Avigail Abarbanel est une psychologue d’origine israélienne qui est sortie du culte sioniste, comme elle le nomme elle-même, et, dans une lettre à ses anciens compatriotes, tente de leur expliquer son point de vue d’ancien membre du culte.
Par Avigail Abarbanel – Le 8 octobre 2016 – Source Mondoweiss
Cher Israël et chers juifs israéliens,
Il est probable que vous écrire soit inutile et, d’ailleurs, je n’attends pas de réponse de votre part. J’écris par une sorte de sens du devoir. Après tout, je viens de chez vous alors, peut être, quelques uns pourraient m’écouter, être curieux, prendre un risque et examiner ce qui vous est impensable.
Je suis partie depuis ce qui me semble être une éternité, vingt-cinq ans. Je ne pense pas que vous ayez beaucoup changé depuis, sauf peut-être pour le pire. Les psychologies comme la vôtre ont la mauvaise habitude de s’aggraver si elles ne sont pas soignées. Je me souviens toujours de vous comme de gens durs, sur la défensive, chauds du collier et prêts à exploser à chaque occasion, bruyants et impitoyables. Vous aviez des moments de calme et peut-être même de bonté, mais ils étaient réservés à ceux qui vivaient dans des endroits plus verts et agréables, et qui avaient plus d’argent que nous n’en avions.
J’ai grandi à Bat-Yam et c’était terrible là bas. Un amas dense de béton, bruyant et immense ; des blocs résidentiels faits d’appartements aux murs très fins, à perte de vue, séparés par des routes bitumées. Ce n’est pas l’image que vous aimez montrer au reste du monde, et cela ne correspond pas à ce que le reste du monde pense de vous. J’ai grandi rue Hashikma. Quelle cruelle plaisanterie c’était, nommer ce monstrueux dessert de béton, Hashikma… Le sycomore. Il n’y avait aucun arbre là bas. Dans mon enfance, je n’avais aucune idée de ce que pouvait être un sycomore. Quel que soient les gens qui ont fait cela, pensaient-ils qu’en nommant la rue «sycomore», cela allait rendre les choses plus faciles pour ceux qui y habitaient ? Pensaient-ils pouvoir nous tromper et nous faire penser que c’était plus idyllique que cela ne l’était en réalité ? Cela ne faisait que provoquer embêtements et tourments. Le nom de ma rue me faisait penser à quelque chose auquel je n’avais pas accès et que je ne pensais pas pouvoir atteindre.
Cette dichotomie entre le nom de l’endroit et sa réalité est un symbole de votre existence. Là bas, on ne diffère pas beaucoup des autres quartiers populaires du monde entier, mais on m’a toujours dit que nous étions différents des autres. Nous étions spéciaux, nous étions meilleurs, nous étions plus moraux, plus éthiques et plus civilisés. Et ne me dites pas que vous ne l’avez pas dit. J’en m’en souviens parfaitement ! J’étais très attentive à l’école.
Mais dans mon esprit d’enfant, je ressentais qu’en fait nous n’étions pas si spéciaux que cela. Je pense que beaucoup d’enfants ayant souffert d’avoir été abusés dans leur propre famille, aux mains de leur propre peuple, doutent de leur groupe. Si vous m’aviez plus protégée, peut-être serais-je toujours parmi vous. Mais vous ne pouviez pas me protéger, ni les autres enfants, précisément parce que vous n’êtes pas ce que vous dites, un peuple plus éveillé et plus éthique. Vous n’êtes qu’un groupe d’humains avec des dons et des faiblesses, et plein de lâchetés, comme tout autre groupe. Vous ne différez pas des autres sociétés humaines qui permettent et cachent des crimes contre leurs propres enfants et qui faillissent à la protection des plus vulnérables d’entre eux.
Quelques années après vous avoir quitté, j’ai petit à petit réalisé que j’étais semblable à tous ceux qui suivent un culte. Cela a été un choc pour moi mais, en regardant en arrière, je me demande comment je ne l’avais pas réalisé plus tôt. Bien sûr, les gens pris dans un culte voient rarement où ils en sont. S’ils le pouvaient, les cultes ne seraient pas ce qu’ils sont. Ils pensent être les membres d’un groupe spécial, ayant un destin spécial, et toujours sous une menace. La survie du culte étant toujours le principe le plus important. On enseigne aux membres d’un culte, depuis leur naissance, que le monde extérieur est dangereux, qu’ils doivent se regrouper pour leur sécurité.
À ce moment de la discussion, vous allez sûrement me dire que, culte ou pas culte, tout cela est totalement justifié. Aurais-je oublié l’Holocauste ? Bien sûr que non. La persécution du peuple juif a travers l’Histoire est bien une réalité. Quelle que soit l’identité juive, les juifs étaient un groupe haï et rejeté parmi les autres cultures européennes et les Juifs ont toujours eu une coexistence difficile avec les non-juifs. Tout groupe marginalisé ou persécuté entretient une relation difficile avec la culture dominante. Une fois que vous avez été discriminé, il est difficile de faire confiance.
Mais deux choses importantes me gênent à votre sujet. D’abord, cette histoire de persécution est tellement rattachée à votre identité que vous ne pouvez pas voir au delà. Vous semblez tous être totalement pris dedans, sauf une très petite minorité qui peut voir le sionisme pour ce qu’il est. Quiconque ayant subi un traumatisme tend à se sentir différent et séparé. La psychologie humaine veut qu’une fois que vous avez été abusé, vous vous sentiez différent des autres. Mais toute personne ayant été abusée et traumatisée se doit de guérir et de ne pas permettre à la peur et au sentiment de victimisation de devenir son identité. Ceux comme nous qui avons été traumatisés et abusés ont ce devoir, car s’ils ne guérissent pas, alors nous nous faisons du mal à nous-mêmes et aux autres. C’est là où vous en êtes et c’est ce que vous faites. Vous n’avez pas seulement permis au traumatisme de devenir votre identité intime, vous l’avez glorifié et vous le vénérez comme un dieu.
Le deuxième et plus important sujet qui m’ennuie est le crime que vous avez commis et que vous continuez de commettre au nom de «notre» survie. Vous vouliez une solution à la persécution de votre groupe et c’est justement là que réside le problème. Vous avez décidé de créer un ghetto que vous pensiez comme un havre de paix, alors que la terre était déjà bien occupée. Vous êtes venus et vous l’avez prise, avez perpétué un nettoyage ethnique et vous continuez encore à le faire. Je sais que vous n’aurez pas considéré votre mission comme accomplie avant que vous n’ayez toute la terre, sans son peuple.
Vous êtes le produit d’une colonie de peuplement, un État créé par le déplacement et l’élimination du peuple qui vivait sur cette terre avant vous. La relation que vous entretenez avec vos victimes, les Palestiniens, a toutes les caractéristiques d’une relation entre des colons et ceux qu’ils souhaitent éliminer de leur existence. Les colons ne font pas que retirer un peuple de sa terre, ils effacent leurs endroits historiques, leur monuments, les preuves de leur histoire, matérielles et orales, toute trace de leur existence… S’il n’y a plus de victimes, il n’y a plus de crimes. Si le territoire est nettoyé de toute trace culturelle du peuple qui vivait ici, il devient libre d’être occupé par un nouveau peuple.
Je sais ce que c’est que d’être aveugle au fait d’être un colon, d’être un peuple qui commet un crime terrible. Vous ne pouvez pas vous voir comme les «méchants» ici. Vous êtes tellement enfoncés dans votre propre mythe, que vous avez toujours été et serez toujours la victime la plus tragique de l’Histoire de l’humanité. J’étais quelqu’un comme vous, à l’époque, et je sais qu’il vous est pratiquement impossible de voir au-delà de votre raisonnement : «Nous voulons seulement retrouver nos terres ancestrales. Nous voulons seulement rester en paix entre nous. Qu’y-a-t-il de mal à cela ? Pourquoi est-ce que les autres ne nous laissent pas vivre en paix ?».
Il y a un puissant champ magnétique, une sorte de cage d’acier en vous, qui protège vos croyances de la vérité, de la réalité. Vous ne niez pas être «revenus» et vous être installés sur cette terre, vous ne pouvez tout simplement pas envisager ce que cela veut dire. Alors laissez-moi-vous le dire encore une fois. Quand un groupe de gens arrive sur un territoire (quelle qu’en soit la raison), élimine le peuple indigène et accapare ses terres et ses ressources, cela s’appelle de la colonisation. La colonisation de peuplement est immorale, un crime contre l’humanité. Les victimes ne s’en vont pas toujours silencieusement dans la nuit, alors les crimes doivent continuer à être commis, jusqu’à ce que la résistance des victimes soit écrasée et qu’ils disparaissent de la vue et de la mémoire. Il n’y a rien d’original ni de spécial dans ce que vous êtes, ni dans ce que vous faites. Vous êtes comme tous les colons avant vous. Même votre capacité à l’auto-illusion ou à illusionner les autres n’a rien de spécial. Cela a déjà été fait avant. Vous n’avez vraiment rien de spécial, du tout.
Admettons que vous soyez «rentrés à la maison», comme votre mythe le dit, que la Palestine ait été votre terre ancestrale. Mais la Palestine était déjà totalement occupée quand vous avez commencé à lorgner dessus. Pour la prendre, vous avez suivi à la lettre l’ordre biblique donné à Joshua de pénétrer et de tout prendre. Vous avez tué, vous avez expulsé, violé, volé, brûlé et tout détruit, et vous avez remplacé la population par votre propre peuple. On m’a toujours appris que le mouvement sioniste était essentiellement non religieux (comment pouvoir être juif sans religion juive me rend perplexe). Pour un mouvement soi-disant non religieux, c’est extraordinaire comment le sionisme – votre créateur et votre identité – a suivi la Bible de près. Bien sûr, vous n’osez jamais critiquer les histoires bibliques, même les plus laïcs d’entre vous. Aucun des bons professeurs de mon école laïque n’a jamais suggéré de mettre en question la moralité de ce que Joshua avait fait. Si nous étions capables de remettre cela en question, l’étape logique suivante serait de remettre en question le sionisme, ses crimes, et la droiture de notre existence dans notre État. Non, nous n’étions pas autorisés à aller si loin. Cela aurait fragilisé la structure déjà fragile qui nous maintient.
Donc, comme dans tout culte ayant déjà existé et ceux qui, sans aucun doute, continueront d’être créés, vous vivez dans un aveuglement auto-imposé. Vous créez et recréez une image de la réalité remplie de trous, mais vous vous sentez très bien comme cela. La possibilité de remplir ces trous vous met face à vos terreurs mortelles, votre peur morbide de l’anéantissement. Et vous ne pouvez pas le supporter. Je sais ce que l’anéantissement veut dire pour vous. Cela ne veut pas dire seulement être tué. L’anéantissement veut dire que le peuple juif, la judaïté elle-même, n’existerait plus. Pour vous, «assimilation» veut dire aussi anéantissement. Ils nous ont appris cela à l’école. On nous a enseigné que l’assimilation était à rejeter, de la lâcheté, de la trahison de notre peuple. Si des juifs se marient avec des non-juifs dans leurs pays et quand toute trace de judaïté, quelle qu’elle soit, se dilue, vous vous inquiétez. Vous pensez que c’est la fin. Parce qu’il n’y a pas d’individus, seulement le groupe, et quand le groupe va bien alors les individus vont bien. Vous prenez alors toute menace contre le groupe comme une menace personnelle. C’est pourquoi vous criez à l’antisémitisme si rapidement et par réflexe, dès que vous percevez la moindre menace envers votre culte nationaliste.
J’ai abandonné le culte parce que je voulais découvrir qui j’étais vraiment. J’ai refusé que le seul objet de ma vie soit de défendre le culte et de lui permettre de continuer. C’est humain, c’est mammifère de laisser son identité être possédée par le groupe, mais cela ne fait pas une vie heureuse. Nous avons survécu en tant que mammifères, en partie parce nous avons vécu en groupe. Sans le groupe autour d’eux, nos ancêtres seraient probablement morts dans ce monde difficile où ils vivaient. Votre psychologie n’est rien de plus que la psychologie du temps des cavernes et cela ne concerne pas que vous. Mais nous sommes une espèce qui a la capacité de faire bien mieux. Dans le monde actuel, notre survie dépend de notre capacité à transcender nos instincts animaux. Nous pouvons développer et utiliser la partie morale et éthique de notre cerveau, cette partie qui nous permet conscience de soi et empathie, cette partie qui peut prendre la responsabilité de ses propres péchés et crimes et qui peut faire pénitence. Ce qui va nous sauver n’est plus de rester dans notre petit groupe mais de se rassembler en tant qu’une seule espèce, l’espèce humaine. Allez, abandonnez le culte et la mentalité de ghetto et rejoignez la race humaine, faites la bonne chose. Vous voulez vraiment être spécial, remplir une destinée spéciale ? Par tous les moyens ! Alors ouvrez le chemin à l’éveil en admettant, en vous repentant et en transformant votre identité en quelque chose de sain et de positif. Montrez ce qui peut se passer lorsqu’on n’est plus que de simples mammifères apeurés.
Je ne m’attends pas à ce que vous m’entendiez ou à ce que vous voyiez ce que vous ne pouvez pas voir. Vous êtes des experts en endoctrinement et êtes trop enfoncés dans votre vision de la réalité basée sur la peur. Vous me décevez beaucoup. C’est pourquoi je soutiens le BDS contre vous. Si vous ne voulez pas vous arrêter de vous même, quelqu’un doit le faire pour vous.
Avigail Abarbanel est née et a été élevée en Israël. Elle a déménagé pour l’Australie en 1991 et vit maintenant au nord de l’Écosse. Elle travaille comme psychothérapeute et milite pour les droits des Palestiniens. Elle a édité Au-delà des loyautés tribales : histoires personnelles des activistes juifs pour la paix (Beyond Tribal Loyalties : Personal Stories of Jewish Peace Activists, Cambridge Scholars Publishing).
Article original publié dans Mondoweiss
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.
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