… mais une savoureuse collection de récits – Comment le New York Times couillonne ses pigeons de lecteurs
Par Moon of Alabama − Le 12 octobre 2020
La journaliste vedette du New York Times, Rukmini Callimachi, avait été largement critiquée pour ses reportages exagérés sur État Islamique (EI) et le terrorisme. Mais ses éditeurs ont continué à soutenir et à promouvoir ses histoires.
Cela a finalement pris fin lorsque le Canada a récemment inculpé un certain Shehroze Chaudhry, également connu sous le nom d’Abu Huzaifa, pour avoir faussement prétendu être membre de EI. Chaudhry avait inventé ses histoires sanglantes. Il n’avait jamais appartenu à État Islamique et n’était jamais allé en Syrie ou en Irak.
Mais les histoires non vérifiées d’Abou Huzaifa al-Kanadi avaient été l’élément central du podcast Califat en dix parties du NYT par Rukmini Callimachi.
L’échec de ses reportages était finalement si évident que le NYT a dû autoriser son chroniqueur médiatique Ben Smith à écrire sur la question. Bizarrement, son reportage a été publié dans la section Affaires du journal : « Une arrestation au Canada jette une ombre sur une star du New York Times et du Times »
C’est un rapport assez dévastateur sur le soutien que Callimachi a obtenu de ses rédacteurs, alors même qu’un nombre toujours croissant de ses collègues critiquaient ses reportages trop sensationnalistes. La cause profonde du problème est la façon dont le Times, ainsi que d’autres médias d’information, essaient de transformer des fournisseurs de nouvelles en créateurs de récits :
La crise qui entoure maintenant le podcast concerne autant le Times que Mme Callimachi. Elle est, à bien des égards, le nouveau modèle type d'un journaliste du New York Times. Elle combine la bravade de la vieille école de parachutisme des grands reporters du passé, avec un savoir plus moderne pour surfer sur les ondes narratives de Twitter et repérer les types d'histoires qui vont exploser sur Internet. ... L'approche de Mme Callimachi et ses histoires lui ont valu le soutien de certaines des personnalités les plus puissantes du Times : depuis le début, avec Joe Kahn, qui était rédacteur en chef à l'étranger lorsque Mme Callimachi est arrivée et se trouve maintenant directeur général, considéré en interne comme le successeur probable du rédacteur en chef, Dean Baquet; en ensuite, avec un rédacteur en chef adjoint, Sam Dolnick, qui supervise la réussite de l’équipe audio du journal et fait partie de la famille qui contrôle le Times. ... L’approche de Mme Callimachi en matière de narration s’alignait sur un changement plus profond, déjà en cours au Times. Le journal est au milieu d'une évolution, de la position de journal de référence important, à celle de collecteur de grands récits affriolants, sur le Web et les services de streaming. Et le succès de Mme Callimachi est en partie dû à sa capacité à transformer des conflits lointains en Afrique et au Moyen-Orient en histoires irrésistiblement attirantes.
La phrase en gras est l’essence de l’extrait ci-dessus. Elle a même été répétée dans la légende d’une photo qui l’accompagnait.
La recherche de «récits juteux» est la plus grande erreur des médias d’information actuels. Leur tentative de copier le succès des drames hollywoodiens en créant des récits a détruit leur crédibilité. Elle a mis en lumière le mauvais aspect du travail de journaliste. Au lieu d’exiger des faits bien vérifiés, les éditeurs demandent maintenant des confirmations d’histoires préconçues :
Ce qui est clair, c'est que le Times aurait dû être attentif à la possibilité que, dans son documentaire audio, il écoutait trop fortement l'histoire qu'il voulait entendre - «enracinant l'histoire», comme l'a dit vendredi Erik Wemple du Washington Post.
Callimachi est loin d’être la seule coupable d’avoir créé de fausses nouvelles pour répondre à la demande de récits de ses rédacteurs en chef. La couverture de quatre ans de «Russiagate», la collection de contes de fées des connexions fictives entre Donald Trump et la Russie, en était pleine. La poussée éditoriale vers les récits est enracinée dans le désir d’appâter le lecteur et de générer un écho sur les médias sociaux autour du reportage. Cela peut être rentable à court terme mais c’est aussi la garantie d’un échec à long terme.
Les faux récits à la mode seront au fil du temps démystifiés. Les gens perdront alors confiance dans les médias qui leur ont fourni les fausses nouvelles. Cela entraînera à nouveau une perte de lectorat à long terme.
Un cas similaire de chute des «récits» est arrivé au magazine allemand Der Spiegel. Son auteur vedette Claas Relotius a écrit de fausses histoires à grande échelle. Qu’il écrive sur les électeurs de Trump en Arizona, ou sur une petite fille en Syrie, Relotius a inventé les témoins des « nouvelles » qu’il a fournies. Il imagina des « faits » et se décrivit visitant des endroits où il n’était jamais allé. Pendant des années, il y avait eu des avertissements indiquant que bon nombre des détails fournis par Relotius étaient erronés. Mais ses rédacteurs l’ont promu parce que les « récits » astucieux qu’il a livrés étaient exactement ce qu’ils voulaient. Der Spiegel, une source d’informations autrefois universellement reconnue, est désormais considéré, en plaisantant, comme «l’ancien magazine d’information».
La tendance des médias à fournir des récits plutôt que des faits vérifiés augmente également le risque de tomber dans la manipulation. Les gouvernements ainsi que les campagnes de marketing politique adorent proposer des histoires toutes faites. Il est plus facile et moins coûteux pour les médias de les reprendre et de les répéter que de creuser dans les faits et leur logique. Nous obtenons ainsi de fausses histoires sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie et un «récit» d’empoisonnement par Skripal qui ne résiste pas au moindre examen.
Pouvons-nous s’il vous plaît avoir de vraies nouvelles ? Juste les faits nouveaux, sans «récit» ou moraline qui s’y rattachent ? Des faits vérifiés et décrits dans le contexte du problème auquel ils se rapportent ? Correspondent-ils à la logique de ceux déjà connus ? Ont-ils un sens ? Comment peuvent-ils influencer les développements ultérieurs ?
Fournir ce qui précède peut facilement remplir la journée de travail d’un journaliste. C’est généralement assez de matière pour rédiger un rapport de 800 mots qui suffira au lecteur pour qu’il élabore son propre récit.
Chers médias d’information. Veuillez, de nouveau, fournir de vraies nouvelles. Si vous le faites, vous finirez par regagner ma confiance. Ce sera, à long terme, un atout bien plus précieux que le bavardage sur les réseaux sociaux que vous essayez actuellement de générer.
Moon of Alabama
Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone
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