Par Lee Trusk – Le 15 novembre 2015
Au lendemain des attentats de Paris, l’heure est évidemment au recueillement et à la solidarité avec les victimes et leurs familles. Toutefois, les circonstances appellent aussi à la réflexion et à l’analyse froide. Il serait en effet particulièrement dangereux d’éluder la réalité de la situation présente ou d’en laisser le monopole aux habituels chantres de la pensée conforme et à la récupération des politiciens à courte vue.
Il s’agit en effet d’interpréter les faits tels qu’il sont, à savoir que la France est désormais en situation de guerre civile, et que toute mauvaise interprétation à cet égard, volontaire ou non, n’aura d’autre conséquence que de la rendre plus profonde, plus durable et plus inexpiable. Aborder une guerre en commençant par en nier la réalité, ou en se trompant sur ses causes réelles lorsque ce n’est plus possible, revient à la perdre avant même de l’avoir engagée.
La situation française résulte de deux processus parfaitement distincts et se combinant à un moment donné et un endroit précis pour produire des effets tels que ceux qui viennent d’avoir lieu.
– Le plus médiatique de ces processus est la guerre dite antiterroriste, dont il convient ici d’apprécier la part réelle dans la crise française. Cette guerre, bien mal nommée antiterroriste en ce que cette dénomination n’en fait apparaître volontairement qu’un des aspects, est en fait un conflit globalisé voulu par la puissance US à des fins qui lui sont propres. Parmi toutes ses caractéristiques utiles à la compréhension, trois interviennent directement dans la situation française. Premièrement, c’est une guerre qui n’en finit plus (Irak, Afghanistan, etc.) ; deuxièmement, pour des motifs strictement internes à la stratégie US, elle instrumentalise à fond le fait islamiste avec son corollaire le terrorisme ; troisièmement les deux derniers dirigeants de ce pays – la France – ont décidé de s’y impliquer résolument derrière les Américains.
– Le second processus, spécifiquement français et d’origine plus lointaine, peut se résumer par des décennies de laxisme à la française, jouant sur l’instrumentalisation à la fois économique, politique et idéologique de l’émigration croissante de populations notamment musulmanes.
Ces deux processus ont fini par entrer en résonance du fait de l’utilisation ambivalente d’un terrorisme islamiste militarisé dont le modèle a été mis au point au cours de la première guerre d’Afghanistan. Or, comme tout concept militaire, il possède ses propres vulnérabilités qui tôt ou tard se font sentir. Deux parmi elles jouent pleinement dans la situation française : l’une est que le terrorisme islamiste militarisé se révèle très difficilement contrôlable, l’autre est qu’il s’entretient naturellement par recrutement auprès des populations et des diasporas musulmanes. Nul parmi ses concepteurs n’en avait à l’origine envisagé les effets à long terme tels qu’ils sont désormais observables sur le sol français. Il était donc fatal que la guerre antiterroriste en vienne à s’inviter au pays des bisounours !
La raison en est la suivante : tout stratège un tant soit peu cohérent sait, en effet, que la guerre est un phénomène qui finit toujours par se développer de manière autonome à partir d’une dynamique propre. Elle échappe ainsi aux naïfs qui croient la contrôler, Pentagone compris. La guerre antiterroriste respecte cette règle. Cette dynamique intrinsèque peut se résumer au fait que la guerre finit par s’étendre selon la pente de moindre résilience des peuples. Or, vu l’état réel de la France, il était inévitable que cette pente passe par elle.
Mais arrivée sur le sol français, elle n’est plus un théâtre, parmi d’autres, de la guerre antiterroriste. Ce serait un grave contresens de penser ainsi, elle est devenue une guerre civile entre une partie des Français, fût-elle infime, déterminée à faire la guerre à l’autre comme on vient de le voir. De cette spécificité française, il ressort en plus qu’elle est bien le fait de docteurs Jekill – padamalgame le jour, se transformant en redoutables messieurs Hyde – kalashnikov la nuit pour mitrailler une population que par ailleurs ils savent parfaitement stockholmisée. Stockholmisé est un terme oublié, mais ici parfaitement opportun, pour décrire toute victime obligée d’être la complice de son agresseur.
Cette stockholmisation de fait de populations devenues cibles est le fruit patiemment mûri, parfaitement inattendu et totalement prévisible, de l’imposition d’une pensée conforme au moyen d’un terrorisme intellectuel historique. Celui-ci vise entre autre à interdire toute discussion ou opinion dissonante sur le phénomène migratoire alors même que celui-ci conditionne totalement autant son avenir que celui de l’Europe. L’interdit inviolable est par ailleurs porté par une bourgeoisie trotskisante qui assure son monopole sur la pensée au moyen des tribunaux d’inquisition que sont devenus les médias qui excommunient, comme ça se passait dans les procès de Moscou pendant les années 1930.
Cet outil quasi-parfait d’imposition d’une pensée conforme est naturellement devenu le premier carburant de la guerre civile qui s’annonce en ce qu’il entretient un déni de réalité persistant. C’est pourquoi la situation ne manquera pas d’évoluer comme suit.
La peur, inéluctablement engendrée par des attentats qui se répètent sans que l’État ne montre de capacité à les juguler, poussera à la radicalisation de populations pourtant naturellement pacifiques et dites issues de l’émigration par la doxa. C’est en effet là que joue le mécanisme mortifère de la pensée conforme. La peur est en effet engendrée par une perception totalement partagée qui veut que ce soit dans ces populations que se recrute l’essentiel des tueurs potentiels. Or non seulement la pensée conforme interdit une telle perception mais elle exige de surcroît que les bienfaits et la protection de la République s’étendent à tous ses enfants, et plus particulièrement à ses apprentis terroristes. Les futures victimes n’ayant pas le droit de se sentir menacées, ni à fortiori de prendre les mesures élémentaires qui partout ailleurs s’imposeraient, il ne peut qu’en résulter une situation schizophrénique, porteuse de tous les possibles.
Ainsi sont encouragés les terroristes potentiels, par ailleurs de mieux en mieux formés par des stages en Syrie, afin d’y cultiver l’art de la terreur, et sans que les services idoines, pourtant dotés de moyens réputés exceptionnels, ne puissent ou ne veuillent sur ordre y faire grand-chose.
On sait donc les prochaines étapes de cette guerre.
Les attentats en série sont appelés à se renouveler mais à un rythme et avec une ampleur à chaque fois accrue, presque mathématiquement prévisible, laissant augurer le pire. Le conflit s’étendra alors à l’ensemble du territoire pour rapidement faire apparaître les limites du système sécuritaire. De là croîtront alors les zones de non droit qui seront autant de sanctuaires, pendant que le reste se bunkerisera dans une situation à l’israélienne. Tout cela survient évidement en des temps où l’économie est plus vacillante que jamais et où les vagues migrantes, soutenues autant par les voix officielles que médiatiques, viennent d’atteindre le nord de Paris.
Situation explosive s’il en est, nul n’aurait imaginé un piège aussi parfait.
Quelles réactions pour la population hors de la paranoïa véhiculée par les médias ?
– L’élite tout d’abord, puisque toute société est organisée par ceux qui en profitent le plus : l’histoire enseigne que les élites généralement trahissent en situation périlleuse, faisant primer leurs intérêts immédiats sur ceux de la communauté. Ainsi, au soir de sa défaite de Kosovo Polje, l’aristocratie serbe se convertit-elle à l’islam. Des siècles plus tard, les conséquences n’en sont pas encore résorbées. Ainsi la bourgeoisie versaillaise exigea-t-elle de composer avec le Prussien en échange qu’il la laisse exterminer la Commune. Les traces douloureuses en sont encore parfaitement perceptibles dans l’inexistant dialogue social à la française. Rien, au contraire, ne permet d’envisager une autre attitude pour l’élite française : elle composera avec l’ennemi !
– Le peuple ensuite, puisqu’il fait bien le bonheur de l’élite en étant tel [soumis, NdT] : les circonstances veulent que les attentats de Paris précèdent de quelques semaines des élections d’ampleur nationales. Il n’est pas de meilleure façon de pouvoir ainsi procéder à un état réel de l’opinion, que nul autre moyen, médias ou politiciens, n’est capable d’opérer. Or dans l’épreuve, on sait les peuples déboussolés tentés par la voie pétainiste, autrement dit par l’illusoire sécurité de l’illusoire homme providentiel. Ramené à la question du moment, ceci reviendrait à ce que ces élections renouvellent la confiance dans ces politiciens qui depuis toujours démontrent leur incapacité à résoudre les problèmes. Auquel cas, si une telle hypothèse se confirme, elle sera alors porteuse d’une autre guerre civile s’imbriquant à la première, celle qui opposerait alors les Français entre eux sur la politique à suivre. Ceci correspondrait alors à un très mauvais remake de la période 1942-1944, à la différence notable qu’il n’y a nul salut à attendre d’une quelconque armée US, et encore moins russe.
Cette fois, les Français devront bien se démerder débrouiller seuls.
Enfin, de façon à ne pas rester sur une note trop noire, on ajoutera que malgré les trahisons, le confort des élites ne sera pas assuré pour autant, laissant ainsi la possibilité qu’émergent les voies d’une autre issue possible. Or, sur un plan théorique, elles sont parfaitement connues. La guerre civile étant une guerre comme les autres, à savoir un transfert accéléré de pouvoir et de richesse, s’impose alors la stratégie qui vise à remonter jusqu’à la source du mal pour l’éradiquer. Progressivement ensuite, il s’agira d’asphyxier ce qui l’entretient : les revenus, les soutiens, les appuis… Ceci correspond au processus exactement inverse de celui suivi par la guerre conventionnelle, lequel revient – du fait d’un évident manque d’imagination – à s’épuiser contre la chair à canon de l’adversaire. (En clair, poursuivre les terroristes à défaut d’éliminer ce qui les nourrit ne résoudra pas la question.)
Gageons alors que les habituelles préventions, qui actuellement l’empêchent, seront alors tombées. Un autre élément de cette stratégie sera de faire émerger des chefs, tant il est parfaitement clair que c’est bien le leadership à la française, produit disons-le d’une vaste médiocrité, qui est en grande partie responsable de la situation actuelle.
Il fut en effet un temps où la France était encore la France. On a pu y voir un chef de l’État ne pas se soumettre à l’adversité, même quand on lui tirait dessus à la Sten, ce pistolet mitrailleur rustique dont le SOE britannique a équipé la résistance. À l’évidence il aurait considéré comme une insulte qu’on lui proposât de l’exfiltrer.
Décidément, les temps ont bien changé.
Lee Trusk est analyste en stratégie et prospective. Après une carrière dans la Défense, au contact de l’armement, des opérations, du renseignement et de la pratique stratégique, il a exercé une activité de consultant indépendant dans les domaines de la prospective et de la stratégie, mais telle qu’elle doit se pratiquer, ainsi qu’une participation à diverses lettres d’information. Il rédige actuellement une thèse sur les conflits actuels et à venir.