Poutine inaugure le nouvel échiquier géopolitique


Par Tom Luongo – Le 25 février 2022 – Source Gold Goats’N Guns

Jusqu’au 23 février 2022, les pays puissants du monde ont joué un jeu très rare. Trop de gens essaient d’analyser la géopolitique comme s’il s’agissait d’une partie d’échecs. Mouvement, contre-mouvement. Pousser un pion ? Menacer un cavalier, ce genre de choses. C’est facile à comprendre et ça fait une bonne copie.

Dans le passé, j’ai essayé de comparer le jeu à une version multi-joueurs du jeu de Go, avec quatre à six pierres de couleurs différentes sur le plateau pour essayer de prendre des territoires. C’était une meilleure métaphore mais presque impossible à décrire de manière adéquate. En fait, par moments, c’était épuisant.

La réalité est qu’aucune de ces métaphores n’est explicative.

Parce que le seul modèle exact de la géopolitique est en fait le Calvinball.

Vous connaissez ce jeu. C’est celui de Calvin & Hobbes.

Contrairement à votre souvenir de la légendaire bande dessinée, il y avait des règles au Calvinball qui fonctionnaient comme suit : Calvin devait inventer les règles au fur et à mesure.

En géopolitique, c’est plutôt le joueur le plus fort qui a ce pouvoir.

Et voilà que jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie (et oui, c’est une invasion, qu’elle soit justifiée ou non), il existait ce qu’on appelle « l’ordre fondé sur des règles » , promu principalement par les États-Unis, mais aussi soutenu directement par l’Union européenne et le Commonwealth.

Les règles de cet « ordre fondé sur des règles » étaient simples. Nous établissons les règles, vous les suivez. Nous nous réservons le droit de changer les règles quand nous le voulons pour les adapter à nos besoins.

C’était l’équivalent géopolitique de l’idée d’« anarcho-tyrannie » de Sam Francis, qui se résume à « des règles pour toi, mais pas pour moi » .

Nous avons entendu les diplomates russes se plaindre de cela pendant des années. Pourquoi avoir ces règles si elles ne sont jamais appliquées ?

Comme je le souligne tout le temps lorsque je parle de la pureté des idéologues gauchistes qui courent à l’autodestruction, nous avons ces règles parce que seule l’hypocrisie des autres compte. Les sous-hommes ne sont pas autorisés à parler ou même à faire partie de la conversation.

Et dans le monde de la diplomatie tel qu’il est pratiqué collectivement par l’Occident, les Russes sont définitivement des sous-hommes, tout comme les non-vaccinés et maintenant toute personne à la droite immédiate de Karl Marx et qui n’est pas un furry.

Tout cela a changé lorsque les chars russes ont franchi la frontière, que des missiles ont frappé des batteries anti-aériennes et d’artillerie, et que des marines ont débarqué en Ukraine.

Pendant des mois, nous avons eu droit au fac-similé de diplomatie le plus stupide et le plus exaspérant que j’aie jamais vu. Les signaux de vertu nauséabonds des « diplomates » américains qui refusaient d’aborder les préoccupations de la Russie ne serait-ce que de manière à peine sérieuse, tout en la rendant responsable de tous les problèmes de la planète, étaient incroyables.

C’était aussi maladroit que stupide, pour citer Dark Vador.

Il était clair que Poutine et son équipe disposeraient de l’option ultime : envahir l’Ukraine et affronter l’opprobre mondial ou s’agenouiller devant Zod.

Ils ont fait une erreur de calcul en pensant que la Russie se souciait réellement de cet opprobre mondial à ce stade. Par leurs actions en Ukraine cette semaine, il était clair que ce n’était pas le cas.

Ils n’ont pas eu peur de la posture de l’OTAN, des menaces de sanctions de Biden ou des difficultés de Liz Truss avec la géographie de base. Plus l’impasse sur l’Ukraine se prolongeait, plus il était évident que la plupart des personnes occupant des postes de pouvoir et leur personnel subordonné n’avaient aucune compréhension des paramètres dont ils devaient tenir compte pour travailler.

C’est pourquoi leur invocation constante de « l’ordre fondé sur des règles » sonnait de plus en plus creux, car ils se comportaient simplement comme un enfant précoce de six ans jouant avec son tigre en peluche.

Poutine et son équipe ont ignoré, à juste titre, les annonces de conséquences, les « sanctions infernales » et la menace qu’on allait retenir notre souffle jusqu’à ce que nous nous évanouissions.

Pendant des décennies, l’OTAN s’est offert le luxe, grâce à la primauté militaire des États-Unis, d’établir les règles et de forcer tous les autres à y réagir.

Cela remonte à la déclaration, très probablement faite par le vice-président de l’époque, Dick Cheney, sur la « communauté basée sur la réalité » .

Le monde ne fonctionne vraiment plus comme ça… Nous sommes un empire maintenant, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité – de manière judicieuse, à votre guise – nous agirons à nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pourrez également étudier, et c’est comme ça que ça va se dérouler. Nous sommes les acteurs de l’histoire… et vous, vous tous, vous n’aurez plus qu’à étudier ce que nous faisons’.

Ce qui est clair pour moi, c’est que ceux qui sont placés en position de pouvoir par Klaus Schwab et le reste de la bande du Davos pensent toujours que nous vivons dans ce type de monde. Que peu importe ce que les gens veulent ou ce dont les autres pays ont besoin, ils dicteront le moment, le lieu et les paramètres de toutes les confrontations.

Cependant, plus cela durait, plus il était clair que Poutine et son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, se rapprochaient de ce moment où ils changeraient les règles. J’ai écrit en mars 2018 que le discours de Poutine sur l’état de l’Union, dans lequel il a dévoilé de nouveaux systèmes d’armement, était un tournant majeur.

Au cours des quatre années suivantes, nous avons assisté à une escalade constante de la folie néoconservatrice dans une tentative vaine de pousser les systèmes de missiles américains plus près de Moscou, en violation de tous les accords internationaux signés, des résolutions de l’ONU sur les républiques séparatistes d’Ukraine et, franchement, de la décence commune.

Après une année 2021 où la situation en Ukraine n’a cessé de s’envenimer, Poutine et Lavrov, après avoir fait reculer Biden au cours de l’été avec le sommet du 16 juin, savaient que le moment était venu de changer les règles du jeu.

S’ils ne le faisaient pas, la Russie cesserait d’exister.

L’ancien jeu a amorcé sa conclusion lorsque la Russie a envoyé et publié publiquement ses propositions pour une nouvelle architecture de sécurité concernant les relations entre la Russie et l’OTAN en Europe orientale.

La Russie a agi, donnant le tempo opérationnel à partir de ce moment-là. Elle a contraint les États-Unis et l’Europe à réagir, car elle a créé une nouvelle réalité et fixé de nouvelles règles.

Les États-Unis étaient désormais ceux qui se faisaient dicter les règles plutôt que ceux qui les établissaient. On le voyait parce que cela a provoqué de nombreuses vagues de déplacements à Moscou de la part d’officiels de tout l’Occident qui ont essayé de dissuader les Russes de jouer à leur nouveau jeu.

En vain.

Comme l’a souligné The Saker dans ses premières réflexions sur la reconnaissance par la Russie des républiques séparatistes du Donbass, cette opération en Ukraine était planifiée de longue date. Ce n’est pas une action qui a été prise à la légère.

Je répète ici ce que j’ai écrit plus haut : cette reconnaissance ne doit PAS, je le répète, ne doit PAS être considérée isolément. Ce n’est qu’UNE PHASE dans un processus qui a commencé il y a au moins un an, voire plus, et on s’attend à beaucoup de choses.

Jamais on n’a dit plus vrai.

Pendant des mois, je vous ai dit que Nord Stream 2 finirait par être mis en service et que la Russie ne serait pas expulsée du réseau de télécommunications SWIFT, quoi qu’il arrive.

Le premier point est toujours d’actualité, car c’est l’Allemagne qui a le plus insisté pour ne pas faire le second.

Même moi, je n’ai pas vu que la Russie prévoyait de changer la donne de manière aussi radicale, pensant qu’il y avait toujours une solution approuvée par le Davos qui n’impliquait pas un recours massif à l’armée russe, mais qui se terminait quand même par l’humiliation des États-Unis.

Rétrospectivement, il était évident que nous nous dirigions toujours vers cette fin de partie parce que la Russie a vu l’opportunité de changer les règles.

Moins d’un jour après que la Russie a anéanti la puissance militaire et l’architecture politique de l’Ukraine, le président a confirmé que toutes les menaces de l’Occident étaient aussi vides que les têtes des Millennials qui dirigent le bureau de la propagande au Département d’État.

Après des mois de menaces d’expulsion de la Russie du système de messagerie financière SWIFT, l’Europe s’est plainte et quelqu’un a finalement fait preuve de bon sens.

Exclure la Russie de SWIFT signifierait la fin de l’UE telle qu’on l’a connue ou telle qu’on souhaite qu’elle soit à l’avenir. Cela signifierait la fin du système des pétrodollars.

La Russie a une importance systémique trop grande pour le commerce mondial des matières premières qui va bien au-delà de l’énergie. Elle fournit non seulement le baril marginal de pétrole 1 et le BTU de gaz naturel, mais aussi la livre de nickel, de palladium, de titane, d’uranium enrichi et de tungstène. C’est un fournisseur majeur d’engrais à base de nitrate d’ammonium, de potasse et d’urée.

Faites cela et l’Europe non seulement meurt de froid avec ses trois jours de réserves de gaz mais meurt aussi de faim une fois que l’approvisionnement alimentaire mondial sera perturbé. Faites cela et Biden abordera les élections de mi-mandat avec une essence à 8 dollars le gallon et une inflation réelle de 20 %.

Le relèvement des taux par la Fed sera le dernier de nos soucis.

La Russie avait toutes les cartes en main dans les négociations sur l’Ukraine et nous avons imprudemment poursuivi une politique d’insultes et de propagande amateur, refusant de croire que la Russie ne jouerait pas sa dernière carte.

En déployant des troupes au sol, des avions dans les airs et des missiles au cul de toutes les installations militaires ukrainiennes à travers le pays, la Russie a renversé l’argument de la « force qui fait le droit » des États-Unis et de l’Europe.

Le jeu a changé parce que les règles ont changé. Il ne s’agit plus d’un jeu de prouesses rhétoriques et de signaux de vertu.

La realpolitik n’a plus aucune importance lorsque les missiles sont dans les airs. C’est le point qui a échappé à tant de commentateurs professionnels au cours des derniers mois. Ils n’ont jamais envisagé l’idée que quelqu’un puisse faire cela, et encore moins qu’il le fasse.

Ils sont maintenant confus et en colère, et ils tentent de surmonter leur déni en public. C’en serait presque hilarant, si ce n’était pas aussi pathétique.

Pendant près d’une décennie, l’Occident a versé des milliards à l’Ukraine pour l’armer et la préparer à cette semaine. Ces milliards ont été pratiquement anéantis en quelques heures. Il n’a fallu qu’une journée pour que toutes les déclarations de l’OTAN ne soient rien d’autre que des déclarations.

Nous devons maintenant nous faire à ce nouveau jeu. C’est un jeu dont les règles seront beaucoup plus équitables parce que les alternatives impensables ne sont plus théoriques, elles sont réelles.

Elles sont réelles parce que les menaces que les visées de l’OTAN sur l’Ukraine font peser sur la Russie ont toujours été réelles, quoi qu’on en dise.

Biden et le Davos ont donc obtenu la guerre en Ukraine qu’ils réclamaient à la Russie. Le problème pour eux maintenant est que la Russie ne joue plus leur jeu et qu’ils ne sont absolument pas préparés au prochain.

Tom Luongo

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

  1. En cas d’augmentation de la demande de pétrole, la Russie, en tant que principal producteur de pétrole à fort coût d’exploitation en provenance de l’Arctique, peut décider du prix du baril de pétrole au niveau mondial
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