Pokémon Go, la CIA, le «totalitarisme» et l’avenir de la surveillance


Par Steven MacMillan – Le 29 juillet 2016 – Source New Eastern Outlook

Si quelqu’un doutait qu’un certain pourcentage de la population mondiale est proche de l’état de zombie, les incidents qui ont suivi la sortie de Pokémon Go vous auront sûrement convaincu. Bien que le jeu ait été diffusé début juillet, nous avons déjà vu un homme emboutir un arbre et une femme s’enfermant dans un cimetière pendant qu’elle poursuivait ces petites créatures en peluche.

Pokémon décrit le jeu sur son site de la manière suivante :

«Voyagez entre le monde réel et le monde virtuel de Pokémon avec Pokémon GO pour iPhone et Android. Avec Pokémon GO, vous découvrirez Pokémon dans un monde entièrement nouveau – le vôtre ! Pokémon GO est construit sur la plateforme de jeu Real Word de Niantic et utilisera des lieux réels pour encourager les joueurs à chercher partout dans le monde réel pour découvrir Pokémon… Dans Pokémon GO, le décor sera le monde réel!»

Pokémon Go, Google, le Département d’État, la CIA et le Département de la Défense

L’entreprise derrière Pokémon Go est un développeur de logiciels de San Francisco nommé Niantic Inc., constitué en 2010 comme une start-up interne à Google. Le fondateur et actuel directeur général de Niantic est John Hanke, un homme qui a des liens à la fois avec le Département d’État et la CIA.

Avant de s’installer à San Francisco pour étudier à l’Université de Californie, Hanke avait travaillé au Myanmar pour le Département d’État américain. Hanke a aussi fondé Keyhole Inc. en 2001, une entreprise qui s’est spécialisée dans les applications géospatiales de visualisation de données. Google a acquis la société en 2004, et nombre d’applications développées par Keyhole contribuent aujourd’hui à Google Maps et Earth. En 2003, l’entreprise capitaliste de la CIA, In-Q-Tel, a investi dans Keyhole, la CIA détaillant fièrement cet investissement sur son propre site :

«La technologie assistée de la CIA qui vous est probablement la plus familière est celle que nombre d’entre vous utilisent régulièrement : Google Earth. En février 2003, l’entreprise capitaliste financée par la CIA In-Q-Tel a fait un investissement stratégique dans Keyhole Inc., pionnier de la visualisation interactive en 3-D et créateur du système de cartographie de la terre en 3-D EarthViewer. La CIA a travaillé étroitement avec d’autres organisations de la communauté du renseignement pour adapter les systèmes de Keyhole à leurs besoins. Le produit fini a transformé la manière dont les agents du renseignement ont interagi avec l’information géographique et les images de la terre.»

L’une des autres organisations de renseignement avec laquelle la CIA a travaillé était l’Agence nationale de renseignement géospatial (NGA dans son sigle anglais), qui est partiellement sous le contrôle du Département américain de la Défense (DoD dans son sigle anglais).

Ainsi, nous avons un ancien employé du Département d’État quelque peu énigmatique, avec des liens avec la CIA et le Département de la Défense, qui est le directeur général d’une entreprise qui a créé ce qui semble être un jeu stupide et inoffensif. Que se passe-t-il ?

La vente et le partage de vos données

Comme tant de nouvelles technologies à notre époque numérique, Pokémon Go recueille constamment de l’information sur les utilisateurs, puis admet ouvertement qu’il partagera ces données avec tous ceux qui les veulent.

Comme James Corbett l’a relevé dans son article intitulé The CIA’s ‘Pokémon Go’ App is Doing What the Patriot Act Can’t [L’application Pokémon Go de la CIA est en train de faire ce dont le Patriot Act est incapable], la politique de confidentialité de l’application déclare que Niantic partagera toute l’information qu’il recueille (et c’est beaucoup) avec l’État et des organisations privées:

«Nous coopérons avec le gouvernement et les fonctionnaires de police ou des entités privées, pour appliquer et faire respecter la loi. Nous pouvons divulguer toute information sur vous (ou sur votre enfant autorisé à jouer) se trouvant en notre possession, au contrôle du gouvernement ou des officiers de police ou d’organismes privés comme, à notre seule discrétion, nous le pensons nécessaire ou approprié.»

Corbett détaille également comment le jeu exige que l’utilisateur donne un accès démesuré à Niantic/CIA/NGA/DoD (y compris l’accès aux comptes des utilisateurs Google et de la caméra).

Oliver Stone sur PG : «Totalitarisme» et «nouveau niveau d’invasion»

Parlant au Comic-Con de cette année, Oliver Stone – le cinéaste et réalisateur primé du nouveau film sur Edward Snowden – avait des vues très pertinentes sur le nouvel engouement et l’activité croissante de l’extraction de données. Comme Vulture magazine l’a rapporté dans un article récent, Stone a dénoncé le jeu comme un «nouveau niveau d’invasion» et une nouvelle forme de «totalitarisme».

«J’en entends aussi parler ; c’est un nouveau niveau d’invasion. Une fois que le gouvernement a été dénoncé par Snowden, les grandes entreprises ont évidemment eu recours au cryptage, parce qu’elles devaient le faire pour leur survie, n’est-ce pas ? Mais la recherche de profit est énorme. Personne n’a jamais vu, dans l’Histoire du monde, quelque chose comme Google – jamais ! C’est la firme ayant la croissance la plus rapide jamais vue, et ils ont investi d’immenses sommes d’argent dans ce qui est de l’espionnage : l’extraction de données.»

Stone poursuit :

«Ils extraient les données de toute personne dans cette salle pour obtenir des informations sur ce que vous achetez, ce que vous aimez, et par dessus tout, votre comportement. Pokémon Go s’active à ça. Il est partout. Il est ce que certaines personnes nomment le capitalisme de la surveillance ; c’est la toute nouvelle étape. Vous allez voir une nouvelle forme, franchement, de société de robots, où ils sauront comment vous voulez vous comporter et ils feront la maquette qui correspond à la manière dont vous vous conduisez et vous nourrissez. C’est ce qu’ils appellent le totalitarisme.»

Prédire le comportement humain

C’est intéressant que Stone ne se contente pas de mettre en garde contre l’aspect commercial de l’extraction de données, mais sur le fait que plus les gouvernements et les entreprises privées collectent d’informations sur les citoyens du monde, plus il devient facile de prédire leur comportement. Stone n’est cependant pas le seul à mettre en garde sur cette réalité. Au début de l’an dernier, le propre commissaire à la surveillance du gouvernement du Royaume-Uni, Tony Porter, a révélé comment des données obtenues par des caméras de vidéosurveillance peuvent être utilisées pour prédire le comportement.

Alors que nous avançons dans le XXIe siècle, et que davantage de systèmes algorithmiques avancés sont développés pour traiter le raz-de-marée de données, les agences de renseignement et les gouvernements seront de plus en plus capables de prédire (et de manipuler) le comportement de leurs populations et de celles d’autres pays. Nous sommes déjà très avancés dans cette voie, et la direction pour l’avenir fonce tout droit vers des niveaux de surveillance bien supérieurs à ceux que George Orwell avait envisagés ; la lutte pour l’intimité numérique est un champ de bataille essentiel dans ce siècle, pour ceux qui accordent du prix à la liberté.

Pokémon Go ressemble plus à un cheval de Troie de la CIA et à un Big Brother complexe d’extraction de données-de renseignements-de sécurité, qu’à un simple jeu stupide et innocent. Avec toutes les connexions au Département d’État, à la CIA et au Département de la Défense, il ne faut pas s’étonner si quelques pays envisagent, paraît-il, d’interdire le jeu.

Steven MacMillan est un écrivain indépendant, chercheur, analyste géopolitique et rédacteur en chef de The Analyst Report, en particulier pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone

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