Par Jan Morvan, Fortuné Roussel et Patrick Visconti – Le 13 avril 2016 – Source unpeudairfrais
Il y a cinq mois, d’effrayants massacres ont ensanglanté le Bataclan et des terrasses de restaurants de l’Est parisien.
Au-delà de l’effarement et de la douleur ressentie pour le sort atroce des victimes, de légitimes interrogations ne manquent pas de se faire jour.Comment l’épouvante peut-elle surgir en plein cœur de Paris, accablant des individus, souvent jeunes, et leurs familles, qui découvrent soudain qu’«ils sont en guerre», ce qu’on s’était bien gardé de leur préciser auparavant ?
Sur les écrans, la machine médiatique s’emballe. Défilent ceux qui posent les questions et apportent dans un même élan les réponses : représentation politique officielle, journalistes assermentés, experts estampillés par l’État, juges, policiers, criminologues, sociologues. Face à une telle horreur, ils ne peuvent rester sans réponse. En effet, la catastrophe vient d’avoir lieu, mais le lendemain chacun devra déjà pouvoir la commenter en famille, avec ses voisins ou au bureau, avec les éléments de questionnement et de solution fournis par les médias officiels. L’opinion n’a jamais l’occasion ni le temps de se construire de manière autonome, il convient de lui suggérer si ce n’est de lui imposer les commentaires permis.
Nous vivons une situation toujours plus inédite. Tout s’accélère et chacun doit désormais être convaincu que, dans le domaine de la terreur, tout peut se produire et qu’il faut désormais s’y adapter.
Il est d’autant plus facile de s’en convaincre que nos dirigeants nous assènent de manière répétée que nous allons devoir vivre encore longtemps avec le terrorisme, que nous allons connaître des années de sang, ou encore que l’usage d’armes chimiques ou bactériologiques par les terroristes n’est pas à exclure. Nous ne pourrons pas dire que nous n’avons pas été avertis !
Ainsi, sur le terrorisme, nous n’avons droit qu’à deux réactions : dans un premier temps ressentir la terreur, mais de manière contrôlée afin que tout continue comme avant sur le plan des comportements de consommation, et dans un second temps exprimer notre totale confiance dans l’État, sa protection bienveillante et son efficacité incontestable.
Tous ceux qui tenteront d’aller au-delà de ces deux réactions par l’observation, la réflexion, la connaissance historique, la comparaison, la logique, se verront aussitôt voués aux Gémonies sous les pires accusations de complotisme ou tout simplement d’altération du jugement par quelque pathologie mentale.
Aussi, afin de ne pas subir ces anathèmes convenus, nous nous contenterons d’exposer des faits, connus de tous, rien que des faits observables par tout individu doué d’un minimum d’intelligence.
La seule question à se poser est la suivante : quelles sont les conditions qui ont permis à ce terrorisme de frapper sur notre territoire ?
On tentera d’y répondre en se contentant d’énoncer ce que tout un chacun peut observer, en nous limitant au seul savoir dont les Français sont détenteurs. Il s’agit d’un constat qui ne nécessite pas d’enquêtes particulières ou d’effort personnel trop lourd puisqu’il correspond tout simplement à ce que le système politico-médiatique annonce au quotidien par de multiples déclarations, décisions, débats, articles de journaux, interviews télévisées, en fait de multiples spectacles :
- Il semble désormais aller de soi que les frontières sont une notion obsolète et méprisable, n’induisant que le repliement sur soi, un esprit de forteresse suranné, témoin abject d’un nationalisme fauteur de guerres et annonciateur d’évidentes catastrophes économiques à venir. En outre, si par goût funeste de l’expérience on les rétablissait, elles ne pourraient qu’être totalement inefficaces dans un monde où tout s’accélère et où le contrôle total est impossible. Et en effet, elles n’existent plus en dehors de l’expression magique «espace Schengen» qui devient presque l’oxymore de frontière.
- Le discours dominant clame que l’invasion migratoire est une nécessité démographique, économique et culturelle. Multiculturalisme et métissage nous sont présentés comme des exigences contemporaines ; s’y opposer serait un témoignage de xénophobie, de racisme, voire d’une nostalgie du fascisme ou du nazisme. Si nous voulons survivre économiquement et culturellement, ce phénomène massif est donc dans notre intérêt afin d’éviter un étiolement suicidaire. Même au plan moral, il est de notre devoir d’accueillir en masse des réfugiés qui fuient les guerres, les famines, les tyrannies d’ailleurs. Ainsi, l’installation d’effectifs que l’on peut qualifier sans exagération de considérables, entraînant la juxtaposition d’ethnies innombrables, se déroule avec un net succès en France.
- Responsables politiques et journalistes martèlent au quotidien que la punition, l’emprisonnement, la détention ne sont pas des solutions à la délinquance et à la criminalité. Nous entendons continuellement que la seule manière de lutter contre le crime, tant qu’il n’atteint pas le niveau terroriste, réside au contraire dans le dialogue, le soutien, la compréhension, l’écoute, l’aide financière, les cellules de déradicalisation pour terroristes potentiels ou repentis. C’est précisément cette ligne politique qui est mise en œuvre avec une constance sans faille par l’appareil judiciaire avec le soutien du Ministère de la Justice.
- Contraints par la crise économique, une dette pharamineuse et une juste appréciation des besoins, il est convenu de l’absolue nécessité de réduire les effectifs de police, de gendarmerie, et les moyens mis à leur disposition. La réalisation d’un tel objectif est depuis plusieurs années pleinement réalisée et la fonte des effectifs se poursuit.
- Puisque nous sommes désormais connectés les uns aux autres dans une mondialisation dont la vocation est de produire le bonheur des peuples, il convient de nous relater dans le détail ce que vivent des peuples lointains. Ainsi, nous sommes alertés sur le sort de certaines populations aux mains de dictateurs sanguinaires et sommés de reconnaître qu’il convient de chasser ces derniers du pouvoir, de les juger à un niveau international, de les punir. Au nom des droits de l’homme, il sera tout à tour nécessaire d’abattre un président yougoslave pratiquant le génocide ethnique, un président irakien détenteur d’armes de destruction massive, un président libyen bombardant son peuple, un président ukrainien corrompu, aux ordres de Moscou et étouffant toute opposition, ou encore un président syrien responsable de la mort de 250 000 Syriens et faisant usage de gaz toxiques sur des enfants. Alors, des rebelles, issus de ces malheureuses populations tyrannisées, ont pris les armes et nous devons les soutenir financièrement, militairement, politiquement. Force est de constater que tout cela est organisé avec une ténacité hors pair par nos dirigeants. Ils interviennent avec plus ou moins de succès mais toujours avec détermination.
- Enfin, une des affirmations les plus répandues consiste à dire que l’Islam n’est pas un problème. Les exactions commises en son nom le sont par des forces qui lui sont étrangères, le trahissent, le dévoient et sont donc aux antipodes de ses fondamentaux. L’islam de France est une réalité et une évidence consubstantielle à notre culture et il est grand temps de lui donner toute sa place en construisant plus de mosquées, en ne froissant pas la sensibilité des musulmans de France dans de nombreux secteurs de la vie quotidienne, de manière à éviter toute radicalisation. Il nous est aussi demandé de ne pas oublier que les musulmans risquent d’être les vraies victimes des événements par le déchaînement d’une islamophobie irrationnelle si nous n’agissons pas rapidement pour leur créer les meilleures conditions d’exercice de leur culte.
Après ce rapide inventaire des éléments du discours dominant et des politiques réellement mises en place depuis tant d’années dans ce pays, la seule observation de la réalité d’aujourd’hui révèle une criminalité exacerbée, une déréliction accentuée de notre société et désormais la possibilité de la terreur. Le seul recours à la logique la plus commune permet de voir une étonnante corrélation entre les décisions et le résultat. Si l’on souhaitait ne pas voir surgir cette terreur, peut-être eût-il été nécessaire d’opérer de manière totalement opposée, nous avons le droit de le supposer.
Toujours dans l’inventaire des faits, après le domaine des causes, voyons celui des conséquences également aisément observables.
Quel impact sur les masses ?
D’abord, deux effets à écarter car ostensiblement chimériques.
D’une part, malgré ce terrorisme islamiste, on observe que les Français dits de souche ne se dressent pas contre la communauté musulmane. Dès lors, la notion de guerre civile entre communautés est pure chimère. Ajoutons même que contrairement à une idée répandue dans les milieux dissidents, le pouvoir n’a aucune volonté de dresser les communautés les unes contre les autres. En effet, la direction du pays ne veut surtout pas de guerre civile ni même d’une quelconque manifestation de défiance vis-à-vis des musulmans, bien au contraire. Ordre nous est donné de ne pas faire d’amalgame, de ne pas sombrer dans l’islamophobie qui ne serait qu’un racisme déguisé. L’appareil policier et judiciaire est d’ailleurs pleinement mobilisé pour interdire voire réprimer toute velléité de discours et a fortiori de manifestations allant dans ce sens. Le massacre de jeunes bobos, blancs pour la plupart, ne modifiera pas (à quelques rares exceptions) le discours du vivre-ensemble et du multiculturalisme obligé repris en chœur par ce milieu socio-économique bien identifié. Ceux qui pourront développer défiance et critique vis-à-vis du modèle multiculturel appartiennent déjà aux couches de la population potentiellement électrices du Front national et soumises à la reductio ad Hitlerum. L’existence d’un plafond de verre évident permet au Pouvoir de conserver l’entier contrôle de la situation.
D’autre part, il n’y a pas en France de critique sociale trop virulente et potentiellement incontrôlable qui nécessite la mise au pas d’ouvriers ou d’employés en grève subversifs, comme ce fut le cas dans l’Italie des années 1970-1980. Aucune dénonciation forte contre le TAFTA à faire reculer, aucune prise de conscience de la marche vers la destruction du Code du Travail à tenter d’enrayer, aucune mobilisation subversive contre la régression sociale programmée à étouffer. Si en Italie, à la fin du siècle dernier, les attentats perpétrés ont eu comme effet directement observable de pacifier le social, force est de constater l’absence de toute critique sociale cohérente et un tant soit peu efficace, même à un niveau embryonnaire, dans la France de 2015. On peut d’ailleurs à juste titre le déplorer.
A l’inverse, qu’observe-t-on sur le plan psychologique d’ensemble ? L’apparition d’un homme nouveau
La multiplication des attaques terroristes nous révèle l’apparition accélérée d’un homme nouveau. Ce néo-individu aux affects altérés vit dans une sorte d’instantanéité inconsciente, en permanence connecté et profondément virtualisé dans son appréhension du Réel. Jouet de l’amnésie organisée, il est capable d’intégrer le risque terroriste comme celui de l’accident de la route, d’oublier le crime de masse tout en songeant en subliminal à une menace permanente. Il ne subsiste ainsi dans l’esprit de ce néo-individu qu’une intuition suggérée, pas trop envahissante, la possibilité d’un acte de terreur ici ou là, demain, dans une semaine, dans six mois, dans un an, avec des modes opératoires peut-être encore plus terrifiants et meurtriers. Toutefois, cette intuition ne viendra aucunement altérer ses comportements de fréquentation de lieux festifs ni son potentiel consommateur. En effet, il ne faut pas que la circulation des marchandises en souffre, ni bien sûr que la formation de profit s’en trouve fragilisée. Tout doit continuer exactement comme avant.
Par conséquent, la majorité des gens vous diront «même pas peur», «la vie continue», «il ne faut pas leur donner trop d’importance», «notre force c’est de continuer comme avant», «c’est en affirmant plus que jamais notre mode de vie qu’on les combat», «ce qu’ils cherchent c’est à nous terroriser, ne tombons pas dans leur piège», «la haine ne gagnera pas», pour ne citer que quelques-uns de ces slogans du moment, glissés par les médias et repris en chœur.
Dans nos sociétés modernes de parfaite intériorisation de la terreur sans modification des comportements, la logique est abolie et l’exigence politique de sécurité disparaît, comme tout questionnement plus global tentant de comprendre comment on a pu en arriver à une telle situation. Il va ainsi de soi qu’il n’est jamais demandé aucun compte à la direction du pays, dont les décisions et la gestion totalitaire sont pourtant directement en cause. Il s’agit d’une fantastique machine à fabriquer de la soumission.
Comment ne pas ne pas penser aux images du film Brazil censé représenter une adaptation un peu baroque du 1984 de George Orwell et réalisé par un certain Terry Gilliam ? Dans un restaurant très fréquenté, alors qu’une bombe vient d’exploser et que derrière un paravent rapidement interposé des blessés ou des morts sont évacués, les autres clients continuent leur repas comme si de rien n’était. L’humour noir de la scène, imaginée par une équipe d’humoristes pas toujours très légers, rejoint peut-être de manière cinématographique et spectaculaire mais aussi prémonitoire une réalité toujours plus odieuse à laquelle on nous demande de nous accoutumer. Il ne faut pas oublier que dans ce scénario Big Brother n’est pas loin.
En conclusion, nous savons que le terrorisme par essence est un phénomène qui relève du secret. A ce propos, on peut citer le très lucide constat extrait des Commentaires sur la Société du spectacle de Guy Debord :
«Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique.»
Il était important de rappeler ce jugement qui, bien que datant de 1988, n’a pas pris une ride quant à notre détestable actualité.
Quoi qu’il en soit, l’État français porte une lourde responsabilité dans ces attentats. Un certain nombre de choix politiques a rendu possible leur survenue sur le sol français.
Enfin, même s’il s’agit des mêmes forces, des mêmes organisations et des mêmes financements, l’objectif du terrorisme en Syrie et en France n’est bien évidemment pas le même. Si en Syrie il s’agit de détruire un régime qui ne convient pas à l’ensemble US/OTAN/Israël/UE, il ne peut en aller de même en France puisque le régime en place fait partie de ceux qui doivent se maintenir et se renforcer sans discussion.
Il est donc légitime de s’interroger sur l’objectif d’un terrorisme qui se déploie en France de manière insidieuse et irrégulière mais néanmoins permanente et appelé à durer.
Jan Morvan, Fortuné Roussel et Patrick Visconti