Par Moon of Alabama – Le 27 janvier 2023
La RAND Corp est un grand institut de recherche financé par le gouvernement et l’industrie. Fondée peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle travaille principalement pour le Pentagone en développant des politiques et des stratégies.
En avril 2019, la RAND publiait un rapport (pdf) sur la manière de surpasser la Russie.
Le résumé du rapport explique son objectif :
Comme l’a reconnu la stratégie de défense nationale de 2018, les États-Unis sont actuellement enfermés dans une compétition entre grandes puissances avec la Russie. Ce rapport cherche à définir les domaines dans lesquels les États-Unis peuvent rivaliser à leur propre avantage. S’appuyant sur des données quantitatives et qualitatives provenant de sources occidentales et russes, ce rapport examine les vulnérabilités et les angoisses économiques, politiques et militaires de la Russie. Il analyse ensuite les options politiques potentielles pour les exploiter – idéologiquement, économiquement, géopolitiquement et militairement (y compris les options aériennes et spatiales, maritimes, terrestres et multidomaines).
La RAND a développé des options politiques dans ces quatre domaines. Elle a ensuite évalué leurs avantages, leurs coûts et leurs risques, ainsi que leurs chances de succès.
Voici leur tableau récapitulatif des mesures économiques :
Les trois premières mesures ont été mises en œuvre lorsque la guerre en Ukraine a été déclenchée.
Les mesures géopolitiques comprenaient une option consistant à fournir une aide létale à l’Ukraine. Cela créerait le risque que la Russie réponde militairement et finisse par prendre un plus gros morceau de l’Ukraine que les deux républiques du Donbass :
S’emparer d’une plus grande partie de l’Ukraine ne ferait qu’accroître le fardeau [de la Russie], même si c’est aux dépens du peuple ukrainien. Cependant, une telle action pourrait également avoir un coût important pour l’Ukraine ainsi que pour le prestige et la crédibilité des États-Unis. Elle pourrait entraîner des pertes ukrainiennes disproportionnées, des pertes territoriales et des flux de réfugiés. Cela pourrait même conduire l’Ukraine à une paix désavantageuse.
Bien qu’ils sous-estiment parfois les capacités de la Russie, les gens de RAND ne sont pas stupides. Ils connaissaient l’issue probable d’une guerre.
Parmi les autres mesures géopolitiques évaluées par la RAND figurent un soutien accru aux « rebelles syriens« , un changement de régime par révolution de couleur en Biélorussie, l’exploitation des tensions dans le Sud-Caucase et la réduction de l’influence russe en Asie centrale.
Résumé de la RAND pour les mesures géopolitiques :
Les administrations Trump et Biden ont toutes deux mis en œuvre les mesures qui semblaient présenter des avantages élevés mais aussi des risques élevés.
L’utilisation de mesures idéologiques contre la Russie était considérée comme ayant des avantages plutôt faibles.
Suivent d’autres options, principalement dans les catégories militaires, que le rapport de la RAND a élaborées et évaluées.
L’administration Trump avait adopté certaines des mesures proposées par la RAND, mais ne semblait pas trop enthousiaste à leur sujet. La tentative de changement de régime en Biélorussie a échoué. L’administration Biden a changé de tactique. Elle a soutenu Sviatlana Tsikhanouskaya, la candidate de la révolution de couleur qui avait échoué aux élections en Biélorussie. Biden a également autorisé la livraison d’armes plus offensives à l’Ukraine. Le régime de Kiev a été encouragé à reprendre les républiques rebelles du Donbass. Le feu vert a été donné début 2022, alors même que la Maison Blanche savait que la Russie répondrait militairement. Les conséquences pour l’Ukraine que la RAND avait prédites en 2019 se sont bien réalisées.
L’objectif des États-Unis pour cette guerre est, comme l’a déclaré le secrétaire à la défense Lloyd Austin en avril 2022, « d’affaiblir la Russie » :
Un porte-parole du Conseil national de sécurité a déclaré que les commentaires d’Austin étaient conformes à ce que sont les objectifs des États-Unis depuis des mois – à savoir, « faire de cette invasion un échec stratégique pour la Russie. »
« Nous voulons que l’Ukraine gagne« , a ajouté le porte-parole. « L’un de nos objectifs a été de limiter la capacité de la Russie à refaire une telle chose, comme l’a dit le secrétaire Austin. C’est pourquoi nous armons les Ukrainiens d’armes et d’équipements pour qu’ils puissent se défendre contre les attaques russes, et c’est pourquoi nous utilisons des sanctions et des contrôles à l’exportation qui visent directement l’industrie de la défense russe, afin de réduire la puissance économique et militaire de la Russie qui lui permet de menacer et d’attaquer ses voisins. »
Mais cela prendra beaucoup de temps.
Laisser le conflit se prolonger, conclut un rapport RAND récemment publié, est en soi un danger. Les États-Unis doivent éviter une longue guerre :
Les auteurs soutiennent qu’en plus de minimiser les risques d’escalade majeure, les intérêts américains seraient mieux servis en évitant un conflit prolongé. Les coûts et les risques d’une longue guerre en Ukraine sont importants et dépassent les avantages possibles d’une telle trajectoire pour les États-Unis. Bien que Washington ne puisse pas déterminer à elle seule la durée de la guerre, elle peut prendre des mesures qui rendent plus probable une éventuelle fin négociée du conflit.
L’étude (pdf) soutient que la reprise par l’Ukraine du territoire contrôlé par la Russie n’est pas très pertinente pour les plans américains. Elle présente peu d’avantages mais des coûts élevés. Prolonger la guerre, tout en présentant certains avantages pour les États-Unis, comporte beaucoup plus de risques et de coûts.
Pour la RAND, il semble particulièrement dommage que la guerre en Ukraine détourne les États-Unis d’une guerre contre la Chine :
Au-delà des gains potentiels pour la Russie et des conséquences économiques pour l’Ukraine, l’Europe et le monde, une longue guerre aurait également des conséquences sur la politique étrangère des États-Unis. La capacité des États-Unis à se concentrer sur leurs autres priorités mondiales – en particulier, la concurrence avec la Chine – restera limitée tant que la guerre absorbera le temps des hauts responsables politiques et les ressources militaires américaines.
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Et même si la Russie deviendra plus dépendante de la Chine, quelle que soit la date de la fin de la guerre, Washington a un intérêt à long terme à veiller à ce que Moscou ne devienne pas complètement subordonnée à Pékin. Une guerre plus longue qui accroît la dépendance de la Russie pourrait donner à la Chine des avantages dans sa compétition contre les États-Unis.
Selon la RAND, les États-Unis peuvent prendre des mesures qui rendent possible une fin rapide de la guerre. Ils peuvent pousser l’Ukraine à entamer des négociations et à accepter une mauvaise issue en menaçant de cesser de financer la guerre. Ils peuvent encourager la Russie à entamer des négociations en offrant un allègement substantiel des sanctions.
Le conseil politique final du rapport conclut :
Un changement radical, du jour au lendemain, de la politique américaine est politiquement impossible – tant au niveau national qu’avec les alliés – et serait de toute façon peu judicieux. Mais développer ces instruments maintenant et les socialiser avec l’Ukraine et avec les alliés des États-Unis pourrait aider à catalyser le début éventuel d’un processus qui pourrait amener cette guerre à une fin négociée dans un délai qui servirait les intérêts des États-Unis. L’alternative est une longue guerre qui pose des défis majeurs pour les États-Unis, l’Ukraine et le reste du monde.
Commencez à travailler sur ce sujet dès maintenant, dit la Rand.
Ce n’est probablement pas un hasard si le précédent appel en faveur d’un début immédiat des négociations pour mettre fin à la guerre émanait du chef d’état-major américain Mark Milley. Le fait qu’il l’ait fait publiquement était un signe qu’il avait perdu le débat interne à la Maison Blanche sur cette question. Il a probablement demandé une étude de la RAND pour étayer ses arguments.
Mais les néocons, le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, le secrétaire d’État Anthony Blinken et son adjointe Victoria Nuland, qui mènent ensemble leur guerre contre la Russie, ont les oreilles de Joe Biden et peuvent contrôler les informations qu’il reçoit. La position de Milley et des autres réalistes sera difficilement entendue.
Les progrès constants de la Russie dans sa campagne seront pour eux le meilleur argument pour gagner la guerre intérieure à Washington DC.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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