par Ivan Lizan pour Odnako – Le 23 février – Source vineyardsaker
Traduit du russe par Robin
La déclaration du général Ben Hodges affirmant que dans les quatre ou cinq ans à venir, la Russie pourrait développer la capacité à mener une guerre sur trois fronts simultanément n’est pas seulement la reconnaissance du potentiel militaire croissant de la Fédération de Russie, mais aussi une promesse que Washington s’assurera bien volontiers que ces trois fronts seront directement aux frontières de la Fédération de Russie.
Dans le contexte de l’inévitable ascension chinoise et la crise financière qui va bientôt s’aggraver, avec l’éclatement de bulles spéculatives, la seule façon pour les États-Unis de maintenir leur hégémonie mondiale est d’affaiblir leurs adversaires. Et la seule façon d’atteindre cet objectif est de déclencher le chaos dans les républiques limitrophes de la Russie.
C’est pourquoi la Russie va inévitablement entrer dans une période de conflits et de crises sur ses frontières.
Et donc le premier front de fait existe déjà, en Ukraine; le deuxième sera probablement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh, et le troisième, bien sûr, sera ouvert en Asie centrale.
Si la guerre en Ukraine mène à des millions de réfugiés, des dizaines de milliers de morts et la destruction de villes, la décongélation du conflit dans le Karabakh sera complètement ruineuse pour la Russie et l’ensemble de sa politique étrangère dans cette région du Caucase.
Chaque ville d’Asie Centrale est sous la menace d’explosions et d’attaques. Jusqu’à présent, ce front qui s’annonce a attiré une très faible couverture médiatique – la Novorussie domine sur les chaînes nationales de télévision, dans les journaux et sur les sites web –, mais ce théâtre de guerre pourrait devenir l’un des plus complexes après le conflit en Ukraine.
Une filiale du Califat dans le ventre mou de la Russie
L’incontestable tendance en Afghanistan – et la principale source d’instabilité dans la région – est une alliance entre les talibans et l’État islamique. Dans les faits, la formation de leur union en est à ses débuts, les informations sont rares et fragmentaires, et la véritable ampleur des activités des émissaires de l’EI n’est pas claire, tel un iceberg dont la pointe se montre à peine au-dessus de la surface de l’eau.
Mais il a été établi que des agitateurs de l’EI sont actifs au Pakistan et dans dans les provinces du sud de l’Afghanistan contrôlées par les talibans. Dans ce cas, la première victime du chaos en Afghanistan est le Pakistan qui, sur demande et avec l’aide des Etats-Unis, a nourri les talibans dans les années 1980. Depuis, le projet mène sa propre vie et est devenu un cauchemar récurrent pour Islamabad, qui a décidé d’établir une relation plus conviviale avec la Chine et la Russie. Cette tendance s’observe dans les attaques des talibans sur les écoles pakistanaises, dont les enseignants ont maintenant le droit de porter des armes à feu, dans les arrestations régulières de terroristes dans les grandes villes, et l’amorce d’activités d’appui des tribus hostiles aux talibans dans le nord.
Le dernier développement législatif au Pakistan est une modification de la Constitution afin d’élargir les compétences des tribunaux militaires [sur les civils]. Des terroristes, des islamistes et leurs sympathisants sont détenus dans tout le pays. Dans le nord-ouest, plus de 8 000 arrestations ont été effectuées, y compris celles de membres du clergé. Les organisations religieuses ont été interdites et des émissaires de l’EI sont capturés.
Comme les États-uniens n’aiment pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, ils vont fournir un appui au gouvernement de Kaboul, ce qui leur permettra de rester dans le pays légalement, et dans le même temps aider les talibans, qui sont en train de se transformer eux-même en EI. Le résultat sera une situation de chaos à laquelle les états-uniens ne prendront pas officiellement part; au lieu de cela, ils vont retourner dans leurs bases militaires, en attendant de voir qui gagne. Ensuite Washington fournira une assistance pour le vainqueur. Notez que les services de sécurité ont soutenu les talibans sur une longue période et de manière très efficace: quelques-unes des forces de sécurité officielles et de la police en Afghanistan sont d’anciens talibans et moudjahidines.
Méthode de destruction
La première manière de déstabiliser l’Asie Centrale est de créer des problèmes aux frontières, avec la menace que des moudjahidines vont pénétrer dans la région. Le test des voisins a déjà commencé; les problèmes ont surgi au Turkménistan, qui a même dû demander à Kaboul de mener des opérations militaires d’envergure dans les provinces frontalières. Le Tadjikistan a forcé les talibans à négocier la libération de garde-frontières enlevés, et les rapports du service aux frontières tadjik montrent qu’il y a un grand groupe de moudjahidines juste à ses frontières.
En général, tous les pays limitrophes de l’Afghanistan ont intensifié la sécurité à leurs frontières.
La deuxième façon est d’envoyer les islamistes derrière les lignes. Le processus a déjà commencé: le nombre d’extrémistes au seul Tadjikistan a triplé l’an dernier; toutefois, même s’ils sont capturés, il ne sera évidemment pas possible de les attraper tous. En outre, la situation est aggravée par le retour des travailleurs migrants en provenance de Russie, ce qui permettra d’élargir la base de recrutement. Si le flux de transferts de fonds en provenance de Russie s’assèche, cela peut provoquer un mécontentement populaire et des émeutes.
L’expert kirghize Kadir Malikov rapporte que 70 millions de dollars ont été alloués au groupe militaire de l’EI, Maverenahr, qui comprend des représentants de toutes les républiques d’Asie centrale, afin d’accomplir des actes de terrorisme dans la région. Un accent particulier est mis sur la Vallée de la Ferghana, au cœur de l’Asie centrale.
Autre point vulnérable, les élections législatives au Kirghizistan prévues pour cet automne. Le lancement d’une nouvelle série de révolutions de couleur conduira au chaos et à la désintégration du pays.
Des guerres auto-financées
La guerre coûte cher, il faut donc que la déstabilisation de la région rapporte de l’argent ou soit au moins rentable pour le complexe militaro-industriel états-unien. Et dans ce domaine, Washington a eu un certain succès: il a donné à l’Ouzbékistan 328 véhicules blindés que Kiev avait demandés pour sa guerre avec la Novorussie. À première vue, l’affaire n’est pas rentable, parce que si les engins étaient un cadeau, en réalité, l’Ouzbékistan sera lié aux États-Unis pour les pièces de rechange et les munitions. Washington a pris une décision semblable sur le transfert d’équipement et d’armes à Islamabad.
Mais les États-Unis n’ont pas réussi dans leurs tentatives d’imposer leurs systèmes d’armes à l’Inde: les Indiens n’ont pas signé de contrats et Obama s’est vu présenter du matériel militaire russe lorsqu’il a assisté à un défilé militaire.
Ainsi, les États-Unis poussent les pays de la région dans la guerre avec ses propres protégés – les talibans et l’État islamique – et en même temps, ils fournissent des armes à leurs ennemis.
Donc 2015 sera marquée par les préparatifs de la grande déstabilisation en Asie centrale et la transformation de l’AfPak en une filiale de l’État islamique aux frontières de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Iran. Le début de la guerre à grande échelle, ce qui va inévitablement suivre une fois que le chaos aura submergé la région, conduira à un bain de sang dans les Balkans eurasiens [Le Caucase, etc.], impliquant automatiquement plus d’un tiers de la population mondiale et presque tous les États rivaux des USA. C’est une occasion que Washington ne peut pas manquer.
La réponse de la Russie à ce défi doit être à multiples facettes: impliquer la région dans le processus d’intégration eurasienne, fournir de l’aide militaire, économique et politique, collaborer étroitement avec ses alliés de l’Organisation de coopération de Shanghai et les BRICS, renforcer l’armée pakistanaise, et bien sûr, aider à la capture des serviteurs barbus du Califat.
Mais la réponse la plus importante devrait être l’accélération de la modernisation de ses forces armées, ainsi que de celles de ses alliés et les efforts visant à renforcer la L’Organisation du traité de sécurité collective, et lui donner le droit de contourner l’inefficacité patente des Nations Unies.
La région est extrêmement importante: si l’Ukraine est un détonateur, l’Asie centrale est un dépôt de munitions. Si elle explose, la moitié du continent sera frappé.
Traduit par Toma, relu par Diane et jj pour le Saker Francophone