Technologie militaire : US-Russie, match nul


Le récent article paru dans The National Interest a tort de penser que la Russie est derrière les États-Unis sur les questions de technologie militaire.

Les réponses militaires de la Russie ne sont pas conditionnées par une infériorité technologique.

L’expérience historique et le flot de nouvelles armes en provenance de Russie montrent que celle-ci fait jeu égal avec les US dans la technologie militaire.


Par Daniel Fielding – Le 24 août 2015 – Source Russia Insider

Sukhoi T50 – Pas d’équivalent aux Etats-Unis

Un article récent sur l’armée russe paru dans la revue américaine The National Interest et republié par Russia Insider commence avec la déclaration suivante :

«La tendance vers une plus grande automatisation, y compris l’utilisation d’armes de contrôle à distance et la guerre autonome dirigée par l’intelligence artificielle, mettra de plus en plus l’armée russe dans une situation désavantageuse.

La Russie ne possède pas la technologie pour rivaliser avec les systèmes automatisés occidentaux et manque de capacités pour développer de tels systèmes par ses propres moyens dans un avenir prévisible. L’industrie de défense de la Russie est bien loin derrière les armées occidentales dans les systèmes automatisés de contrôle, les drones offensifs et l’électronique de pointe en général.

Le gouvernement russe a reconnu ces lacunes et, jusqu’à récemment, a tenté de les corriger grâce à la coopération avec l’industrie de la défense occidentale.

Cependant, le gel de la coopération militaire entre les États membres de l’Otan et la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée et l’imposition simultanée de sanctions par la plupart des États occidentaux empêchera l’acquisition rapide de la technologie militaire avancée et à double usage par les entreprises de défense russes dans un futur prévisible.»

Ce thème – que la Russie n’a pas la technologie pour rivaliser avec l’Occident dans le développement des armes – a été une constante des commentaires occidentaux depuis les années 1930.

Il a été pris en défaut de façon répétée. Les exemples sont nombreux. Voici quelques-uns des plus célèbres :

1. Le choc que les Allemands ont connu en 1941 quand ils se sont trouvés face à des chars russes comme le KV1 et le T34, qui étaient plus avancés que les leurs.

2. Le choc éprouvé par les États-Unis en 1949, lorsque l’URSS a fait exploser sa première bombe nucléaire.

3. Le choc que l’armée de l’air américaine a subi dans les années 1950 quand elle a affronté le MiG-15 en Corée.

4. Le choc encore plus grand dont les États-Unis ont souffert lorsque l’URSS a lancé, en 1957, le premier satellite artificiel au monde, prouvant qu’elle avait la capacité de frapper les États-Unis avec des missiles intercontinentaux.

5. Le choc dans les années 1960 lorsque l’armée de l’air américaine a constaté qu’elle était incapable d’assurer la domination aérienne au-dessus de Hanoi contre une armée de l’air nord-vietnamienne équipée avec des avions de chasse russes.

6. Le choc subi par les Israéliens pendant la guerre du Yom Kippour en 1973 quand ils ont été confrontés aux armes anti-chars et aux missiles anti-aériens fournis par les Russes.

7. Le choc au cours de la guerre du Liban en 2006 quand les Israéliens ont à nouveau affronté les missiles anti-chars russes modernes.

Depuis les années 1970, il n’y a pas eu d’occasions où les puissances occidentales ont eu à combattre un ennemi équipé de la plupart des armes russes modernes. Toutefois les récentes défaites des forces aériennes US et britanniques, en simulation de combat aérien, face à l’aviation indienne équipée de chasseurs russes suggèrent que si des affrontements réels s’étaient produits , ils auraient été dévastateurs pour les Occidentaux.

Les préoccupations des États-Unis et d’Israël à propos de la vente par la Russie de missiles anti-aériens S300 à l’Iran suggèrent également, de la part des forces militaires occidentales, une méfiance certaine quant à la capacité des armes russes, tout comme les rapports informant que la marine des États-Unis a été dissuadée de se déployer trop près des côtes de Crimée, en mars 2014, du fait de la présence de batteries de missiles russes sol-mer sur place. [Sur le même thème, en savoir plus : Qu’est-ce qui a tant effrayé l’USS Donald Cook en Mer Noire ?, NdT]

L’article dans The National Interest fait cependant une remarque qui est en partie vraie. La Russie est loin derrière les États-Unis dans les drones.

Ce n’est cependant pas en raison d’un retard technologique. L’URSS dans les années 1980 a eu un programme de drones de pointe. La raison pour laquelle il n’a jamais abouti est due à l’effondrement de l’URSS. La Russie, qui a émergé de l’URSS, a été prise pendant une décennie dans une crise existentielle qui l’a obligée à suspendre ses programmes militaires.

La Russie a maintenant un programme actif de drones, les premiers exemplaires entrent actuellement en service.

Une remarque similaire peut d’ailleurs être faite au sujet du système russe de navigation par satellite GLONASS. Il aurait été opérationnel depuis des décennies, juste après que les États-Unis avaient introduit le GPS, si l’URSS ne s’était pas désintégrée.

La réalité – que montrent le dossier et la situation actuelle – est qu’il y a une parité approximative en matière de technologie entre les États-Unis et la Russie. Du fait que les États-Unis dépensent beaucoup plus que la Russie pour leur défense, ils peuvent ponctuellement mettre en œuvre une technologie particulière plus rapidement que cette dernière. Cependant, les Russes ont montré à maintes reprises que chaque fois qu’un fossé technologique apparaît, ils peuvent le combler rapidement. L’abondance de nouvelles armes qui apparaissent maintenant en Russie montre que cela n’a nullement changé.

La persistance de ce mythe du retard technologique russe est remarquable étant donné le nombre de fois où il a été pris en défaut. À un certain niveau, il montre à quel point sont ancrés les mythes sur la Russie.

Ce mythe explique beaucoup des problèmes rencontrés par les États-Unis dans les guerres qu’ils ont menées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La conviction que la Russie, l’adversaire militaire principal auto-désigné par les US, et historiquement le principal fournisseur d’armes aux adversaires des États-Unis, est loin derrière ceux-ci sur le plan technologique a maintes fois conduit à un surinvestissement dans la technologie tout en négligeant d’autres aspects critiques de son système militaire. L’échec de cette approche est garanti quand il se trouve que l’ennemi n’est, après tout, pas si technologiquement en retard que prétendu.

Il est vrai, comme le mentionne l’article dans The National Interest, que la Russie ne va pas gaspiller son argent en dupliquant toutes les armes que les États-Unis produisent. Dans le même temps certaines des stratégies russes décrites par l’article sont sensées, indépendamment des coûts ou des considérations technologiques.

Compte tenu de la forte dépendance des drones à la qualité des communications sécurisées, il est parfaitement sensé pour les Russes de développer leurs systèmes de guerre électronique, déjà très avancés, pour les détruire. Des rapports épars font déjà état de drones de reconnaissance américains capturés avec succès par brouillage électronique dans leur survol de la Crimée et de l’Iran.

Globalement cependant, avec ses commentaires sur le retard technologique russe et son récit terrifiant de la cyber-guerre russe, l’article de The National Interest nous en dit moins sur les plans et les capacités militaires russes que sur les fantasmes et les préjugés de l’auteur .

Daniel Fielding

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

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