Qu’il y a-t-il réellement derrière le problème belge ?


Par Jean-Marc Lippert − Octobre 2017

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Les chiffres macroéconomiques ayant été corrigés dans l’article du Saker francophone, je ne reviendrai pas dessus, sinon sur la population musulmane de Bruxelles qui s’élève plutôt à 23%-24% à Bruxelles (source : Wikipédia). La tension est à la fois plus forte qu’annoncée, et moins tendue qu’on pourrait s’y attendre sur le terrain, notamment parce qu’il y a un phénomène de ghettoïsation et de gentrification spontanée entre les différents quartiers de Bruxelles, entre autres parce que la stratification ethnico-religieuse correspond à la stratification sociale bien que cela évolue progressivement (mais lentement : le Belge est conservateur, népotiste et un poil « raciste » comme ses voisins).

Note du Saker Francophone

Après la publication d'un article d'Andrew Korybko sur le séparatisme en Belgique, nous vous proposons un article envoyé par un lecteur qui nuance les propos du géopoliticien russe.

Kosovo – Uti Possidetis Bruxelles et la Flandre.

L’enjeu posé par la Flandre est capital à de nombreux égards juridiques que nous allons passer en revue :

1. Le principe de reconnaissance dans le processus de création d’un État en droit international :

Il est courant de dire qu’un État, afin de pouvoir se prétendre comme tel aux yeux de ses pairs doit présenter trois caractéristiques dont il a la maîtrise :

  1. Un territoire.
  2. Une population.
  3. La faculté objective de faire appliquer le droit international à la population de ce territoire.

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Mais lorsqu’un État éclate et que certaines régions se déclarent comme nouvelle entité de droit international, s’il y a guerre civile, concrètement, comment ça se passe ?

Concrètement ce sont les reconnaissances officielles par la diplomatie internationale, l’envoi d’un ambassadeur qui traitera avec l’administration reconnue, et une adhésion aux Nations Unies doublés d’une capacité à protéger militairement son territoire de ses nouveaux voisins et anciens compatriotes, qui sera déterminante. Sans oublier qu’une guerre civile dont les parties peuvent être soutenues par des puissances étrangères peut faire durer la partition, et en cas de cessez-le feu, comment trouver un accord sur la partition territoriale, voire sur la partition tout court (je pense à l’Espagne et la Catalogne qui illustrent par leur actualité parfaitement le problème) ?

Le cas du Kosovo fut donc déterminant comme premier « bêta test », et on comprendra, vu le passé, et vu les dissensions par exemple entre les blocs russes et OTAN autour du Kosovo, de la Transnistrie, de la Crimée etc., que les États intéressés par le processus de reconnaissance monnaieront cette dernière à prix d’or. Ex : on ne défie pas l’Espagne en reconnaissant une de ses régions sécessionnistes impunément. Il suffit de voir à quelle vitesse le ton est monté à l’encontre de la France presque instantanément.

Sauf que si les frontières administratives de la Catalogne ne font pas vraiment débat en Espagne, les frontières administratives belges sont beaucoup plus compliquées :

2. Uti possidetis : quelles frontières administratives choisir pour partitionner ?

En effet, les mouvements indépendantistes flamands considèrent par tradition historique que Bruxelles est partie intégrante de la Flandre et que si sécession il doit y avoir, c’est la frontière linguistique qui doit être reconnue comme frontière administrative (ce qu’elle est : uti possidetis − formation d’un nouvel État à partir de son ancienne partition administrative interne − possible), tandis que Bruxelles et certains Wallons estiment pour leur part que ce sont les frontières régionales qui devront être respectées et que Bruxelles formera en conséquence un troisième État résiduaire, les autres Wallons estiment que Bruxelles, francophone majoritairement, devra devenir partie de la Belgique résiduelle.

Pourquoi cette empoignade autour de Bruxelles ? Car Bruxelles représente 20% du PIB Belge tout en ne représentant qu’un douzième de sa population. Les conséquences fiscales sont assez déterminantes pour tout nouvel État qui prendrait position sur sa souveraineté sur une telle région.

Un referendum ne changerait donc pas grand chose juridiquement car en fonction de la zone géographique concernée (avec ou sans Bruxelles), quelle que soit celle choisie, il y aura nécessairement contestation de son organisation et de sa portée soit par un camp soit par l’autre. La communauté internationale sera forcée à un moment ou un autre de prendre position.

Par ailleurs il se pourrait que les autorités de l’UE voient d’un bon œil une création de leur « Wahington DC » inviolable et mettent leur grain de sel dans la problématique.

3. Protocole additionnel n°2 sur les minorités à la Convention européenne sur les droits de l’homme.

L’autre donnée qu’il faut bien comprendre c’est que si la Flandre entend prendre en main son destin seule, c’est entre autres pour se protéger de la francisation de son territoire : en effet depuis la création de la Belgique, la langue française gagne du terrain et l’imbroglio administratif-judiciaire dans la zone géographique entourant Bruxelles (Bruxelles-Hal-Vilvorde) n’en est qu’une des multiples illustrations.

À cet effet sa stratégie a deux versants, faces d’une même pièce :

– 1.a Conditionner l’octroi ou l’acquisition d’une propriété immobilière, ou du droit de se domicilier sur leur territoire, à l’apport de la preuve de la maîtrise de la langue néerlandaise ou par le suivi avec succès d’un « parcours d’intégration » destiné à vous l’apprendre.

– 1.b Combattre autant que possible tous les droits octroyés aux francophones sur le territoire flamand, et notamment limiter les « facilités » octroyées dans les « communes à facilités », en périphérie de Bruxelles, à 95% francophones, qui consistent à pouvoir traiter en français avec leur administration communale et à  pouvoir suivre la procédure électorale et recevoir leurs convocations à ces dernières aussi en français. Et on mure des salles de conseils communaux pour ça en opérations commandos nocturnes pour empêcher que des conseils ne soient tenus en français dans les communes à facilités, il faut le savoir : on en est là depuis presque toujours.

– 2. Refuser, grâce à leur majorité parlementaire au niveau belge, de faire signer par la Belgique le protocole additionnel n°2 relatif à la protection des minorités linguistiques et ethniques, qui interdit expressément ce que la Flandre déploie comme stratégie décrite ci-dessus afin de préserver son homogénéité linguistique et culturelle.

Or si la Flandre devait faire sécession, en tant que nouvel État, et non en tant que Belgique résiduelle, celle-ci devrait faire une demande d’adhésion à l’UE qui ne manquera pas de conditionner cette dernière à la signature dudit protocole additionnel, ce qui anéantirait toutes leurs espérances en matière d’homogénéité culturelle, ethnique et linguistique sur leur territoire.

En conséquence, le véritable test vis-à-vis de l’UE, pour savoir si vraiment elle est derrière ce mouvement implosif des États-nations qui constituent ses membres, c’est si le mot est glissé à la Flandre qu’elle pourra, pendant une (très longue) période transitoire, ne pas signer le protocole en échange par exemple, de l’abandon de Bruxelles à l’UE contre le maintien de sa surreprésentation dans sa participation actuelle dans le gouvernement bruxellois, et de pouvoir taxer le revenu sur base du domicile et non du lieu de travail (Bruxelles accueille 600 000 navetteurs par jour dans ses entreprises et administrations). Là on sera certain que l’UE voit d’un très bon œil le processus de balkanisation cher aux héritiers de Cecil Rhodes 1.

Il s’agit donc d’un billard à 10 bandes en n’oubliant pas que, parlant du terrorisme international et du djihadisme, c’est la CIA et le MI-6 qui trouvaient très commode d’avoir leurs actifs à portée de main en échange d’une trêve permanente qui a été rompue par le gouvernement Michel pour impressionner les Français en jouant stupidement des muscles, ce qui nous a valu les attentats de Zaventem et de Maelbeek dans lequel j’ai failli me trouver à 60 secondes près.

Le faisceau d’intérêts entourant la problématique du régionalisme flamand ressemble donc plus à un mikado géant qu’à un paradigme post-national mondialiste mis en concurrence avec le national-souverainisme. Ça l’est aussi, mais c’est loin d’être le seul.

Vous noterez que ce sont les Espagnols et les Italiens, les régionalismes les moins compliqués et les plus vieux, qui sont traités les premiers. Moi j’y vois un signe. La Belgique sera vraisemblablement la dernière si mon analyse est la bonne.

En espérant vous avoir éclairés sur les enjeux réels du problème belge.

Bien cordialement.

Jean-Marc Lippert

« La suite des idées » www.facebook.com/changetonmonde1982 Juriste – avocat au Barreau de Bruxelles

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  1. Voir le discours tenu par le Président William J IIIrd Clinton lors de la réception du prix Charlemagne qui lui a été attribué.
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