Porochenko :
« Encore influent comme oligarque, mais pas comme président »


Rostislav Ichtchenko

Une interview de Rostislav Ichtchenko par Andrei Saveliev – Le 10 septembre 2016 – Source Sakeritalia.it

Pour le jour de l’indépendance, le centre ukrainien de suivi social, l’Institut ukrainien pour la recherche sociale Yaremenko, ainsi que l’Institut d’économie et de prévision de l’Académie nationale des sciences ont conduit une étude sociologique sur les orientations politiques des citoyens. Selon un sondage, plus de 55% des personnes interrogées soutiennent la nécessité d’élections parlementaires anticipées, et à peu près le même nombre soutiendraient également des élections présidentielles anticipées. Mais changer l’ordre pour ces 55% ne fait pas changer le résultat : peu importe quand des élections pourraient avoir lieu en Ukraine, le résultat sera toujours le même. Parce que l’Ukraine a cédé sa souveraineté et son indépendance il y a 25 ans.

Nous avons parlé avec l’analyste politique et président du Centre d’analyses et de prévisions Rostislav Ichtchenko sur l’utilité d’élections politiques anticipées.

Andrei Saveliev : – La Rada actuelle (le Parlement ukrainien) est définie comme la plus anti-russe de toutes les années de l’«indépendance» ukrainienne. Si les élections se tenaient aujourd’hui, est-ce que la situation changerait ?

Rostislav Ichtchenko : – Certainement pas. Pendant des années, ils ont fait de nombreux sondages en Ukraine, et la Rada, le président et le gouvernement ne plaisaient toujours pas aux gens. À peine étaient-ils remplacés, par des élections ou un coup d’État, qu’ils recommençaient à ne pas plaire aux gens. Mais Porochenko, comme président, a eu une chance que n’avaient ni la Rada ni le gouvernement, alors que Porochenko, comme président, oui, à partir du moment où il est arrivé en annonçant qu’il serait le «président de la paix». S’il était vraiment parvenu à la paix, il serait encore aimé. Mais il n’a pas réussi.

Quel est le paysage électoral aujourd’hui en Ukraine ? Existe-t-il une force politique constructive ?

– Il y a des forces politiques constructives qui veulent partager ce qui reste de la propriété publique en leur faveur. Il y a des forces qui veulent être moins nazies.

Quelles sont ces forces ?

– Elles peuvent être définies comme relativement plus progressistes. Mais en réalité, toutes ces forces ont amené l’Ukraine dans l’état où elle se trouve aujourd’hui. Et l’Ukraine restera exactement dans cet état aussi longtemps que ces forces, du Bloc de l’opposition au parti de Porochenko, seront au pouvoir ou le contesteront. Même si aujourd’hui un communiste comme Simonenko arrivait au pouvoir, il n’y aurait pas de grands changements. Oui, peut-être qu’ils ne bombarderaient pas le Donbass, peut-être qu’ils chercheraient à établir un rapport normal avec la Russie. Mais la situation en Ukraine ne changerait pas beaucoup. Parce qu’ils continueront à voler, et les gens les haïront de la même manière.

En cas de vote anticipé, le parti de Porochenko ne peut prétendre arriver en tête. Qu’en pensez-vous ? Pourquoi la popularité du président Porochenko est-elle plus grande que celle de son parti, le Bloc Petro Porochenko-Solidarité ?

– Je vois que le degré de popularité de Porochenko est très variable. Selon un sondage, il est à 3%, dans un autre, il est estimé à environ 13%. Vous voyez la différence ? Cela revient à dire qu’il est impossible de parler d’une popularité avec un quelconque fondement sociologique. Je suis sûr que la popularité de Porochenko doit être plus élevée que celle de son parti. Si Porochenko est à 3%, le parti est à 1%, si Porochenko est à 12%, le parti est à 5%. C’est absolument clair. Le représentant d’un parti doit toujours jouir d’une popularité plus grande.

– Pour la Timochenko, c’est le contraire. Sa popularité est inférieure à celle de son parti Patrie.

– Voyons ce qui se passe après les élections. Je suis absolument sûr que Timochenko gagnera les élections présidentielles, et son parti perdra les élections législatives. Mais en général, je ne veux pas commenter les sondages sociologiques en Ukraine, parce que beaucoup d’entre eux sont réalisés au nom de leurs commanditaires. Imaginez, si vous avez encore une marge d’erreur de 3%. C’est ce qu’on appelle l’erreur statistique qui peut facilement être manipulée. Et vos classements changeront considérablement… Bref, se précipiter dans les prochaines élections en Ukraine est un gaspillage d’argent et d’énergie. Parce qu’il n’y aura pas d’élections. Il y aura la chute de Porochenko et l’anarchie. On pourrait l’appeler du makhnovisme [Makhno était un anarchiste ukrainien durant la période de la guerre civile en Russie entre 1917 et 1922, NdT]. Et après le renversement de Porochenko, ce sera la confrontation de tous contre tous.

– Comment tout cela va-t-il se passer ?

– En théorie, si j’étais dans les chaussures de Porochenko, j’aurais cherché à attaquer le Donbass. Parce que cela aurait été la seule possibilité de sauver le «poste». Mais si je comprends bien, Porochenko est trop lâche pour attaquer le Donbass. Par conséquent, très probablement, d’abord ils le chasseront à coups de pied, puis ils agresseront le Donbass et ensuite ils régleront les choses entre eux.

– Vous pensez qu’il n’y aura pas de conflit au Donbass tant que Porochenko est au pouvoir ?

– Je crois qu’il n’y aura pas d’élections en Ukraine, tant que le conflit au Donbass durera. Avec Porochenko ou sans lui. D’abord, il y aura l’attaque, puis la fuite, la guerre de tous contre tous, puis le calme reviendra au Donbass. Ensuite, tout simplement, les milices des républiques du Donbass se déplaceront rapidement et profondément dans l’ancienne Ukraine jusqu’où ils voudront. Après une telle situation en Ukraine, la guerre ne concernera plus le Donbass.

– Donc il y aura d’autres forces militaires qui combattront parmi eux. Le Donbass ne sera pas impliqué ?

– Non. En Ukraine, il y a une quantité énorme de gens qui se haïssent les uns les autres, beaucoup plus qu’au Donbass ou en Russie. La situation est explosive, il suffirait d’une étincelle. Alors maintenant nous attendons ceux qui allumeront la mèche. Une tentative d’attaquer le Donbass pourrait être cette mèche.

– Aujourd’hui, quelle est l’importance de l’influence des oligarques sur les partis politiques ? Dans quelles forces politiques sont concentrés aujourd’hui les intérêts d’Akhmetov, Kolomoïsky, Pintchouk, Firtash?

– Parmi toutes les personnes que vous avez énumérées, il n’y a qu’un seul oligarque au sens strict, Kolomoïsky. Parce que, en plus de l’argent, il a encore une influence sur la politique ukrainienne. Tous les autres sont d’anciens oligarques. Ils peuvent avoir des centaines de millions ou des milliards, s’ils sont en mesure de convertir leurs biens en argent liquide, ce qui n’est pas assuré. Aujourd’hui, seuls Kolomoïsky et Porochenko sont restés des oligarques en Ukraine. Tous les autres sont des ex. Aujourd’hui, Porochenko a une influence décisive sur la politique ukrainienne comme oligarque. Mais comme président, il n’est pas déterminant, parce qu’il a des possibilités politiques très limitées.

– En juillet, l’ancien Premier ministre, le président du Front populaire Arseni Iatseniouk, n’a pas fait partie de la liste du sondage. Et en août, seules 0,4% des personnes interrogées étaient disposées à le soutenir. Quel est son destin sur la scène politique ?

– Iatseniouk va bien. Il a fait son argent. Maintenant, il peut vivre en Ukraine ou à l’étranger, personne ne lui donne la chasse.

– Il n’a plus d’influence politique en Ukraine ?

– Eh bien, en théorie, il en a une. Iatseniouk peut essayer de remplacer Porochenko. Mais moi, à sa place, si j’avais déjà quitté l’Ukraine et si j’avais encaissé l’argent, sans devoir rien à personne, je ne serai plus retourné en Ukraine. Mais lui, s’il est idiot, il retournera et cherchera à devenir président.

– Que deviendra le Bloc d’opposition ? Il est connu que Iouri Boyko [le dirigeant du parti N.d.T.] se situe aujourd’hui à peu près à 5,6%. Est-il probable que sa popularité rejoindra celle de Timochenko et Porochenko ?

– On n’attend rien du Bloc de l’opposition. Il ne sert à rien. Il peut aussi obtenir des chiffres considérables dans les sondages. Le Bloc d’opposition est constitué de gens qui croient que tout sera résolu bientôt et on reviendra aux temps de Ianoukovitch, mais sans lui. Mais c’est tout simplement impossible. Parce qu’en Ukraine il n’y a plus les ressources internes avec lesquelles ceux-là vivaient. Et leur idée est que «aujourd’hui, nous renversons les fascistes et nous devenons antifascistes». Mais tous savent comment ces antifascistes ont élevé les fascistes et les ont fait accéder au pouvoir. En outre, ces mêmes antifascistes au Parlement avaient voté pour la destitution de Ianoukovitch, et ont porté les fascistes au pouvoir. Pardonnez-moi, Bloc d’opposition ? Mais opposition à qui ? Donc d’abord on vote pour Hitler, puis on passe à l’opposition ?

– En Ukraine, en fait, il n’y a pas de partis dotés d’une idéologie, seulement des centres d’intérêts des politiques. Seuls les nationalistes ont des organisations idéologiques. Pourquoi n’existe-t-il plus de partis idéologiques ?

– Je continue à penser qu’en Ukraine les partis sont totalement idéologiques.

– Eh bien, c’est clair que le Pravy Sektor et Svoboda ont une idéologie radicale. Mais les autres ?

– Oui, Svoboda sûrement. Mais les communistes aussi sont un parti idéologique. Il y a les Oranges, qui ne sont pas totalement nazis, mais pas non plus totalement normaux. En fin de compte, ce sont des libéraux classiques. Leur idéologie est très claire : adhérons à l’UE et tout ira bien. Ils veulent s’intégrer seulement à l’Occident. Ils ont une idéologie libérale classique. Il pourrait y avoir cinq ou six de ces partis. Mais en réalité, ils ont une idéologie unique. Prenons le Parti des régions. Leur idéologie est protectrice et conservatrice : «Gardons notre vache seulement pour nous, nous la trairons et les autres ne pourront pas approcher.» Souvenons-nous comment ils se vantaient, en 2005, en 2010, d’être les véritables patriotes ukrainiens. Parce que le business russe est entré en Galicie, à Kiev, à Dniepropetrovsk. Mais il n’est pas arrivé à Donetsk, ils ne l’ont pas permis. Et donc les Régionaux déclaraient : «C’est nous qui sommes les vrais patriotes ukrainiens.» Ce parti existe encore et il cherche à soumettre l’Ukraine à ses propres besoins. Ils ne se rendent pas compte que ce n’est plus possible. En général, nous savons qu’en Ukraine il y a des partis d’extrême-gauche, d’extrême-droite et deux partis centristes. Un pro-occidental, et un pro-ukrainien. Il n’existe pas de parti pro-russe.

– Mais le Parti des Régions est difficile à définir comme porteur d’une idéologie.

– Le Parti des Régions est très idéologique. Son idéologie est tout à fait claire : «Voler tout et ne partager avec personne.» Cela aussi est une idéologie.

Propos recueillis par Andrei Saveliev

L’article original est paru sur antifashist.com

Traduit du russe par Elena, traduit de l’italien par Diane, vérifié par Jean-Luc, relu par Catherine pour le Saker francophone

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