisse – je ne sais pas – mais on ne les voit pas. La raison peut en être le régime alimentaire. Ou les vélos. Voir ci-dessous.
L’occasion de Chengdu pour attirer l’attention internationale est ses pandas. On pensait que cette espèce était en voie d’extinction lorsque que le gouvernement a apparemment décidé que l’extinction n’était pas une bonne idée. Boom, le zoo à pandas est apparu. Comme le dit mon collègue de la ville, lorsque le gouvernement décide de faire quelque chose, alors c’est fait.
Au zoo national de Washington, les animaux vivent dans de petits enclos de verre et de ciment qui ressemblent peu à leur environnement naturel. En revanche, les pandas vivent dans ce qui semble être des hectares de forêt. Cela signifie que vous ne pouvez pas toujours les voir. Ils font ce que les pandas jugent approprié de la manière qu’ils jugent appropriée. Les visiteurs se promènent, dans l’obscurité de la forêt, sur des allées surplombées de branches. On n’a jamais pitié des animaux. Bien que je pense que nous étions les seuls yeux ronds aux alentours, la foule des gens du coin était parfois oppressante.
Voilà pour l’instantané. La leçon à retenir, ou du moins celle que j’ai retenu, c’est qu’il s’agit d’un pays très sérieux et compétent qu’il ne faut pas sous-estimer.
Fred Reed
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone
Ping : Un séjour de deux semaines en Chine, à Chengdu et ses environs. – Le Saker Francophone – DE LA GRANDE VADROUILLE A LA LONGUE MARGE
Ping : Chine : le pays où les pandas vivent mieux que les hommes, mais où la technique est plus moderne et développée qu’en Amérique. Par mon ami Fred Reed. – nicolasbonnal.com