Par Vladislav B. SOTIROVIĆ – Le 29 novembre 2017 – Source Oriental Review
Le but de ce texte est d’examiner le concept − et les modèles − de la sécurité mondiale comme étant l’un des sujets mondiaux et cruciaux des études politiques. Nous devons garder à l’esprit que le terme et la notion de sécurité impliquent généralement l’idée de protection et de sécurité face à différentes menaces possibles venant « de l’extérieur ». Par conséquent, il peut être généralement acceptable et compréhensible que les États veuillent protéger leurs propres territoires en y consacrant des ressources de plus en plus grandes. Les sujets relatifs à la sécurité sont de natures très différentes, allant des causes de conflits entre États, à la détérioration du climat mondial ou aux droits des femmes dans la politique mondiale. La question des études sur la sécurité en tant que discipline académique dans le cadre de la politique globale a fait l’objet de nombreux débats et l’un des moyens les plus efficaces de traiter de la sécurité mondiale consiste d’abord à analyser les différents points de vue existant dans cette discipline. Cet article va essayer de fournir aux lecteurs une approche de base académique des études sur la sécurité, incluant quelques remarques de l’auteur.
La conception d’un système
La compréhension des systèmes internationaux des États est cruciale en tant que mécanisme explicatif de la politique mondiale et des modèles globaux de sécurité mondiale. Cependant, pour comprendre ces systèmes, il faut d’abord clarifier et définir la notion même de système. Dans ce contexte, on peut dire qu’ « un système est un assemblage d’unités, d’objets ou de parties unis par une forme d’interaction ». 1. Tout système est nécessairement constitué de différentes parties, du niveau le plus infime jusqu’au niveau le plus élevé, qui interagissent en permanence et dans de nombreux cas de figures. Les unités, membres d’un système, sont différentes en terme de taille, de capacité, de potentiel, de richesse, de force et en particulier de puissance et cela influe sur les prises de décision.
Les unités membres d’un système interagissant constamment les unes avec les autres, dans tous les cas de figures, il est tout à fait naturel que dans le cas d’un changement à l’intérieur d’une de ces unités, on s’attende à des réactions des autres unités à ce changement. Les exemples les plus significatifs sont la course aux armements ; la recherche d’un équilibre des pouvoirs ; la formation de blocs politico-militaires avec d’autres unités ou même dans les cas les plus drastiques, une agression contre une unité membre. Tout système composé d’unités membres a tendance à réguler les relations entre ces unités et à essayer de réagir par différents moyens si ces relations changent au détriment de la ou des unités hégémoniques du système. Il peut arriver souvent qu’il y ait deux ou plusieurs systèmes qui, séparés les uns des autres par des frontières pré-établies, collaborent à travers ces frontières, par exemple, dans les domaines de l’économie, de la connaissance ou de l’échange de technologie. C’était le cas pendant l’ère de la guerre froide (1949-1989). Enfin, un système peut s’effondrer pour une raison quelconque, ce qui signifie que les mesures nécessaires au sein du système n’ont pas été prises pour le sauvegarder (par exemple, le cas du Pacte de Varsovie en 1990-1991). En conséquence, en lieu et place de l’ancien système, un nouveau peut émerger dans lequel les unités membres de l’ancien système sont simplement absorbées par un autre système, comme par exemple pour la majorité des États d’Europe centrale et du Sud-Est européen après la guerre froide.
Systèmes internationaux d’États
Il est très difficile de fixer la date exacte à laquelle le système mondial de relations internationales (RI), et donc les modèles de sécurité mondiale, ont commencé à fonctionner pour la raison même que le processus de mondialisation s’est déroulé sur plusieurs siècles. 2. Cependant, le système européen moderne de RI peut être situé à la période postérieure au traité de paix de Westphalie de 1648, alors que le processus de mondialisation des systèmes internationaux de relations interétatiques commença à fonctionner à partir de la première moitié du XIXe siècle.
Les systèmes internationaux de relations interétatiques et de sécurité mondiale sont devenus, après la Seconde Guerre mondiale, des sujets académiques dans le cadre de la Théorie des systèmes mondiaux (TSM) qui reconnaît que les États jouent traditionnellement un rôle fondamental dans les relations internationales, et qu’ils le feront aussi dans l’avenir, sauf à ce que les systèmes de relations des États (nations) soient régis et compris par un contexte d’unité globale plutôt que par des conflits à objectifs d’intérêts nationaux. Ce que les théoriciens de TSM suggèrent, c’est qu’un système de sécurité mondiale significatif doit être basé sur un système mondial, et non pas sur un système d’États-nations. Par conséquent, ils croient que la coopération et l’ordre international remplaceront les conflits internationaux et l’anarchie. Cependant, derrière la TSM se cache essentiellement un système d’Économie capitaliste mondiale (ECM) qui préconise l’idéologie de la mondialisation comme une nouvelle forme de l’impérialisme mondial occidental basé sur la division internationale du travail. Ainsi, selon l’ECM, le monde entier est divisé en trois zones économiques et de travail : les États-premiers (les économies matures développées occidentales) ; les États périphériques (principalement des ex-colonies d’Afrique avec des économies encore sous-développées) ; et les États semi-périphériques (principalement des États ex-socialistes d’Europe de l’Est et des États pétroliers du Moyen-Orient avec des économies et des infrastructures en croissance). L’essence de la TSM / ECM est qu’une mondialisation doit fonctionner pleinement au profit des États premiers qui exploitent pleinement les états périphériques avec des états semi périphériques comme tampon entre les segments premiers et périphériques de l’économie mondiale, partiellement exploités par les États premiers par des moyens financiers et économiques. En un mot, la TSM / ECM tente de légitimer l’existence et le fonctionnement du capitalisme occidental mondial et son exploitation du reste du monde par la promulgation de l’idéologie mondialiste. 3. Cependant, l’idéologie libérale de la mondialisation préconise en réalité le processus global d’occidentalisation de type américain (omniprésente) de tous les points de vue : culturel, économique ou politique et jusqu’aux questions de valeurs, de traditions et de coutumes. 4.
Historiquement, et même de nos jours, il y a trois types fondamentaux de systèmes internationaux ou de relations entre les États en tant qu’acteurs essentiels dans la politique mondiale : 1. Indépendant ; 2. Hégémonique ; et 3. Impérial. 5.
Le système d’État indépendant (SEI) est composé par les États en tant qu’acteurs et entités politiques dans lesquels chacun d’entre eux prétend être indépendant, c’est-à-dire à la fois autonome et souverain. La caractéristique fondamentale d’un tel État, du moins d’un point de vue très théorique, est qu’il a le droit et la possibilité d’appliquer ses propres politiques étrangères et nationales hors de toute influence ou dépendance de l’extérieur. Le SEI présuppose que l’État, le territoire et ses citoyens sont sous le contrôle total et la gouvernance de l’autorité de l’État central et que les frontières de l’État sont inviolables de l’extérieur. En d’autres termes, tout acteur extérieur n’est pas habilité à intervenir dans les affaires intérieures de l’État qui ne peuvent être traitées que par une autorité « légitime » reconnue internationalement comme telle. Un État indépendant doit être autonome, cela signifie (comme cela se passait à l’époque des Grecs anciens, d’où vient le terme) que les autorités étatiques légitimes adoptent leur propre loi et organisent les activités étatiques, politiques ainsi que le type de vie sociétal selon elles mais pas selon une loi, des règles ou des valeurs imposées de l’extérieur. Les États doivent être traités et considérés de la même manière en ce qui concerne leurs revendications d’indépendance, d’autonomie et de souveraineté, indépendamment du fait qu’en pratique, ils n’ont pas tous le même pouvoir, les mêmes capacités et la même puissance. 6.
Le système d’État hégémonique (SEH) repose sur l’idée d’un hégémon et d’une hégémonie imposée par un hégémon en RI, ce qui signifie qu’un ou plusieurs États (ou d’autres acteurs politiques) dominent le système de RI et / ou la politique régionale ou mondiale. Un hégémon fixe les normes, les valeurs et les « règles du jeu » et exerce une influence directe sur la politique des membres du système comme, par exemple, les États-Unis dans le bloc de l’OTAN.
Il y a trois types possibles de SEH dans la politique globale :
1. L’hégémonie unipolaire (ou unique), quand un seul état est dominant comme ce fut le cas avec les États-Unis immédiatement après la Seconde Guerre mondiale ;
2. L’hégémonie bipolaire (ou duale), lorsque deux États dominants existent dans la politique mondiale comme c’était le cas à l’époque de la guerre froide (les États-Unis et l’URSS) ;
3. L’hégémonie multipolaire (ou collective), lorsque plusieurs ou même plusieurs États dominent les relations internationales comme après le Congrès de Vienne en 1815 (Russie, Autriche, Grande-Bretagne, France et Prusse).
En pratique, dans l’un de ces trois SEH, des acteurs moins puissants peuvent interagir avec leurs pouvoirs, mais ils doivent obtenir une permission de l’hégémonie pour une telle action. En SEI, les affaires intérieures des États sont généralement laissées intactes par les hégémonies, tandis que leurs affaires étrangères sont strictement sous le contrôle hégémonique.
Le troisième type de RI, le système de l’État impérial (SEIm), a existé depuis l’Antiquité (Assyrie, Perse, Macédoine, Rome) et a été dominant en Europe, en Afrique du Nord et en Asie au Moyen Âge (les Francs, les Romains, les Byzantins, les Ottomans ou l’Empire des Habsbourg). L’essence de l’Empire en tant que système est qu’il est composé de différentes parties sociétales, ethniques, nationales, linguistiques et / ou confessionnelles qui interagissent constamment. Cependant, dans un cadre impérial multi-structurel, il est courant qu’une unité domine les autres et impose sa suprématie politique. Dans ce cadre, le reste des unités doit accepter cette réalité, la suprématie d’une partie (dirigeante), soit par la force, soit par intérêt, implicitement ou explicitement. 7. Cependant, la question se pose de savoir quelle est la différence entre le système hégémonique et le système d’État impérial, car ces deux systèmes semblent être très similaires sinon identiques ? Néanmoins, la différence fondamentale est que l’unité dominante d’un empire est capable de gérer beaucoup plus de champs d’actions du système étatique que le SEH et surtout d’imposer de travailler pour l’autorité centrale (collecte de l’impôt, recrutement de l’armée impériale nommer des dirigeants, politiques locales, etc.). Les empires sont généralement créés et agrandis par les conquêtes militaires, mais ils peuvent aussi être détruits militairement de l’extérieur ou disparaître en raison des révolutions intérieures suivies de guerres civiles.
Dilemme sécuritaire et sécurité globale
Le dilemme sécuritaire est basé sur l’idée que la sécurité est un objectif pour lequel les états se battent et se concurrencent. En principe, les États doivent rechercher leur propre protection, notamment dans un système mondial « anarchique » dans lequel n’existe aucune autorité supranationale (comme l’ONU ou l’OEBS, par exemple), 8, pour être capable d’imposer et / ou assurer l’ordre régional ou mondial des RI. Dans la pratique, traditionnellement, les États s’efforçaient d’obtenir de plus en plus de pouvoir pour échapper à l’influence du pouvoir et de la politique étrangère des autres États, en particulier des pays voisins, comme le montre clairement l’histoire européenne. Cependant, une telle pratique fait que les autres États ou autres acteurs de la RI se sentent plus in-sécurisés et donc cela les encourage à se préparer au pire scénario (conflit, agression, guerre). Comme les États ne peuvent jamais se sentir entièrement en sécurité, la compétition sécuritaire entre eux est un processus sans fin qui entraîne une augmentation constante de leur puissance. En d’autres termes, le dilemme sécuritaire provoque une politique sécuritaire renforcée d’un État (nation) qui a pour effet direct de menacer d’autres États ou acteurs dans les RI et de provoquer ainsi de puissantes contre actions (généralement militaires). Ce processus sans fin diminue en fait la sécurité de tous les États, surtout lorsqu’on sait que dans de nombreux cas, la politique étrangère offensive (impérialiste) est justifiée par l’armement national en armes « défensives » (le cas des États-Unis, par exemple).
La sécurité globale en tant que concept doit être essentiellement fondée sur l’idée de la sécurité des personnes (individuelle et en groupe). Cependant, dans la pratique, les RI reposent sur le droit à l’autoprotection des États (c’est-à-dire de leurs régimes politiques et de leurs élites sociales au pouvoir). Cette idée est née de l’anglais Thomas Hobbes (1588-1679) qui a soutenu que le droit à l’auto-préservation est fondé sur une loi naturelle, exigeant en même temps une harmonie sociale entre les citoyens et l’autorité de l’État. Par conséquent, la sécurité mondiale doit être fondée principalement sur le concept de sécurité de l’État (d’une nation) car les États sont une forme naturelle d’associations politiques des peuples et restent les acteurs fondamentaux dans les RI. L’idée est que, probablement, les droits individuels et civils du citoyen ne seraient effectivement garantis que si l’individu consentait au pouvoir absolu de l’élite dirigeante de l’État. Par conséquent, on peut en conclure que l’approche philosophique moderne des régimes totalitaires étatiques est, de facto, issue de Thomas Hobbes.
Basé sur la philosophie sécuritaire de Thomas Hobbes, les États vont insister sur la nécessité de collectiviser la société pour assurer sa sécurité – c’est ainsi que le concept de sécurité collective (SC) a été institutionnalisé en tant que mécanisme utilisé par les États pour éviter des affrontements entre états d’une même coalition. 9. Les États membres du même bloc acceptent d’utiliser leurs forces armées et toutes leurs capacités pour venir en aide ou défendre un pays membre en cas d’agression extérieure. Cette action collective « défensive » doit continuer jusqu’au moment où « l’agression » est repoussée. L’essence d’un tel concept est donc de prétendre qu’une attaque agressive « non provoquée » contre un membre d’une organisation sera considérée comme une attaque contre tous les États membres de cette organisation. En pratique, toute attaque d’agression réellement provoquée peut facilement être qualifiée de « non provoquée » comme cela s’est produit, par exemple, à Pearl Harbor en 1941, car nous savons aujourd’hui que le régime américain a tout fait pour provoquer une action japonaise « non provoquée » le 7 décembre. Néanmoins, alors que le concept de SC est devenu l’outil permettant de qualifier l’agression de l’État, la question se pose toujours de savoir comment assurer la sécurité des individus et des minorités. 10.
Il faut préciser que l’idée même de sécurité de la personne ne s’oppose pas à la nécessité de sécurité nationale (de l’État) selon laquelle l’État a l’obligation de protéger ses propres citoyens de l’agression du monde extérieur, par exemple une action venant de l’étranger. L’idée sécuritaire de la personne fait valoir qu’il est plus important de mettre l’accent sur la sécurité de la personne et non pas sur l’État, mais l’État doit protéger tous ses citoyens comme un parapluie protégeant de la menace extérieure. Cette approche adopte une vision de la sécurité centrée sur l’individu, à la base de la sécurité nationale, régionale et finalement mondiale. En substance, la protection des droits de la personne (individuels et collectifs) fournit le cadre principal pour la réalisation du concept de sécurité de la personne qui préconise « la protection contre les menaces visant la vie et le bien-être des individus dans les zones où le besoin s’en fait sentir, y compris la violence terroriste, des criminels ou des policiers, la mise à disposition de nourriture et d’eau, un environnement propre, la sécurité énergétique et la lutte contre la pauvreté et l’exploitation économique ». 11.
L’objectif principal de l’organisation de la sécurité collective est d’assurer des relations pacifiques au sein du bloc composé d’États souverains mais dominé par un État hégémonique. Le concept de SC s’entend comme ayant comme tâche principale le maintien de la paix entre les acteurs clés, c’est à dire pratiquement les États, dans les RI. Dans la pratique le but réel du système SC est juste de maintenir la paix et l’ordre parmi les membres du système, mais pas entre le système et le reste du monde. Le meilleur exemple de système SC aujourd’hui est l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) qui n’est pas un bloc de sécurité global mais plutôt une alliance politico-militaire qui sert principalement les intérêts nationaux américains (impérialisme mondial) à travers le monde. Néanmoins, la mise en œuvre pratique du concept fluctue entre deux modèles :
- Modèle traditionnel et plus réaliste de l’équilibre des forces ;
- Un nouveau modèle post-guerre froide et plus utopique d’un gouvernement mondial.
L’idée de SC est certainement très attrayante pour les universitaires car elle vise à montrer les avantages importants d’un « gouvernement mondial » sans altérer l’essence fondamentale du traditionnel système anarchique d’État. Le concept de SC d’un point de vue global signifie donc un « système de sécurité international dans lequel tous les États acceptent de prendre des mesures communes contre les États qui attaquent ». 12 Quoi qu’il en soit, formellement, le concept de SC se veut d’appliquer un ensemble de mécanismes légaux conçus pour empêcher toute agression par n’importe quel état contre tout autre état sans l’autorisation formelle de l’ONU. 13)].
Trois modèles possibles de sécurité globale
Les théoriciens expliquent à leurs manières par des arguments différents les avantages ou les inconvénients de l’un des trois modèles de sécurité mondiale possibles : unipolaire, bipolaire ou multipolaire. Les débats tournent essentiellement autour des arguments selon lesquels l’un de ces trois modèles est le plus stable et surtout le plus pacifique par rapport à tous les autres modèles. 14
Ceux qui préconisent le modèle de sécurité unipolaire (MSU) affirment que ce modèle donne le plus de garanties de sécurité car dans ce cas il n’y a qu’un seul pouvoir (état) en position d’acteur dominant ayant un rôle d’hégémonie mondiale ou de gendarme du monde dans une politique globale. C’est une croyance que la politique mondiale peut être le plus souvent pacifique s’il n’y a qu’un seul état hégémonique et dominant qui soit assez fort pour imposer la paix. L’hégémon va être si puissant qu’aucun autre acteur mondial ne pourra contester sa supériorité dans les affaires du monde et les relations internationales. Ce modèle de sécurité globale a été adopté par l’administration américaine immédiatement après la guerre froide et était principalement préconisé par Zbignew Brzezinski, qui tentait d’établir les fondements de la position hégémonique américaine dans la politique mondiale ayant pour but principal de déstabiliser, démembrer et finalement occuper la Russie pour l’exploitation gratuite de ses ressources naturelles selon le modèle du Kosovo à partir de juin 1999. Que l’administration américaine parvienne à atteindre un tel objectif, et le jeu géopolitique global sur le cœur eurasien sera alors résolu en faveur de Washington.
L’OTAN a été, est et sera, dès le début de son existence (fondée en 1949), l’instrument fondamental de la politique américaine d’hégémonie mondiale connue sous le nom de « Pax Americana ». Jusqu’à ce jour l’OTAN reste, prétendument, l’alliance militaire établie la plus puissante du monde « … pour assurer la sécurité de l’Europe occidentale, l’OTAN est devenue une alliance sans précédent avec un secrétariat permanent et un état-major militaire représentant l’engagement américain pour dissuader l’agression soviétique ». 15. Cependant, l’existence même de l’OTAN après la dissolution de l’Union soviétique prouve clairement que le but ultime de sa création et de son fonctionnement n’était pas de « dissuader l’agression soviétique ». C’est ainsi que par son élargissement, seulement vers l’Est, à partir de 1999, la Russie est et va être l’objet principal du fondement de la politique expansionniste et hégémonique mondiale des USA à travers l’OTAN. La guerre du Kosovo 1998-1999, dans laquelle les forces de l’OTAN se sont engagées pour la première fois après sa création en 1949, marque le début de la politique mondiale américaine directe de gangstérisme brutal et affiché après la guerre froide au niveau mondial des RI. 16.
Le MSU est nécessairement fondé sur une idée d’hégémonie dans la politique mondiale, le mot « hégémonia » vient du grec ancien, avec de véritables moyens de « suprématie ». En RI, la notion d’ « hégémon » est utilisée comme synonyme de « meneur » ou d’ « État meneur » au sein du système (bloc) composé d’au moins deux ou plusieurs États. Cependant, les pays membres du bloc doivent établir et conserver certaines relations entre eux ce qui signifie pratiquement que l’un des États membres deviendrait de facto un hégémon dans le bloc concernant la politique et la prise de décision (par exemple, les États-Unis dans l’OTAN, l’URSS dans le Pacte de Varsovie ou l’Allemagne dans l’UE). Une dominance ou une hégémonie au sein du système implique un certain degré d’ordre, d’organisation collective et surtout une hiérarchie relationnelle entre les membres d’un système. Cependant, l’hégémonie politique dans les RI n’existe pas en soi car c’est un phénomène qui existe à l’intérieur d’un système interétatique, qui est lui-même le produit de circonstances historiques, politiques, économiques, idéologiques ou autres. Tous les États hégémoniques dans un système jouissent d’un « pouvoir structurel » qui permet au meneur d’occuper une position centrale dans son propre système créé et géré par lui même. Tous les autres États membres ont un rôle de collaborateurs de l’hégémon s’attendant à obtenir une juste récompense pour leurs services. D’autre part, un hégémon doit mobiliser ses propres ressources économiques, financières, techniques, politiques, humaines et autres pour jouer un rôle de meneur et, par conséquent, seuls certains États (riches) ont un réel potentiel à être hégémoniques, comme les USA dans l’OTAN, par exemple.
Les États-Unis sont aujourd’hui l’État unique le plus puissant et le plus impérialiste au monde de toute l’histoire. Washington, après la seconde guerre mondiale, a utilisé l’OTAN, et la capacité ainsi que la volonté américaine, pour reprendre un rôle hégémonique et justifier ses conceptions hégémoniques comme étant d’une importance cruciale dans les RI pour l’ordre et la sécurité mondiale. En principe, la majorité des études traitant de l’hégémonie et de l’impérialisme mettent en avant l’empire britannique du XIXe siècle et l’empire américain après la Seconde Guerre mondiale comme deux cas hégémoniques les plus réussis de l’histoire politique mondiale. 17. Ces deux empires ont formellement justifié leur politique d’impérialisme global dans le cadre du concept de MSU.
Il est probable que l’inconvénient le plus important de MSU est qu’un monde unipolaire avec une forte hégémonie mondiale tentera tout le temps une ou plusieurs puissances d’essayer de défier l’hégémonie par différents moyens. C’est un jeu sans fin jusqu’à ce que l’hégémon ait finalement perdu sa position en tant que telle et que le système de sécurité soit transformé en un nouveau modèle. C’est exactement ce qui s’est passé avec l’Empire romain comme l’un des exemples du MSU.
Néanmoins, dans le système unipolaire, un hégémon fait face à peu de contraintes sur sa politique. Il détermine les règles du jeu dans la politique globale et restreint les initiatives des autres comme c’était exactement le cas par les États-Unis en tant que « gendarmes du monde » au temps du Nouvel Ordre Mondial en 1990-2008. 18. Mais d’un autre côté, une telle position hégémonique et une politique de terrorisme dans le reste du monde (ou du système) provoquent des réactions d’autodéfense qui aboutissent finalement à un changement dans la répartition du pouvoir entre les états (ou acteurs), cela pouvant être une cause de guerre à plus grande échelle géographique et d’intensité. À titre de comparaison, la politique globale hégémonique, russophobe et barbare des États-Unis à l’époque du Nouvel Ordre Mondial de l’après-guerre froide peut finalement provoquer une nouvelle guerre mondiale avec la Russie (et probablement la Chine) tout comme la guerre du Péloponnèse (431- 404 av. JC ) avait été causée par la politique hégémonique d’Athènes qui a provoqué la réaction de peur et d’auto-défense de Sparte 19.
Les champions du modèle de sécurité bipolaire (MSB) croient qu’une bipolarité de la politique mondiale pourrait apporter une paix de longue durée et la sécurité mondiale au lieu du MSU. Dans le cas du MSB, les deux puissances cruciales dans le monde surveillent le comportement de chacun sur la scène mondiale et éliminent ainsi une grande partie de l’incertitude sécuritaire dans la politique mondiale, les relations internationales et les affaires étrangères corrélées à la possibilité d’un début de guerre entre les grandes puissances.
Un modèle de sécurité multipolaire (MSM) semble être la meilleure option pour la prévention de la guerre et la sécurité mondiale, car la distribution du pouvoir étant déclinée en autant de « multi » il y a moins de chances de déclencher la guerre entre les grandes puissances. En substance, le MSM peut modérer l’hostilité entre les grandes puissances car elles sont forcées de créer des alliances changeantes dans lesquelles il n’y a pas d’ennemis permanents. Néanmoins, pour de nombreux chercheurs, le MSM crée en fait une incertitude dangereuse pour la raison même qu’il y a un plus grand nombre de grandes puissances ou d’autres acteurs puissants dans la politique mondiale.
Conclusion
Le champ de recherche académique des études de sécurité est d’une extrême complexité, allant du point de vue que ces études devraient avoir un objectif strictement militaire − car la menace fondamentale à l’intégrité territoriale des états vient en temps de conflit − à celui que les individus doivent être l’objet final de la recherche, et non pas les États eux-mêmes. Par conséquent, de nombreux universitaires concentrent leurs recherches sur la sécurité mondiale essentiellement sur l’émancipation humaine qui est généralement comprise comme la réalisation d’un large éventail de libertés individuelles et de groupe. 20. Ils soutiennent que la discipline académique des études de sécurité devrait se concentrer sur elles, mais pas sur la sécurité de l’État.
Enfin, il y a beaucoup d’arguments sur ce que doit être la recherche et l’objet des Études de Sécurité, que ce soit la puissance militaire, qui est fondamentale pour la sécurité de l’État, principale responsable de la sécurité ou bien quelles matières et orientations, en tant que champ de recherche académique, doivent être prises en compte comme sujet de ses recherches. L’objectif fondamental de cet article était de présenter la voie principale à travers le champ (de mines) des études de sécurité en tant que discipline de recherche académique.
Note du traducteur En traduisant cet article j'ai été étonné par l'extrême simplification d'un sujet complexe, fluctuant et dont l'évolution est imprévisible, la sécurité des personnes et des États, en une théorisation extrêmement intellectualisée transformée en « Étude académique de la sécurité » qui, d'ailleurs n'apporte pas de réponse au titre « Sécurité globale : Est ce possible et comment ? », simplement parce que pratiquement, il n'y en a pas. Pour comprendre l'esprit de cet article, qui nous explique longuement pourquoi en théorie l'eau chaude est chaude, avec vingt références d'ouvrages, il faut se référer au CV de l'auteur, Vadislav B Sotirovic, professeur à l'Institut des Sciences Politiques de Vilnius, intervenant dans plusieurs organismes universitaires d'Europe centrale et d'Europe du Nord, sa carrière est exclusivement universitaire du début des années 2000 à ce jour et en aucun cas, suivant son CV, dans un organisme, national ou international, dédié aux relations internationales ou à la sécurité. Il est peu probable que les questions de sécurité à l'échelon de l'individu ou d'un État se traitent à coups de définitions et d'études académiques comme il en question ici mais de manière tangible et pratique, au cas par cas. On peut affirmer sans se tromper que ni Hitler, Staline, Churchill, ou Roosevelt n'ont fait d'études académiques sur le sujet pour agir ou réagir et même de nos jours les multiples facettes des problèmes de sécurité montrent bien que ce ne sont pas des « études académiques » qui résoudront ces problèmes, l'état actuel du Moyen-Orient montre très bien que ce ne sont pas des « concepts » qui s'appliquent mais bien des « occasions » qui transforment continuellement le paysage sécuritaire dans la région. Dans les sociétés dans lesquelles le monde évolue, les situations conflictuelles sont tellement complexes par région, par pays, par zone d'influence, qu'il est pratiquement impossible de « théoriser » sur les questions de sécurité, c'est le « terrain » qui commande, c'est à dire le cas par cas, par exemple l'équilibre par la terreur (guerre froide) n'est pas un concept intellectuel, mais une réalité pratique « ... je te tiens, tu me tiens par la barbichette... » transformée plus tard en « concept », par des théoriciens en relations internationales. Cependant cet article est un bon exercice d'intellectualisation sur les mécanismes fondamentaux des relations internationales, en tant que « systèmes » qui interagissent en interne et en externe mais il faut tout de même admettre que ces « concepts politiques / philosophiques » ne naissent pas de la pure réflexion, mais comme pour les théories scientifiques, ce sont d'abord les observations d'évènements qui servent de base à ces « concepts » sur lesquels ensuite l'universitaire, au sens général du terme, peut développer son « explication » sur la théorie qui gouverne ces évènements.
Traduit par Claude relu par Cat pour le Saker Francophone
Notes
- Karen A. Mingst, « Essentials of International Relations », Third edition, New York-London : W. W. Norton & Company, 2004, 81 ↩
- Sur les politiques mondiales de globalisation, voir : (John Baylis, Steve Smith, Patricia Owens, « The Globalization of World Politics : An Introduction to International Relations », Seventh edition, New York : Oxford University Press, 2017) ↩
- Sur le système mondial, voir : (Alvin Y. So, « Social Change and Development : Modernization, Dependency, and World-System Theories », Newbury Park.London. New Delhi : Sage Publications, 1990 ; Immanuel Wallerstein, « World-Systems Analysis : An Introduction », Fifth edition, Durham, NC : Duke University Press, 2007) ↩
- Jeffrey Haynes, Peter Hough, Shahin Malik, Lloyd Pettiford, « World Politics » New York : Routledge, 2013, 715. En deux mots, WST conceptualise l’ordre global comme étant structuré en États et systèmes économiques développés, sous développés ou intermédiaires ↩
- Paul R. Viotti, Mark V. Kauppi, « International Relations and World Politics : Security, Economy, Identity », Fourth Edition, Upper Saddle River, New Jersay : Pearson Prentice Hall, 2009, 40 ↩
- La souveraineté signifie qu’un État (ou territoire politique) a son propre gouvernement (établissement politique souverain) qui a à la fois l’autorité sur son propre territoire revendiqué et administré et droits et possibilités d’adhésion (au moins pour certains) à la communauté politique internationale. Cependant, il existe de nombreux exemples de ce que l’on appelle les « États quasi souverains » (comme le Kosovo, Chypre du Nord, la Transnistrie…). Sur la question des « États quasi-souverains », voir Cynthia Weber, « Simulating Sovereignty : Intervention, the State, and Symbolic Interchange » Cambridge, UK : Cambridge University Press, 1994 ↩
- Martin Wight, « Systems of States » Leicester, UK : Leicester University Press, 1977, 6 ↩
- Supranational signifie être au dessus de l’État souverain ou « au dessus de la nation » ↩
- Cependant, ce mécanisme n’apporte pas une sécurité absolue au sein du même bloc comme celui de l’Italie et de l’Autriche-Hongrie en 1917 ↩
- Selon le Rapport sur le développement humain de 1994 (une publication annuelle du PNUD), la sécurité humaine est composée des sept éléments suivants :
- Sécurité économique ou absence de pauvreté ;
- Sécurité alimentaire ou accès à la nourriture ;
- Sécurité sanitaire ou accès aux soins de santé et protection contre les maladies ;
- Sécurité environnementale ou protection contre la pollution de l’environnement ;
- Sécurité personnelle ou la sécurité physique contre la torture, la guerre et la consommation de drogues ;
- Sécurité communautaire ou la survie des cultures traditionnelles et des groupes ethno-nationaux ;
- Sécurité politique ou protection contre l’oppression politique.
(Martin Griffiths, Terry O’Callaghan, Steven C. Roach, « Relations internationales : The Key Concepts » deuxième édition, Londres-New York : Routledge, Taylor & Francis Group, 2008, 147) ↩
- Richard W. Mansbach, Kirsten L. Taylor, « Introduction to Global Politics » deuxième édition, London- New York : Routledge, 2012, 578 ↩
- Richard W. Mansbach, Kirsten L. Taylor, « Introduction to Global Politics » deuxième édition, London-New York : Routledge, 2012, 574. ↩
- However, this concept lost its moral ground in 1999 when the NATO made an aggression on the Federal Republic of Yugoslavia for 78 days without a resolution by the UNO launching the « illegal war » on a sovereign state (Пјер Пеан, « Косово : ‘Праведни’ рат за стварање мафијашке државе » Београд : Службени гласник, 2013, 95−105 [traduction du texte original en français : Pierre Pean, Sébastien Fontenelle : « Kosovo : Une Guerre ‘Juste’ pour Créer un État Mafieux » Librairie Arthème Fayard, 2013 ↩
- Les études de sécurité en tant que discipline académique appartiennent à un sujet plus large des relations internationales (RI) qui est l’étude des relations politiques totales entre les différents acteurs internationaux, mais fondamentalement entre les États souverains. La principale préoccupation des études de sécurité est la sécurité globale et sa maintenance (Peter Hough, « Comprendre la sécurité globale » deuxième édition, Londres-New York : Routledge, 2008, 2). ↩
- Richard W. Mansbach, Kirsten L. Taylor, « Introduction to Global Politics » deuxième édition, London-New York : Routledge, 2012, 345 ↩
- En conséquence directe de l’agression de l’OTAN contre la Serbie et le Monténégro en 1999, le Kosovo s’est transformé en colonie américaine (voir plus de détails sur ce sujet dans : Hannes Hofbauer, « Experiment Kosovo: Die Rückkehr des Kolonialismus » Wien : Promedia Druck- und Verlagsges, mbh, 2008) ↩
- Par exemple, Joshua S. Goldstein, « International Relations » quatrième édition, New York : Longman, 2001, 92 ↩
- Le terme Nouvel Ordre Mondial a été inventé par l’ancien président américain George Bush Senior en 1991 comme une conséquence de la première guerre du Golfe en 1990-1991 lorsque l’administration américaine a commencé sa politique impérialiste post-guerre froide d’une hégémonie mondiale cachée derrière une idée de mondialisation de l’internationalisme libéral qui aurait été impossible sans le rôle hégémonique américain dans la politique mondiale. Néanmoins, le concept du Nouvel Ordre Mondial « … était un raccourci pour les préférences politiques américaines et l’impérialisme américain » (Jeffrey Haynes, Peter Hough, Shahin Malik, Lloyd Pettiford, « World Politics » New York : Routledge, 2013, 712). Beaucoup d’universitaires et de politiciens ont d’abord espéré que le Nouvel Ordre Mondial apporterait un meilleur avenir dans la RI et la politique globale mais très vite l’idée est devenue très critiquée et, par conséquent, l’idée a perdu tout arrière-plan rationnel et moral ↩
- Михаил Ростовцев, « Историја старога света : Грчка и Рим » Нови Сад : Матица српска, 1990, 112−120 ; Thucydides, « The Peloponnesian War » Indianapolis : Hackett Publishing Company, Inc., 1999 ↩
- L’émancipation signifie, au moins pour les Occidentaux, la réalisation de l’indépendance, c’est-à-dire la capacité d’agir de façon indépendante. Cependant, être émancipé ne signifie pas automatiquement que l’individu est libre de toute obligation envers les autres, y compris envers l’État (service militaire, fiscalité…). Cela signifie seulement que l’individu est libre de ces obligations qui sont considérées comme oppressives ou inhumaines (esclavage, servage…) ↩
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