Par Moon of Alabama – Le 18 septembre 2023
The Economist poursuit sa série d’interviews sur la guerre en Ukraine. Cette semaine, il s’entretient avec Kyrylo Budanov, le chef du service de renseignement militaire ukrainien :
Budanov est perçu comme une grande gueule dont les affirmations divergent de la réalité :
L’Ukraine a peut-être déjà fait appel à un nombre limité de ses troupes de réserve, mais la Russie, apparemment en désespoir de cause, est maintenant connue pour engager des troupes de réserve insuffisamment armées qu’elle n’avait pas prévu de déployer avant la fin du mois d’octobre. « Contrairement à ce que la Fédération de Russie déclare, elle n’a absolument aucune réserve stratégique« , affirme le général. La 25e armée russe d’armes combinées, actuellement déployée prématurément sur le front oriental autour de Lyman et de Kupyansk, ne dispose que de 80 % des effectifs et de 55 % de l’équipement qu’elle était censée avoir.
Cela semble contredire l’analyste en chef de la Defense Intelligence Agency américaine que The Economist a interviewé il y a tout juste deux semaines :
Des généraux ukrainiens ont déclaré au journal The Guardian que 80 % des efforts de la Russie ont été consacrés à la construction des première et deuxième lignes [de défense]. Mais Maul prévient que le gros des renforts russes reste sur la troisième ligne.
Budanov a également d’étranges convictions sur l’état de l’économie russe :
Alors que des rapports indiquent que la Russie est sur le point d’intensifier sa campagne de mobilisation, le général Budanov affirme que les effectifs sont le seul avantage évident que la Russie conserve par rapport à l’Ukraine. « Les ressources humaines en Russie sont relativement illimitées. La qualité est faible, mais la quantité est suffisante. En ce qui concerne les autres composantes de l’effort de guerre, les ressources russes sont en train de s’épuiser, et un bilan s’impose. Selon lui, l’économie russe ne tiendra que jusqu’en 2025. Le flux d’armes se tarira en 2026, « peut-être plus tôt« , affirme-t-il, bien que les preuves à l’appui de ses affirmations soient fragmentaires.
En mai dernier, The Economist rapportait que le coût de la guerre était une question mineure pour la Russie :
Pourtant, tous ces dégâts ont eu un coût relativement faible pour la Russie. Comme nous l’avons signalé, son économie se porte beaucoup mieux que ce à quoi tout le monde s’attendait. Et le coût financier direct de la guerre – ce qu’elle dépense en hommes et en machines – est étonnamment faible.
Le budget de la Russie est flou, en particulier son budget militaire. Notre estimation de ce que la Russie dépense pour envahir l’Ukraine est donc imprécise. Toutefois, en consultant divers experts et en nous appuyant sur notre propre analyse, nous sommes parvenus à un chiffre. Pour l’essentiel, il s’agit de comparer les dépenses prévues par le gouvernement russe en matière de défense et de sécurité avant l’invasion avec celles qu’il a effectivement engagées. Le coût de l’invasion s’élèverait ainsi à 5 000 milliards de roubles (67 milliards de dollars) par an, soit 3 % du PIB.
Il s’agit là d’un montant dérisoire au regard de l’histoire.
L’économie russe est en fait en plein essor :
Selon Vladimir Efimov, maire adjoint chargé de la politique économique, l’économie moscovite a progressé de plus d’un cinquième au cours des cinq dernières années, bien qu’elle ait été confrontée à de graves difficultés pendant cette période.
Malgré des vents contraires tels que la pandémie de Covid-19 et les sanctions occidentales, la capitale russe a connu une croissance substantielle, notamment dans les secteurs de l’industrie, de la finance et des télécommunications, a-t-il déclaré mercredi lors du Forum urbain.
Aujourd’hui même, le président Poutine a également fait part de ses prévisions optimistes pour l’économie russe :
L’économie russe s’est redressée et le pays a réussi à résister à la pression des sanctions, a déclaré lundi le président Vladimir Poutine.
« D’une manière générale, nous pouvons dire que le rétablissement de l’économie russe est achevé. Nous avons résisté à une pression extérieure absolument sans précédent, à l’assaut des sanctions de certaines élites dirigeantes de certains pays, que nous qualifions d’inamicaux« , a déclaré Poutine lors d’une réunion sur la planification du budget fédéral pour 2024.
En outre, le président a souligné que la croissance du PIB de la Russie pourrait atteindre 2,5 à 2,8 % d’ici la fin de l’année.
The Economist est très poli lorsqu’il qualifie de « fragmentaire » le soutien apporté aux affirmations de Budanov. Ses affirmations ne sont tout simplement pas étayées et les données dont nous disposons indiquent le contraire de ce qu’il prétend.
Les affirmations lunatiques de l’Ukraine sont devenues monnaie courante :
L’Ukraine a libéré le village d’Andriivka dans l’oblast de Donetsk, situé au sud de Bakhmut, a rapporté l’état-major général des forces armées ukrainiennes le 15 septembre.
…
Plus tard le même jour, la 3e brigade d’assaut a confirmé que le village avait été repris, ajoutant que les forces ukrainiennes avaient porté un coup décisif à la 72e brigade séparée de fusiliers motorisés russes au cours de la bataille.
Selon le rapport de la 3e brigade, la formation russe a perdu son chef du renseignement, trois commandants, la quasi-totalité de son infanterie, y compris des officiers, ainsi qu’une grande partie de son équipement.
Voici une photo aérienne d’Andrivka avant la guerre.
Le village d’Andrivka se compose de deux routes et d’une quarantaine de maisons. Avant la guerre, il comptait environ 80 habitants. On ne comprend pas comment une partie importante d’une brigade entière, comptant quelque 3 500 hommes et leurs quelque 700 camions et véhicules blindés, a pu se perdre dans un endroit aussi petit. Tout au plus, il y avait probablement une ou deux compagnies russes de 100 hommes chacune pour défendre cette ville. Il a fallu à l’armée ukrainienne plusieurs semaines et de nombreux morts pour conquérir la localité. Andrivka a aujourd’hui disparu. Toutes ses maisons sont en ruines. Juste à l’est d’Andrivka passe une ligne de chemin de fer surélevée qu’il sera difficile de traverser. Je ne comprends même pas pourquoi l’armée ukrainienne a tenté de s’emparer de cet endroit.
L’interview de Budanov par The Economist n’aborde pas la question des pertes ukrainiennes et des réserves humaines. Mais le résumé quotidien d’hier du site d’information ukrainien Strana souligne l’importance de ce point :
Une guerre d’usure prolongée – et c’est le stade dans lequel entre le conflit – pose à l’Ukraine la question très douloureuse des réserves pour compenser les pertes.
L’ampleur de ces pertes a été récemment révélée par le chef du centre de mobilisation régional de Poltava, Vitaliy Berezhnoy. S’exprimant devant le conseil municipal, il a déclaré que sur 100 personnes mobilisées à l’automne de l’année dernière, 10 à 20 sont valides, le reste étant constitué de morts, de blessés et d’invalides.
Il s’agit de pertes de l’ordre de 80 à 90 %.
« En fait, ces chiffres s’appliquent également à notre division… Certains en ont même moins (restés dans les rangs – ndlr)« , commente le tireur d’élite Konstantin Proshinsky, qui se bat près de Bakhmut, avec l’indicatif « Grand-père« .
Il convient également de noter une autre donnée évoquée par Berezhny : l’échec de la mise en œuvre du plan de mobilisation de l’état-major général. Selon Berezhny, à Poltava, le plan n’a été exécuté qu’à 13 % et c’est le pire indicateur de la région (ce qui est naturel – dans une grande ville, il est plus facile de se soustraire à la mobilisation que dans un village ou une petite ville).
En général, une unité militaire qui a perdu plus de 30 % de ses hommes et de son matériel est considérée comme hors d’état de nuire. Ces unités doivent être retirées de la ligne de contact pour être reconstituées avec du nouveau personnel. Le mélange d’anciennes et de nouvelles troupes contribuera alors à la poursuite des opérations.
Une division qui a perdu 80 à 90 % de ses effectifs n’est qu’un petit bataillon composé des soldats restants. Elle ne sera certainement pas en mesure de lancer une opération coordonnée. Il sera également impossible de la reconstruire, car elle ne disposera pas du niveau d’encadrement expérimenté en sergents et en officiers. Ces personnes ne poussent pas sur les arbres. Ils ont besoin d’années de formation.
Il est impossible de comprendre pourquoi l’Ukraine insiste pour attaquer les forces russes au lieu d’adopter une position défensive sur une ligne géographiquement protégée. Ce n’est pas rationnel.
Les Occidentaux qui soutiennent cette position devraient être poursuivis en justice pour les pertes inutiles qu’elle entraîne.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.