Un chant de Pâques


« La véritable administration de la justice est le pilier le plus solide d’un bon gouvernement » – Inscription sur le fronton du tribunal pénal de Manhattan.


Par James Howard Kunstler – Le 27 mars 2023 – Source Clusterfuck Nation

Justice For All

Après avoir englouti pour le dîner un combo Popeye’s Shrimp Tacklebox qui lui a donné des aigreurs d’estomac, le procureur de Manhattan Alvin Bragg se retire dans son lit à baldaquin Sleep Number, assailli par l’angoisse au sujet du grand jury qu’il a convoqué pour tenir sa promesse de campagne d’enfermer Donald Trump dans une cellule de la prison d’État. Le spectre d’un lapin géant émerge de l’écran plat fixé au mur, en face de son lit. Il est décharné, couvert de chaînes et de cadenas pesants.

« Qui es-tu, esprit ? » demande Bragg.

« Je suis le fantôme des poursuites passées », gémit-il. « Cette nuit, vous recevrez la visite de trois autres esprits : Le fantôme de ce que vous souhaitez être, le fantôme de ce qui devrait être, et le fantôme de ce qui est réellement ».

« Oh, mon dieu », gémit Bragg, l’œsophage en feu avec des résidus de sauce piquante acidifiée.

Le procureur retombe dans un sommeil fébrile, mais se réveille quelques minutes plus tard. La chambre de son appartement s’est transformée en une scène de rue ensoleillée. Il descend Broadway dans une limousine ouverte, au milieu d’un blizzard de rubans adhésifs, les trottoirs étant remplis de citoyens en liesse. À côté de lui est assise une personne nubile de la trempe d’une accoucheuse, dotée de glandes nourricières d’une taille surnaturelle, qui n’est pas sans rappeler une certaine vedette de films pour adultes au centre de son brillant procès contre l’ancien président.

« Je suis le fantôme de ce que tu souhaites être », dit-elle, son souffle chaud à son oreille. « Tu es une plus grande star maintenant que je ne l’ai jamais été dans ma vie, et sans tout le désordre. »

« Ah oui ? Qu’est-ce que c’est, là-haut ? » demande-t-il.

« Les marches de l’hôtel de ville où tu recevras ton prix Nobel de la paix et où tu seras nommé gouverneur, ton tremplin vers la Maison Blanche ».

« Il va falloir changer le nom de cet endroit », grommelle Bragg.

Soudain, une boîte apparaît sur les genoux de Bragg. Elle contient deux McGriddles® de McDonald’s à la saucisse, à l’œuf et au fromage, ainsi qu’un beignet aux pommes et un macchiato au caramel. À peine les dents refermées sur cette première bouchée délicieuse, les confettis dans l’air se transforment en pixels, qui se dissolvent en même temps que la scène de rue, et Bragg est de retour dans son lit. Les rires retentissent dans la grande salle, mais avec une dissonance démoniaque. Un grand homme blanc à la crinière argentée et au nez en forme de dulcimer des Appalaches, vêtu d’une robe noire de magistrat, s’assied derrière un haut banc, arborant un air renfrogné de privilégié.

« Que voulez-vous ? » demande Bragg.

« Ta licence de droit, connard. »

« Pour qui vous prenez-vous ? »

« Je suis l’esprit de ce qui devrait être », grogne le juge.

« C’est un stratagème raciste ! » aboie Bragg. « En plus, vous n’avez pas le droit d’être debout ! »

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De nouveaux rires diaboliques s’élèvent du banc, rejoints soudain par un chœur d’un million d’autres rieurs, des gens de toutes tailles, de tous sexes et de toutes couleurs, un collage de l’humanité de Manhattan, chacun pointant un doigt vers Bragg, qui se réfugie, terrorisé, sous sa couette king-size. Le rire se dissout dans les gémissements de désespoir de Bragg.

Le procureur se réveille une troisième fois, tremblant, au son de la sonnette, qu’il tente d’ignorer, mais qui ne cesse de retentir. Finalement, Bragg se débarrasse de sa couette, se dirige vers la porte et l’ouvre. Un homme blanc, grand et costaud, avec une mystifiante chevelure platine, se tient encadré à l’intérieur.

« DoorDash, à votre service », dit le fantôme de je-ne-sais-quoi.

« Oh, no…. » s’écrie Bragg, alors qu’on lui tend un sac en papier. Il l’ouvre et jette un coup d’œil à l’intérieur, pour y découvrir une odeur nauséabonde qui envahit instantanément la pièce. « Ce n’est pas le combo de crêpes Build Your Crème Brûlée du IHOP », se plaint Bragg.

Le DoorDash regarde son téléphone. « Il est écrit ici que tu as commandé le sandwich de merde ».

Bragg a l’impression que sa tête va exploser. Il tend la main pour étrangler le spectre malveillant, mais se réveille en étouffant son oreiller Saatva premium. Il finit par reprendre ses esprits, mais se sent complètement vidé par les visites de la nuit. Il se débarrasse de ses sueurs nocturnes sous la douche, enfile un beau costume en bandes de craie de la taille d’une tente Coleman pour six personnes et retrouve son chauffeur qui l’attend au bout de l’auvent de son immeuble. Sur la banquette arrière de sa limousine, il y a un sac contenant son petit-déjeuner habituel : deux sandwichs Starbuck’s au bacon doublement fumé, au cheddar et aux œufs, un scone aux myrtilles, un beignet glacé et un café au lait Starbuck’s Reserve® Hazelnut Bianco Latte. Il a tout avalé dans les embouteillages en se rendant au siège du procureur sur Hogan Place.

Nous sommes lundi matin, bien sûr, environ une semaine après que le monde entier s’attendait à ce qu’il prononce un acte d’accusation contre l’ancien président Donald Trump pour avoir déduit des paiements à une star du porno en tant que dépenses de campagne. Mais il y a eu beaucoup de choses à penser au cours de la semaine, beaucoup de choses à méditer, beaucoup d’options à envisager… l’avenir à évaluer. Le bureau est étrangement calme lorsque Bragg entre à grands pas. Une jolie blonde d’un certain âge s’approche de lui avec méfiance.

Lisa DelPizzo, chef de la division des procès, lui demande s’il est prêt à faire une annonce historique aux dizaines de journalistes qui attendent dans le hall d’entrée de la salle de presse.

« Donnez-moi un sandwich au jambon », grogne-t-il. « Et apportez-le dans la salle du grand jury. Nous avons du pain sur la planche ! »

James Howard Kunstler

Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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