Par Moon of Alabama – Le 8 janvier 2025
Hier, lors d’un événement médiatique, le président élu Donald Trump s’est livré à l’une de ses divagations habituelles (vidéo, transcription), sautant d’un sujet à l’autre sans aucun lien entre eux.
Il a surtout parlé de ses projets pour son prochain mandat. Il a promis d’alléger les impôts des riches, de supprimer les réglementations environnementales et d’augmenter la production de pétrole et de gaz.
Mais ce qui a retenu l’attention de la plupart des observateurs, ce sont ses idées en matière de politique étrangère.
Trump refuse d’attiser les conflits avec les « ennemis » les plus évidents : la Russie, la Chine et l’Iran. Au contraire, il détourne l’attention du public en proposant de nouvelles cibles : le Canada, le Groenland et le Panama.
Trump a déclaré qu’il comprenait la position de la Russie concernant l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Il semble donc avoir véritablement l’intention de mettre fin à ce conflit :
Nous allons devoir régler de gros problèmes qui se posent en ce moment. Nous allons devoir régler le problème de la Russie, de l’Ukraine – c’est un désastre. Je regarde les chiffres chaque semaine. … Nous devrons donc régler ce problème-là aussi. C’est un problème difficile, bien plus difficile qu’il ne l’aurait été avant qu’il ne commence, je peux vous le dire.
et :
Vous savez, une grande partie du problème réside dans le fait que la Russie, pendant de très nombreuses années, bien avant Poutine, a dit qu’il ne fallait pas que l’OTAN s’occupe de l’Ukraine. Aujourd’hui, elle le dit encore – c’est comme si c’était gravé dans la pierre. Et quelque part, Biden a dit non, l’Ukraine doit pouvoir rejoindre l’OTAN. Dans ce cas, la Russie a quelqu’un à sa porte et je peux comprendre leur sentiment à ce sujet.
Mais de nombreuses erreurs ont été commises au cours de ces négociations. Et lorsque j’ai entendu la façon dont Biden négociait, je me suis que vous alliez vous retrouver embarquer dans une guerre et il s’est avéré que c’était une très mauvaise guerre. Et cela pourrait encore dégénérer ; cette guerre pourrait dégénérer et être bien pire qu’elle ne l’est aujourd’hui.
À mon avis, cela a toujours été compris. En fait, je crois qu’ils avaient un accord et que Biden l’a rompu. Ils avaient un accord qui aurait été satisfaisant pour l’Ukraine et pour tout le monde. Mais Biden a dit : « Non, vous devez pouvoir adhérer à l’OTAN ».
Il poursuit en faisant pression sur les pays de l’OTAN pour qu’ils versent plus d’argent à l’industrie américaine de l’armement. Mais on n’a pas l’impression qu’il veuille conclure un accord – plus d’argent en échange de la poursuite de la guerre en Ukraine. C’est juste sa façon habituelle de faire pression sur ses alliés.
On demande ensuite à Trump quand il rencontrera Poutine :
Je ne peux pas vous le dire, mais je sais que Poutine veut une rencontre. Je ne pense pas qu’il soit approprié que je le rencontre avant le 20, ce que je déteste parce que chaque jour des gens sont – beaucoup, beaucoup de jeunes sont tués, des soldats. Vous savez, le terrain est très plat et les centaines de milliers de soldats de chaque – plusieurs centaines de milliers de chaque bords sont morts et ils gisent dans des champs partout, personne pour les ramasser, il y a des mines terrestres partout, c’est un désastre.
…
J’espère avoir… six mois. … Non, je pense — j’espère bien avant six mois. Écoutez, la Russie perd beaucoup de jeunes et l’Ukraine aussi, et cela n’aurait jamais dû commencer. C’est une guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Je vous garantis que si j’étais président, cette guerre n’aurait jamais eu lieu.
La poursuite de cette guerre semble être hors de question pour Trump, du moins pour l’instant. Le fait qu’il reconnaisse ouvertement la préoccupation stratégique de la Russie – l’Ukraine au sein de l’OTAN – me laisse espérer qu’il trouvera un moyen de résoudre le conflit.
Au cours de son discours, Trump n’a pas du tout mentionné la Chine, même en tant que principal concurrent ou même « ennemi ». La Chine n’a été évoquée que dans le contexte du canal de Panama (plus d’informations à ce sujet ci-dessous).
Trump a également refusé de parler de l’Iran :
Q : La dernière fois que vous êtes venu ici, on vous a posé une question sur l’éventualité d’une attaque préventive des États-Unis contre l’Iran. Vous avez dit que vous ne répondriez pas à cette question.
Trump : Et j’ai dit que je ne parlais pas de cela – c’est une stratégie militaire. … Écoutez, c’est une stratégie militaire et je ne répondrai pas à vos questions sur la stratégie militaire. Encore une autre question. Brian, allez-y. Brian.
Trump a ainsi rejeté les trois conflits potentiels, avec la Russie, la Chine et l’Iran, qui ont longtemps fait la une des journaux. Il estime probablement qu’il n’y a rien à gagner dans ces conflits.
Mais comme il doit donner du grain à moudre aux médias et à ses partisans MAGA, il imagine de nouveaux conflits qui pourraient même s’avérer gagnables.
Pourquoi ne pas prendre le Canada et l’intégrer aux États-Unis ? Prenons le Groenland au Danemark pour mieux positionner les États-Unis dans l’Arctique – ou récupérons le canal de Panama :
Le canal de Panama est une honte, ce qui s’est passé au canal de Panama. Jimmy Carter le leur a donné pour un dollar et ils étaient censés nous traiter correctement.
…
Nous l’avons donné pour un dollar, mais l’accord était qu’ils devaient nous traiter équitablement. Ils ne le font pas. Ils font payer nos navires plus cher que les navires d’autres pays. Ils font payer notre marine plus cher que les marines des autres pays.
Ils se moquent de nous parce qu’ils pensent que nous sommes stupides, mais nous ne le sommes plus. Le canal de Panama fait donc l’objet de discussions avec eux en ce moment même. Ils ont violé tous les aspects de l’accord et ils l’ont également violé moralement. Ils veulent notre aide parce qu’il fuit et qu’il n’est pas en bon état, et ils veulent que nous leur donnions 3 milliards de dollars pour le réparer. J’ai dit : « Pourquoi ne pas demander l’argent à la Chine, parce que la Chine est en train de s’en emparer ».
La Chine se trouve aux deux extrémités du canal de Panama. La Chine gère le canal de Panama et elle vient voir ce Biden, ce type qui n’aurait jamais dû être autorisé à se présenter à l’élection présidentielle. Bien sûr, elle n’aurait pas dû non plus, car cela ne s’est jamais produit. J’ai dû battre deux personnes, pas une. Mais ils veulent 3 milliards de dollars pour réparer le canal de Panama qui est géré par la Chine et qui rapporte beaucoup d’argent à la Chine.
C’est l’une des structures les plus rentables jamais construites, parce que les navires font la queue jusqu’en Floride, franchement, et qu’ils ne cessent de passer. Les chiffres sont stupéfiants : de 0,5 million à 1 million de dollars par navire. Et ils nous l’ont pris, c’est-à-dire que nous lui avons donné pour un dollar, mais cela n’arrivera pas. Ce qu’ils nous ont fait, c’est qu’ils nous ont fait payer – ils ont surtaxé nos navires, surtaxé notre marine, et lorsqu’ils ont besoin d’argent pour les réparations, ils viennent aux États-Unis pour en demander, et nous ne recevons rien.
La plupart des affirmations de Trump sont fausses. Les frais de passage du canal dépendent de la taille du navire et non de sa nationalité. La Chine ne gère pas le canal, mais a loué des espaces portuaires de chaque côté. Le principal problème du canal est le manque d’eau douce nécessaire à son fonctionnement. Cela limite le nombre de navires qui peuvent le traverser.
Quoi qu’il en soit, à l’instar des conflits prêts à l’emploi concernant le Canada et le Groenland, il s’agit d’un thème idéal pour détourner l’attention des autres conflits.
Cela rappelle Ronald Reagan qui avait créé des conflits mineurs, comme à la Grenade, pour être libre de conclure des accords avec l’Union soviétique, « l’empire du mal ».
Comme le remarque Gilbert Doctorow :
La logique que je vois est qu’une position belliqueuse sur des conflits qui peuvent être résolus à peu de frais pour Washington, le proverbial coup de pied au cul que Ronald Reagan a pratiqué avec beaucoup d’effet, est destiné à couvrir ce qui autrement ressemblerait à une défaite humiliante pour Washington s’il coupait l’aide militaire à Kiev et restait passif pendant que le Kremlin imposait la capitulation au régime de Zelensky.
Dean Baker fait une remarque similaire, mais plus large :
Dean Baker @DeanBaker13 – 18:31 UTC – Jan 7, 2025
Trump est plutôt malin, il a décidé qu’il serait trop difficile d’affronter les ennemis ostensibles des États-Unis comme la Russie, la Chine ou la Corée du Nord, alors il a décidé d’affronter des alliés comme le Danemark et le Canada. C’est très MAGA !
Trump veut éviter les conflits potentiels les plus importants, car ils sont trop difficiles à gérer et à gagner. Au lieu de cela, il crée ses propres petits conflits juste dans l’arrière-cour des États-Unis.
C’est un joli tour de passe-passe qui pourrait même être couronné de succès.
Le Panama acceptera probablement des rabais sur le canal ou une priorité pour les navires américains. Le Canada pourrait céder sur les questions commerciales. Et l’UE, qui n’a même pas protesté lorsque les États-Unis ont fait sauter sa principale source d’énergie, pourrait bien céder le Groenland sans même en faire un drame.
Ces trois victoires potentielles seraient les bienvenues pour MAGA.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone