Par Alastair Crooke – Le 17 Octobre 2025 – Source Conflicts Forum
D’abord, le contexte :
- Une doctrine promouvant la « domination » américaine, basée sur le « pouvoir » implacable de l’armée américaine et du marché, a donné naissance dans les cercles de Trump 2.0 à un zeitgeist qui non seulement écarte les craintes d’une guerre, mais impose plutôt aux États-Unis de frapper, rhétoriquement ou littéralement, dans de multiples directions à la fois ; principalement parce que la guerre unidirectionnelle contre la Russie a échoué de manière inattendue. De plus, le temps presse sur la crise du déficit et de la dette des États-Unis.
- De manière plus visible, cela a entraîné des pressions accrues sur la Russie ; des menaces contre le Venezuela ; le contrôle des exportations chinoises ; et des préparatifs de frappes contre l’Iran.
- Les guerres ouvertes d’Israël dans la région qui sont parallèles à la belligérance trumpienne ne sont pas terminées : l’envoyé américain Tom Barrak (citant Netanyahu) a déclaré : “Israël pense que ce qu’il a fait contre le Hezbollah, le Hamas et les Houthis ne sera terminé que quand la tête du serpent à Téhéran sera coupée”.
- De plus, une crise de dédollarisation ou une explosion du marché obligataire, engagées par la Chine et la Russie, est largement considérée aux États-Unis comme une menace existentielle pour la viabilité politique de Trump.
- La Russie et la Chine réagissent de manière décisive à la nouvelle doctrine politique des États-Unis : les nouveaux contrôles des « terres rares » par la Chine affectent l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs, d’ASML à TSMC. Non seulement cela, mais des contrôles sur les machines de traitement des terres rares, des batteries haute performance et des outils de découpe pour les puces sont inclus. Si elles sont appliquées de manière agressive, ces actions menacent de faire éclater la bulle de l’IA aux États-Unis, ce qui pourrait faire chuter un marché boursier américain déjà très endetté.
- La Russie voit aussi les choses venir : le sommet de l’Alaska n’a porté aucun fruit, à ce jour. La perspective est maintenant celle d’une escalade, alors que Trump cherche un levier.
Un bref bilan du Moyen-Orient au deuxième anniversaire —
D’une part, le partenariat américano-israélien a réussi ce qui suit :
- Dissoudre la vieille Syrie, la transformer en une étendue balkanisée et affaiblir le Liban ; bien que le Hezbollah résiste au désarmement forcé et renaisse en tant que force combattante sous une nouvelle direction plus jeune. De manière significative, la Russie a (presque complètement) perdu pied dans la région. Etat islamique a été ressuscité, les États-Unis et Israël réactivant le sectarisme régional afin d’encercler l’Iran et ses alliés chiites. Les États-Unis et Israël ont également réussi à faire en sorte que les parrains des « Frères musulmans » et les médiateurs de « l’accord« , le Qatar et la Turquie, mettent la pression sur le Hamas pour qu’il accepte la proposition de cessez-le-feu de Trump, bien que les parties deux et trois soient mal définies, sans accord et encore à négocier.
- Les guerres ouvertes d’Israël se sont étendues à la Cisjordanie, à l’Iran, à la Syrie, au Liban, au Yémen, au Qatar et à la Tunisie, en plus de Gaza. Elles ont réussi à affaiblir ces États et entités, cherchant à les contraindre à se soumettre à Israël ; l’exception étant le Yémen, qui est resté inébranlable. La belligérance israélienne, soutenue par Trump, a atteint une quasi-soumission au-delà du Moyen-Orient, en Azerbaïdjan, en Arménie, au Pakistan et en Turquie étendant de fait la nomenclature du Moyen-Orient à « l’Asie occidentale« .
- Le snapback du JCPOA pour l’Iran a été déclenché par la pression exercée par les États-Unis et Israël sur la composante JCPOA de l’E3. Demain, le 18 octobre, le JCPOA lui-même expirera. Il n’y aura alors aucun processus ou cadre diplomatique concernant le programme nucléaire iranien (à l’exception du TNP, pour l’instant). Trump aura alors une « feuille blanche » pour rédiger un ultimatum exigeant la capitulation iranienne (zéro enrichissement, limitations des missiles et rupture des liens avec ses alliés), ou s’attendre à une action militaire, s’il le souhaite. Cependant, une intervention russe et chinoise ne peut être écartée. Ces derniers ont dénoncé le processus de « snapback » du CSNU E3 comme étant illégal et contraire au processus de l’ONU. L’Iran s’attend à ce qu’une action militaire suive.
De l’autre côté du bilan, la Résistance a réussi ce qui suit :
- En plaçant la lutte palestinienne « d’abord et avant tout » à l’ordre du jour mondial. La Palestine aussi a capturé le soutien et l’imagination des jeunes Américains ; et des jeunes du monde entier. Le génocide d’Israël, en revanche, en soi, a eu un lourd tribut psychologique et émotionnel sur les Israéliens alors qu’ils assimilent ce qui a été fait à leur éthique revendiquée, tout cela au nom d’Israël.
- La Résistance a subi des coups douloureux, mais nulle part elle n’a été détruite de manière humiliante. Le Hamas, bien qu’épuisé, reste une force combattante, tout comme le Hezbollah, les forces Hach’ad en Irak et Ansarallah au Yémen. Si nous devions revenir aux objectifs initiaux de la Résistance, énoncés par Sayyed Hassan Nasrallah en tant que porte-parole de la Résistance, ceux-ci étaient : épuiser militairement (mais pas vaincre) Israël ; affaiblir son esprit de corps et sa cohésion ; et remettre en question la raison d’être morale et pratique du sionisme pour des droits spéciaux pour un groupe de population sur un autre, occupant la même terre.
- La Résistance a donc obtenu quelques succès, mais aucun résultat décisif. Cependant, avoir survécu invaincu après deux ans d’assaut militaire punitif par une armée de style OTAN peut être considéré comme un exploit symbolique et psychologique.
- L’assaut de dé-capitation du 13 juin contre l’Iran (un projet conjoint, approuvé par les États-Unis) a réussi à tuer des cibles sélectionnées par Israël mais n’a pas réussi à imploser ou à paralyser l’État iranien. Le peuple iranien est resté unifié autour de ses dirigeants. L’Iran s’attend à un ou plusieurs épisodes ultérieurs de conflit militaire. Netanyahu et d’autres sont clairs : la question en litige n’est pas principalement de mettre fin au programme d’enrichissement nucléaire de l’Iran, mais d’effectuer un « changement de régime » en Iran.
- Les nationalistes juifs ont existentiellement besoin que l’Amérique reste une hégémonie militaire redoutée. Car, sans l’armée « imparable » de l’Amérique – et en l’absence de la centralité du dollar – Israël ne peut exister. Les guerres sanglantes d’Israël lui ont déjà fait perdre le soutien des jeunes Américains et des Indépendants. De grands changements sont en cours : Trump (et le GOP) ne peuvent pas gagner les élections sans le soutien démographique de la tranche d’âge des 25-35 ans. La perte de ce soutien peut également se répercuter sur d’autres problèmes (comme le refoulement du Premier Amendement à cause de la tentative d’Israël de prendre le contrôle des plateformes de médias sociaux des jeunes Américains). Une faction de jeunes MAGA est irritée par le meurtre de Charlie Kirk, soupçonnant une manipulation par le gouvernement et blâmant Trump pour cela. Cela représenterait potentiellement une brèche importante dans la base MAGA de Trump. Israël est peut-être déjà sur la bonne voie pour « perdre » l’Amérique.
Comment tout cela pourrait-il se dérouler —
Démêlage démographique et accélération de l’émigration d’Israël, laissant derrière eux une mosaïque de résistants sionistes survivant au milieu d’une économie stagnante et dans l’isolement mondial. Est-ce réaliste, au-delà du court terme ? En Afrique du Sud, aux prises avec un problème similaire de « droits spéciaux » pour un groupe de population, mais pas pour un autre, ce n’est pas la résistance ou le boycott qui a finalement apporté le changement, mais les dirigeants afrikaner se demandant à quelle qualité ou sécurité de vie leurs petits-enfants seraient confrontés sans un changement de cap ?
Alastair Crooke
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.